Biographie nationale de Belgique/Tome 1/AYTTA, Viglius D’

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*AYTTA (Viglius D’), de Zuichem, président du conseil privé et du conseil d’État, né le 19 octobre 1507 à Barrahuys, habitation de campagne de ses parents, non loin du village de Zuichem, en Frise. Il était fils de Volkert Aytta et d’Ida Hannia, tous deux issus de familles distinguées. Toutefois la direction de son éducation fut confiée à son oncle paternel Bucho d’Aytta, d’abord curé de Huizum, puis appelé, pour son mérite supérieur, à remplir les fonctions éminentes de conseiller de la Frise et de membre de la cour de Hollande. Le jeune Viglius, après avoir terminé ses premières études à Deventer et à Leyde, reçut la tonsure cléricale le 19 septembre 1522. Il se rendit bientôt à l’Université de Louvain et y demeura pendant près de quatre ans, se livrant avec ardeur à l’étude du droit. De Louvain il alla à l’Université de Dôle, où il passa trois ans, d’abord comme élève puis comme professeur particulier. Il compléta ses études à Avignon, où il suivit les leçons du célèbre André Alciat, et à Valence, en Dauphiné, où il reçut le bonnet de docteur, le 8 mai 1529. On le trouve ensuite à Bourges, remplaçant Alciat dans la chaire confiée à ce professeur eminent, et travaillant à son premier ouvrage, intitulé : De Institutione jurisconsulti. Enfin, en 1531, il passe les monfs et obtient la chaire des Institutes à l’Université de Padoue. Ce ne fut pas pour longtemps, car il ne tarda point à être nommé official de François de Waldeck, prince-évêque de Munster. Après la défaite des anabaptistes, qui s’étaient rendus maîtres de cette ville, Viglius quitta François de Waldeck et accepta de l’électeur de Bavière, avec le titre de conseiller, la chaire de droit à l’Université d’Ingolstadt. Mais le moment était venu où il allait mettre au service de sa patrie sa grande intelligence et sa science profonde. Depuis longtemps le gouvernement des Pays-Bas cherchait à s’attacher le jurisconsulte que se disputaient les princes de l’Allemagne. En 1541, par l’intervention de Marie de Hongrie, Viglius fut nommé membre du conseil privé. On l’employa tout aussitôt dans une négociation épineuse avec le duc de Clèves, qui disputait à Charles-Quint le duché de Gueldre et le comté de Zutphen. Deux voyages à Nuremberg n’ayant eu aucun résultat, Viglius défendit, dans un écrit apologétique, les droits de l’Empereur, justifiant ainsi les efforts de Charles-Quint pour compléter, par l’annexion de la Gueldre et de Zutphen, la réunion des dix-sept provinces qui formèrent désormais les Pays-Bas. Viglius préférant une retraite studieuse à la carrière diplomatique, sollicita bientôt (1543) et obtint son agrégation au grand conseil de Malines. Mais Charles-Quint ne tarda point à le rappeler à la cour et voulut qu’il l’accompagnât à la diète de Spire. Avant d’entreprendre ce nouveau voyage, Viglius épousa, à Malines, Jacqueline Damant, dont le père était conseiller et trésorier de l’Empereur. Nous le trouvons, l’année suivante, à la diète de Spire (1544), où il fut le principal négociateur du traité d’alliance conclu entre Charles-Quint et le roi de Danemark. Sa participation à la diète de Worms ne fut pas moins active, soit qu’il s’efforçât d’aplanir les différends survenus dans la famille impériale, soit qu’il intervînt dans les délibérations que nécessitait l’attitude menaçante des protestants d’Allemagne, naguère ligués à Smalkade. Charles-Quint, ayant triomphé des confédérés, réunit (1548) une nouvelle diète à Augsbourg, où Viglius fut de nouveau appelé pour donner un avis sur les grandes questions soulevées par l’Empèreur victorieux. Il avait obtenu précédemment la charge de conservateur des archives de la Elandre, qui étaient déposées dans la forteresse de Rupelmonde. Mais Charles-Quint lui réservait une récompense plus éclatante. En 1549, il fut élevé à la dignité de président du conseil privé et de garde des sceaux. Le nouveau président accompagna, dans les différentes provinces des Pays-Bas, le prince Philippe, lorsque, pour se conformer au désir de son père, il se fit inaugurer comme héritier présomptif. Viglius, dit-on, prit la plus grande part à la rédaction du fameux édit par lequel Charles-Quint voulut, en 1550, arrêter les progrès toujours croissants de la réforme dans les Pays-Bas. Mais si Viglius était l’inflexible défenseur des principes dont s’autorisait l’Empereur pour vouer au fer et au feu les adversaires du catholicisme, il admettait toutefois quelques tempéraments dans l’exécution. C’est ainsi qu’il s’efforça d’exempter de la proscription les négociants étrangers dont la présence contribuait tant à la splendeur d’Anvers. « J’ai travaillé de tout mon pouvoir, écrivit-il lui-même, à faire adoucir les articles qui avaient besoin d’être mitigés. »

