François Le Mercier


Montcalm, dans son Journal, écrit que le chevalier Le Mercier arriva dans la Nouvelle-France comme soldat de recrue. L’historien Garneau, voulant sans doute relancer Montcalm, nous assure que Le Mercier fut d’abord soldat et ensuite maître d’école à Beauport. Si M. Le Mercier passa dans notre pays avec une levée de soldats ce qui n’est pas prouvé — il ne fut certainement pas maître d’école à Beauport et ceci pour une bonne raison, c’est qu’il était protestant. Une ordonnance de l’intendant Dupuis du 4 juin 1727 défendait formellement d’employer des protestants comme maîtres d’école. L’évêque de Québec surveillait attentivement l’observation de cette ordonnance et Le Mercier aurait certainement été emprisonné tout de suite s’il s’était improvisé maître d’école.

Notons que M. Le Mercier se convertit à la foi catholique quelques jours avant son mariage avec Françoise Boucher de la Bruère, en 1757.

Quoi qu’il en soit de son arrivée dans la colonie, nous savons que François Le Mercier était né à Caudebec, en Normandie, le 24 décembre 1722, du mariage de Nicolas-Louis Le Mercier, lieutenant-colonel d’infanterie, et de Charlotte Le Bour. La qualité de chevalier accolée à son nom indique bien qu’il appartenait à la noblesse[1]. Nous avons peine à croire qu’il vint ici comme soldat. Il reçut le grade d’enseigne en 1733 c’est-à-dire à l’âge de onze ans. En France, on donnait des commissions d’officiers à des enfants de onze ans mais on n’acceptait pas des bambins de cet âge comme soldats dans les troupes.

Ici, Le Mercier se spécialisa surtout dans l’artillerie et comme il montrait de belles dispositions pour cette arme, on l’envoya se perfectionner dans les écoles d’artillerie française.

À son retour dans la Nouvelle-France, Le Mercier fut fait lieutenant de la compagnie de canonniers bombardiers qu’on venait de créer.

Capitaine en 1753, il reçut en 1757 le commandement de l’artillerie de la colonie. Son avancement avait été si rapide qu’il faut admettre qu’il avait de réelles capacités ou de puissants protecteurs.

Par son mariage avec Françoise Boucher de la Bruère, (1757) il était devenu le cousin de Péan. Coïncidence étrange, c’est précisément à ce moment que M. Le Mercier devint très puissant dans la colonie. Montcalm, dans son Journal et dans plusieurs de ses lettres intimes, fait des allusions peu flatteuses au commandant de l’artillerie. Dans sa lettre confidentielle et chiffrée du 12 avril 1759 au maréchal de Belle-Isle, ministre de la guerre, Montcalm va plus loin. Il accuse directement M. Le Mercier. Lisons sa lettre :

« Les transports sont donnés à des protégés. Le marché du munitionnaire m’est inconnu comme au public : on dit que ceux qui ont envahi le commerce sont de part. Le Roi a-t-il besoin d’achats, de marchandises pour les Sauvages ? Au lieu d’acheter de la première main, on avertit un protégé qui achète quelque prix que ce soit : de suite M. Bigot les fait porter au magasin du Roi, en donnant 100 et même 150 pour 100 de bénéfice à des personnes qu’on a voulu favoriser. Faut-il faire marcher l’artillerie, faire des affûts, des charrettes, faire des outils ? M. Mercier (Le Mercier) qui commande l’artillerie est entrepreneur sous d’autres noms ; tout se fait mal et cher. Cet officier, venu simple soldat il y a vingt ans, sera bientôt riche d’environ 6 ou 700,000 livres peut-être un million si cela dure ».[2]

Cette lettre de Montcalm ouvrit peut-être les yeux du maréchal de Belle-Isle sur ce qui se passait dans la colonie. Mais il était trop tard ; le Canada était déjà perdu pour la France quand le ministre lut la lettre de Montcalm.

Plus que cela. À l’automne de 1759, les autorités de la colonie décidèrent d’envoyer un délégué rendre compte de l’état critique de la colonie au gouvernement du Roi et c’est M. Le Mercier qui fut choisi pour cette mission. Nous nous demandons comment le maréchal de Belle-Isle reçut ce délégué.

Il va sans dire que le chevalier Le Mercier fut arrêté et jeté à la Bastille. Mais il s’en tira assez facilement puisque, dans son cas, le tribunal le déchargea des accusations portées contre lui.

Nous ignorons si le chevalier Le Mercier continua son service dans l’armée.

D’après M. Aegidius Fauteux le chevalier Le Mercier décéda à Lisieux vers la fin du dix-huitième siècle. Le même M. Fauteux, qui avait soigneusement étudié les allées et venues de M. Le Mercier dans la Nouvelle-France, est d’opinion que malgré son acquittement par le Châtelet, il fut un acharné profiteur. Nous n’irons pas jusque-là, mais quand on lit les notes au jour le jour du procureur du Roi Moreau sur le procès de 1763 on ne peut s’empêcher d’avoir sur bien des points une opinion défavorable du chevalier Le Mercier.

Le chevalier Le Mercier pendant son séjour à La Bastille voulut conserver ses habitudes de toujours bien se vêtir. Le billet suivant de M. de Sartine adressé au major de la Bastille : « M. de Sartine consent à ce que vous remettiez à M. Le Mercier, prisonnier à la Bastille, les deux culottes de velours et de drap noir, après que vous les aurez visitées suivant l’usage. »[3]

L’amitié des puissants est un bienfait des dieux répète-t-on souvent. La plupart de ceux qui comparurent devant le Châtelet de Paris avaient des amis ou protecteurs haut placés. Ce qui explique en partie que presque tous les condamnés échappèrent aux peines imposées. Ces protecteurs intervinrent en faveur de leurs amis respectifs pendant et après le procès. Les juges avaient donc les bras liés. Pour sa part, le chevalier Le Mercier avait un protecteur très puissant dans la personne du maréchal de Brancas. C’est sans doute le maréchal qui intervint en sa faveur.

  1. D’ailleurs, dans son mémoire de défense devant le Châtelet de Paris, le chevalier Le Mercier vante les services rendus par son père, lieutenant-colonel, et deux ou trois de ses frères également officiers dans l’armée. Quand on sait qu’à cette époque seuls les nobles avaient des chances d’avancement dans l’armée. on reste convaincu que M. Le Mercier appartenait à une famille assez en vue.
  2. Dussieux, Le Canada sous la domination française, p. 372.
  3. J.-Edmond Roy, Rapport sur les Archives de France, p. 869.