Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BEAUMONT, Jean DE

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BEAUMONT (Jean DE), était fils de Jean d’Avesnes, comte de Hainaut, et de Philippe de Luxembourg. Il posséda non-seulement la seigneurie de Beaumont, mais aussi celles de Valenciennes et de Condé, et épousa Marguerite, fille de Hugues comte de Soissons, dame de Chimay, dont il eut une seule fille nommée Jeanne, femme de Louis de Châtillon, comte de Blois. La vie de Jean de Beaumont présente une suite non interrompue de combats et d’aventures, qui le placent au premier rang des preux du moyen âge, et par un contraste digne d’être remarqué, il s’associa tour à tour à l’élévation et aux triomphes d’Edouard III, aux épreuves et aux malheurs de Philippe de Valois. Ce fut en 1326 qu’il entreprit, avec quelques chevaliers du Hainaut, de rétablir sur le trône d’Angleterre la reine Isabelle, qui s’était retirée en France avec son fils et le comte de Kent, pour se dérober à la domination de Hugues Spencer, favori d’Edouard II. « Pour ce temps, dit Froissart, estoit messires Jehans de Hainnau en la droite flour de sa jonèce et de si grant volonté que nuls chevaliers pooit estre et ne resongnoit painne, ne péril qui li peuist avenir. »

Le départ de l’expédition eut lieu à Dordrecht, mais une tempête la dispersa et obligea les chevaliers du Hainaut à aborder dans le comté de Suffolk, sur une plage inconnue. La reine d’Angleterre et son fils couchèrent pendant trois nuits sur la bruyère. Enfin on découvrit la célèbre abbaye de Sint-Edmundsbury, où l’on prit un peu de repos, et des messagers allèrent réclamer l’appui des barons et des communes d’Angleterre. Jean de Beaumont fut bientôt rejoint par le maire de Londres, qui conduisait deux mille hommes d’armes et quatre mille archers, par le comte de Lancastre et par les plus puissants seigneurs du Northumberland. Il s’avança rapidement vers Bristol, où il entra le 27 octobre 1326. Hugues Spencer expia par un cruel supplice sa honteuse fortune, et Édouard II lui-même fut enfermé dans un château. Jean de Beaumont avait noblement élevé la voix pour qu’on lui laissât la vie et pour qu’on respectât en lui la dignité royale. « Li rois est rois d’Engleterre, disait-il, et il n’est nuls, ne moi, ne aultres, qui le doient juger à mort. » Et les barons lui avaient répondu d’une voix unanime. « Vous avés bien et loiaument parlé. » Près d’un an s’écoula avant que l’influence de Mortimer, favori d’Isabelle, appelé à succéder à Spencer, délivrât par un crime la reine d’un époux qui, même dans la captivité, semblait troubler ses amours adultères. Ce sombre attentat n’avait pas été consommé et rien n’avait troublé l’enthousiasme de la nation, lorsque la reine fit avec Jean de Beaumont son entrée solennelle à Londres ; « et fu en ce jour, dit Froissart, messires Jehans de Hainnau moult regardés de toutes gens et séoit sus un noir hault palefroi moult bien aourné que la chité de Londres li avoit donné, et fut moult prisiés en arroi, en personne et en contenance, et disoient toutes gens que il avoit bien fourme et regard de vaillant homme. » Les chevaliers du Hainaut ne tardèrent pas à quitter l’Angleterre : la reine prit congé d’eux à Eltham, où elle leur fit distribuer des joyaux et de la vaisselle d’argent, apportés solennellement, au son du chant des ménestrels, dans de grandes corbeilles que tenaient douze écuyers richement vêtus. Cependant, Jean de Beaumont prolongea son séjour à Londres afin d’assister au couronnement d’Édouard III, et dans le banquet qui eut lieu à cette occasion, il prit place à côté de la reine. « Vous devés scavoir, » rapporte le chroniqueur de Valenciennes, toujours empressé à recueillir ce qui attestait la gloire de son pays, « vous devés scavoir que messires Jehans de Hainnau fu ce jour moult regardés des contes, des barons et des chevaliers d’Engleterre, et conjoïs et festoyés, et rechut moult d’honnours, et se efforçoient tout signeur, toutes dames et damoiselles, de honnourer messire Jehan de Hainnau et les Hainnuiers. » Jean de Beaumont avait suivi Édouard III au château de Windsor, lorsqu’il y reçut un message du roi de Bohème qui l’invitait à se rendre au tournoi de Condé « où ils devoient estre compagnon ensamble. » Il ne pouvait rester sourd à cet appel : au mois de février 1327, il s’éloigna comblé des présents du jeune roi, et le maire de Londres, pour lui rendre plus d’honneur, l’accompagna jusqu’à Dartford.

