Bibliothèque historique et militaire/Essai sur les milices romaines/Chapitre XI

Essai sur les milices romaines
Asselin (Volume 2p. 187-198).

CHAPITRE XI.


Conquête des Gaules par les Romains. — État géographique et politique des Gaules, au temps de l’invasion de Jules César.


Nous avons vu les Gaulois, nomades ou vagabonds, courir jusqu’en Asie, par peuplades indépendantes, qui n’avaient point entre elles de liaison, et n’entretenaient même aucune correspondance avec la contrée d’où elles étaient originaires. L’historien les retrouve réduits à n’oser sortir de leur pays. Tous leurs efforts tendent maintenant à repousser les Barbares, et surtout ces terribles Romains qui, après leur avoir fermé l’Italie, voulurent les conquérir, comme ils subjuguèrent tous les peuples policés ou semi-barbares dont le nom parvint jusqu’à Rome ; tous, excepté les Parthes ou les Perses, qu’ils combattirent long-temps et ne soumirent jamais.

La Gaule était alors partagée entre une multitude de petits peuples ennemis l’un de l’autre. Leurs mœurs tenaient encore beaucoup de celles des nomades ; ils n’erraient plus ; mais leurs troupeaux les occupaient plus que l’agriculture, qu’ils cultivaient à peine.

Les Salyes, ou Salluves, ou Salves, habitaient au nord de Massilie ; les Oxybes et les Décéates s’étendaient à l’orient. Ces hordes, qui faisaient partie de la Ligurie, tentaient souvent des incursions sur le territoire de Marseille. Elle s’en plaignit à Rome, dont la coutume était d’interdire le droit des armes à ses alliés, et de se charger du soin de les défendre.

Rome envoya C. Popilius Lænas avec deux autres sénateurs, en ambassade chez les Oxybes, afin de les engager à respecter son alliée.

Ces trois députés voulurent débarquer à Ægitna, ville qui n’existe plus aujourd’hui, mais que l’on croit avoir été située en Provence à quelques lieues de l’embouchure du Var. Les Oxybes s’opposèrent à leur débarquement, attaquèrent les gens de Popilius, et le blessèrent lui-même.

Le consul Q. Opimius Nepos fut désigné pour venger cet outrage. Il assemble ses troupes à Plaisance, traverse toute la Ligurie, se rend à Ægitna, assiége cette ville et l’emporte d’assaut. On réduisit les habitans à l’esclavage, et le sénat fit punir de mort ceux qui avaient insulté l’ambassadeur romain.

Q. Opimius défit ensuite le reste de la nation des Oxybes, et les Décéates, qui leur envoyaient des secours. Il prit Antipolis (Antibes), ville voisine d’Ægitna.

On peut supposer que les Décéates avaient enlevé Antibes aux Massiliens, qui lui donnèrent le nom grec d’Antipolis, en face de la ville, pour exprimer la position de cette place, située vis-à-vis de Nice, autre ville fondée par eux, en commémoration d’une bataille qu’ils gagnèrent sur les Ligures ; car Nice signifie la ville de la victoire.

Le consul, ayant soumis les Oxybes et les Décéates, prit chez eux ses quartiers d’hiver, et donna aux habitans de Massilie une partie de leur territoire. Telle fut la première conquête des Romains dans la Gaule Transalpine. (Ans 600 de Rome ; 154 av. notre ère.)

Après vingt-neuf ans de tranquillité les Massiliens se plaignirent encore. Ils étaient en butte aux incursions des Salves, dont le territoire, dit-on, s’étendait de Marseille aux bords du Rhône, et de la mer à Térascon ; ce qui fait un empire de sept lieues de large sur onze ou douze de long.

Rome leur envoya le consul M. Fulvius Flaccus. Il revint au bout de deux ans, et triompha des Salves et des Voconces. Ce dernier peuple habitait entre la Durance et l’Isère, dans une étendue de pays d’environ trente lieues.

