Bibliothèque historique et militaire/Histoire générale/Livre XXV

Histoire générale
Traduction par Vincent Thuillier.
Texte établi par Jean-Baptiste Sauvan, François Charles LiskenneAsselin (Volume 2p. 911-917).
FRAGMENS
DU

LIVRE VINGT-CINQUIÈME.


I.


Lycortas rétablit les Messéniens dans leur premier état. — Dissimulation des Romains à l’égard des Achéens. — Sparte est attribuée à la ligue d’Achaïe. — Ambassade à Rome de la part des citoyens et des exilés de Lacédémone.


Les Messéniens, qui, par leur imprudence, étaient tombés dans l’état le plus déplorable, furent par la générosité de Lycortas et des Achéens réunis à la ligue dont ils s’étaient séparés. Cette ligue acquit encore alors Abie, Thurie et Phare, qui, pendant la guerre de Messène, s’étaient détachées des Messéniens, et avaient élevé chacune une colonne particulière. Quand on apprit à Rome que les Achéens avaient heureusement terminé la guerre contre les Messéniens, on n’y tint plus aux ambassadeurs le même langage qu’on leur avait tenu avant le succès. Le sénat leur dit qu’il avait pris garde que personne ne portât d’Italie à Messène ni armes ni vivres : réponse qui fit évidemment connaître qu’il était fort éloigné de négliger ou de mépriser les affaires de dehors, et qu’au contraire, il trouvait mauvais qu’on ne le consultât point sur toutes choses, et qu’on ne suivît pas en tout ses avis.

Les ambassadeurs lacédémoniens, étant enfin arrivés de Rome, dirent ce que le sénat leur avait répondu. Sur la nouvelle qui s’en répandit, Lycortas assembla le peuple à Sicyone, et y mit en délibération si l’on recevrait Sparte dans la ligue des Achéens. Pour porter la multitude à l’y recevoir, il représenta que les Romains, à la disposition desquels on avait ci-devant abandonné cette ville, ne voulaient plus en être chargés ; qu’ils avaient déclaré aux ambassadeurs que cette affaire ne les regardait pas ; que ceux qui, dans Sparte, étaient à la tête des affaires, souhaitaient entrer dans la ligue, qu’il trouvait à l’admettre deux avantages considérables : le premier, qu’ils s’associeraient un peuple qui leur avait accordé une fidélité inviolable ; l’autre, que les Achéens n’auraient plus parmi eux et dans leur conseil ces anciens bannis dont ils avaient éprouvé l’ingratitude et l’impiété, qu’on les chasserait hors de la ville pour y recevoir d’autres citoyens qui, amis du gouvernement, auraient une reconnaissance proportionnée au bienfait qui leur aurait été accordé. Tels furent les raisons et les motifs dont Lycortas se servit pour engager sa nation à joindre Sparte à la ligue des Achéens. Diophane et quelques autres prirent la défense des exilés. « N’est-ce pas assez, disaient-ils, qu’ils soient interdits et chassés de leur patrie ? Voulez-vous encore aggraver leurs infortunes en faveur d’un petit nombre de personnes, et prêter votre puissance à ceux qui, contre tout droit et raison, les ont éloignés de leurs foyers ? » Malgré cette opposition, le conseil décida que Sparte serait reçue dans la ligue, et, en effet, elle y fut reçue, et l’on en grava le décret sur la colonne. À l’égard des anciens bannis, on ne fit grâce qu’à ceux d’entre eux qu’on ne pouvait convaincre d’avoir rien entrepris contre la nation des Achéens.

