Biographie nationale de Belgique/Tome 1/AUDENAERDE, Robert VAN

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AUDENAERDE (Robert VAN), AUDEN-AERD ou OUDENAERDE, peintre d’histoire et de portrait, graveur à l’eau-forte et au burin, né à Gand le 30 septembre 1663, mort en cette ville le 3 juin 1743. Son père, Pierre van Audenaerde, était, en 1663-1664, doyen du corps privilégié des instituteurs et institutrices de Gand. Maître de langues, il destina son fils à la même profession et lui enseigna, outre l’idiome flamand, le latin et le français. Le jeune Robert y montra beaucoup d’aptitude, et apprit à fond la langue latine et sa prosodie. Mais, ainsi qu’il arrive presque toujours aux artistes de vocation, les aspirations de Robert van Audenaerde le portaient avec entraînement vers l’art plastique, auquel il se livra malgré le désir paternel, qui céda à un penchant si prononcé. Les peintres François van Cuyck van Myerop, chef-doyen de la corporation artistique de Gand, de 1679 à 1685, et Jean van Cleef, y affilié franc-maître en 1668 et élève de Gaspard de Craeyer, furent ses premiers instructeurs. A l’âge de 19 ans, il fut envoyé par son père à Tournay, pour y acquérir la pratique du français, tout en y continuant l’apprentissage de son art. En 1685 il partit pour l’Italie, et après avoir séjourné successivement dans les principales cités, pour y étudier les écoles italiennes par les chefs d’œuvre qui enrichissaient les églises et les musées, il se rendit à Rome, où il entra dans l’atelier de Carle Maratti et compta parmi les meilleurs élèves de ce peintre. Il y cultiva simultanément la peinture et la gravure. À ce propos, J.-B. Descamps (Vies des peintres flamands et hollandais) et les biographes postérieurs racontent que l’artiste flamand reproduisit à l’eau-forte l’esquisse inédite du Mariage de la Vierge, de Carle Maratti, et que celui-ci, l’ayant vue exposée en vente, fut si mécontent de cette indiscrète reproduction, qu’il interdit au graveur la fréquentation de son atelier. Cependant Van Audenaerde rentra bientôt en grâce auprès de son maître, et devint son disciple de prédilection.. Carle Maratti le dirigea dans la double voie qu’il avait choisie : il lui apprit à tirer parti, dans les grandes compositions, des effets combinés de l’eau-forte, de la pointe et du burin. Il l’employa, avec les graveurs Jean-Jacques Frey, de Lucerne, et Arnould van Westerhout, d’Anvers, à la reproduction de ses plus importantes conceptions.

A la mort de Maratti, en 1713, Robert van Audenaerde n’était plus chez ce maître : sa réputation artistique avait grandi, et son instruction littéraire lui avait valu, à Rome, un véritable renom. Le cardinal J.-F. Barbarigo, évêque de Vérone, de l’illustre race des doges de Venise Marc et Augustin Barbarigo, était devenu son Mécène et avait confié à sa plume, à son crayon et à son burin le texte poétique et les allégories de son Épitalame généalogique, ouvrage consacré à la glorification de ses ancêtres. Van Audenaerde y travaillait depuis vingt-deux ans, lorsque, voulant revoir son pays, après une absence de trente-huit années, il sollicita un congé temporaire et partit pour la Flandre, en 1723. Il arriva à Gand et y fut accueilli avec empressement par les artistes et par ses concitoyens. Des tableaux lui furent demandés, et, pour les exécuter, il dut, en vertu de la Concession Caroline de 1540, s’y affilier à la corporation des peintres et sculpteurs. Les comptes de ce métier constatent qu’il y paya son entrée et sa cotisation en 1725. Il était encore dans sa ville natale, et se disposait à retourner en Italie, quand il reçut la nouvelle de la mort du cardinal Barbarigo. Cet événement changea les destinées probables de l’artiste. Désespéré de la perte de son protecteur, Robert Van Audenaerde accéda aux instances qui lui furent faites, et se fixa à Gand. Il renonça aux succès qui l’attendaient à Rome, où il avait acquis un rang distingué parmi les artistes et parmi les hommes littéraires. Familiarisé dès sa jeunesse avec les beautés de la latinité, ses poésies lui méritèrent, dit Descamps, le titre de premier poëte latin de son époque. Aussi, ce fut sa réputation de linguiste et de poëte, tout autant que son habileté de peintre-graveur, qui avait attiré sur lui l’attention du cardinal Barbarigo, et peut-être inspiré à Son Éminence l’idée du recueil patronymique qu’il lui fit exécuter. Ce haut dignitaire ecclésiastique l’affectionnait en outre pour son caractère franc, ses bonnes mœurs, sa vie régulière. Aussi résolut-il de lui ouvrir un brillant avenir religieux : au dire de Descamps, les ordres mineurs lui furent conférés peu avant son départ pour la Flandre.