Viglius, qui avait été également élevé à la présidence du conseil d’État, voulut terminer sa carrière le jour où Charles-Quint abdiqua la souveraineté des Pays-Bas. Il avait, en conséquence, demandé la démission de ses différents emplois. Mais les sollicitations de Marie de Hongrie et les exhortations de Charles-Quint lui-même modifièrent sa première résolution. Il consentit à servir Philippe II. Depuis 1552, il avait perdu Jacqueline Damant, sa femme, et, n’ayant point d’enfants, il voulut, en prenant les ordres sacrés, réaliser un dessein qu’il avait formé dans sa jeunesse. Il avait, du reste, la certitude d’obtenir par là une position éminemment lucrative, celle de coadjuteur ou de successeur désigné de Luc Munich, dernier abbé de Saint-Bavon et premier prévôt de la collégiale qui avait remplacé cette abbaye. En 1556, Viglius obtint à cet effet l’assentiment de Philippe II, mais à la condition de ne point abandonner le service du souverain. Cette autorisation lui fut accordée par le saint-siége, lorsque, en 1562, après la mort de Luc Munich, Viglius eut pris possession de la prévôté êtreçu les ordres majeurs des mains de Granvelle, archevêque de Malines. Prévôt de Saint-Bavon, président du conseil privé et du conseil d’État, maître des requêtes en Hollande, etc., Viglius fut encore investi des importantes fonctions de chancelier de l’ordre de la Toison d’or. Il n’avait donc rien perdu de la haute faveur dont il jouissait sous le règne de Charles-Quint. En effet, Philippe II, lorsqu’il s’éloigna des Pays-Bas, l’avait placé, avec Granvelle et le comte de Berlaymont, dans le comité secret ou consulte qui devait diriger et surveiller Marguerite de Parme, nommée gouvernante générale. Mais bientôt l’influence occulte de cette consulte indisposa les autres membres du conseil d’État et contribua à la formation du parti national à la tête duquel se placèrent Guillaume d’Orange, ainsi que les comtes d’Egmont et de Hornes. Le Taciturne allait triompher : Granvelle reçut l’ordre secret de sortir des Pays-Bas. Alors une nouvelle lutte s’engagea entre les trois seigneurs ligués et les cardinalistes, c’est-à-dire les anciens amis de Granvelle, lutte tantôt sourde et tantôt ouverte, dans laquelle Viglius montra de l’habileté, mais qui était au-dessus de ses forces. La’fermeté et l’énergie n’étaient point les qualités dominantes du célèbre président : c’était plutôt un politique méticuleux, un homme timide qui courbait la tête sous la tempête et qui rusait avec les événements. Après avoir d’abord accueilli avec faveur le choix du duc d’Albe comme successeur de Marguerite de Parme, il eut soin de ne point se compromettre : aussi se gardait-il de coopérer aux actes les plus tyranniques du nouveau gouverneur. Il refusa de siéger au conseil des troubles. Il protesta contre l’établissement du dixième denier. D’un autre côté, il alléguait sans cesse son grand âge et sa mauvaise santé pour obtenir la démission de ses emplois. Enfin, en 1569, Philippe II nomma Charles de Tysnacq chef et président du conseil privé, mais il retint Viglius en la charge de président du conseil d’État.

Sous l’orageuse administration du grand commandeur Requesens, successeur du duc d’Albe, Viglius tâcha de s’effacer autant que possible. Mais Requesens étant mort presque soudainement, le conseil d’État dut prendre les rênes du gouvernement. Or Viglius fut loin, en ces conjonctures, de seconder le mouvement national qui avait pour but d’affranchir les Pays-Bas de la tyrannie espagnole. Dans le conseil d’État, il fit partie de la minorité ultra royaliste et refusa en conséquence de sanctionner la proscription ou mise hors la loi des vieilles bandes du duc d’Albe, qui s’étaient insurgées et qui, après avoir échoué dans leurs tentatives contre Bruxelles, venaient d’emporter Alost d’assaut. Accusé de trahison, Viglius fut arrêté, le 4 septembre 1576, avec les comtes de Mansfeldt et de Berlaymont, conduit sur la Grand’Place, et emprisonné dans l’édifice où les comtes d’Egmont et de Hornes avaient passé leur dernière nuit. Le sort de Viglius et de ses deux collègues fut moins tragique. Viglius avait recouvré sa liberté lorsque don Juan d’Autriche, après s’être accordé avec les états généraux, fit son entrée solennelle à Bruxelles. Le vieux conseiller de Charles-Quint et de Philippe II montrait d’ailleurs peu de confiance dans le vainqueur de Lépante et prédisait de nouveaux orages. Il ne les vit point, car il mourut à Bruxelles, le 8 mai 1577, sept jours après l’installation de don Juan. Le 14 mars précédent, Viglius, âgé de soixante et dix ans, avait dicté un volumineux testament dans lequel il exprimait formellement le vœu d’être inhumé dans l’église de Saint-Bavon, à Gand. Ce vœu fut accompli par ses exécuteurs testamentaires. Viglius trouva le repos éternel dans la crypte de la célèbre cathédrale. Il avait été constamment fidèle à sa devise : Vita mortalium vigilia. Peu d’hommes ont marqué leur vie par des veilles plus laborieuses. La liste des ouvrages ou élucubrations de Viglius remplit trois pages des Analectes de Hoynck Van Papendrecht, qui a, du reste, consacré un volume tout entier à cet homme eminent. Mais pour qui veut bien connaître Viglius, mieux vaut lire sa correspondance que des ébauches souvent indigestes.

Th. Juste.