Cette affaire finie, les Achéens députèrent à Rome Bippe d’Argos pour informer le sénat de ce qu’ils avaient fait. Les Lacédémoniens y envoyèrent Charon et les exilés Clétis, pour défendre leur cause contre les ambassadeurs des Achéens. Il en fut aussi de la part d’Eumène, d’Ariarathe et de Pharnace. Les ambassadeurs de ces trois princes eurent audience les premiers. Il n’était pas besoin que les pères les écoutassent long-temps. Ils étaient déjà informés de la modération d’Eumène, de l’avarice et de l’orgueil de Pharnace par Quintus Marcius et les autres commissaires qu’ils avaient députés pour connaître de la guerre qui était entre ces deux princes. Ils répondirent qu’ils enverraient de nouveaux commissaires pour examiner encore plus exactement de quoi il s’agissait entre les deux rois. On appela ensuite les exilés de Lacédémone avec ceux que les habitans avaient députés. Après avoir entendu les uns et les autres, on ne dit rien aux ambassadeurs de la ville qui marquât que l’on fût mécontent de ce qui s’était passé. Pour les exilés, on leur promit qu’on écrirait aux Achéens de leur permettre de retourner dans leur patrie. Quelques jours après, Bippe, député de la part des Achéens, fut introduit dans le sénat, et y rapporta de quelle manière les Messéniens avaient été rétablis dans leur premier état, et non-seulement on ne désapprouva rien de ce qu’il avait dit, mais on lui fit encore beaucoup d’honneurs et d’amitiés. (Ambassades.) Dom Thuillier.


II.


Rétablissement des bannis de Lacédémone refusé.


Les exilés de Lacédémone ne furent pas plutôt revenus de Rome dans le Péloponnèse, qu’ils remirent aux Achéens les lettres qu’ils avaient reçues pour eux de la part du sénat, et par lesquelles on leur mandait de rétablir les exilés dans leur patrie. On leur répondit qu’on attendait pour délibérer sur ces lettres, que les ambassadeurs achéens fussent de retour de Rome. Après quoi l’on grava sur une colonne le traité qui avait été conclu avec les Messéniens, et on leur accorda l’indemnité pour trois ans ; de sorte que le dégât qui s’était fait dans leur pays ne leur fut pas plus préjudiciable qu’aux Achéens. Peu après, Bippe arriva de Rome, et rapporta que quand le sénat avait écrit en faveur des exilés, c’était moins parce qu’il avait leur rétablissement à cœur, que pour se délivrer de leurs importunités. Sur cette assurance, les Achéens jugèrent qu’il ne fallait rien changer à ce qui avait été réglé. (Ibid.)


III.


Les Romains tâchent en vain de porter Pharnace à vivre en paix avec Eumène et Ariarathe.


Dans l’Asie, Pharnace, sans se mettre en peine de ce que les Romains décideraient, fit partir Léocrite à la tête de dix mille hommes pour piller la Galatie, et, au commencement du printemps, il assembla ses troupes comme pour se jeter dans la Cappadoce. Eumène, indigné de voir les traités les plus solennels si indignement violés, amassa aussi ses troupes. Toutes étaient prêtes à partir, lorsque Attalus arriva de Rome. Après quelques conférences sur l’affaire présente, ils marchèrent ensemble contre Léocrite, qu’ils ne trouvèrent point dans la Galatie, et s’avancèrent vers Pharnace. Dans la route ils rencontrèrent des députés qui, de la part de Carsignat et de Gésotore, lesquels avaient auparavant pris le parti de Pharnace, demandaient qu’on ne leur fît point de tort, et promettaient de faire tout ce qui leur serait ordonné ; mais les deux rois, irrités de l’infidélité de ces princes, ne voulurent pas les écouter. De Calpite, en cinq jours, ils arrivèrent au fleuve Halys, et six jours après à Amise. Là, le roi de Cappadoce joignit son armée aux leurs, et tous trois ensemble firent le dégât dans le plat pays. Ils y étaient campés lorsque les ambassadeurs qui avaient été envoyés de Rome pour la paix arrivèrent. La nouvelle en étant venue à Eumène, il pria Attalus d’aller au-devant d’eux ; et, pour leur faire voir qu’il était par lui-même en état de résister à Pharnace, et même de le mettre à la raison, il augmenta le nombre de ses troupes, et les fournit de tout ce qui pouvait leur être nécessaire.

