Biographie nationale de Belgique/Tome 1/ARENBERG, Charles, comte D’

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ARENBERG, Charles, comte D'



ARENBERG (Charles, comte D’), fils aîné de Jean de Ligne et de Marguerite de la Marck, naquit, le 22 février 1550, à Vollenhoven en Frise ; il eut pour parrain l’empereur Charles-Quint. Il comptait dix-neuf ans à peine (octobre 1569), lorsque le duc d’Albe l’envoya en ambassade vers Charles IX et Catherine de Médicis, pour les féliciter sur la victoire de Montcontour. Le 4 juillet 1570, Philippe II, voulant reconnaître et récompenser en lui les services de son père, lui donna la compagnie de cinquante hommes d’armes et cent archers de ses ordonnances que Jean de Ligne avait commandée ; il lui aurait en outre conféré le gouvernement de la province d’Utrecht, si le duc d’Albe ne lui eût représenté qu’une charge de cette importance exigeait plus d’âge et d’expérience que le comte n’en avait. Charles d’Arenberg passa cette année-là en Espagne sur la flotte qui y conduisit la reine Anne d’Autriche, quatrième épouse de Philippe II. Pendant le séjour qu’il fit à Madrid, il fut de nouveau question, pour lui, d’un gouvernement de province ; on parlait aussi du poste de capitaine des archers de la garde royale, qui était vacant depuis la mort du comte de Hornes : le roi, qui semblait disposé à le nommer à l’un ou à l’autre de ces emplois, remit sa décision à un autre temps, mais il lui fit ressentir les effets de sa libéralité, et il le chargea d’aller complimenter Charles IX à l’occasion de la naissance de la fille qu’Élisabeth d’Autriche venait de lui donner (27 octobre). Hopperus, qui nous fournit ces détails, nous dépeint ainsi Charles d’Arenberg à cette époque de sa vie : « Il a un caractère très-facile et est plein de candeur ; mais, comme le gouverneur qu’il a eu n’était pas assez sévère, il parle un peu trop librement. Il est, du reste, averti de ce défaut, et » j’espère qu’il s’en gardera à l’avenir.[1]  » L’ambassadeur de France à Madrid, le seigneur de Saint-Goard, écrivait, de son côté, à Catherine de Médicis : « Le comte d’Aremberghe a envie de se porter en sa charge au contantement de V. M….. Il est jeune et peu advisé aux affaires : mais, s’il est ung peu manié, je panse qu’il dira ce qu’il sçaura. ……[2] » Après avoir quitté la cour de France, Charles d’Arenberg revint aux Pays-Bas, où don Luis de Requesens, grand commandeur de Castille, ne tarda pas à arriver pour remplacer le duc d’Albe. Ce seigneur lui confia la mission de notifier sa prise de possession du gouvernement à l’Empereur, à l’Impératrice, aux princes de la maison impériale, aux ducs de Bavière, de Lorraine, de Wurtemberg, aux archevêques de Cologne, de Trèves et de Mayence (décembre 1573).

Du vivant de Jean de Ligne, des pourparlers avaient eu lieu pour le mariage de son fils avec la fille du comte de Vaudemont, de la maison de Lorraine, et la duchesse de Parme avait sollicité le roi, à cette occasion, d’ériger en principauté la baronnie de Zevenberghe, dont le comte d’Arenberg avait hérité en 1557, par le décès de sa mère, ou de le gratifier d’une principauté dans le royaume de Naples. Ce projet d’alliance ayant été abandonné, la demande faite au roi n’eut pas de suite. En 1576, l’empèreur Maximilien II, par un diplôme du 5 mars, érigea en principauté de l’Empire le comté d’Arenberg, avec tous les honneurs, toutes les prérogatives attachés à cette dignité ; le 11 octobre de la même année, à la diète de Ratisbonne, le collège des princes décida que les princes-comtes d’Arenberg auraient dans son sein séance et suffrage immédiatement après les princes de la maison de Vaudemont.