Depuis son retour d’Italie jusqu’à son décès, Robert van Audenaerde ne quitta plus la ville de Gand. Il continua jusqu’à la fin de sa longue carrière, de sa vie d’octogénaire, à cultiver la peinture et la gravure ; il termina plusieurs de ses estampes et les dernières planches du Médaillier Barbarigo, et peignit, pour des églises, des couvents ou des corporations, de vastes compositions. Mais il n’y trouva ni la fortune, ni même l’aisance qu’il aurait sans doute obtenues à Rome : la comptabilité de la corporation gantoise nous révèle, à l’année 1739, la pénible particularité que le vieil artiste, il avait alors 76 ans, refusa de payer sa cotisation professionnelle, parce qu’il n’avait pas eu de besogne picturale durant l’année écoulée. On estime comme les meilleures toiles qu’il ait peintes à Gand (on ne connaît guère les œuvres qu’il laissa en Italie) : l’Apparition de saint Pierre aux Chartreux, exécutée pour leur oratoire ; l’Abbé Duermael et ses religieux en chapitre, peinte pour le monastère de Baudeloo ; l’Assomption de la Vierge, commandée pour la chapelle des francs bouchers et poissonniers, en 1725, par de riches confrères de la gilde de Notre-Dame. Les deux derniers tableaux, immenses pages à nombreux personnages, tous portraits fort bien rendus, sont au musée de Gand. L’abbaye de Baudeloo, dont le prélat était un ami des artistes et notamment de Van Audenaerde, eut de lui deux autres productions : Jésus-Christ guérissant les paralytiques et l’Entrée de Jésus-Christ à Jérusalem. — A l’église de Saint-Nicolas, à Gand, il y a une Assomption de la Vierge ; à l’église de Saint-Jacques, le Martyre de sainte Catherine, et à l’église du Petit-Béguinage, Jésus-Christ au milieu des docteurs ; ce sont des productions de moindre importance et inférieurs en mérite. — Le dessin, le style et la palette de Robert van Audenaerde prouvent l’étude des écoles italiennes et l’imitation de Carle Maratti. Les physionomies de ses personnages sont pleines de vie et d’expression caractéristique ; les têtes de femmes, types italianisés, en ont la gracieuse suavité. Le modelé de ses figures est correct, sa touche, quoique un peu sèche et dénotant, en quelque sorte, le peintre-graveur, est franche et naturelle. — Les deux principaux élèves de Robert van Audenaerde,en Flandre, furent J.-B. van Volxsom et François Pilsen, tous deux Gantois. Van Volxsom était déjà franc-maître peintre, affilié à la corporation de Gand depuis 1706, quand il se mit sous la direction de Van Audenaerde. Le second prit la maîtrise en 1736 et fut juré ou sous-doyen du métier en 1740, 1741 et 1742. Il s’adonna aussi à la gravure en taille-douce et y acquit bien plus de réputation qu’en peinture. — Des portraits que peignit Robert van Audenaerde, on peut mentionner spécialement celui de Fr. Pilsen, que le disciple grava lui-même, et avec réussite. Il y a mis l’inscription : Se ipsum sculpsit, et il est signé : R. V. Audenaerd pinx. Plusieurs portraits dus au burin de F. Pilsen sont recherchés. On peut citer comme un de ses meilleurs celui de J. -B. De Smet, évêque de Gand, évidemment exécuté sous les yeux du maître, et pour lequel Robert van Audenaerde composa, en vers latins, un quatrain élogieux, qui a été buriné sous le portrait. Pareille preuve de son talent poétique se voit sous la Conversion de saint Bavon, la planche capitale de F. Pilsen, gravée d’après le magnifique tableau de P.-P. Rubens, de la cathédrale de Gand. Les deux quatrains sont signés : R. V. A. c. (Robertus van Audenaerde composuit). Les titres des estampes de Van Audenaerde et de son élève Pilsen, de celles surtout que ce dernier produisit du vivant de son maître, sont presque tous en latin. — On donne aussi à Robert van Audenaerde pour élèves : Joseph van Aken, de Gand, peintre de portraits et de genre, sur toile, velours et satin, mort à Londres en 1749 ; Jacques-François Deslyens, portraitiste, peintre d’histoire et de sujets mythologiques, mort à Paris en 1761. Le premier de ces artistes ne nous est pas autrement connu, le second, J.-F. Deslyens, avait été reçu franc-maître à Gand, en 1705, et le 6 juillet 1728, Il fut nommé peintre du roi de France. Il peignit principalement le portrait, et y suivit les traces de son maître, dont il imita la manière.