Le consul Sextius Calvinus lui succéda, et défit Teutomal, roi ou chef des Salves. Cette seule victoire soumit tout le pays. Teutomal s’enfuit chez les Allobroges, et l’histoire n’en parle plus. Le consul fonda une ville dans le lieu même où il avait gagné la bataille. Il y trouva des sources d’eau chaude, et fit construire des bains. Ce lieu, qui prit le nom des eaux de Sextius, Aquæ Sextiæ, est aujourd’hui la ville d’Aix, à quatre lieues de Marseille ; on y voit encore les bains de Sextius. Les légions romaines bâtirent la ville, et pour la peupler le consul appela une colonie.

Cn. Domitius illustra aussi son consulat par des conquêtes dans les Gaules et les chemins qu’il y construisit.

Q. Fabius Maximus, surnommé l’Allobrogique, pénétra dans ce pays plus avant que ses prédécesseurs. Florus dit que les Ædues, qui habitaient sur les rives de l’Arroux entre la Saône et la Loire, appelèrent les Romains à leur secours contre les Allobroges et les Arvernes (Auvergnats).

Bituitus, qui régnait sur les Arvernes, s’avança contre Fabius avec une nombreuse armée, et vint jusque sur les bords de l’Isère. Il fut vaincu, fait prisonnier et conduit à Rome, monté sur son propre chariot, que l’on dit avoir été d’argent. Son fils, offert aussi en spectacle au peuple, fut élevé à Rome, et rétabli par la suite dans ses états.

La victoire du consul Fabius acheva de soumettre les provinces méridionales de la Gaule. Des Alpes aux Pyrénées, tous les peuples cédèrent sans opposer aucun effort.

Trois ans après cette conquête le consul Q. Marcius Rex conduisit une colonie à Narbonne ; car le soin des Romains fut toujours de peupler les déserts, de bâtir des villes, de donner des lois et de réparer les maux qu’ils faisaient par les armes. Cette colonie était la première qui parut dans la Gaule Transalpine. (Ans 656 de Rome, 118 av. notre ère.)

Aix ne formait encore à cette époque qu’une enceinte habitée par des soldats ; il y vint des colons romains quelque temps après ceux qui s’étaient établis à Narbonne.

Crassus fut un des triumvirs chargés de distribuer des terres autour de la ville de Narbonne. On la nomma Narbo-Martius, les colons confondant, par une allusion commune, le nom du conquérant avec celui du Dieu des batailles. C’est ce qu’auraient dû apercevoir les écrivains qui ont tant discuté pour savoir si elle tirait son nom d’un homme ou d’un Dieu, de Marcius ou de Mars.

Trois ans après la fondation de cette colonie, le consul M. Æmilius Scaurus vint dans les Gaules. Il fit passer au travers de la Ligurie une large route pour aller de l’Italie dans la Transalpine. On creusa aussi par ses ordres des canaux autour de Parme et de Plaisance, afin d’empêcher les nombreuses rivières de cette contrée d’inonder les campagnes en débordant. Ce sont les soldats de Scaurus qui entreprirent de tels travaux ; ceux de Sextius avaient bâti la ville d’Aix ; les troupes de Marcius creusèrent un canal pour joindre Narbonne à la mer ; la voie Domitia, qui allait des Alpes aux Pyrénées, était encore l’ouvrage des légions de Domitius.

Ces victoires, ces colonies, ces routes, ces canaux, et une multitude d’autres travaux qui devaient fortifier et embellir la Gaule, furent achevés en moins de quarante ans, à dater de la prise d’Ægitna. Pour tout autre peuple, on verrait un prodige ; ce n’était qu’un fait ordinaire chez les Romains.

Ils avaient nommé Gaule Narbonnaise ou province romaine le pays conquis autour de la Méditerranée, depuis les confins de la Ligurie jusqu’aux Pyrénées ; mais dans la vaste partie de la Gaule non soumise à leur domination, et qui, selon leurs calculs, comprenait tout l’espace contenu entre la province romaine, les Alpes, l’Océan et le Rhin, les Romains remarquèrent trois peuples très différens, bien qu’ils eussent entre eux assez de rapports pour ne paraître qu’une même race, quand on les observait avec attention.