Pendant les troubles dont les Pays-Bas devinrent le théâtre après la mort de Requesens, Charles d’Arenberg tâcha de se tenir à l’écart ; il se retira à Mirwart, appartenant à sa mère, dans le duché de Luxembourg. Cependant, lorsque don Juan d’Autriche vint aux Pays-Bas (6 décembre 1576), il put d’autant moins se dispenser de lui rendre visite, que la ville de Luxembourg, où le frère du roi était entré, est à une petite distance de Mirwart. Don Juan lui fit un accueil distingué, et, sur sa proposition, Charles d’Arenberg consentit à aller de nouveau en ambassade vers l’Empereur et les princes de l’Empire. Marguerite de la Marck en fut à peine informée qu’elle essaya d’empêcher les effets de l’engagement pris par son fils : le conseil d’État avait requis celui-ci, par plusieurs lettres, de se transporter à Bruxelles ; la même réquisition lui avait été adressée, à titre de ses devoirs féodaux, par la chancellerie de Brabant. Marguerite de la Marck pria don Juan de considérer s’il n’était pas convenable qu’avant de faire le voyage d’Allemagne, il se montrât à Bruxelles, « afin qu’on ne conçût point quelque sinistre opinion et arrière-pensée contre lui[3]. » Cette excuse fut peu goûtée de don Juan, qui insista, auprès de Charles d’Arenberg, en des termes tels qu’il ne put se soustraire à l’accomplissement de sa promesse.

De retour de sa mission en Allemagne, d’Arenberg trouva don Juan établi à Bruxelles, et reconnu pour gouverneur des Pays-Bas par les états généraux. La bonne intelligence qui s’était établie entre les représentants de la nation et le lieutenant de Philippe II ne devait pas toutefois être de longue durée : impatient des bornes dans lesquelles son autorité était circonscrite, don Juan s’empara, par surprise, du château de Namur (24 juillet 1577), et par là fut rallumé le flambeau à peine éteint de la guerre civile. Charles d’Arenberg avait, ainsi que le duc d’Arschot, le prince de Chimay, les comtes du Rœulx et de Eauquembergue et d’autres gentilshommes de distinction, accompagné don Juan à Namur ; après cet éclat, il partit pour Mirwart, d’où il se rendit dans sa principauté. Sa position devenait de plus en plus difficile : à Bruxelles on parlait de confisquer ses biens et ceux de sa mère, s’il ne se rangeait point du parti des états. Dans ces circonstances, il montra sa fidélité aux sentiments que lui avait transmis son père : « En advienne ce qui vouldrat, — écrivit-il à don Juan — Vostre Altèze se peult bien asseurer que je ne manqueray jamais à la promesse que luy ay faicte, ny que m’emplieray jamais en chose qui soye contre mon Dieu et mon roi : plustost mourir[4]. À quelque temps de là, les états généraux le sommèrent de venir prendre, dans un court délai, le commandement de sa compagnie d’hommes d’armes ; il demanda à don Juan d’Autriche quelle réponse il devait leur faire : « En vous déclarant — lui écrivit don Juan — (comme je ne faiz doubte ferez) comme gentilhomme qui jusques à présent avez si bien fait, en suivant les vestiges de vostre feu père, vous monstrant pour le service de Dieu et de vostre prince naturel et nous venant trouver, vous ne leur saurez donner meilleure response[5]. » Marguerite de la Marck sut toutefois, sous différents prétextes, retenir son fils auprès d’elle, mais en protestant que tous deux « ils mourraient plutôt que de faire chose qui fût contre Dieu, le service du roi, leur honneur et leur réputation[6]. »

Le successeur de don Juan d’Autriche dans le gouvernement des Pays-Bas, Alexandre Farnèse, ne vit pas de bon œil la conduite réservée de la comtesse d’Arenberg et de son fils. Aussi la mort du comte de Rennenbourg (22 juillet 1581) ayant rendu vacant le gouvernement de Frise et de Groningue, il résista aux sollicitations que lui fit la maison de Lalaing, alors très-influente, pour qu’il en revêtît Charles d’Arenberg ; il consentit seulement, sur le désir que celui-ci lui exprima de s’employer au service du roi, à lui confier le commandement de mille reîtres, à la tête desquels il prit part au siége d’Audenarde. Après la reddition de cette ville (2 juillet 1582), le prince de Parme envoya d’Arenberg à la diète d’Augsbourg, pour y représenter le cercle de Bourgogne. La diète finie, il lui donna une autre mission. Gebhard Truchses, archevêque de Cologne, qui avait embrassé la confession d’Augsbourg et s’était marié, prétendait non-seulement conserver son électorat, mais encore y introduire le protestantisme : le chapitre et le magistrat s’opposèrent à ses desseins ; alors il recourut à la voie des armes. Farnèse chargea d’Arenberg de se rendre à Cologne et d’offrir aux membres du magistrat, ainsi qu’aux chanoines, l’appui du roi d’Espagne ; il le fit suivre d’un corps d’infanterie et de cavalerie qu’il plaça sous ses ordres, et qui concourut aux opérations militaires dont le résultat fut de contraindre Truchses à se réfugier en Hollande. Dans le cours de ces événements, le comte de Hohenlohe, qui commandait une division de l’armée des Provinces-Unies, essaya de reprendre Zutphen, dont le colonel espagnol Verdugo s’était emparé depuis peu. D’Arenberg se porta au secours de la place assiégée ; il força Hohenlohe à abandonner son entreprise. Au mois de juillet 1584, son régiment se mutina, chassa ses officiers et se fortifia près de Kerpen. Cette mutinerie lui causa beaucoup d’embarras et d’ennui. Il revint alors auprès du prince de Parme et assista au siége d’Anvers. Lorsqu’au mois de septembre 1585, cette grande ville eut capitulé, ce fut lui que Farnèse chargea d’occuper le faubourg de Borgerhout avec six compagnies allemandes qu’il avait tout récemment levées.