L’œuvre de gravure de Robert van Audenaerde est très-considérable. Pour le recueil du cardinal Barbarigo il a gravé cent septante-quatre sujets : un frontispice in-folio, quatre-vingt-six grands en-têtes allégoriques à médailles et quatre-vingt-sept emblèmes ou vignettes terminales. Le projet primitif portait à cent quatre-vingt-sept le nombre des sujets à graver. Les cent soixante planches livrées d’abord par l’artiste furent rassemblées en 1732 et mises sous presse à Padoue, avec un texte en prose latine, de F.-X. Valcavius, sous le titre de Numismata virorum illustrium ex Barbadicâ gente. Ce ne fut qu’en 1760 que le Médaillier Barbarigo, augmenté de sept en-têtes, d’autant de vignettes finales, et cependant resté incomplet au décès de Van Audenaerde (1743), fut mis en vente, avec privilége exclusif, au prix de douze sequins. Le frontispice et sept sujets allégoriques et emblèmes ne sont pas signés ; mais on n’y peut méconnaître la main qui dessina et grava les autres planches. Les figures allégoriques, celles de femmes surtout, sont traitées avec une extrême finesse de burin. Ce recueil admirable suffirait à justifier la réputation du graveur, lors même que l’habile artiste n’eût pas exécuté ses belles estampes d’après les maîtres italiens. Le Manuel des curieux et des amateurs de l’art, par Huber, Rost et Martini ; le Manuel de l’amateur d’estampes, par Joubert, et le Manuel des amateurs d’estampes, par Ch. Le Blanc, qui résument toutes les publications analogues, mentionnent ensemble, de Robert van Audenaerde, douze portraits in-folio, dont neuf de cardinaux ; vingt-sept pièces historiques et religieuses, d’après Carle Maratti, et trente-sept d’après d’autres peintres d’Italie, in-folio et grand in-folio. À cette nomenclature il faut ajouter les vingt planches des groupes et statues de Rome, qu’il grava, avec ses collaborateurs, pour la collection de Dom. de Rossi : Raccolta di statue antiche e moderne, colle sposizioni di Paulo Alessandro Mafei, cent soixante-quatre planches, en 3 volumes in-folio, 1704 ; les dix planches publiées sous cette rubrique : Caii Julii Caesaris dictatoris triumphi… ab Andrea Mantenea…. 1692, et deux pièces anonymes représentant l’Entrée et les Funérailles de la reine Christine de Suède, morte à Rome le 19 avril 1689. L’œuvre de Robert van Audenaerde, en y comprenant les gravures non citées et quelques-unes qu’on lui attribue, s’élève à environ trois cents pièces. Le Martyre de saint Blaise, peint par Carle Maratti, est son chef-d’œuvre ; la Mort de la Vierge et l’Assomption de la Vierge, d’après le même peintre, sont deux estampes justement appréciées. Plusieurs de ses portraits, et nommément ceux du cardinal François Barberini et de Saint Philippe de Néri, sont des mieux réussis. Le morceau le plus rare, et en même temps un des plus notables et des plus compliqués de son œuvre, est l’estampe commémorative de la fameuse Thèse soutenue à Rome en 1697, à l’occasion de la conversion de Frédéric-Auguste Ier, roi de Pologne. Pour symboliser cette conversion, André Procacini a représenté le pape Innocent XII assis sur son trône pontifical, tandis que l’hérésie est abattue à ses pieds ; à ses côtés sont les quatre parties du monde et les peuples prosternés. L’estampe se compose de trois feuilles ; dans des médaillons sont les portraits de Frédéric-Auguste et de Christine de Suède. Une autre grande Thèse : la Colère d’Achille, dédiée au même pontife et gravée d’après J.-B. Gauli, aussi en trois feuilles, n’est pas moins remarquable. — Les planches à portraits et figures allégoriques des Numismata Barbadica portent la signature : R. V. A. Gand. inv. inc. La plupart de ses estampes sont signées : R. Van Auden-Aerd, et c’est l’orthographe adoptée dans quelques dictionnaires biographiques et catalogues d’estampes. Dans d’autres ouvrages on écrit Van Oudenaerde. Les documents qui concernent son père, le doyen du corps des instituteurs gantois en 1663 et 1678, ainsi que sa signature et les actes de naissance et de décès des registres de l’état civil de Gand, portent Van Audenaerde, comme la véritable désignation patronymique.

