Biographie nationale de Belgique/Tome 1/AGRICOLA, Alexandre

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AGRICOLA (Alexandre), compositeur de musique, né vers 1466, mort vers 1526. On possède bien peu de renseignements sur cet artiste, qui fut au nombre des musiciens belges les plus célèbres de la fin du xve siècle et du commencement du xvie. Une épithaphe et une complainte fournissent les seules indications qu’on puisse consigner dans sa biographie. Son nom, selon l’usage des lettres du temps, fut probablement latinisé. L’épitaphe dont il est ici question se trouve dans un recueil de motets dont les exemplaires sont fort rares et qui est intitulé : Symphoniœ Jucundœ alque adeo breves quatuor vocum, cum prefatione M. Lutheri. Ce n’est point, à proprement parler, une épitaphe, bien que le titre soit ainsi conçu : Epithaphium Alex. Agricolœ Symphonistœ regis Castilliœ Philippi ; c’est un dialogue où la Musique en pleurs répond aux questions qui lui sont faites sur Agricola qu’elle qualifie d’objet de ses soins et de sa gloire. Voici le texte de cette pièce qu’un des auteurs du recueil cité plus haut avait mis en musique :

Musica quid defles ? Periit mea cura decusque.
Estne Alexander ? Is meus Agricola.
Dic age, qualis erat ? Clarus vocum manuumque.
Quis locus hunc rapuit ? Vavoletanus ager.
Quis Belgam hunc traxit ? Magnus rex ipse Philippus.
Quo morbo interiit ? Febre fervente abiit.
Aetas quœ fuerat ? Jam sexagesimus annus.
Sol ubi tunc stabat ? Virgineo in capite.

La question : Quis Belgam hunc traxit nous apprend qu’Agricola était né dans nos provinces, mais sans faire connaître dans quelle ville il avait vu le jour. Peut-être est-il possible de déterminer avec vraisemblance l’époque de sa naissance. On voit, par le texte qui vient d’être reproduit, qu’il mourut âgé de soixante ans. D’une part, le célèbre imprimeur Petrucci publiait ses œuvres en Italie dès 1505, ce qui prouve que sa renommée s’était déjà étendue hors de son pays ; d’une autre part, il est dit, dans la complainte de Crespel sur la mort d’Okeghem, qu’Agricola fut élève de ce maître. Or, il paraît certain qu’Okeghem ouvrit son école en 1462, époque où il quitta le service de Louis XI. En rapprochant cette date des circonstances qui viennent d’être indiquées, on arrive à conclure qu’Agricola dut naître vers 1466 et mourir en 1526 ou 1527. Agricola était célèbre, suivant le Dialogue funèbre, par la voix et par les mains. Ces expressions témoignent de son habileté comme chantre et comme exécutant. Ce fut ce double talent qui lui valut d’entrer au service de Philippe, archiduc d’Autriche, prince souverain des Pays-Bas, qui devint roi de Castille par sa femme Jeanne la Folle, fille de Ferdinant et d’Isabelle. Quand Philippe et Jeanne allèrent, en 1506, prendre possession de leur royaume de Castille, Agricola les suivit comme faisant partie de leur maison. C’est à cette circonstance que fait allusion le passage de l’épitaphe où il est dit qu’il fut tiré de la Belgique par le roi Philippe.

On trouve dans un des registres intitulés : Maisons des Souverains et des gouverneurs généraux (Archives du Royaume à Bruxelles, t. I, fol. 108 v°), une annotation ainsi conçue en marge de l’ordonnance de Philippe le Beau, datée du 1er juin 1500 (n. s.) : « Monseigneur l’Archiduc a retenu Alexandre Agricola chapelain et chantre de sa chapelle, oultre le nombre icy déclaré, pour servire d’ores en avant dudit estat, aux gaiges de xii s. par jour. » On voit par des extraits des comptes du premier voyage de Philippe le Beau en Espagne, contenus dans le même registre, que le chantre Agricola reçut une gratification, ce qui fait connaître que notre artiste accompagna le prince dans ce voyage. Enfin Alexandre Agricola figure également dans les divers états des gages des officiers de la maison de Philippe le Beau, qui sont conservés aux Archives du royaume de Belgique. Le dernier de ces états est du 18 septembre 1505. Philippe était alors à Bruxelles. Il avait fait, dans cette même année, en Hollande, un voyage où la chapelle de la cour l’avait accompagné. Il y a tout lieu de supposer qu’après la mort de Philippe le Beau, Agricola entra au service de Ferdinand d’Aragon, nommé régent du royaume, et qu’il passa ensuite à celui de Charles-Quint, quand ce prince prit possession du royaume d’Espagne. Ce qui fortifie cette conjecture, c’est qu’on apprend, par un passage du Dialogue funèbre, qu’Agricola mourut au territoire de Valladolid et que la cour se trouvait en cette ville à l’époque où, d’après le calcul qui a été fait plus haut, notre artiste fut enlevé par une fièvre aiguë. C’est à Valladolid que Philippe II est né en 1527, et nous avons fixé à cette même année la date probable du décès d’Agricola.

Voici la liste des œuvres publiées d’Agricola : 1o Deux motets à trois voix, dans le recueil imprimé à Venise, en 1502, sous le titre de Motetti xxxiii ; 2o Un livre de cinq messes intitulé : Misse Alexandri Agricolœ, publié à Venise en 1504, également par Petrucci ; 3o Dans le quatrième livre de motets publié par le même éditeur (Venise, 1505), le motet à trois voix commençant par ces mots : Pater meus est Agricola ; 4o Deux lamentations, l’une à trois voix et l’autre à quatre, données dans le recueil : Lamentationum Jeremiœ prophetœ liber primus (Venise, 1505) ; 5o Cinq chants à quatre voix contenus dans le rarissime recueil intitulé : Canti cento cinquanta (Venise, Petrucci, 1503) ; 6o Deux Patrem dans un recueil de fragments de messes de divers auteurs (Venise, Petrucci, sans date) ; 7o Enfin Érasme Rotenbucher a inséré une chanson latine d’Agricola sur les paroles Arce sedes Bacchus, dans sa précieuse collection intitulée : Diaphona amœna et florida (Norimbergae, 1549).

Tels sont les ouvrages d’Agricola qui ont été publiés. Beaucoup d’autres doivent exister en manuscrit dans les églises et dans les bibliothèques de l’Espagne. Agricola a été souvent cité par ses contemporains sous son prénom : Alexander. Il fut considéré comme un des maîtres les plus habiles de son temps, et ce n’est pas sans raison. Dans un manuscrit rapporté d’Italie et qui m’a été communiqué, se trouvaient, parmi des œuvres de quelques maîtres des xve et xvie siècles, plusieurs compositions d’Alexandre Agricola. Je les ai mises en partition pour me former une opinion sur le mérite de ce maître, et j’ai acquis la conviction qu’il fut un des musiciens les plus remarquables de la période de l’histoire de l’art à laquelle il appartient. L’acquisition que j’ai faite depuis peu de l’un des rares exemplaires des Messes d’Agricola, publiées à Venise en 1504, m’a confirmé dans la haute opinion que j’avais conçue de la science musicale de l’artiste flamand.

F.-J. Fétis.