Biographie des jeunes gens/Préface

D'Alexis Eymery (1p. 19-34).


PRÉFACE.




Létude de l’histoire ne se borne point à la recherche minutieuse des faits et des dates ; l’histoire se propose un but plus noble, la connaissance de l’homme, de la morale et de la politique : c’est la grandeur des personnages qui la rend intéressante. Mais on y retrouve aussi tous les vices inhérens à l’espèce humaine, dont elle retrace les actions et signale les destinées ; elle peint souvent les hommes sous des rapports peu favorables à la morale, et le vice s’y montre avec une sorte de pompe et d’éclat ; souvent même les méchants y reçoivent de la faiblesse ou de l’erreur des hommages qui ne sont dus qu’à la vertu. Ces inconvéniens, attachés au genre historique, se font plus particulièrement sentir dans les annales des peuples et des dynasties. Il est donc préférable de commencer l’étude de l’histoire par la lecture des vies particulières des personnages, moins confondus avec les événemens, s’y montrent dans toute leur conformité ou dans tout leur éclat ; car pour peu que l’homme influe sur le sort de semblables, il ne peut plus se dérober à la postérité ; l’histoire le poursuit toujours.

Mais tandis que de volumineuses monographies ([1]) présentent des milliers de noms vulgaires qui n’en restent pas moins obscurs, à peine les fastes des nations offrent-ils cent personnages irréprochables qu’on puisse recommander à l’admiration publique. C’est pourtant un petite minorité qui forme seule la galerie des grands hommes dignes réellement d’être présentés pour émules et pour modèles de cette portion intéressante de la jeunesse que les droits de la naissance et du mé appellent à servir l’état, soit dans la carrière ouverte aux héros, soit dans la magistrature, soit enfin dans les hautes fonctions de l’administration et de la politique.

En méditant sur l’art de gouverner les hommes, de profonds génies ont reconnu que le sort des empires dépendait en grande partie de l’instruction d’une jeunesse d’élite entièrement dévouée à l’état, et soumise à une éducation perfectionnée. Quelle doit en être la base ? L’histoire, sans doute, quand elle n’offre ni de frivoles leçons, ni des exemples dangereux ; elle seule, en effet, peut former des sages, des guerriers, des administrateurs ; tel est son but politique et moral.

Que de résultats utiles ne présente-t-elle pas aux chefs des nations ! Ils y trouvent la science du gouvernement, et, s’ils remontent aux causes, ils y découvrent les germes de dégénération qui, en se développant, accélèrent la décadence et la chute des empires. Sans doute quelques bons princes ont profité des leçons de l’histoire pour s’éclairer et pour rendre leurs peuples plus heureux ; l’histoire s’est montrée reconnaissante ; elle suffit seule pour attester qu’un bon roi est la plus parfaite image de la divinité sur la terre.

Mais qu’on ne s’imagine pas qu’un genre si grave soit à la portée de l’enfance ; l’adolescence et l’âge viril, voilà les époques de la vie où l’histoire devient une instruction nécessaire et profitable. Quelle circonspection, quel choix ne doit-on pas apporter dans la direction première d’une étude qui doit être celle de toute la vie ! Il est facile de mettre sous les yeux des jeunes gens les mots de rois, d’empire, de guerre, de conquête, de révolution, de lois ; mais ce qu’il importe, c’est d’attacher à ces mots des idées nettes et précises.

La véritable connaissance des événemens est inséparable de celle de leurs causes et de leurs effets ; aussi l’histoire générale, cet arbre colossal auquel se rattachent toutes les branches de la science historique, exige une culture attentive et réfléchie, à laquelle la plupart des jeunes gens sont peu capables de se livrer. C’est dans la vie particulière des grands hommes qu’ils puiseront plus sûrement leurs premières leçons de morale et de politique ; ce genre n’exige pas autant de connaissances préliminaires, ni autant de maturité dans l’esprit.

