Biographie nationale de Belgique/Tome 1/ARANDA, Emmanuel DE

◄  - Tome 1 Tome 2  ►



ARANDA (Emmanuel DE ou D’), voyageur, poëte et historien, né à Bruges en 1612 ou 1614, mort vers 1686, descendait d’une famille espagnole, établie à Bruges et dont un membre semble avoir rempli dans cette ville, au xve siècle, les fonctions de consul et y être resté. Quoi qu’il en soit, le nom de Aranda se trouve mêlé pendant deux siècles aux fastes consulaires de Bruges ; il ne s’éteignit qu’en 1759, dans la personne de Louis de Aranda, greffier au conseil de Flandre.

Cette famille portait pour devise : Virtus aranda !

Emmanuel de Aranda était fils de don Francisco, consul de la nation espagnole, et d’Anne van Zeveren.

D’après la légende qui entoure son portrait, en tête de sa Relation, c’est bien en 1614 qu’il naquit. Il alla faire ses études à Louvain et y obtint le grade de docteur en droit. Il quitta Bruges, sa ville natale, en avril 1640, dans l’intention de visiter l’Espagne, le berceau de ses ancêtres, et d’y apprendre la noble langue castillane, qui était alors l’idiome en vogue dans toute l’Europe. Il eut pour compagnons de voyage son médecin R. Saldens, d’Oostcamp, J.-B. Van Caloen, de Bruges, et le chevalier Philippe de Cerf, de Furnes, depuis bourgmestre de cette ville. Il se rendit d’abord en Angleterre et se dirigea de là sur l’Espagne, où il débarqua à San-Lucar de Barrameda. Après avoir séjourné pendant une année dans la péninsule ibérique, il résolut de retourner en Flandre et prit passage, à cet effet, sur un navire en partance dans le port de Saint-Sébastien, choisissant de préférence ce lieu d’embarquement pour éviter la chasse des pirates qui infestaient alors les côtes de l’Andalousie et du Portugal, et pour avoir aussi, en même temps, l’occasion de voir la Vieille-Castille et la Biscaye.

Comme son navire était à la hauteur des côtes de Bretagne, où depuis sept jours le retenaient des vents contraires, il fut abordé par deux bâtiments que montaient des corsaires algériens. L’équipage, surpris à l’improviste par l’incurie d’un capitaine anglais qui le commandait, dut se rendre sans coup férir, et le pauvre Aranda fut conduit captif avec ses compagnons sur l’un des bâtiments ennemis qui cingla directement vers Alger. La plus dure des captivités y attendait nos voyageurs.

Dans la relation qu’il nous a laissée de son séjour d’une année dans cette ville, alors véritable caverne de voleurs, réceptacle de renégats et de vagabonds, Aranda nous raconte avec une naïveté et un accent de vérité qui entraînent, les tourments, les privations de toute espèce dont les esclaves chrétiens étaient alors l’objet dans cet antre de pirates, si longtemps redoutable à l’Europe civilisée. Il y dépeint avec des couleurs fort sombres cette horrible Masmore, espèce de bagne composé d’un vaste souterrain où ces malheureux étaient retenus prisonniers. Toutefois, un grain de bonne humeur et des plaisanteries assez amusantes tempèrent çà et là la sévérité de son récit. Les détails qu’il donne sur la population d’Alger, sur les personnages puissants qui y exerçaient leur tyrannie, sur les travaux auxquels les esclaves étaient astreints, sur les exactions dont étaient l’objet ceux qui passaient pour avoir quelque fortune, sont pleins d’intérêt. Le tableau qu’il trace des vexations dont on accablait les chrétiens, servit longtemps d’épouvantail pour effrayer tous ceux qui eussent été tentés de fréquenter ces parages dangereux.

Après de longs pourparlers, Aranda et ses compagnons obtinrent d’être échangés contre des captifs turcs, internés alors à Dunkerque. Ils furent dirigés sur Gibraltar, d’où ils partirent à cheval pour Cadix. Ils revinrent par Madrid et allèrent de nouveau s’embarquer à Saint-Sébastien. Ils traversèrent ensuite la France et visitèrent Paris et la Normandie. De Rouen ils firent voile pour Douvres, d’où un paquebot les transporta à Dunkerque.

Aranda rentra à Bruges au sein de sa famille, le 20 août 1642, assez à temps pour recevoir le dernier soupir de sa mère, qui mourut peu de jours après et pour laquelle il professait un véritable culte.

