Biographie nationale de Belgique/Tome 1/ACKERMAN, François

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ACKERMAN (François), homme de guerre, né à Gand vers 1330, mort en 1387. Il était issu d’une famille noble et devint, sous la plume de De Meyere, Franciscus Agricola. Dans la guerre civile qu’excitèrent, en Flandre, les excès du comte Louis de Male et de sa cour, il n’hésita pas à se ranger sous le drapeau de sa ville natale, et il se montra bientôt digne, par ses exploits, d’être compté parmi ses capitaines les plus habiles et les plus valeureux. Aussi Philippe van Artevelde, à peine investi du pouvoir suprême dans la commune, nomma-t-il Ackerman chef du corps des Reisers ; fort de trois mille hommes des plus intrépides, que De Meyere et Olivier de Dixmude ont accusés, bien à tort, de brigandage. C’était une colonne mobile de partisans qu’il fallut porter bientôt à douze mille gens d’armes et qui devait se porter dans la Hesbaye et le Brabant, pour escorter les vivres que les bourgeois de Liége, de Bruxelles, et surtout de Louvain, tous favorables aux insurgés de Gand, tenaient en réserve pour secourir la ville. L’heureux commandant amena plus de six cents voitures de farine et de froment ; et, diplomate intelligent autant que brave général, il obtint, chemin faisant, de la duchesse de Brabant, une promesse d’intervention près de son beau-frère. Mais le comte ne voulait accorder la paix qu’à des conditions telles qu’aucun homme d’honneur ne pouvait y souscrire. Il en fut cruellement puni peu après par la honteuse défaite de son armée, à Beverholt, et par la prise de Bruges, qui en fut la suite. Ackerman rendit encore d’éminents services à cette occasion, et peu s’en fallut que Louis de Male lui-même ne tombât entre ses mains. Bien que, à l’exception de Termonde et d’Audenarde, la Flandre entière se fût soumise à la commune de Gand, il était facile de prévoir que tôt ou tard, si elle était abandonnée à elle-même, les forces de l’insurrection seraient écrasées par celles du roi de France, qui marchait au secours du comte et de son gendre, le duc de Bourgogne. Ackerman se mit donc volontiers à la tête d’une ambassade pour demander des secours à Richard II, roi d’Angleterre. Cette démarche réussit, et un traité d’alliance était déjà conclu quand on apprit la mort de Philippe van Artevelde, à la funeste journée de Roosebeke, et la restauration de l’autorité du comte dans tout le pays, la ville de Gand seule exceptée. Là même, un grand nombre de bourgeois pensaient qu’il fallait demander la paix, en obtenant du prince des conditions moins dures. Ce n’était pas l’opinion d’Ackerman et du doyen Pierre Vanden Bossche, qui ne jugeaient pas le moment favorable pour négocier et qui comptaient encore sur l’alliance anglaise ; et comme ils conservaient tout leur ascendant sur la multitude, le parti de la résistance l’emporta. Ackerman, appelé à la succession de Philippe van Artevelde, se hâta de prouver que les ressources de la commune étaient loin d’être épuisées. Malgré une défense opiniâtre de la garnison française, il prit d’assaut la place forte d’Ardenbourg, la saccagea entièrement et fit conduire à Gand un butin immense. Moins heureux devant Bruges, que la noblesse défendit avec succès, il prit sa revanche à la bataille de Dunkerque, où ses forces réunies à celles des Anglais firent essuyer une grande défaite à l’armée des princes. Peu après, il se rendit encore maître, par stratagème, de l’importante ville d’Audenarde, si souvent funeste aux Gantois.

Ces succès, mêlés de revers, semblaient devoir perpétuer la guerre civile, quand le comte Louis de Male, cause première de tant de malheurs, mourut à Saint-Bertin, poignardé, dit-on, par le duc de Berry, le 9 janvier 1384 (n. s.). Cette mort enlevait un principal obstacle à la paix, qu’on espérait d’autant plus qu’une trêve venait de se conclure. Mais les hostilités recommencèrent par le fait du seigneur d’Escornaix, qui surprit Audenarde, dont la garnison était affaiblie et moins sur ses gardes par suite même de l’armistice. Ackerman, profondément irrité de cet affront, prit une vengeance éclatante. Ayant appris que le gouverneur de Damme et ses principaux officiers s’étaient rendus à Bruges, le chef gantois marcha précipitamment sur la première de ces villes et s’en empara de nuit par escalade. Il y trouva sept dames de haut rang, venues pour rendre visite à l’épouse du commandant absent ; le vainqueur les invita à un festin somptueux, et les voyant encore en proie à la crainte : « Je fais la guerre aux hommes, leur dit-il, mais jamais aux femmes, et bien que vos chevaliers aient indignement traité les nôtres, j’aurai autant d’égards pour vous que si vous étiez mes propres filles. » Il tint parole, et par ce procédé, si rare alors, il se fit beaucoup d’amis dans la noblesse. Cependant la prise d’une ville aussi importante que Damme avait porté le trouble dans le camp ennemi, et Ackerman, qui s’y était enfermé avec quinze cents hommes d’élite, se vit bientôt assiégé par une armée de cent mille hommes commandés par Charles VI. Pendant six semaines, les attaques se multiplièrent jour et nuit avec une violence toujours croissante, sans ébranler la fermeté des Gantois et non sans grandes pertes pour les assiégeants. Cependant, le secours promis par les Anglais ne se montrait pas, les munitions de guerre s’épuisaient, les vivres et l’eau potable surtout manquaient dans la place. Le vaillant capitaine dut songer à faire sa retraite et l’effectua si heureusement qu’il ramena, presque sans perte, sa troupe à Gand, où il fut reçu avec les plus vives acclamations. L’armée royale se vengea comme se vengent les lâches : elle dévasta, par le fer et le feu, les cantons paisibles des Quatre-Métiers, et reprit ensuite le chemin de la France, sans même oser paraître sous les murs de Gand. Le duc de Bourgogne commença, dès lors, à comprendre que ce n’était pas la force qui pouvait soumettre la puissante commune, et prêta plus volontiers l’oreille aux conseils du chevalier de Heyle, homme généralement considéré à Gand et qui n’avait rien tant à cœur que de procurer une paix durable à sa patrie.

Suivant le désir du duc lui-même, le chevalier se rendit d’abord près d’Ackerman, qui se tenait au château de Gavre et sous le sceau du secret, il lui communiqua son projet de pacification. Après s’être recueilli un instant, l’illustre guerrier répondit : « Là où Monseigneur de Bourgogne voudra tout pardonner et la bonne ville de Gand tenir en ses franchises, je ne seroi jà rebelle, mais diligent grandement de venir à paix. » Il fut en effet un membre influent de la députation qui se rendit à Tournai et y négocia le traité de paix signé le 18 décembre 1385, aux conditions les plus honorables pour les Gantois. Ackerman revint à Gand sans crainte, mais il refusa une place à la cour ou un emploi à l’armée que lui offrit Philippe le Hardi, résolu qu’il était de passer le reste de ses jours dans le calme de la vie privée. Deux ans après, comme il se rendait, le 22 juillet, à l’abbaye de Saint-Pierre, il fut assassiné par un fils naturel du sire d’Herzeele, qui lui imputait la mort de son père. Ainsi tomba sous la dague d’un vil meurtrier ce grand citoyen, que les historiens attachés au parti du comte proclament eux-mêmes un homme de bien, chaste et humain, aussi sage au conseil que redoutable à la guerre.

J.-J. De Smet.