En effet, pour connaître les hommes il suffit de les voir agir ; leurs actions les dévoilent : la postérité ne les loue, ne les juge que sur des faits. Mais le ministère du biographe lui impose l’obligation d’ériger l’histoire en lecons de vertu, de mettre en action le talent, le génie et tous les genres de mérite ; de rapprocher le souvenir des exploits les plus éclatans, de marquer les traits qui caractérisent les héros. Ce nom, dans l’origine, n’était donné qu’à des bienfaiteurs de l’humanité, qui devenaient ainsi l’objet d’une sorte de culte établi par la reconnaissance : aujourd’hui l’héroïsme ne désigne que les vertus et la valeur guerrière exercée au plus haut degré. Mais si le nom de héros n’a plus maintenant qu’une acception restreinte, l’heureuse affection de l’âme qui porte à faire le bien et à fuir le mal, et qu’on nomme vertu, exprime, non comme dans les temps héroïques, la force et la vigueur du corps, mais les qualités de l’esprit les plus recommandables, et plus souvent encore celles du cœur. Ainsi la vertu se compose de la force, de la tempérance, de la justice, et surtout de prudence, que Xénophon et Socrate ont défini la science des biens qui conviennent à l’homme.

On ne saurait trop le répéter, il est au fond des âmes un principe inné de justice et de vertu que l’éducation doit nourrir, et l’histoire vivifier. La maxime impie que tont s’anéantit par la mort, et que la vertu reste bannie de la terre, est un paradoxe désolant et subversif des états. « Malheur aux » peuples, dit Tacite, chez qui s’éteint » l’enthousiasme de la vertu ! » Il est inséparable de l’idée d’un Dieu, source de courage et de consolation. Les vertus politiques sont un gage d’immortalité ; car c’est aux grands hommes surtout qu’il convient d’appliquer la belle pensée d’Young, que l’homme se plonge dans le tombeau pour se relever immortel.

Prouvons aux jeunes gens que bonté et justice ne sont pas seulement des mots abstraits, de purs êtres moraux créés par l’imagination, mais de véritables affections de PRÉFACE. vij

l’âme, éclairée par la raison, frein salutaire de la force. Disons-leur sans cesse qu’ils doivent se défier d’eux-mêmes, invoquer dans leur conduite la circonspection, se montrer respectueux devant la vieillesse, discrets, modestes dans leurs habitudes. hardis à bien faire, et passionnés pour la vertu. Tels étaient ces illustres Romains, qui n’entraient dans les charges qu’après avoir passé leur jeunesse à défendre l’inno-cenee, à poursuivre le crime, sans autre intérêt que celui de servir la justice et de protéger les mœurs.

C’est donc plutôt en action qu’en paroles, qu’il faut montrer la vertu aux jeunes gens : tel est l’objet de cette Biographie particulière, où les plus grands hommes des temps anciens et modernes sont placés tour à tour sous les yeux de la jeunesse, brillans de gloire et d’immortalité. Il ne s’agit point ici d’un amas confus de vérités et d’erreurs, mais d’une galerie de personnages illustres, dont la vie devrait être pour nous une leçon éternelle ; mais d’un tableau des vertus qui doivent caractériser l’homme public, et servir de règle de conduite à l’administrateur, au magistrat et au général, tableau qui ennoblit l’âme et instruit l’homme au grand art de la sagesse, surout, dans un pareil ouvrage, doit respirer l’honneur, la probité, l’amour bien, l’horreur du vice. Trop sauvent on a reproché aux historiens de donner à leurs écrits l’empreinte de leurs préjugés, de leurs passions, et de n’être presque jamais inspirés que par des motifs d’intérêt personnel. L’un a prôné le républicanisme, l’autre a flatté les rois ; celui-ci a écrit dans l’esprit de son ordre ; celui-là, ménagea tous les partis, flotte au milieu des opinions les plus divergentes : il en est peu qui aient écrit pour honorer uniquement la vertu. Ce noble but, on se l’est proposé dans la Biographie des Jeunes Gens. Tous les amis de la morale y applaudiront sans doute. Cet ouvrage d’ailleurs n’a aucun rapport, aucune similitude avec ces abrégés, ces compilations arides décorées si souvent de titres pompeux, et dont on ne cesse d’inonder la littérature, car pour faire descendre l’histoire à la portée de l’enfance. Mais les faits, ainsi dénaturés, n’appartiennent plus à l’histoire ; est-ce dans des sommaires, composés ordinairement sans méthode et sans goût, que la jeunesse peut apprendre à connaître les grands hommes qu’on lui offre pour modèles ? Ces tableaux, incomplets et raccourcis, n’existent-ils pas déjà dans un grand nombre de dictionnaires historiques ? Mais la Biographie des Jeunes Gens ne retrace point les grands hommes de profil, d’après les dictionnaires, qui, n’ayant pour guide que l’alphabet, embrassent indistinctement tous les genres de célébrité. Son but moral n’a rien de vague, rien d’incertain ; sous ce rapport son avantage est incontestable, puisqu’elle ne présente pour modèles aux jeunes gens que l’élite des plus grands personnages de l’antiquité et des temps modernes, c’est-à-dire tous les grands hommes qui ont paru irréprochables dans leur vie civile et politique.