Jean de Beaumont ne tarda pas à retourner en Angleterre, car le roi Édouard III lui avait adressé les lettres les plus pressantes pour qu’il l’aidât à repousser l’invasion des Écossais. Jean de Beaumont amena cinq cents « armures de fier, » chevaliers et écuyers, mais une rixe qui s’engagea à York avec les archers de l’évêque de Lincoln, les mit en grand péril. Ce fut avec indignation que Jean de Beaumont rappela à Édouard III combien il était odieux de voir des chevaliers qui venaient défendre l’Angleterre contre ses ennemis, exposés ainsi à périr par la trahison du peuple anglais. Édouard III chercha à le calmer en donnant à ceux dont il se plaignait l’ordre de déposer les armes ; il alla même jusqu’à lui promettre, si la lutte recommençait, de se placer à côté de lui, car il savait bien, disait-il, que c’était à lui qu’il devait son royaume. Dans la campagne qui s’ouvrit contre les Écossais, Jean de Beaumont et ses amis furent chargés de la garde du roi, et cette fois encore ils revinrent dans le Hainaut, chargés de présents et toujours prêts, comme ils le déclaraient eux-mêmes « à faire service au roi et au païs d’Engleterre. » Nous retrouvons peu après, dans la même ville d’York, Jean de Beaumont, qui y conduit sa nièce, Philippe de Hainaut, et qui y assiste aux fêtes de son mariage avec Édouard III, avant de prendre part aux joutes qui eurent lieu à Londres.

En 1328, Jean de Beaumont combat sous une autre bannière. Il se trouve près de Philippe de Valois à la bataille de Cassel, si désastreuse et si glorieuse à la fois pour les communes flamandes. Il se rendit l’année suivante à Amiens, lors de l’hommage d’Edouard III au roi de France et s’interposa comme arbitre entre les deux princes. Il réussit moins lorsqu’il s’efforça de réconcilier Robert d’Artois avec Philippe de Valois et de calmer le ressentiment de ce monarque contre le duc de Brabant.

Jean de Beaumont, repoussé dans ses prières et dans ses conseils par Philippe de Valois, seconda la mission des ambassadeurs anglais, qui étaient venus dans le Hainaut pour former une ligue, dont le but était de faire monter Édouard III sur le trône de France. Lorsque, au mois de juillet 1338, Édouard III débarqua à Anvers, Jean de Beaumont fut le premier à venir le saluer, « ce dont li rois, dit Froissart, li sceut grant gré, car par li et son consel en partie il se voloit ordonner… Messires Jehans de Hainnau estoit tousjours dalés le roi et de son conseil. » La guerre ayant commencé, Jean de Beaumont prit part au siége de Cambrai, à l’attaque d’Oisy et d’Honnecourt, à la prise de Guise. La comtesse de Blois, fille de Jean de Beaumont, se trouvait dans ce château. Elle vint supplier son père de ne pas y porter la flamme. « Cela, disait-elle, poés-vous bien faire pour l’amour de moi qui sui vostre fille. — Et pour ce que tu es ma fille, repartit le seigneur de Beaumont, sera ceste ville arse, et remonte là sus au dongeon que la fumière ne te face mal. » Le chroniqueur explique ailleurs cette conduite en exprimant cette pensée généralement admise au moyen âge « qu’il ne s’en pooit excuser, car il li convenoit servir le roi d’Engleterre puisqui’il prendoit ses deniers. »

Jean de Beaumont ne montra pas moins de zèle au siége de Tournai, car il ne pouvait oublier la dévastation du Hainaut par le duc de Normandie. Il assaillit Mortagne et s’empara de Saint-Amand, et l’armée française ne put mettre obstacle à ses audacieuses chevauchées.