Quand les ambassadeurs furent arrivés, ils exhortèrent Eumène et Ariarathe à ne pas prolonger plus long-temps la guerre. Les deux princes témoignèrent qu’ils étaient prêts à mettre bas les armes ; mais ils prièrent les députés d’assembler un conseil où Pharnace se trouvât avec eux, afin qu’ils pussent le convaincre, en face, de sa perfidie et de sa cruauté ; que s’il n’était pas possible de l’y faire venir, au moins ils examinassent en juges droits et équitables les plaintes qu’il y avait contre ce prince. Les ambassadeurs ne purent se refuser à des demandes si justes et si raisonnables ; mais ils représentèrent aux deux rois qu’il fallait auparavant qu’ils retirassent leurs armées du pays, qu’on les avait envoyés pour terminer la guerre, et que des actes d’hostilité s’accorderaient mal avec des conférences sur la paix. Eumène y consentit, et, dès le lendemain, il décampa pour se retirer dans la Galatie. Les ambassadeurs, sur-le-champ, vont trouver Pharnace, et tâchent de le persuader que, de tous les moyens d’accommoder les affaires, le plus sûr était d’avoir une conférence avec Eumène. Cet expédient ne plaît point à Pharnace ; il le rejette absolument, et donne à penser, par ce refus, qu’il se reconnaît coupable, et qu’il se défie des raisons qu’il apporterait pour se justifier. Comme, cependant, les ambassadeurs étaient résolus de finir la guerre par quelque voie que ce fût, ils ne le quittèrent pas qu’il n’eût consenti à envoyer des ambassadeurs sur la côte de la mer pour conclure la paix aux conditions qu’ils lui prescriraient. Ils se retirèrent ensuite, et rejoignirent Eumène avec les plénipotentiaires de Pharnace. Du côté des Romains et du roi de Pergame, il n’y eut rien qu’on n’accordât ; mais de la part des ambassadeurs de Pharnace on ne vit que chicane, que résistance. À peine était-on convenu de quelque chose avec eux, qu’ils en demandaient une autre ou changeaient de sentiment. Les députés romains, voyant qu’ils travaillaient en vain et que Pharnace n’accepterait aucune condition, sortirent de Pergame sans avoir rien fait. Ceux de Pharnace retournèrent de même chez eux : la guerre continua de se faire, et Eumène recommença à s’y préparer. Les Rhodiens alors l’ayant prié de se transporter à Rhodes, il y fut à grandes journées pour prendre la conduite de la guerre contre les Lyciens. (Ambassades.) Dom Thuillier.


IV.


Eumène envoie ses frères à Rome. — Promesses qu’ils en reçoivent de la part du sénat.


Le traité conclu entre Pharnace, Attalus et les autres, chacun reconduisit ses troupes dans ses états. Eumène alors était à Pergame, où il se rétablissait d’une grande maladie qu’il avait eue. Il apprit avec beaucoup de plaisir la nouvelle, que lui apportait Attalus, de la conclusion du traité, et il se proposa d’envoyer tous ses frères à Rome. Deux motifs l’y portaient. Par là il espérait mettre fin à la guerre qu’il avait avec Pharnace, et il était bien aise de faire connaître ses frères aux amis qu’il avait dans Rome et dans le sénat. Ils se disposent donc au voyage, ils arrivent. Ils étaient déjà connus dans cette ville par une infinité de personnes qui avaient porté les armes avec eux dans l’Asie. On leur fit un accueil magnifique. Le sénat surtout n’épargna rien pour les bien recevoir. Il les logea, et les traita splendidement. On leur fit de grands présens, on leur accorda l’audience la plus favorable. Introduits dans le sénat, ils rappelèrent dans un long discours les effets de l’étroite liaison que leur maison avait depuis long-temps avec les Romains ; ils portèrent leurs plaintes contre Pharnace, et demandèrent avec instance qu’il fût puni comme il méritait. La réponse du sénat fut gracieuse. On leur promit qu’on enverrait sur les lieux des ambassadeurs qui tenteraient toutes sortes de voies pour finir la guerre. (Ibid.)


V.


Pourquoi les Achéens choisirent pour ambassadeurs vers Ptolémée Lycortas, Polybe son fils et le jeune Aratus.


Ptolémée (Épiphane), voulant faire alliance avec les Achéens, leur envoya un ambassadeur, avec promesse de leur donner six galères à cinquante rames armées en guerre. Le présent parut digne de reconnaissance, et l’on accepta les offres du prince. En effet, cela valait à peu près dix talens. Pour remercier Ptolémée des armes et de l’argent qu’il avait déjà auparavant envoyés, et pour recevoir les galères, les Achéens choisirent dans leur conseil Lycortas, Polybe et le jeune Aratus. Lycortas fut choisi par la raison, qu’étant préteur dans le temps qu’on avait renouvelé l’alliance avec Ptolémée, il avait pris avec chaleur les intérêts de ce prince. On lui associa Polybe, quoiqu’il n’eût point encore atteint l’âge prescrit par les lois, parce que c’était son père qui avait été député pour renouveler l’alliance avec le roi d’Égypte, et apporter dans l’Achaïe les armes et l’argent que ce prince avait donnés à la ligue des Achéens. Enfin on joignit Aratus aux deux autres, parce que ses ancêtres avaient été fort aimés des Ptolémées. Cette ambassade ne sortit cependant pas de l’Achaïe, parce que lorsqu’elle se disposait à partir, Ptolémée mourut. (Ibid.)


