Bibliothèque historique et militaire/Guerre du Péloponnèse/Suite et fin de la guerre

Guerre du Péloponnèse
Anselin (1p. 452-454).




La guerre du Péloponnèse ne finit pas avec l’histoire de Thucydide. Xénophon, qui le premier fit connaître cet œuvre immortel, l’a continué dans son livre des Helléniques, et conduit l’histoire de la Grèce jusqu’à la deuxième bataille de Mantinée. Cet ouvrage admirable sous tant de rapports ne nous a pas paru de nature à intéresser aussi vivement nos lecteurs que la Cyropédie et la Retraite des Dix-Mille. Nous dirons même en passant que les batailles de Leuctres et de Mantinée sont présentées par Xénophon de telle sorte, qu’elles deviennent inintelligibles aux yeux du militaire le plus exercé. Ceci paraît bien étrange ; il ne l’est pas moins de voir Xénophon insinuer à son lecteur que le héros Thébain fit plus pour sa gloire que pour le véritable avantage de sa patrie. N’est-ce donc rien que de l’avoir élevée tout-à-coup à un aussi haut degré de splendeur ? Sans la mort d’Épaminondas, Thèbes allait peut-être balancer les destinées de la Grèce avec Athènes et Lacédémone. Revenons à la guerre du Péloponnèse.

Au temps où finit l’histoire de Thucydide, et où commence celle de Xénophon, Sparte jouissait d’une grande supériorité sur Athènes sa rivale ; elle lui disputait même l’empire de la mer, mais uniquement avec l’argent du roi des Perses, le secours des satrapes et les vaisseaux des alliés : elle avait à peine elle-même quelques galères.

Cependant il était presque sans exemple qu’une armée spartiate eût été battue ; et telle était l’influence de l’esprit qui, dans cette république, animait tous les membres de l’état, que la victoire suivait ses phalanges, lors même qu’elles n’étaient composées que d’alliés et de nouveaux citoyens.

Bien que la mer séparât Lacédémone de la plupart des contrées où elle faisait respecter ses lois, une bataille navale, quel qu’en fût le succès, n’opérait pas un changement sensible ou durable dans l’état de ses affaires, parce qu’on ne ferme pas la mer comme on bloque une ville, et que la constance des Spartiates suppléait à leur habileté et souvent même à la fortune qui, sur mer, semblait s’être déclarée en faveur des Athéniens.

Xénophon commence ses Helléniques par quelques événemens peu remarquables, et il décrit la conduite singulière des Athéniens à l’égard d’Alcibiade, qui les servait quoique banni, qu’ils aimaient et outrageaient tour-à-tour, mais qu’ils ne cessaient d’admirer et de craindre. L’historien fait ensuite le récit du combat des Arginuses, dont la perte eut entraîné celle d’Athènes, de cette ville orgueilleuse et imprévoyante qui succomba également après l’avoir gagnée, parce qu’elle ne put soutenir ce retour de prospérité.

Les Athéniens étaient bien supérieurs aux Spartiates pour le nombre des vaisseaux ; et le pilote de Callicratidas, commandant la flotte lacédémonienne, lui conseillait d’éviter le combat. « Ma mort, répondit Callicratidas, ne rendra pas Sparte moins heureuse, et il serait honteux de fuir. » Il périt dans le combat. De dix vaisseaux lacédémoniens, neuf furent coulés à fond. Les alliés de Sparte en perdirent soixante. Les Athéniens n’eurent À regretter que vingt-cinq vaisseaux. Cependant Ethéonice, qui assiégeait l’Athénien Conon dans Mitylène, sauva son armée, et ce qui restait auprès de lui de la flotte lacédémonienne.

Dix stratéges, en comptant Conon, commandaient les forces navales d’Athènes, lorsque la bataille des Arginuses fut gagnée. Ils furent tous cassés, à l’exception de Conon, et trois d’entre eux se bannirent eux-mêmes : on cita les six autres devant le peuple, pour n’avoir pas secouru ceux des leurs dont les vaisseaux avaient péri dans le combat.

