Biographie nationale de Belgique/Tome 1/BAERSDORP, Corneille VAN

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BAERSDORP (Corneille VAN), médecin de Charles-Quint, naquit vers la fin du xve siècle, et mourut à Bruges, le 24 novembre 1565. Il appartenait par sa naissance à la famille de Borsselen, une des plus illustres de la Zélande, qui avait sa résidence à Baersdorp, seigneurie de l’île de Sud-Beveland, dont le château féodal est pour quelques-uns le berceau de ce savant praticien. Cependant, son père, Jean van Baersdorp, qui avait épousé Catherine de Maelstede, habitait Bruges et y mourut en 1488 ; il n’est donc pas improbable que son fils Corneille ait vu le jour dans cette ville.

On manque de renseignements sur ses premières années. Un diplôme authentique, par lequel Charles-Quint lui accorda, en 1556, reconnaissance de ses titres de noblesse, nous dit qu’il fit ses études en Italie et en France. Dans ce dernier pays, il suivit les leçons de Sylvius ou Du Bois, professeur distingué qui eut pour élève Vésale, dont il devint plus tard l’ennemi acharné. Revenu ensuite à Bruges, il se voua avec ardeur à la pratique médicale. On sait que les gentilshommes de cette époque ne dédaignaient point de se livrer à l’exercice de cet art, et que plusieurs s’y firent, comme plus tard, le célèbre Van Helmont, une réputation méritée[1]. Corneille van Baersdorp mit bientôt l’expérience qu’il avait acquise à profit pour publier un ouvrage contenant un système universel de médecine basé sur les doctrines de Gallien, dont il se déclarait l’adepte. En voici le titre : Methodus universæ artis medici formulis expressa ex Galeni traditionibus, qua scopi omnes curantibus necessarii demonstrantur ex quinque partibus disserta. Brugis, typis Huberti Croci, 1538. Plus tard, il fit paraître un autre traité sur les affections rhumatismales, qu’il avait étudiées, étant au service de l’Empereur, qui souffrait si cruellement de la goutte et des maladies articulaires. Ce traité, intitulé : Consilium de arthritidis præservatione et curatione, parut dans le recueil de Henri Goret, à Francfort, 1592.

La renommée du médecin brugeois parvint promptement à la cour. Jeune encore, il fut nommé médecin et chambellan de Charles-Quint, position ambitionnée, qui devint pour Van Baersdorp une source de difficultés et de tracasseries, tant de la part du monarque, que la maladie avait aigri, que de la part des autres médecins attachés au palais et qui étaient envieux de son mérite et de sa position. Le docteur De Meersman a longuement raconté ses tribulations et les humiliations qu’il eut à subir (Biographie de la Flandre Occidentale, t. II, pp. 184-193).

Malgré les amitiés qu’il s’était conciliées, malgré la haute protection de Louis de Flandre, seigneur de Praet, chef des finances aux Pays-Bas, de Guillaume van Male, gentilhomme de la chambre de l’Empereur, et celle d’autres personnages influents, Van Baersdorp ne parvenait pas toujours à déjouer les intrigues de ses ennemis ni à dominer les caprices de son illustre patient, dont la résistance aux prescriptions de la science médicale était désespérante. Il partageait du reste ces désagréments avec Vésale, qui n’était pas plus ménagé et dont le talent éminent offusquait les médiocrités médicales de la cour.

Van Baersdorp, qui entretenait avec le seigneur de Praet une correspondance active, jouissait heureusement d’une grande estime auprès des autres membres de la famille impériale ; aussi devint-il le médecin en titre des reines Éléonore et Marie, sœurs de Charles-Quint. Toutefois, un revirement favorable eut lieu dans l’opinion de Charles-Quint, à la fin de sa vie, sur le compte de son premier médecin : le diplôme dont nous avons parlé, en est la preuve. Cette pièce intéressante, dont le texte est fort long, porte la date du 2 mai 1556[2]. Après avoir rendu hommage à l’origine nobiliaire, aux talents et au mérite de Corneille van Baersdorp et de son frère Guillaume[3], l’empereur s’y plaît à reconnaître qu’il l’a appelé à l’honneur d’être son médecin, lors de sa première venue d’Espagne aux Bays-Bas ; qu’il le suivit dans toutes ses guerres, nommément dans son expédition contre les Français, près de la ville de Landrecies, en 1543, et ensuite dans ses voyages sur terre et sur mer ; qu’il consacra ses soins et ses veilles à sa santé et que seul, négligeant son propre repos, il ne le quitta jamais au milieu de ses infirmités incurables. Il déclare qu’après Dieu, c’est lui qui lui sauva maintes fois la vie. Pour le récompenser, ainsi que les membres de sa famille, des services rendus, l’Empereur confirme leurs titres de noblesse et leurs armoiries, pour eux et leurs descendants ; il accorde en outre le titre de comte palatin à Corneille, ainsi que le pouvoir de créer des notaires, des tabellions et des juges ordinaires aptes à instrumenter dans toute l’étendue de l’Empire. Il lui donne en plus le droit de légitimer les enfants bâtards, naturels et illégitimes avec toutes les prérogatives qui découlent de cette faculté, de réhabiliter les infâmes, d’émanciper les enfants légitimes ou adoptifs, etc., d’élever, chaque année au grade de licencié trois personnes, tant en médecine qu’en droit et autant de poëtes lauréats, bien entendu après un examen sérieux préalable, selon les formalités prescrites dans les universités. Il lui confère, enfin, de même qu’à son frère, la dignité de conseiller, pour être constamment attachés à sa personne et les nomme citoyens de toutes les villes et cités de l’Empire. Il finit en les prenant, eux et leur famille, sous sa protection toute particulière.

