Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BÉTHUNE-CHAROST, Armand-Louis-François, prince DE

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BÉTHUNE-CHAROST, Armand-Louis-François, prince DE



*BÉTHUNE-CHAROST (Armand-Louis-François, prince DE), né à Paris, en 1771, éleva, vers la fin du siècle dernier, des prétentions à la souveraineté des Pays-Bas autrichiens. Esprit inquiet, turbulent et ambitieux, il se trouvait partout où il y avait des mécontents, partout où il espérait pouvoir se mettre à la tête d’une faction, n’importe laquelle. Tantôt il conspirait en Gallicie, tantôt en Hollande, tantôt en Belgique, sans autre guide qu’une ambition inconsidérée et très-mal placée. Pendant l’insurrection des provinces belges contre Joseph II, de Béthune offrit aux états de Brabant de lever, pour leur compte, une légion, dont il aurait été colonel-propriétaire, avec le titre de général-major des troupes des états de Brabant et des États-Unis. Malgré l’acceptation de l’offre par acte du 22 novembre 1789, la proposition ne reçut point d’exécution. De sorte que pendant le mois de décembre suivant, il fit aux états une proposition nouvelle tendant à lever un corps de troupes allemandes. Il se mit ainsi en relations avec les chefs de la révolution, mais sans obtenir leur confiance.

Au retour des Autrichiens dans les Pays-Bas, le prince fut obligé de se retirer en France. Là il trouva dans les villes frontières, à Lille, Douai, Maubeuge, Valenciennes, etc., des réfugiés belges, qui ne voulaient ou ne pouvaient se soumettre au gouvernement autrichien dont le système pondérateur ne satisfit ni les conservateurs ni les avances. Là, il rencontra bon nombre d’aventuriers sortis de l’armée des insurgés ou appartenant au parti des mécontents du pays de Liége et de Hollande, qui aimaient mieux vivre aux dépens des autres que de reprendre leurs anciennes occupations. Repoussés comme révolutionnaires par les royalistes français et considérés comme aristocrates par les républicains, les réfugiés belges ne trouvèrent d’appui chez personne. Lorsque le gouvernement des Pays-Bas autrichiens appela l’attention de celui de France sur leurs conciliabules, De Béthune-Charost eut, seul, le courage de les défendre. En novembre 1791, le directoire du district de Douai ayant été chargé de prendre des informations sur leur nombre et leur conduite, le prince déclara que ces gens fuyaient l’oppression : qu’il en connaissait bon nombre, et qu’il fournissait même des secours à plusieurs d’entre eux. En somme, il répondit de leur conduite. « Si, ajoutait-il, quelques-uns sont exaltés, c’est parce que des agents impérialistes les excitent de toutes les manières. » Il finit par demander un bâtiment appartenant à un corps religieux, afin d’y loger ses gens.

De Béthune parvint ainsi à s’insinuer dans les bonnes grâces des réfugiés, n’importe le parti auquel ils appartenaient. Aristocrate avec les conservateurs, avancé avec les démocrates, il ne contrariait ouvertement aucune opinion politique, de manière que personne ne savait au juste ce qu’il voulait. Le comte de Metternich le soupçonnait de conspirer en faveur des avancés, tandis que Vonck, le chef des démocrates, prétendait qu’il travaillait dans les intérêts du duc d’Orléans. Merlin de Thionville le comprit mieux. Dans une séance des Jacobins, il déclara que De Béthune voulait établir en Belgique une espèce de protectorat, et dans sa défense devant le tribunal révolutionnaire, Brissot reconnut qu’il était l’ennemi de la liberté des Belges ; que s’il voulait une révolution en Belgique c’était afin de s’en déclarer duc. Tel était, en effet, son but. Le pouvoir appuyé par l’aristocratie ; la souveraineté établie sur les titres de ses ancêtres, qui, d’après l’Histoire de la maison de Béthune, par l’abbé Doigny, appartenait à la famille des comtes de Flandre ; voilà ce qu’il voulait.

Dans leurs manifestes, ses partisans ne firent aucune mention de ses principes politiques. Seulement ils annonçaient publiquement le projet de renverser le gouvernement établi en Belgique. Celui-ci n’eut pas, d’abord, l’air de s’inquiéter de ces menaces ; mais lorsque les doyens des métiers de Bruxelles et même les états recommencèrent leur opposition au point de refuser les subsides, il crut convenable de frapper un coup. Après avoir vaincu la résistance passive du conseil de Brabant, qu’il qualifiait de pusillanime, il parvint à obtenir, les 4 et 6 février 1792, un décret de prise de corps contre De Béthune et sept de ses principaux adhérents. Au moment où il fut publié, tous les membres de la famille de Béthune, qui habitaient la France, renièrent leur homonyme, et déclarèrent même qu’il leur était complètement étranger.