Ils avaient pourtant détaché dans ce dessein, quarante-six vaisseaux, sous la conduite de Théramène et de Thrasybule ; mais une tempête empêcha ceux-ci d’exécuter leur entreprise, et le peuple voulait immoler des victimes aux citoyens qui avaient été privés de sépulture. Théramène, pour se sauver, accusa les généraux. Le sénat, consulté sur la forme du jugement, se laissa influencer par l’animosité de la multitude, et les six stratèges furent jugés par un seul suffrage du peuple assemblé. Les uns pouvaient être innocens, les autres coupables ; on les condamna tous à mort.

Un homme cependant rétablissait la marine de Sparte, et en moins d’une année parvenait à relever le courage de ses concitoyens. C’était Lysandre, replacé à la tête des troupes depuis la mort de Callicratidas. Ayant tourné ses armes vers l’Hellespont, il avait assiégé et pris Lampsaque, lorsque la flotte des Athéniens fit voile pour aller à sa rencontre.

Elle vint mouiller à Égos-Potamos, en face de Lampsaque, dans le dessein de combattre dès le lendemain même. Lysandre ayant rangé sa flotte en bataille, attendit les Athéniens, et affecta une sorte d’inaction sur laquelle ils prirent le change ; car dès que la nuit fut venue, ils débarquèrent sur la côte, et se répandirent çà et là sans crainte, comme s’ils eussent été loin de l’ennemi. Le lendemain, remontant à bord, ils présentèrent de nouveau, mais inutilement, le combat à Lysandre. Cette manœuvre se répéta pendant quatre jours de suite, malgré les avis salutaires qu’Alcibiade faisait passer aux Athéniens. Ils étaient sur une côte désavantageuse, où ils n’avaient aucune retraite, et la plus grande indiscipline régnait parmi les soldats et les matelots. Alcibiade offrait d’attaquer les ennemis par terre avec des troupes de Thrace ; mais ses conseils furent méprisés.

Enfin, le cinquième jour, Lysandre saisit l’instant où les Athéniens étaient descendus à terre, et fit avancer sa flotte. Conon, qui commandait celle des Athéniens, se voyant hors d’état de résister, s’échappa, avec neuf galères, et prit la route de Cypre.

Lysandre, maître du champ de bataille, cerne les Athéniens, les taille en pièces, et massacre tous ceux qui accourent pour monter sur les vaisseaux. Ensuite il descend à terre et achève d’exterminer les fuyards. Il fit trois mille prisonniers, parmi lesquels se trouvaient trois généraux. Cette terrible défaite amena la prise d’Athènes où Lysandre entra en conquérant, et termina la guerre du Péloponnèse qui durait depuis vingt-huit années.

Par le traité que dicta le vainqueur, il fut stipulé que les fortifications du Pyrée seraient démolies ; qu’Athènes ne conserverait que douze galères ; qu’elle retirerait les garnisons des villes dont elle s’était emparée ; qu’elle rappellerait les bannis, et qu’elle ne pourrait armer enfin qu’avec le consentement de Lacédémone.

Les alliés de Sparte voulaient qu’Athènes fût détruite. Thèbes surtout et Corinthe insistaient pour qu’on exterminât cette république insolente ; mais Athènes avait rendu de trop grands services à la Grèce ; on lui laissa la liberté de se gouverner à son gré. Le peuple mécontent de ses lois nomma trente commissaires pour les réformer, et ces commissaires devinrent les tyrans de la patrie. Ces tyrans ne jouirent pas long-temps de cette autorité absolue, qu’ils exerçaient en commun. Chacun d’eux désira d’en dépouiller ses collègues, et le peuple, incapable de supporter plus long-temps leur joug, courut aux armes, les attaqua de toutes parts, et les mit dans la nécessité de se réunir pour leur défense naturelle. Les dissensions nées entre ces tyrans donnèrent lieu à une guerre civile qui finit avec leur bannissement.


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