Les Aquitains habitaient entre les Pyrénées et la Garonne ; les Celtes, que nous appelons Gaulois, dit César, sont situés entre la Garonne et la Seine ; les Belges, s’étendent au-delà de la Seine et de la Marne, jusqu’aux embouchures du Rhin. Chacun de ces peuples différant de mœurs, de coutumes, et même de langage, se divisait en une multitude de petits états indépendans, les uns sous un chef, les autres sous une espèce de sénat. Mais tous avaient des vices, des vertus et des erreurs communes.

Les Gaulois comptaient peu de villes, supposé qu’ils en eussent, puisque avant la conquête les anciens n’en ont connu et cité que six, dont cinq étaient près de la Méditerranée, dans des contrées où les Espagnols et les Massiliens portèrent un commencement de civilisation.

Ces villes sont Ægitna, détruite par le consul Opimius, et voisine de Marseille ; Ruscino et Illiberri, dont parle Polybe ; Pyrena, citée par Festus Favienus ; Narbonne, où les Romains envoyèrent une colonie ; enfin la sixième, qui se trouvait éloignée des possessions de Massilie, se nommait Corbilon, bâtie, dit-on, sur l’Océan, à l’embouchure de la Loire. Corbilon pourrait bien n’avoir été qu’un comptoir, un entrepôt des Phéniciens ou des Carthaginois ; car ce nom n’est pas plus celtique ou gallique que celui de Narbonne.

Ces deux dernières villes étaient si peu connues que Scipion, lorsqu’il cherchait Annibal dans les Gaules, ne put jamais apprendre des Massiliens où elles se trouvaient situées. Vous le comprenez bien, toutes ces prétendues villes ne méritent guère que le nom d’enclos.

Je ne crois pas que les anciens en aient cité aucune autre de la Gaule Transalpine, avant le temps où les Romains y entrèrent, si ce n’est celles que les Massiliens élevèrent en Provence et sur les côtes de la Méditerranée ; car il faut distinguer soigneusement les lieux et les temps.

Le défaut de villes ne prouve pas toujours qu’un pays soit désert. Les habitans vivaient alors dispersés sur leur territoire ; chacun plaçait sa cabane dans le lieu qui lui convenait, au bord d’un ruisseau, au pied d’une colline ou d’un arbre ; les troupeaux erraient à l’entour.

Lorsque les Romains commencèrent à connaître les Gaulois, ils les trouvèrent logés dans des cabanes rondes, construites en bois, enduites de terre grasse, et couvertes d’herbes ou de feuillage. On pratiquait une ouverture à la voûte pour laisser passer la fumée. Les Hottentots et les sauvages du Canada ne sont pas autrement logés.

Ces hommes épars se rassemblaient à certaines époques dans un lieu indiqué pour délibérer sur ce qui intéressait tout le canton. Ce lieu fut souvent appelé ville, Oppidum, quoique l’assemblée se tînt en rase campagne. Les Romains lui donnaient même le nom de cité.

Dans leur langue, le mot civitas ne signifiait pas un amas de maisons, mais la république, la totalité des citoyens, soit qu’ils habitassent à Rome ou dans la campagne ; ce mot désignait enfin tous ceux qui pouvaient voter et prendre part à la chose publique.

La plupart des lieux où les Gaulois tenaient ces assemblées sont devenus de véritables villes dans la suite des temps, lorsque, la vie nomade cédant à la vie agricole, ces peuples adoptèrent l’usage de s’enfermer dans des murs. Ce fut un art qu’ils apprirent des Grecs établis sur leurs rivages.

Les anciens ont dit que la chasse et la guerre étaient les seules occupations des Gaulois, et que l’agriculture fut long-temps abandonnée aux femmes et aux enfans. On a retrouvé ce même usage chez les sauvages de l’Amérique dans ces derniers siècles.

L’inégalité des conditions était déjà établie chez eux : ils avaient des seigneurs de cantons, une sorte de noblesse et des esclaves. Ainsi l’humanité y souffrait à peu près les mêmes affronts qu’elle a reçus partout. On doit avouer cependant qu’elle fut plus respectée dans la personne des femmes que chez aucun autre peuple, s’il est vrai, comme on nous l’assure, que la polygamie ne pénétra jamais dans les Gaules.