Chœron.


Ce Lacédémonien, l’année précédente, avait été député à Rome. Quoique jeune, de basse naissance et mal élevé, il ne laissait pas que d’avoir de l’habileté pour les affaires. Par les mouvements qu’il excita parmi le peuple, et par une entreprise que tout autre que lui n’aurait osé tenter, il se fit en peu de temps de la réputation. D’abord il distribua légèrement et en parties inégales, aux plus vils citoyens, les terres que les tyrans avaient accordées aux sœurs, aux femmes, aux mères et aux enfans de ceux qui avaient été bannis. Ensuite, sans égard pour les lois, sans décret public, sans l’autorité du magistrat, il usa des richesses de l’état comme si elles lui eussent appartenu, et dissipa en folles dépenses les revenus de la république. Quelques citoyens, indignés de cette conduite, demandèrent avec des instances réitérées que, suivant les lois, on établît des questeurs pour garder le trésor public, ce qui fut exécuté. Mais Chœron, que sa conscience inquiétait, prit des mesures pour se mettre à l’abri des perquisitions de ces nouveaux officiers. Un d’entre eux, nommé Apollonides, était le plus capable de pénétrer dans toutes ses malversations. Il aposta quelques assassins qui le massacrèrent lorsqu’il revenait du bain. Cette nouvelle, portée chez les Achéens, souleva toute la multitude contre l’auteur du meurtre. Le préteur partit aussitôt pour Lacédémone ; là il se saisit de Chœron, lui ordonna de répondre sur le crime dont il était accusé, et après l’avoir condamné, il le fit jeter dans un cachot. Il exhorta ensuite les autres questeurs à rechercher avec soin les deniers publics, et à faire en sorte que les terres enlevées aux parens des bannis leur fussent exactement rendues. (Ibid.)


Philopœmen et Aristène.


Entre ces deux préteurs des Achéens, on remarquait une grande différence, soit du côté du caractère, soit dans la manière de gouverner. Le premier était né pour la guerre ; le corps et l’esprit semblaient être faits pour cela. L’autre était propre à délibérer et à haranguer dans des conseils. On reconnut surtout en quoi l’un différait de l’autre, lorsque la république romaine étendit sa puissance et son autorité dans la Grèce, c’est-à-dire au temps des guerres de Philippe et d’Antiochus. Alors la politique d’Aristène consistait à faire sans délai tout ce qu’il croyait être de l’intérêt des Romains, quelquefois même avant qu’il en reçût ordre de leur part. Il tâchait cependant de couvrir son attachement pour eux de quelque apparence de zèle pour les lois, et quand il arrivait qu’on lui demandât quelque chose qui leur était ouvertement contraire, il se défendait de l’accorder. Philopœmen agissait d’une autre façon. Si ce que les Romains exigeaient de l’Achaïe était conforme aux lois et aux traités d’alliance faits avec eux, sur-le-champ et sans chicane il exécutait leurs ordres ; mais quand leurs prétentions passaient au-delà de ces bornes, il ne pouvait se résoudre à s’y soumettre de lui-même. Il voulait que d’abord on leur fit connaître les raisons qu’on avait de ne pas s’y rendre ; ensuite qu’on en vînt aux prières, et qu’on les suppliât de se renfermer dans les traités : s’ils demeuraient inflexibles, qu’on prît alors les dieux à témoin de l’infraction, et que l’on obéît. (Ambassades.) Dom Thuillier.


VI.


Qu’on a tort de détruire les récoltes de l’ennemi.


