Biographie des femmes auteurs contemporaines françaises/Bradi


Mme  la comtesse de Bradi.



Mme LA COMTESSE DE BRADI


(Agathe-Pauline)


NÉE À PARIS LE 1er MAI 1782.

Fille de Guillaume Caylac de Caylan et de Bonne-Mille~Claude de Newer.


Le père de Mme  de Bradi, né dans le pays Basque, capitaine de cavalerie, et chevalier de Saint-Louis, l’éleva avec toute la rudesse d’une éducation militaire, et même les arts d’agrément lui furent enseignés à coups de plat d’épée. Ce père, financier par besoin après avoir été soldat par goût, la força dès son enfance à contracter l’habitude d’un travail de tête, tandis que sa mère, Suédoise, l’obligeait à travailler de ses mains. Elle était née avec des inclinations religieuses que le marquis de Valléfleurs, vieux ami de son père, développa soigneusement, lorsqu’en 1793, il vint visiter la famille de Caylan, chassée de Paris et habitant Fontenay-sur-Bois, où Pauline menait paître la chèvre qui nourrissait le frère unique qu’elle a perdu dans la campagne de Moscou. Depuis cet enseignement du vieux gentilhomme normand, elle s’efforça de conformer ses actions à sa croyance, et si elle n’y parvint que rarement, elle ne se lassa jamais de le désirer et de l’essayer. Orpheline de père très jeune, Mlle de Caylan fut mariée à dix-sept ans par sa mère au comte de Bradi, descendant d’une ancienne et noble famille de Sartène. Elle adopta la famille, le pays de son mari, et se croyant Corse, elle agit comme si elle l’eut été. Elle suivit son mari en Italie, fut blessée au siège de Gènes par un éclat de bombe, faillit y mourir de faim, et n’y ressentit que la douleur d’être séparée de sa mère, qui mourut dans ses bras peu de temps après. Devenue mère à son tour, Mme de Bradi se retira dans le château de Rebrechien, près d’Orléans, pour y nourrir et y élever ses trois enfants. Tout ce que l’étude la plus assidue a pu développer en elle de facultés, a été consacré à ses enfants ; cette application à ses devoirs lui valut l’amitié de Mme la comtesse de Genlis, qui se plaisait à la nommer son élève, et lui écrivait : Vous êtes appelée à me seconder et à me succéder en tout. Mais Mme de Bradi qui ne sut jamais comprendre la gloire, et qui ne voyait rien en elle qui l’autorisât à y prétendre, n’aurait point imaginé de faire imprimer ce qu’elle écrivait, si elle n’eut perdu sa fortune. De dame châtelaine elle devint femme auteur, professeur, et se résigna tristement, mais sans humeur, à travailler pour vivre, comme le font tant de gens qui ne s’en enorgueillissent pas du tout. Le monde cependant parut lui en savoir gré ; ses amis lui demeurèrent fidèles, ses écoliers devinrent ses amis, les journalistes dirent du bien de ses ouvrages, et les lecteurs ne les trouvèrent pas ennuyeux.

Son métier d’auteur, pourtant, ne lui prodigua pas d’abord beaucoup d’agrément Par générosité de caractère, ou par esprit de contradiction, elle soutenait toujours ses oppositions ; et quoique sa famille, alliée à celle des Bonaparte, eût été ruinée par une haine particulière de Napoléon ; quoique l’opinion de Mme de Bradi n’eût aucune importance, les Lettres écrites de Corse (1 vol in-8°) firent mettre leur auteur sur deux listes de proscription en 1815, comme bonne à surveiller ou à déporter ; les éditeurs de Vannina (2 vol. in-12, 1823 ), et de Colonna (2 vol. in-12,1825), lui firent faillite ; ceux de Berlhold et d ’Une Nouvelle par mois (3 vol. in-12,1825 ), achetèrent ses manuscrits si bon marché, que ce serait pitié d’en parler ; M. le baron T….. ne lui paya pas la moitié des articles qu’il inséra dans ses Annales ; la Préparation au catéchisme (in-32,1827.) ne lui Ait pas payée du tout ; et la Réfutation des opinions du comte de Montlosier (in-8°, 1826), accueillie au Vatican, la fit déclarer sotte, folle et jésuite… Elle n’en a pas moins continué à écrire sur la religion, l’histoire, la politique, la littérature et l’éducation, persuadée qu’il ne faut qu’un sens droit et quelque instruction pour traiter ces sortes de sujets ; elle n’en a pas moins composé des Contes et des Nouvelles, en vers et en prose, pour les recueils qui ont paru depuis quelques années, et n’en rédige pas moins des Mémoires de son temps, si consciencieux, qu’elle aura de la peine à trouver un éditeur qui les publie. Elle n’a jamais été pensionnée par aucun gouvernement, et quoique présentée aux différentes cours de France, elle ne doit de reconnaissance à aucun pouvoir. Très sûre que personne ne sait aussi bien qu’elle, non ce qu’elle est, mais ce qu’elle a fait et voulu faire, elle a donné cette notice, dépourvue de grâces, mais parfaitement exacte.

La comtesse de Bradi.




La rare modestie qui a dicté cette notice, nous autorise à y ajouter quelques lignes. M mc la comtesse de Genlis qui fut pendant trente ans l’amie de M me de Bradi, s’exprime ainsi qu’il suit dans ses Mémoires, tome V :

« Mme de Bradi, très jeune et d’une beauté éclatante, m’écrivit pendant un an des lettres anonymes, en me donnant, pour lui répondre, un nom de fantaisie. Ses lettres annonçaient tant d’esprit qu’elles m’intéressèrent vivement. Je l’engageai dans mes réponses à cultiver cet esprit qui est devenu si supérieur, et auquel la vertu la plus pure et la plus irréprochable a donné toute l’étendue qu’il pouvait avoir. »

Ailleurs Mme de Genlis dit encore, dans la dédicace du Siège de La Rochelle, ouvrage qu’elle termina au château de Rebrechien, qui appartient à M. de Bradi :

«Mon amie,

« Cet ouvrage, composé sous vos yeux, vous a intéressée, « et je trouve un grand plaisir à vous en faire hommage. «Vous devez aimer mon héroïne ; en la peignant, j’ai « plus d’une fois pensé à vous, et tous ceux qui vous « connaissent serment bien étonnés que la vertu de Clara «vous parût exagérée. Votre modestie m’interdit tout « éloge, votre amitié n’a pas besoin des assurances de «la mienne. Vous savez que, malgré votre jeunesse, je « vous regarde comme l’amie la plus solide. »


(Note de l’Éditeur.)