Fidèle au plan primitif, j’ai laissé dans l’oubli les noms et les règnes de ces rois qui n’ont brillé sur le trône que de l’éclat de leurs généraux ou de leurs ministres ; je n’ai associé aux grands hommes de tous les âges que ces princes magnanimes vraiment épris de l’amour du bien ; je n’ai admis que ces personnages immortels, bienfaiteurs des nations par les lois, par l’éloquence, par des exploits guerriers, ou par de grandes vertus, toujours plus rares que de grands talens. Si de vastes desseins, tantôt inspirés, tantôt conçus et muris en silence, ont obtenu ici la sanction de l’histoire, c’est que j’ai découvert, soit dans la conception soit dans l’exécution, cette vigueur de caractère inséparable du vrai génie ; je n’ai retracer enfin que des vies éclatantes des morts illustres.

Tel est le plan, tel est l’esprit de la Biographie des Jeunes Gens, dont la première pensée appartient tout entière au libraire éditeur. C’est une inspiration si honorable que je me plais à la lui restituer publiquement.

Je n’entretiendrai pas le public des accidens qui m’ont ôté la possibilité de terminer seul la rédaction d’un ouvrage qui porte mon nom ; des motifs personnels ne doivent point figurer dans un morceau essentiellement littéraire. Quand aux personnes distinguées qui m’ont éclairé de leurs lumières en s’associant à mes travaux, leur modestie se refuse, je le sais, au partage d’une publicité qui au fond devrait solidaire pour tous ; mais, dussé-je encourir leur blâme, j’avouerai que leur modération m’a été d’un grand secours. Je citerai d’abord, comme l’un de mes plus précieux collaborateurs, M. Durdent, avantageusement connu par d’estimables rédactions ; je citerai encore M. Charles Durosoir, jeune littérateur dont le savoir nulation méritent d’être encouragés. Ce faible tribut d’éloge est le seul qu’il me soit permis de leur offrir ici, que ne e adresser un hommage plus éclatant aux dames pleines de raison et d’esprit, qui n’ont pas dédaigné non plus de montrer la flexibilité de leur talent dans le sérieux de la biographie. En passan ainsi de la littérature légère à la nature grave, madame Dufrenoy et Madame de Bolly ont prouvé qu’elles savaient au besoin allier la vigueur des pensées et du style au charme et à l’élégance qui caractérisent leurs autres productions. Combien il leur a été facile, tout en sacrifiant aux grâces, d’élever un piédestal à la vertu ! Admirons surtout le courant qu’elles ont apporté à fouiller dans de nombreux monumens de l’histoire, et de comparer tant d’écrivains ennuyeux et prolixes. Tel est le généreux appui que deux habiles auxiliaires m’ont prêté dans l’exécution de cet ouvrage, que je n’ai eu à m’occuper exclusivement que des grands personnages de la république romaine, de l’empire romain et du bas empire.

Quant à notre système de travail, il n’a eu pour objet, je le répète, que de proclamer de belles actions et de beaux caractères, et pour but que d’être utile, en évitant avec soin la sécheresse et la stérile abondance des compilateurs.