Trompé par la diversité orthographique et par les dates mortuaires données par les biographes : 1717 et 1743, François Basan, dans son Dictionnaire des Graveurs, seconde édition, 1789, d’un seul artiste en fait deux : Robert Van Auden-Aerd, bon peintre flamand, élève de C. Maratti et son graveur favori, décédé en 1717, et Robert van Oudenaerde, mort en 1743, aussi élève de C. Maratti, dont il gl’ava bon nombre de tableaux.

Selon Descamps, l’artiste ne grava plus que des planches de petite dimension depuis son retour en Flandre, la grande peinture absorbant toute son activité. C’est une erreur : plusieurs de ses planches capitales, et entre autres celles de la Mort de la Vierge et de l’Assomption de la Vierge, furent sinon exécutées entièrement, du moins terminées à Gand ; elles sont marquées du millésime de 1728. L’Académie de dessin de Gand possède une collection de septante-six épreuves des Numismata Barbadica, qui, après la mort du graveur, passèrent à son disciple Pilsen, et plus tard dans le cabinet d’estampes de M. Borluut de Nortdonck. Ces épreuves sont accompagnées de la liste première des gravures à exécuter pour l’ouvrage, liste autographe de Robert van Audenaerde. — Outre F. Pilsen, il est encore un graveur qui s’est formé à l’école de Robert Van Audenaerde : c’est Abraham Janssens, qui pratiqua la gravure à l’eau-forte.

Avant Robert van Audenaerde, la ville de Gand n’avait pas eu de graveurs au burin parmi ses artistes. Dans la gravure à l’eau-forte, le premier fut Liévin Cruyl (Livinus Cruylius), prêtre, excellent dessinateur, graveur et architecte, qui fut contemporain de Van Audenaerde, à Rome.

Pour résumer les divers jugements émis sur Robert van Audenaerde par les biographes qui l’ont apprécié soit comme peintre, soit comme graveur, soit au point de vue de sa double spécialité artistique, nous constaterons que l’on accorde presque généralement plus de mérite à ses gravures qu’à ses tableaux : peut-être parce que ces derniers sont très-peu connus hors de sa patrie. Quoi qu’il en soit, on reconnaît unanimement que dans les eaux-fortes son trait est correct, souvent plein de sentiment, et sa pointe très-spirituelle ; dans ses planches en taille-douce, le burin est tantôt pur et vigoureux, tantôt fin, moelleux et des plus suaves.

Edm. De Busscher.