Je ne parlerai point d’un prétendu tribunal tenu par des femmes, dont plusieurs bénédictins, très savans d’ailleurs, nous font un grand éloge. Tout ce qu’ils en disent n’est fondé que sur un seul passage de Plutarque ; sur un autre de Polyen, qui écrivait soixante-seize ans après lui, et le copiait sans aucun examen.

Plutarque, homme vrai, mais historien peu fidèle, s’abandonne trop souvent à son penchant pour les fables. Au reste il semble moins parler ici d’un tribunal que de la déférence des Gaulois pour leurs femmes, et cette déférence est un trait de caractère qui se retrouve encore. Il existe peu de contrées où les femmes soient plus consultées qu’en France ; elles y prennent part à toutes les affaires, mais elles ne forment nulle part un tribunal.

Les Grecs et les Romains ont accusé les Gaulois d’être adonnés à l’ivrognerie : c’est le vice des peuples septentrionaux. Diodore de Sicile dit même que les Gaulois donnaient volontiers un esclave pour une amphore. Ce fait semble indiquer que les peuples dont il parle, sans désigner s’ils étaient Cisalpins ou Transalpins, ne cultivaient pas la vigne à cette époque, et qu’ils avaient beaucoup d’esclaves et de captifs. Ils savaient déjà fabriquer une liqueur fermentée, une espèce de bière.

La chaleur des pays méridionaux les incommodait. Florus les compare à la neige, qui fond aussitôt qu’elle s’échauffe ; et l’on sait que jusqu’à ces derniers temps l’Italie avait toujours été regardée comme le tombeau des armées françaises. Dion Cassius dit comme Tite-Live, comme Jules César, que l’audace des Gaulois surmontait d’abord tous les obstacles, mais qu’elle se dissipait bientôt, et les laissait tomber dans le découragement.

On convient que les Gaulois étaient hospitaliers, qu’ils accueillaient bien les étrangers, et les importunaient souvent par des questions indiscrètes. La plupart de ces traits caractérisent encore leurs descendans.

Voici le portrait que Silius Italicus trace de nos ancêtres, dans son poème sur la seconde guerre punique, lorsqu’il les peint découragés par la conduite sage de Fabius, et voulant quitter le camp d’Annibal.

D’un naturel flexible et d’un esprit changeant,
Le Gaulois, né féroce, agit en inconstant,
S’exprime en fanfaron, et combat en barbare.
Retenu dans son camp (repos pour lui bien rare),
Indigné de se voir les armes à la main,
Sans étancher la soif qu’il a du sang humain,
Il voulait retourner dans ses froides demeures.

La Gaule s’affaiblit vraisemblablement par les ravages des Cimbres, des Teutons, des Ambrons, et par la défaite des Tectosages. On expliquerait peut-être ainsi la cause du calme dans lequel vécurent les Gaulois pendant les cinquante années qui suivirent les incursions des provinces du Nord (la Celtique et la Belgique), non soumises aux Romains. Il ne se fit aucune excursion vers les provinces du Midi. L’Aquitaine, qui s’étendait des Pyrénées à la Garonne, et n’appartenait pas encore à la république, demeura dans le même repos. S’il y eut des troubles, ce fut dans le sein même de l’Italie.

Les Romains, après avoir conduit leurs armées triomphantes des Alpes au mont Atlas, et du fond de l’Asie-Mineure aux extrémités occidentales de l’Espagne et des Gaules, les Romains, trop puissans pour craindre les entreprises des nations étrangères ou des Barbares du Nord, se divisèrent eux-mêmes, et déchirèrent la république de leurs propres mains.

Les peuples d’Italie, qu’ils appelaient leurs alliés, voulurent partager les droits et les titres de ces maîtres du monde. Ils représentèrent au sénat que Rome triomphait surtout par eux, puisqu’ils composaient toujours les deux tiers de ses armées.

Les alliés furent battus, faute de chefs ; car ces généraux, vainqueurs de tant de nations, étaient des citoyens romains. Caton défit les Étrusques ; Gabinus, les Marses ; Carbon, les Lucaniens ; Sylla, les Samnites ; Marius et Pompée Strabon, père du grand Pompée, achevèrent de tout dompter.

