Biographie nationale de Belgique/Tome 1/AGYLÆUS, Henri

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AGYLÆUS (Henri), jurisconsulte, né à Bois-le-Duc (ancien Brabant) en 1533, mort en 1595. Son père, connu sous le nom de Henrickzone Louiszone, était Italien, natif de la petite ville d’Agylla, aujourd’hui Cerveteri, entre Rome et Civita-Vecchia, dans les États de l’Église. Il obtint, en 1524, droit de bourgeoisie à Bois-le-Duc.

Agylæus fut envoyé de très-bonne heure à Louvain pour y faire ses études. En 1547, il se fit inscrire à la matricule de la pédagogie du Porc. Il est probable que les idées de la réforme avaient pénétré dans l’université ; car, en 1558, Agylæus, étant venu passer plusieurs jours à Bois-le-Duc, laissa échapper en public quelques propositions hérétiques sur les saintes Écritures et le sacrement de l’autel. Le scandale fut grand, et le jeune étudiant fut cité à comparaître devant le conseil de Brabant pour répondre de sa conduite ; mais il jugea à propos de quitter le pays. Il fut condamné par contumace au bannissement avec confiscation de ses biens. Il se retira à Cologne, où il publia son premier ouvrage, dont nous parlerons plus loin. Ce fut alors que, changeant de nom, il prit celui d’Agylæus, d’Agylla, nom du lieu de naissance de son père.

Poussé par son esprit aventureux et par le désir de s’instruire, Agylæus se rendit en Suisse et assista aux leçons des professeurs les plus célèbres de cette époque. Il séjourna successivement à Lauzanne, à Bâle et à Genève. Ce séjour au foyer des idées nouvelles, ce contact de Calvin et de ses disciples lui fit adopter entièrement les doctrines de la réforme.

En 1561, Agylæus publia un second ouvrage qu’il dédia à la reine Élisabeth d’Angleterre, et, pour le lui présenter, il se rendit dans ce pays, où il se lia avec Thomas Parker, à qui il offrit son Photii nomo canonus.

Cependant, soit que ses nouvelles croyances ne fussent pas encore bien affermies, soit que le désir de revoir son pays l’emportât sur toute considération, Agylæus présenta, en 1562, une requête à Marguerite de Parme, gouvernante des Pays-Bas, afin de pouvoir rentrer à Bois-le-Duc. Il faisait, dans cette requête, profession de foi à la religion catholique, affirmant qu’il avait toujours vécu et voulait continuer à vivre dans ses principes. Des lettres de pardon lui ayant été délivrées, à condition de faire une rétractation de ses erreurs entre les mains de l’inquisiteur de la foi, il rentra dans sa ville natale, où il épousa Gertrude Pauvherden. Sa conduite ultérieure prouva que cette rétractation n’était pas sincère.

En 1566 commence la vie politique d’Agylæus, vie d’agitation perpétuelle, d’intrigues, de succès et de revers comme toute vie politique, surtout à une époque aussi troublée que celle du xvie siècle.

Un consistoire protestant, dont Agylæus devint l’âme, fut organisé à Bois-le-Duc et mis en rapport avec celui d’Anvers. Les déplorables excès des iconoclastes dans cette ville eurent leur contre-coup à Bois-le-Duc. Les églises furent ravagées, et là comme ailleurs, l’influence des chefs fut impuissante à arrêter les sectaires. La gouvernante envoya des commissaires dont l’arrivée fut le signal de nouveaux troubles qui firent tomber la ville au pouvoir des révoltés. Le comte de Megem fut alors chargé de s’y rendre avec des forces imposantes, et, après une vaine tentative de résistance, la ville se soumit. La fuite des chefs du mouvement fut la conséquence naturelle de ce résultat. Agylæus se retira dans le pays de Clèves. Il y rédigea, en latin, une justification par laquelle il prétendait établir son innocence ; mais les témoins entendus dans l’enquête qui fut faite, affirmèrent qu’il était l’instigateur de tout ce qui s’était passé. Condamné une seconde fois au bannissement et à la confiscation de ses biens, il se retira à Duisbourg, dans le pays de Clèves, et l’on n’entendit plus parler de lui jusqu’en 1576. Il profita alors du pardon général accordé, en 1574, par Philippe II, à la sollicitation du commandeur de Castille, et rentra encore une fois dans sa ville natale.

Mais il lui fut impossible de rester en repos. Emporté par le mouvement d’indépendance qui agitait les esprits à cette époque mémorable, Agylæus, secondant les desseins du prince d’Orange, chercha à remettre Bois-le-Duc aux états généraux. Après bien des vicissitudes, il parvint à y faire recevoir l’union d’Utrecht, en 1579. Mais peu après, Bois-le-Duc prêta l’oreille aux propositions du prince de Parme et fit retour à Philippe II. Pour la troisième fois, et ce fut la dernière, Agylæus quitta la ville et se retira à Leide pour y soigner l’éducation de ses enfants.