Philippe II, le 9 octobre 1584, avait fait le prince-comte d’Arenberg chevalier de la Toison d’or ; il reçut le collier des mains du prince de Parme, au palais de Bruxelles, le 27 avril 1586. Dans le même temps, le roi lui conféra la charge de l’un des chefs des finances (8 mai 1586). On a vu qu’il avait été question, du vivant de son père, de le marier avec la fille du comte de Vaudemont. Dix années plus tard, le roi avait songé, pour lui, à mademoiselle de Mérode, héritière de la maison de Berghes ; en faveur de cette union, il aurait ordonné la mainlevée des biens considérables laissés par le marquis de Berghes, mort à Madrid en 1567, et qui avaient été frappés de confiscation. Il s’était agi encore, en 1578, d’un mariage entre lui et l’une des filles du duc de Clèves. Enfin, en 1587, il épousa Anne, fille aînée de Philippe de Croy, duc d’Arschot, et de Jeanne-Henriette, dame de Halewin et de Commines. Marguerite de la Marck crut devoir demander le consentement préalable du roi à cette alliance. Philippe II lui répondit : « Trouvant ladite alliance tant à propos et convenable aux parties, je ne puis sinon la advouer, et avoir agréable que y soit ultérieurement procédé, parmy la bonne opinion que j’ay ce ne sera que à l’accroissement des deux maisons, et que vostre fils, suivant les traces de feu son père, me donnera de plus en plus occasion de me ressouvenir de ses services, y accumulant les siens, comme il fait, pour par moy estre continué la démonstration que ay commencé à faire en son endroit, au moyen d’une charge tant principale comme celle en quoy l’ay retenu.[7]  »

Le prince de Parme ayant résolu d’assiéger l’Écluse, Charles d’Arenberg fut un de ceux qu’il choisit pour le seconder dans cette entreprise. Il occupait le fort de Blanckenberg avec trois cents chevaux et quelque infanterie, lorsque, le 2 août 1587, le comte de Leycester se présenta devant ce fort à la tête de sept mille fantassins, six cents chevaux et trois pièces d’artillerie. Il fit si bonne contenance que le général anglais l’attaqua avec hésitation ; et, comme Farnèse accourait à son secours, Leycester se retira la nuit même, avec une perte d’une cinquantaine d’hommes. Le 4 août, l’Écluse ayant capitulé, le prince de Parme donna à d’Arenberg le commandement de la place et des gens de guerre qu’il y laissait.

L’année 1587 avait été fixée d’abord par Philippe II pour l’expédition contre l’Angleterre qu’il méditait depuis si longtemps : il chargea de remplacer Farnèse, dans le gouvernement des Pays-Bas, pendant qu’il dirigerait cette expédition, le comte Pierre-Ernest de Mansfelt, gouverneur et capitaine général du duché de Luxembourg ; et dans le cas où celui-ci viendrait à manquer, il désira savoir qui pourrait être nommé à sa place. Farnèse lui désigna Charles d’Arenberg : « C’est — lui écrivit-il — un gentilhomme d’honneur et qui paraît animé de bons sentiments. Il s’entend aux affaires, il a une manière de procéder qui plaît généralement ; aussi le choix de sa personne contentera-t-il tout le monde[8]. » Le rassemblement de la flotte espagnole ayant souffert des retards, l’expédition projetée fut remise. Farnèse, en vue d’amuser les Anglais, envoya à Bruges, au mois de février 1588, Charles d’Arenberg, le président Richardot et Frédéric Perrenot, seigneur de Champagney, pour conférer avec les commissaires de la reine Élisabeth sur les moyens de rétablir la paix entre les deux couronnes. On sait quel fut le triste sort de l’invincible armada ; nous n’avons pas à nous en occuper ici. En 1590, d’Arenberg accompagna le duc de Parme, lorsqu’il entra en France pour délivrer Paris, qu’assiégeait Henri IV. Sa conduite dans le cours de cette campagne lui valut une lettre de remercîments du roi (1er mars 1591).