Afin de diviser tant de peuples conjurés, le sénat fait des concessions à ceux qui n’étaient pas entrés dans cette ligue ; bientôt il gagne les vaincus eux-mêmes, en leur accordant ce qu’il avait dû refuser d’abord.

Cependant Mithridate, nous l’avons vu, attaquait l’orient de la république. Le gladiateur Spartacus faisait révolter les esclaves en Italie, et y joignait quelques troupes des Gaulois. La guerre de Marius et de Sylla servit de prélude aux commotions si terribles qui devaient détruire cet empire immense ; et les Espagnes étaient soulevées par les querelles sanglantes de Sylla et de Sertorius.

Les citoyens de Rome sont devenus plus puissans que des rois. Les villes, les peuples, les royaumes qui se mettent sous la clientèle de divers sénateurs, font de chacun d’eux des espèces de souverains qui ne peuvent plus vivre en paix. Il était impossible que les Gaules ne fussent pas ébranlées par de si grands mouvemens.

Tandis que Sertorius se défendait en Espagne contre les attentats de Sylla, les armées romaines traversèrent fréquemment notre pays. Æmilius Lepidus, consul et préteur de la Gaule, fit soulever les Helvètes, habitant les rochers du Vivarais ; les Voconces, situés entre la Durance et l’Isère ; et les Volkes Arecomikes qui vivaient au fond du Languedoc près de la Méditerranée. Lepidus passa ensuite en Italie, y fut défait par Catulus et par Pompée, et alla expirer en Sardaigne. Fonteius lui succéda en qualité de préteur de la Gaule.

Pompée, allant combattre Sertorius, remit sous le joug les Helvètes, les Voconces et les Arecomikes. Suivant l’usage des Romains, il leur ôta une partie de leurs terres, et en fit un nouveau présent à la fidélité des Massiliens. Fonteius fut chargé d’exécuter son décret.

Les Voconces s’y opposèrent, et vinrent mettre le siége devant Narbonne ; mais ils furent dispersés par le préteur. Des colonies romaines arrivèrent à Toulouse, à Beziers, à Ruscino ; des agriculteurs se répandirent dans les campagnes, et les défrichèrent.

Contraint de repasser les monts et de se retirer dans la Gaule Narbonnaise, Pompée écrivit au sénat que ses troupes avaient vécu pendant une année entière des seuls approvisionnemens fournis par la Gaule, mais que cette province était épuisée. Le sénat envoya des secours plus considérables à Pompée ; il reparut en Espagne, et termina la guerre.

À son retour, il fit dresser sur la cime d’une montagne des Pyrénées un superbe trophée au pied de sa statue, avec une inscription fastueuse qui disait au monde que Pompée, vainqueur depuis les Alpes jusques au fond de l’Espagne, avait soumis huit cent soixante-seize villes. La plupart étaient en Espagne ; et quelles villes encore, quel abus de mots, pour flatter le peuple de Rome et mendier les honneurs du triomphe !

Cependant Induciomare, député par les Gaulois, vint se plaindre au sénat des vexations de Fonteius et du rapt des terres fait sur l’ordre de Pompée. Cicéron prit la défense du préteur contre les peuples, et traita les Gaulois avec le plus profond mépris.

Nous ignorons le jugement du sénat ; une partie du plaidoyer de Cicéron s’est perdue. On voit seulement par ce qui en resté que les Grecs de Marseille, les colons romains de Narbonne, de simples laboureurs et des bergers latins, répandus dans la Gaule, prirent parti pour le préteur, dont les exactions favorisaient leurs établissemens.

Quelques années après, et sur les plaintes des Allobroges, Cicéron défendit Calpurnius Pison, autre préteur de la Gaule. On voit que le sénat, en soumettant tous les peuples, donnait au moins un moyen légal de résister aux oppresseurs, et d’en obtenir une prompte justice.

