Le nommé Villebon


Dans la liste des accusés qui sont sommés de comparaître devant le Châtelet de Paris en 1763 figure le sieur de Villebon, commandant du fort de la mer de l’Ouest. Il ne s’agit pas ici d’un Robineau de Bécancour ou de Portneuf mais de Charles-René de Jordy Moreau qui avait pris ce nom de Villebon en souvenir du frère de sa mère, le sieur Robineau de Villebon, gouverneur de l’Acadie.

Charles-René de Jordy Moreau de Villebon était né à l’île Bouchard en juin 1715, du mariage de François de Jordy Moreau de Cabanac et de Louise-Catherine Robineau de Bécancour.

Ses ancêtres, du côté paternel comme du côté maternel, avaient fait leur carrière dans les armes. Il fit comme eux, sous le régime français au Canada, les fils de familles nobles n’avaient d’ailleurs pas d’autres alternatives. Ils devaient entrer dans les troupes de la marine ou cultiver la terre. Le commerce ne leur était pas interdit comme en France mais il semble que ce genre de vie leur répugnait.

Ce n’est qu’en 1748 que M. de Jordy de Villebon obtint une expectative d’enseigne en second. Il servit bien avant 1748, mais comme cadet seulement. En 1749, il était promu enseigne en pied, puis, en 1756, lieutenant, et, enfin, en 1759, capitaine.

M. de Jordy de Villebon servit surtout dans l’Ouest. En 1753, il était commandant du poste de la Baie Verte (Green Bay), sur le lac Michigan. Un peu plus tard, on le voit commandant du poste de la Mer de l’Ouest.

M. de Jordy de Villebon fit la campagne d’hiver en 1756 sous les ordres de M. Chaussegros de Lery. En août 1756, il prit part au siège de Chouaguen, sous Montcalm. De 1756 à 1759, il servit dans la région de Québec. Son nom est souvent mentionné dans les lettres et les relations du temps.

Après la perte du pays, M. de Jordy de Villebon eut-il l’intention d’aller s’établir en France ? La chose est probable car il n’y avait plus de carrière possible pour lui dans la vie militaire dans son pays natal. Il s’embarqua pour la France avec toute sa famille à bord de l’Auguste, à l’automne de 1761. On sait que ce navire périt corps et biens sur les côtes du Cap-Breton dans la nuit du 16 novembre 1761.

Il avait épousé, le 11 février 1741, Louise-Catherine Trottier des Rivières, fille de Julien Trottier des Rivières et de Marie-Louise-Catherine Raimbault. Avec lui périrent dans l’Auguste sa femme, deux de ses fils et sa fille, probablement toute sa famille.

On s’explique mal que M. de Jordy de Villebon, péri dans l’automne de 1761 ; puisqu’il figure parmi les accusés du Châtelet, deux années plus tard. Il n’y a qu’une explication c’est que la justice française ignorait sa mort. À cette époque, les communications entre la France et son ancienne colonie étaient très restreintes. Il y a peut-être une autre raison. Le procès devant le Châtelet était surtout fait pour calmer l’agitation du peuple qui avait été fortement secoué par les scandales de l’administration. Il s’agissait de citer le plus grand nombre d’accusés devant le tribunal afin de montrer au peuple que tous les coupables subiraient le châtiment qu’ils méritaient. On savait peut-être que M. de Jordy Villebon était mort. On laissa tout de même son nom dans la liste des accusés pour en augmenter le nombre.

Une lettre de Montcalm à M. de Bourlamaque du 22 mai 1759 est assez énigmatique. « Péan, dit-il, vient de passer six jours à Lachine avec la sultane régnante de sa famille (MM. de Villebon, Solvignac, aide de camp) ; il est attaché à une sœur. Le chevalier de Lévis et la Pénissault n’y ont pas été… »[1] Que veut dire ceci ? N’avons-nous pas là un indice que M. de Villebon faisait partie du clan qui mettait la Nouvelle-France en coupe réglée ?

  1. L’abbé E.-J. Auclair, Les de Jordy de Cabanac ; Lettres du chevalier de Lévis à M. de Bourlamaque.