Parmi les personnes qui furent condamnées avec De Béthune, figurait le fils du libraire Dujardin, de Bruxelles, plus connu sous le nom d’Apsley. L’ayant nommé son aide de camp, il lui remit une lettre destinée à un commis de la poste aux lettres à Mons, nommé Bayard. Lui-même se rendit secrètement, en mai 1792, dans cette ville, afin de se mettre directement en rapport avec cet employé. Il lui confia tous ses projets, avec promesse de le récompenser s’il voulait transmettre à ses affidés, domiciliés en Belgique, les lettres et imprimés qu’il leur adresserait. Ce n’était pas la première inconséquence qu’il fit. Il avait déjà eu avec le secrétaire de l’ambassade autrichienne à Paris un entretien pendant lequel il lui dévoila ses projets et les moyens dont il disposait.

Bayard eut l’air de s’intéresser à la conspiration et promit de servir le prince. Mais il le trahit de la manière la plus ignoble. Il n’eut rien de plus empressé que de faire connaître au baron de Feltz, conseiller et secrétaire d’État et de guerre, ses relations avec De Béthune. Toutes les correspondances de ce dernier furent communiquées au gouvernement, et renvoyées ensuite aux parties intéressées, de manière que l’Autriche, étant initiée à tout le complot, en tint les fils et put connaître ceux qui en faisaient partie. Bayard ouvrit enfin lui-même les lettres, en tint des copies qu’il remettait au baron de Feltz et dont nous avons un recueil sous les yeux. Dans ces lettres, le prince s’adresse à tout le monde, sans distinction d’opinion et même sans s’enquérir si les personnes auxquelles il écrivait étaient ou non ses partisans. Il lui suffisait de savoir qu’elles n’aimaient pas le régime établi. Les membres des états furent particulièrement de sa part l’objet de prévenances. Partout il annonçait que bientôt il serait entouré de députés de tous les états, qui s’entendraient avec lui pour renverser le gouvernement et quelques-uns se rendirent, en effet, en France auprès du conspirateur. Un des moyens sur lesquels il comptait le plus était la formation de comités dans les différentes provinces. D’après son plan, ces comités devaient être les centres de toutes les opérations à l’intérieur du pays. De là partiraient les libelles destinés à soulever le peuple ; là l’émigration trouverait des encouragements ; les comités avaient encore mission de recevoir les contributions fournies par les abbayes et les patriotes en faveur des conjurés, dits Béthunistes et de concerter les mesures pour refuser au gouvernement autrichien les subsides et les impôts qu’il demanderait.

Cependant les événements marchèrent avec une rapidité étonnante. Tout cet échafaudage de conspirations béthunistes, conservatrices et autres, fut balayé par le torrent révolutionnaire. La Belgique fut envahie par les armées françaises ; l’aristocratie anéantie ; le clergé décimé ; De Béthune fut abandonné par les démocrates, qui s’allièrent franchement aux Français, et par les conservateurs qui prirent le parti de l’Autriche. Le 8 septembre 1793, il fut arrêté par les Français, puis relâché à Douai. Il se rendit à Calais, où la peur le prit à tel point qu’il voulut émigrer.

Du Fourny rendit compte de sa fuite dans la séance de la Société des Jacobins du 15 septembre 1793. « Béthune-Charost, homme dangereux par son hypocrisie, était, dit il, dans le département du Nord à aider de toutes ses forces le parti anti-révolutionnaire, qui dominait ; mais ayant perdu toute son influence, et craignant lui-même, il prit le parti de s’évader. Il monta un canot et s’éloigna du rivage. Bientôt on découvrit un cutter anglais vers lequel il pria le canotier de se diriger. — Mais c’est un ennemi, dit le canotier. — Eh ! point du tout, reprit M. de Béthune-Charost, c’est un ami, et nous serons bien reçus. Soyez tranquille ! — Le canotier, bien loin de suivre ce conseil, revint promptement vers la terre. Charost, voyant son dessein, lui tira un coup de pistolet, qui ne le toucha pas, et de suite un autre qui le blessa au bras. Voyant qu’il n’était pas mort, il voulut se tuer lui-même et se tira un coup à la tête ; mais il n’atteignit que son chapeau. Alors, voulant périr absolument, il se précipita dans la mer, où plongea, quoique blessé, le courageux canotier, qui l’en tira malgré lui et le ramena ainsi dans sa barque. »

Traduit devant le tribunal révolutionnaire, il fut condamné à mort, le 9 floréal an II, avec plusieurs autres victimes de la Terreur, comme coupable d’avoir conspiré contre la liberté, la sûreté et la souveraineté du peuple français. Le jugement fut immédiatement exécuté, et Charost passa par la guillotine avec le comte d’Estaing, la Tour Dupin et plusieurs autres personnages marquants.

Ch. Piot.

Biographie moderne, 3ee édition, t, I. p. 231. — Moniteur universel. — Borgnet, Histoire des Belges à la fin du XVIIIe siècle, t. I, p. 251 et s. — Manifeste de François II, du 27 mars 1792. — Archives du conseil privé. — Archives de la chancellerie des Pays-Bas, à Vienne. — Papiers du procès du prince de Béthune et des béthunistes, dans les Archives du conseil souverain de Brabant.