La douceur et l’équité de Murena, successeur de Pison, pacifièrent d’abord les esprits. Les intrigues de Catilina avaient bien réveillé l’humeur belliqueuse des Allobroges ; mais la vigilance de Cicéron fit avorter les projets du conspirateur. Il périt avant que les Allobroges fussent en état de seconder ses vues ; et lorsque ce peuple, sous la conduite de Catugnat, se jeta sur la Gaule Transalpine, il fut battu par le préteur Pontinius, à qui cette victoire procura le triomphe.

Ces faibles soulèvemens, mal combinés, sont à peine dignes d’entrer dans une table chronologique. Ils n’empêchèrent point le plus grand nombre des habitans de la Gaule Narbonnaise de rester soumis. On découvre même que, pendant ces temps de troubles, ce peuple tourna du côté de l’agriculture l’inquiétude naturelle de son caractère. (Nous l’avons déjà remarqué.)

Il y eut quarante-trois années d’intervalle entre l’excursion des Cimbres et celle de César ; et du jour que le consul Opimius s’empara de la première ville de la Gaule Transalpine qui soit tombée sous les armes de Rome, jusqu’à celui où Jules César obtint du sénat le gouvernement des deux Gaules, il s’écoula quatre-vingt-seize ans.

La vie de l’homme est si courte que ceux qui ont calculé sa durée comptent près de quatre générations par siècle. Ainsi la race humaine, à l’exception de quelques vieillards, s’était renouvelée trois fois depuis l’entrée des Romains dans la Gaule, et deux fois à partir du moment où Marcius conduisit la colonie de Narbonne.

Pour un peuple étranger à toutes les connaissances humaines, la mémoire des plus grands événemens doit être bientôt effacée. Les races se succèdent et plient avec d’autant plus de facilité sous de nouvelles mœurs, qu’aucun établissement ne les attache aux anciennes.

Les Romains au contraire tenaient singulièrement à leurs constitutions ; l’on retrouve dans toutes leurs colonies les formes de la république. Leur incroyable activité ne se bornait pas à détruire, et nous avons vu avec quelle ardeur ils peuplèrent la Gaule Cisalpine.

Au-delà des Alpes ils fondent neuf colonies entre le Var et le Rhône, sur la seule Provence, et cinq au-delà de ce fleuve dans le Languedoc. Si l’on ajoute celles du Vivarais, du Dauphiné et de tous les pays méridionaux qu’ils désignaient sous le nom général de Province romaine, on trouvera au moins vingt-cinq de leurs colonies des Alpes aux Pyrénées.

Ces premiers établissements furent l’objet d’un décret du sénat ; les colons y étaient conduits par des triumvirs. Ils bâtissaient toujours la nouvelle ville sur le plan de la métropole. On y élevait un capitole, un cirque, un amphithéâtre et d’autres édifices semblables à ceux de Rome, afin d’en retracer perpétuellement l’image aux citoyens qui ne devaient plus la revoir.

On leur donnait aussi le même gouvernement que celui de l’ancienne patrie ; on ne changeait que les titres des premiers magistrats. Le peuple y tenait ses assemblées ; on y voyait un sénat. Chaque colonie payait un tribut.

Il y avait des villes latines fondées par des peuples du Latium ou de l’Italie, qui ne jouissaient pas des droits politiques à Rome ; mais elles différaient si peu des autres que les écrivains les confondent souvent. Quand les peuples de l’Italie eurent acquis ce privilége, le sénat le refusa encore à leurs colons qui n’avaient pas possédé quelque magistrature. Par la suite, des villes purement gauloises prétendirent aux mêmes franchises que les villes latines.

Sylla introduisit une troisième sorte de colonies inconnue jusqu’à lui, la colonie militaire. On envoyait des soldats dans une contrée, on leur partageait les terres, et les propriétaires légitimes étaient chassés. Il semble qu’avant le temps des proscriptions les peuples ne se plaignirent point qu’on usât envers eux d’une semblable tyrannie. Rome, qui la souffrait, la subit bientôt à son tour.

Outre ces colonies il existait des villes grecques fondées par les Massiliens sur toute la côte de la Méditerranée. Ces villes avaient commencé à faire connaître un peu d’agriculture aux Gaulois de leur voisinage ; mais elles s’occupaient bien plus de commerce que de civilisation.