C’est d’ailleurs dans les sources les plus pures de l’histoire ancienne et moderne que nous avons puisé les élémens de cette Biographie d’élite, élémens qui se trouvaient enfouis pour ainsi dire dans les annales de tous les âges et de toutes les nations.

Nous avouerons franchement que nous nous sommes approprié toutes les richesses répandues par l’inimitable biographe de Chéronée dans ses vies particulières d’Agésilas, d’Aratus, d’Aristide, de Camille, des deux Caton, de Cimon, de Fabius Maximus, de Lycurgue, de Numa, de Paul Emile, de Périclès, de Philopoemen, de Phocion, de Publicola et de Solon, Malheureusement une grande partie des travaux biographiques de Plutarque est devenue la proie du temps. Nous ne saurions trop regretter, par exemple, la vie ses deux Scipion, celle d’Aristomène, général des esséniens, et surtout la vie d’Epaminondas, de cet homme extraordinaire, si grand par ses exploits, plus grand encore par ses vertus, et qui, au jugement de Cicéron, fut le premier des Grecs. Malgré notre respect pour le patriarche de la biographie, nous ne nous sommes pas dissimulé toutefois que Plutarque, plus moraliste qu’historien, songeait moins à rassembler des faits qu’à faire le portrait de l’âme ; qu’il avait négligé la chronologie, rompu à son gré la chaîne des faits, et qu’il était même tombé dans une foule de contradictions et d’erreurs. Guidés par les lumières, par les observations .des commentateurs et des critiques, nous avons osé rectifier ce grand biographe sous le double rapport de la liaison des faits et de l’exactitude ; nous avons combiné ses récits avec ceux des meilleurs historiens de l’antiquité qui ont traité les mêmes sujets ou les mêmes époques de l’histoire ancienne.

Mais notre cadre offrait encore bien des vides à remplir. Nous n’avions ni précurseurs ni modèles pour former la biographie de plusieurs grands personnages anciens et modernes. Que de matériaux ne nous a-t-il pas fallu rassembler pour coordonner un si grand nombre de faits épars dans tant de volumes, enterrés en quelque sorte sous la poussière des bibliothèques. Cette partie I de notre travail, la plus pénible et la plus difficile, ne sera peut-être pas indigne de l’indulgence du public. Nous n’avons pas eu non plus, pour l’ère moderne, l’appui d’écrivains immortels, devenus classiques mais, guidés par des critiques judicieux, nous avons puisé dans des sources non moins abondantes, et recueilli des témoignages non moins certains. Peut-être aurions-nous été embarassés dans le choix d'une centaine de personnages historiques purs et sans tache, si nous ne nous étions pas environnés des lumières de quelques littérateurs très-distingués, avec qui, osant former une sorte de jury biographique, nous avons prononcé l’admission ou le rejet des grands hommes, soit d'après l’autorité de l’histoire, soit d’après l’ouvrage même de la postérité.

Puisse cet ouvrage, par ses développemens mêmes, par le haut intérêt qu'il respire, et surtout par le but louable qu'il se propose, mériter l’accueil favorable que nous ambitionnons, comme le prix le plus flatteur de nos veilles et de nos travaux ! Puissent surtout nos jeunes lecteurs, pénétrés d’admiration pour tant d’actions honorables, héroïques, illustres, éprouver une sorte d’orgueil d’appartenir à l’espèce humaine, en se retraçant les exploits des grands hommes que nous leur offrons pour modèles ! Puissent-ils brûler de les imiter ! Puissent-ils enfin, en parcourant ces annales de la vertu et de l'héroïsme, s'écrier : « C'est pour le salut de tous que ces grands personnages ont combattu ; c’est pour le bonheur de tous qu’ils ont administré, gouverné, régi les empires : nous ferions comme eux si le destin nous plaçait dans les mêmes circonstances ! »






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  1. On ne conteste plus l’utilité des biographies générales, ou dictionnaires historiques ; ces sortes de répertoires de la célébrité ont d’ailleurs acquis de nos jours plus d’extension, de solidité, d’exactitude ; mais ce n’est pas là pourtant qu’il faut étudier les grands hommes, dont la vie historique a besoin de développemens, et demande plus de faits que de dates.