En 1340, pendant le voyage du comte de Hainaut en Angleterre, le sire de Beaumont reçut le gouvernement de ce pays ; en 1343, il fut de nouveau désigné pour le diriger pendant l’absence du comte qui voulait aller combattre les Sarrasins de Grenade. Il fit un voyage en Angleterre, pour assister à une grande joute qui eut lieu à Londres, mais il ne fut pas présent à celle qui fut donnée à Windsor, lors de la création de l’ordre de la Jarretière. Il allait pour la première fois connaître l’inconstance de la fortune. Le comte Guillaume de Hainaut périt, en 1345, dans un combat contre les Frisons, pour ne pas avoir écouté les sages avis de son oncle, et celui-ci, désespéré de n’avoir pu le sauver ni le secourir, voulait se jeter au milieu des ennemis pour partager son sort. Il fallut que ses serviteurs l’enlevassent par force et le portassent à bord de son navire, au milieu des traits qui semaient la mort autour de lui.

Jean de Beaumont recevait depuis près de vingt ans une pension importante du roi d’Angleterre quand, par la médiation de son gendre, le comte de Blois, il accepta de Philippe de Valois des dons non moins généreux et renonça à l’hommage d’Édouard III. Le moment de servir une nouvelle cause ne tarda pas à arriver. Jean de Beaumont rejoignit l’armée française qui avait à repousser le roi d’Angleterre débarqué à la Hogue. Peu s’en fallut qu’il n’empêchât à la Blanque-Taque les Anglais de traverser la Somme, et à la journée de Crécy, où il retrouva son vieux compagnon, le roi de Bohème, il eut l’honneur d’être placé « au frein du roi de France. » On sait qu’après une sanglante et confuse mêlée il fut réduit à entraîner hors du champ de bataille le monarque qui, d’une armée si nombreuse, conservait à peine pour le défendre cinq barons qui se réfugièrent avec lui au château de la Broie. Jean de Beaumont était aussi avec Philippe de Valois, quand il s’avança vainement jusqu’à Sandgate pour faire lever le siége de Calais. Le roi Jean, quelques années plus tard, échoua également sous les murs de Calais, dans sa tentative de forcer les Anglais à livrer bataille. Ce fut la dernière fois que Jean de Beaumont « li gentils chevaliers » porta les armes, car il mourut à Valenciennes, le 11 mars 1356, et fut enseveli en grande solennité dans le couvent des Cordeliers. Sur une table de marbre placée au-dessus de sa tombe, on lisait une épitaphe qui rappelait ses guerres et un pèlerinage d’outre-mer sur lequel nous possédons peu de détails : Hic sepelitus illustris dominus ac maximi nominis, bellicosus ac strenuissimus armorum miles, domimus Joannes de Hannonia dictus de Bellomonte… Hic reposuit magnum regem Eduardum e regno Angliæ propulsum, invitis Anglis, in proprio Angliæ regno, cum honore, et ipsum coronari fecit. Et alia multa ardua in diversis mundi partibus potenter executus est.

Jean de Beaumont encouragea les lettres. Il engagea Jean le Bel à écrire sa chronique, dont un exemplaire lui fut présenté et fut corrigé sous ses yeux par le châtelain de Waremme. Il est également permis de croire que ce fut sous ses auspices que Froissart, issu d’une famille de Beaumont, fixée à Valenciennes, se présenta, fort jeune encore, à la cour de la reine d’Angleterre. Les ménestrels honoraient aussi Jean de Beaumont comme un généreux protecteur[1].

Kervyn de Lettenhove.


  1. M. Vanden Berghe attribue à Jean de Beaumont une lettre qu’il a publiée dans ses Gedenkstukken, I, p. 160. Il m’est impossible de me rallier à cette opinion.