Comme il appartenait à une famille considérable de cette ville, ses aventures firent beaucoup de bruit. Tout le monde, pendant sa captivité, s’était intéressé à ses infortunes, et entre autres François de Valcarcel y Velasquez, membre du conseil royal de Castille et surintendant de la justice militaire aux Pays-Bas. Ce personnage lui fit obtenir, à son retour, la charge d’auditeur militaire au quartier du Franc-de-Bruges. Bientôt ses amis le pressèrent de coucher ses aventures par écrit. Toutefois, ce ne fut qu’en 1656 qu’il satisfit à leur désir, en publiant son livre sous le titre de : Relation de la captivité du sieur Emmanuel de Aranda, mené esclave à Alger en l’an 1640, et mis en liberté l’an 1642. A Bruxelles, chez Jean Mommaert, 1656 ; in-12.

Cet ouvrage, presque tombé aujourd’hui dans l’oubli, eut un succès extraordinaire à cette époque où les corsaires algériens croisaient encore impunément dans la Méditerranée.

Il en parut successivement encore huit éditions : en latin, à la Haye, en 1657, en français, la même année, à Paris, et en 1662, à Bruxelles, encore en français, à Paris en 1665, en anglais, à Londres, en 1666, de nouveau en français à Leyde, en 1671, et enfin, en flamand, à Bruges et à la Haye, en 1682 ; celle-ci contient toutes les Relations particulières ; plus cinquante-deux Histoires morales et divertissantes.

L’existence d’une traduction espagnole, publiée à la Haye, en 1657, est contestée.

Emmanuel de Aranda, qui fait généralement preuve de savoir et de connaissances variées, joignit à sa Relation un mémoire historique sur l’antiquité d’Alger, qu’il regarde comme l’ancienne Julia Cæsarea.

On y trouve sur la domination arabe, sur le fameux Barberousse et sur le gouvernement de cette partie de l’Afrique des renseignements qui ne sont pas dépourvus de mérite. L’ouvrage est terminé par un recueil d’histoires ou d’anecdotes au nombre de cinquante-deux, qu’il intitule Relations particulières. La lecture en est attachante, mais atteste plus d’esprit d’invention de la part de l’auteur que de véracité.

A l’édition elzévirienne de sa relation, publiée chez Pauwels, à Leyde, en 1671, est jointe une troisième partie, sous le titre de : Diverses histoires morales et divertissantés. Elles sont reproduites avec trente et une autres nouvelles dans l’édition flamande de 1682.

Dans ce petit livre rarissime qui se trouvait dans la bibliothèque de M. Ch. Pieters, à Gand[1], Aranda raconte vingt et une aventures, arrivées en Espagne à lui et à d’autres personnages. Elles sont écrites avec entrain et sont fort amusantes. L’auteur les dédia à Pierre-Louis de Aranda, le plus jeune de ses quatorze enfants.

On connaît encore de lui un recueil de poésies flamandes[2] qu’il publia, en 1679, sous le titre de : Den lachende ende leerende Waerseggher. Brussel, J. De Grieck. Ce sont des pièces mi-sérieuses, mi-burlesques sur les sept péchés capitaux, un peu dans la manière de Cats et du père Poirters.

En général, une jovialité simple, une rondeur toute flamande caractérisent les écrits de Aranda, sans exclure cependant une certaine causticité qui en relève le ton quelquefois un peu vulgaire.

Enfin, vers la fin de sa vie, il rédigea l’histoire de tout ce qui était arrivé à Bruges de son temps, mais il ne voulut jamais la laisser imprimer, sans doute à cause des personnalités et des actualités trop piquantes dont ce livre était parsemé.

La date de la mort d’Emmanuel de Aranda nous est inconnue. Par la dernière anecdote qui termine l’édition flamande de 1682, on voit qu’à cette époque, il soigna lui-même cette traduction de sa relation. Il mourut probablement peu de temps après.

Bon de Saint-Genois.

Bon de Saint-Genois, Les Voyageurs belges. — Biographie de la Flandre occidentale. — Bon De Reiffenberg, Bulletins de l’Academie de Bruxelles, t. XIII, part. I (1846). — Kunst- en Letterblad, 1840, pp. 33 et suiv. — Delvenne, Biographie des Pays-Bas.


  1. Catalogue de sa vente, mai 1864.
  2. ERRATA ET RECTIFICATIONS DU Ier VOLUME : au lieu de : un recueil des poésies flamandes, lisez : un ouvrage en prose flamande.