Jamais je ne serai de l’avis de ceux qui se laissent aller à la colère, au point de détruire non-seulement les récoltes, mais les arbres et les maisons, portant la désolation dans tous les lieux. Je pense d’ailleurs que ceux qui agissent ainsi commettent une grande faute ; car, tandis qu’ils croient épouvanter l’ennemi en ravageant son territoire, et en le privant actuellement et pour l’avenir des choses nécessaires à son existence, ils ne font que l’exaspérer et rendre sa haine implacable.

Ce fut en Crète l’origine de grands événemens, si toutefois on peut dire qu’il y ait eu une origine aux événemens de Crète ; car, grâce à la perpétuité des discordes civiles, et à l’excès des cruautés qu’elles engendrèrent, l’origine des événemens, dans ce pays, en est aussi la fin ; et, ce qui paraîtrait ailleurs extraordinaire et incroyable, n’est là que naturel et conséquent.


Politique d’Aristène différente de celle de Philopœmen.


Aristène raisonnait de cette manière devant les Achéens au sujet de leur différend. Il disait qu’on ne peut prétendre à garder l’amitié des Romains en se servant du caducée et de la lance..... Mais si nous sommes assez forts pour marcher contre eux..... Philopœmen a osé dire..... Pourquoi donc, désirant l’impossible, laisserions-nous échapper ce que nous pouvons avoir ? Il y a deux buts à toute politique, le beau et l’utile ; et si cette possession du beau se peut réaliser, ceux qui sont habiles doivent y tendre, sinon il faut s’en tenir à la part de l’utile ; mais abandonner l’un et l’autre est le comble de l’impéritie. C’est pourtant ce que font les Achéens quand ils reconnaissent les ordres qu’on leur donne, et qu’ils les exécutent mollement et avec tiédeur. C’est pourquoi il faut, ou montrer que nous pouvons ne pas obéir, ou ne pas tenir un pareil langage, et obéir en effet de bonne grâce.


Philopœmen demandait à l’assemblée si on le croyait assez ignorant pour ne pas savoir discerner en quoi diffère le gouvernement de Rome de celui des Achéens, et combien ce premier gouvernement est supérieur à l’autre. « Mais, dit-il, toute puissance supérieure étant lourde aux plus faibles, que faut-il faire ? Nous unir de toutes nos forces à des maîtres, et ne pas manifester d’opposition pour subir aussitôt les ordres les plus durs, ou bien nous roidir tant que nous pourrons, et retarder notre esclavage ?..... S’ils ordonnent, nous rappelant cela, nous reprendrons courage, et nous repousserons ce qu’il y aura d’amer dans leur domination, surtout parce qu’il est reconnu que jusqu’à ce jour, comme vous le dites, Aristène, les Romains ont fait le plus grand cas des sermens, de l’observation des traités, enfin de la fidélité envers les alliés. Mais si, désespérant de l’équité de notre cause, nous nous soumettons comme des prisonniers de guerre à leur volonté, en quoi différera la nation achéenne des Siciliens, des Tyrrhéniens, que chacun sait être depuis long-temps plongés dans l’esclavage ? C’est pourquoi, dit-il, ou nous devons convenir que la justice des Romains n’est qu’un vain nom, ou si nous n’osons le proclamer, user de notre droit, et ne pas regarder notre cause comme désespérée quand les plus grandes et les plus belles occasions semblent s’offrir à nous de lutter contre les Romains. Il viendra, je le sais, un temps pour les Grecs où il faudra obéir à des ordres ; mais cherchons s’il faut rapprocher ce temps ou l’éloigner. Je pense qu’il faut l’éloigner. C’est en cela, ajouta-t-il, que les idées d’Aristène diffèrent des miennes ; car il veut accomplir, le plus tôt possible, des événemens dont il entrevoit l’issue ; il s’y emploie, il y met toutes ses forces ; et moi je mets toutes les miennes à opposer de la résistance afin de reculer ces événemens. » On voit, d’après ce que nous venons de rapporter, que la politique de l’un était belle, celle de l’autre paraît sage, et tous deux avaient en vue le bonheur du pays. Mais alors de grandes choses s’apprêtaient pour Rome et la Grèce, sans parler de Philippe et d’Antiochus. Cependant Aristène et Philopœmen maintenaient l’intégrité du sol achéen contre les Romains. Le bruit courut néanmoins qu’Aristène était mieux prévenu en leur faveur que Philopœmen. (Angelo Mai et Jacobus Geel, ubi suprà.)