Ces faveurs extraordinaires paraîtraient presque incroyables, si nous n’avions sous les yeux la charte originale, signée Carolus et Granvelle, qui les octroie e£ dont l’authenticité est irrécusable.

Van Baersdorp, secondé par Guillaume van Male, avait fait une guerre acharnée aux charlatans et aux médicastres étrangers auxquels l’Empereur avait souvent recours pour soulager ses cruelles souffrances. Ce fut longtemps la cause des basses intrigues qui minaient sourdement sa réputation. On peut dire qu’il ne conquit le titre de premier médecin de l’Empire ou d’archiatre, qu’après un combat obstiné contre ses adversaires. Un trait de sa vie dépeint la loyauté de son caractère. Sylvius, professeur d’anatomie à Paris, devenu l’ennemi de Vésale, voulut entraîner Van Baersdorp dans les odieuses machinations qu’il avait ourdies contre ce praticien célèbre, afin de le perdre dans l’opinion publique. Pour le gagner à sa cause, Sylvius lui fit cadeau d’un squelette d’enfant, objet très-précieux à cette époque, à condition de travailler à faire passer Vésale comme un homme dangereux. Van Baersdorp, pour son honneur et sa réputation, ne voulut point tremper dans ce méchant complot.

Après la mort de l’Empereur, Van Baersdorp, qui s’était sacrifié à son maître en parcourant l’Europe à sa suite, continua à jouir de la considération des personnages les plus distingués. Nous citerons l’évêque de Cuba, Jean de Witte, qui le nomma son exécuteur testamentaire en 1539. Il était surtout respecté dans sa ville natale, où il occupa les fonctions d’échevin en 1561, de bourgmestre en 1562 et 1563, et enfin de tuteur de l’hospice de la Poterie.

A sa mort, l’antique cité brugeoise lui fit des obsèques magnifiques. Il fut inhumé dans la cathédrale de Saint-Donat, sous une pierre bleue qui portait l’inscription suivante :

« Cy gist messire Corneille de Baersdorp, chevalier, en son vivant conseiller et archi-médecin de feu l’empereur Charles V et de madame Léonore, reyne de France, et de Marie, reyne de Hongrie, qui mourut le 24 novembre en l’an 1565, et dame Anne de Mouscron, sa compagne, laquelle trespassa le….. »

Van Baersdorp avait épousé en premières noces Élisabeth de Damhouder.

Il eut d’Anne de Mouscron, sa seconde femme, neuf enfants, dont l’aîné épousa Georges Harlebout(voir ce nom), médecin distingué. Le second de ses enfants, Philippe van Baersdorp, fut successivement échevin et bourgmestre de Bruges en 1576 et 1578. Il figure comme député de cette ville en 1577, dans la mémorable assemblée où fut signée l’Union de Bruxelles. Nous dirons, en terminant, avec M. J. de Meersman :

« Si Corneille Van Baersdorp, au point de vue de la science médicale, ne doit pas être considéré comme un de ces hommes de génie qui ont signalé leur trace par des découvertes importantes et par des travaux impérissables, il n’en est cependant pas moins digne d’être mentionné parmi les hommes qui se sont distingués dans la carrière de la médecine. »

Bon de Saint-Genois.

Vander Aa, Biographisch Woordenboek, t. I, p. 11. — Demeyer, Notice sur Corneille van Baersdorp. Bruges, 1845, port. — Biographie de la Flandre occid., t. II, pp. 184-193. — Foppens, Bibliotheca Belgica, t. I, p. 193. — Sweertius, Athenæ belgicæ, p. 281. — Nouvelle Biographie universelle, publiée par Didot.


  1. Bulletin de l’Académie d’archéologie d’Anvers, article de M. Broeckx.
  2. Elle fait partie de la collection de feu M. Goetghebuer, à Gand.
  3. Membre des conseils de Hollande et de Zélande.