L’archiduc Albert, à son arrivée aux Pays-Bas, fit Charles d’Arenberg gentilhomme de sa chambre. Devenu souverain de ces provinces, il le nomma successivement conseiller d’État (15 octobre 1599), amiral et lieutenant général de la mer (25 octobre 1599) et grand fauconnier (29 mai 1600). Après la conclusion de la paix de Vervins (2 mai 1598), il l’avait envoyé à Paris, avec le duc d’Arschot, don Francisco de Mendoza et Cordova, amirante d’Aragon, le président Richardot, don Luis de Velasco et l’audiencier Verreycken, pour recevoir le serment que devait prêter le roi de France en exécution de ce traité.

Henri IV, dégagé des liens qui l’unissaient à Marguerite de Valois, venait de contracter un nouveau mariage avec Marie de Médicis : Charles d’Arenberg reçut de l’archiduc la mission d’aller le féliciter sur cette alliance ; il fut parfaitement accueilli du monarque français, qu’il trouva à Grenoble (septembre 1600). Pendant ce temps, les états généraux des Provinces-Unies ordonnaient de saisir, pour les vendre au profit de la république, tous les biens qu’il possédait dans ces provinces, et permettaient même de le tuer : par cette mesure, aussi atroce qu’inique, prise contre l’amiral des Pays-Bas catholiques, les états voulaient venger des pêcheurs hollandais que des équipages flamands avaient jetés à la mer, liés dos à dos, comme si cet acte de cruauté avait été commandé par lui, ou s’il avait été seulement en son pouvoir de le prévenir.

Charles d’Arenberg prit part aux opérations militaires auxquelles donna lieu le siége d’Ostende. Au mois de mai 1603, l’archiduc Albert le députa vers Jacques VI, roi d’Écosse, qui venait de succéder à Élisabeth sur le trône d’Angleterre. L’objet apparent de cette ambassade était de complimenter sur son couronnement le nouveau roi ; mais le but réel en était de préparer les voies au rétablissement de la paix entre l’Angleterre, d’une part, les Pays-Bas et l’Espagne, de l’autre. D’Arenberg séjourna pendant cinq mois (juin-octobre) à la cour de Londres. Les historiens anglais, et de Thou avec eux, l’accusent d’avoir eu connaissance de la conspiration de Cobham et Raleigh contre Jacques VI ; il aurait même, si l’on en croit leurs récits, encouragé les conspirateurs, et cela dans l’espoir de voir passer la couronne d’Angleterre sur la tête d’Arabella Stuart. Ses dépêches n’existant pas aux archives de Bruxelles, nous ne sommes point en mesure de vérifier ces assertions ; mais ce qui, à nos yeux, leur donne un démenti, c’est que d’Arenberg fut l’un des ambassadeurs qui allèrent définitivement négocier la paix avec l’Angleterre : les archiducs l’auraient-ils choisi, s’il s’était, l’année précédente, attiré par sa conduite l’animadversion du roi ? On sait que cette négociation fut couronnée d’un plein succès (28 août 1604). En 1614, les archiducs nommèrent Charles d’Arenberg premier commissaire au renouvellement des lois de Flandre. Il mourut le 18 janvier 1616, laissant d’Anne de Croy six fils et six filles. Il avait acquis, en 1606, de Henri IV, la seigneurie d’Enghien, ancien patrimoine de la maison de Vendôme. Il fut enterré en cette ville, au couvent des Capucins dont il était le fondateur.

Gachard.


  1. Est facillimus moribus et pectore plane candido ; sed quia gubernatorem non habuit satis asperum, effudit se paulo solutius. Cœterum mato edoctus, in posterum, ut spero, cavebit… (Lettre du 28 novembre 1572 à Viglius, dans Joach. Hopperi Epistolæ ad Viglium, p. 368.)
  2. Lettre du 22 novembre 1572 (Bibliothèque impériale à Paris, Ms. Harlay, 2282, pièce XC)
  3. Lettre du 29 novembre 1576, écrite de Mirwart.
  4. Lettre du 18 octobre 1577, écrite d’Arenberg.
  5. Lettre du 21 novembre 1577.
  6. Lettre du 16 décembre 1577 a don Juan d’Autriche, écrite d’Arenberg.
  7. Lettre du 7 février 1587.(Arch. du royaume.)
  8. Es honrado caballero y parece que tiene buenas entrañas, y es dado à negocios, y entiendo contentarà à universal, teniendo buen trato y manera de proceder…(Lettre du 20 juillet 1587, aux Archives de Simancas).