En 1585, on le retrouve à Utrecht, où il intrigue en faveur de Robert Dudley, comte de Leicester. Député de la bourgeoisie de cette ville, Agylæus prit la parole devant les états généraux pour demander la réception de cet étranger en qualité de gouverneur général des Provinces-Unies ; et quand Dudley fut installé dans ses fonctions, Agylæus devint l’un de ses plus ardents partisans.

En récompense de ses services, il fut nommé conseiller et procureur général de la cour d’Utrecht. Agylæus ne conserva pas ces fonctions pendant longtemps. Leicester quitta le pays en 1587, et, deux ans après, en 1589, son protégé fut destitué par la faction réactionnaire et remplacé par Pierre van Leeuw.

Agylæus se retira en Angleterre et y mourut en 1595, laissant six enfants, trois garçons et trois filles. Tel fut le personnage politique. Après quelques hésitations, il se jeta à corps perdu dans cette lutte héroïque qu’un petit peuple soutint pour la liberté contre la puissance de Philippe II. Comme tant d’autres, il y sacrifia son repos et sa fortune, et comme tant d’autres aussi, hélas ! il ne trouva qu’ingratitude pour prix de tout son dévouement. Deux fois il s’adressa aux états généraux pour obtenir un subside de 3,000 florins, à l’effet de l’aider dans l’impression d’un recueil complet des Novelles de Justinien, traduites par lui, et deux fois sa demande fut rejetée.

Une vie si agitée ne paraît pas devoir laisser de place à la science ; cependant Agylæus comptera parmi les jurisconsultes remarquables de cette époque, pour ses publications sur le droit romain. Ses travaux eurent principalement pour objet des traductions en latin des textes grecs. On a de lui :

1o Novellœ Justiniani imperatoris constitutiones a Gregorio Haloandro e grœco versœ et editœ. Norimbergœ, 1531, nunc vero revisœ et emendatœ, adjecta lectionum varietate. Parisiis, 1560 ; in-8o.

Agylæus ne fut pas le premier qui donna une traduction de ces Novelles ; il en existait deux autres, l’une contemporaine de Justinien et connue sous le nom de Vulgate, l’autre publiée en 1531 par Haloander. Mais la traduction d’Agylæus est beaucoup plus élégante et plus pure que les précédentes.

Il fut le premier traducteur des treize édits de Justinien et des constitutions de ses successeurs. Cette traduction est intitulée :

2o Justiniani edicta : Justini, Tiberii, Leonis philosophi constitutiones et Zenonis una. Parisiis, H. Stephanus, 1560 ; in-8o.

L’ouvrage capital d’Agylæus, reproduit plusieurs fois, fut publié sous le titre :

3o Photii patriarchœ const. nomo canonus, sive ex legibus et canonibus compositum opus cum commentariis Theodori Balsamonis, interprete H. Agylœo. Cologne, 1560 ; in-8o. 2e édition, Paris, 1560 ; in-4o ; 3e édition, Basileæ, typis Oporini, 1561 ; in-folio.

Cette traduction d’Agylæus fut reproduite en entier à la suite du texte grec, publié, en 1615, à Paris, chez Abraham Pacard, par Christophe Justel. Enfin, Henri Justel le comprit dans sa Bibliothèque du droit romain qu’il publia en 1661.

Agylæus est encore auteur d’un ouvrage de droit politique, publié après sa mort par son fils Jean et dédié par celui-ci aux états généraux.

4o Inauguratio Philippi II, regis Hispaniarum, qua se juramento ducatus Brabantiœ et ab eo dependentibus provinciis obligavit, cum substitutione ducissœ Mariœ gubernatricis, authore Henrico Agylœo, etc. Ultrajecti, ex officina Abrahami ab Herwyck, 1628 ; in-12.

Ce volume renferme le texte de la Joyeuse-Entrée, avec un commentaire sur chaque chapitre, et tend à prouver que Philippe II, en établissant l’inquisition et les nouveaux évêchés, avait manqué à son serment : d’où la conséquence que la révolte était légitime.

Lipenius, dans sa Bibliotheca juridica, cite encore deux ouvrages d’Agylæus sous ces titres :

1o Henricus Agylœus, ad ea quœ in Novellis Leonis jus civile attingunt liber singularis.

2o De dierum annotatione in Novellarum Justiniani subscriptionibus.

Malgré toutes nos recherches, nous n’avons pu retrouver ces ouvrages.

Nous nous sommes servis, pour la partie biographique de cette notice, du travail que M. Cuypers de Velthoven a publié sur Agylæus.

J. Delecourt.