Ce sont les Romains qui en cultivant les terres conquises, et en pénétrant dans l’intérieur de la Gaule, instruisirent ses habitants à élever des villes, à défricher les campagnes, à subsister des productions du sol, à se défendre enfin contre les incursions des Barbares. Ils ont peuplé, défriché la Gaule Narbonnaise. La Celtique, la Belgique et l’Aquitaine, dont nous connaissons à peine l’histoire avant la conquête des Romains, ont dû éprouver dans leurs mœurs un grand changement vers ces époques.

Vous savez que Rome honorait du nom d’alliés les Édues, qui formaient une sorte de république entre la Saône et la Loire, dans le lieu où ces deux fleuves se rapprochent considérablement. Rome avait encore donné le titre d’ami des Romains à Nitiobrige dans l’Aquitaine. Ces distinctions n’apportaient guère que de l’assujettissement à ceux qui les obtenaient.

La grandeur de Rome imposait tellement aux peuples de la Celtique et de l’Aquitaine qu’aucun d’eux n’osa plus se jeter sur l’Italie, sur l’Espagne, ou sur la Gaule Narbonnaise. Ils étaient donc réduits à vivre dans une demeure fixe, à défricher leur sol. C’est l’histoire de tous les peuples septentrionaux ; ils se déterminent à cultiver la terre lorsqu’ils ne peuvent plus la dévaster.

Si d’un côté les colonies romaines fermaient le midi de la Gaule à ses autres habitants, et leur donnaient l’exemple de vivre des productions du sol, de l’autre les Germains, ne pouvant plus fondre sur la Macédoine ni sur l’Italie, en furent plus enclins à envahir la Celtique. Ils concoururent ainsi à forcer ces divers peuples de rassembler leurs cabanes, de les enfermer dans des remparts de pieux, d’arbres abattus, de charpentes ; car telles étaient les villes (oppida) du temps de César. On n’y connaissait ni la brique, ni même l’emploi de la pierre.

César ouvre ainsi ses commentaires : La Gaule est divisée en trois parties ; l’une habitée par les Belges, une autre par les Aquitains, la troisième par les Celtes. Toutes diffèrent entre elles de langage, de coutumes et de lois.

Voilà bien trois nations dans l’étendue de ce pays nommé les Gaules, pays dont César ne spécifie pas les limites. Je dis nations parce que des peuples qui diffèrent de mœurs et de langage sont en effet des nations distinctes.

Les Gaulois ou Celtes proprement dits, ajoute César, sont séparés des Aquitains par la Garonne, et des Belges par la Marne et la Seine. Les Belges se montrent les plus robustes de tous, parce qu’ils se trouvent très éloignés de la province romaine, qu’ils n’en ont ni la civilisation, ni la politesse ; que les marchands y vont peu, et ne leur portent point les objets qui efféminent les âmes. Les Helvètes (les Suisses), par la même raison, surpassent en valeur les autres Gaulois, ayant presque journellement les armes à la main, soit pour défendre leurs frontières contre les Germains, soit afin d’attaquer celles de ces peuples.

La partie qu’habitent les Gaulois (les Celtes), s’étend du Rhône à l’Océan, et se trouve bornée au Midi par la Garonne, au Nord par la Belgique, à l’Orient par l’Helvétie, par le pays des Sequanes (la Franche-Comté) et le Rhin.

La Belgique s’étend depuis les confins des Gaulois (Celtes) jusqu’à l’embouchure du Rhin. Elle regarde le soleil levant. Cette expression vague, employée par César, désigne mal les limites.

L’Aquitaine va des Pyrénées à la Garonne et à la partie de l’Océan voisine de l’Espagne. Elle est tournée vers le couchant. Autre indication non moins vague que la précédente. La concision du style de César nuit quelquefois à la clarté de ses définitions.

Ainsi le pays des Séquanes et les pays situés au-delà du Rhône n’étaient point habités par les vrais Gaulois, c’est à dire les Celtes, quoique ces contrées et même l’Helvétie fussent connues sous la dénomination générale de la Gaule ou des Gaules Transalpines.

On voit aussi dans César que les Celtes n’étaient ni les plus braves, ni les plus robustes, ni les plus civilisés de la Gaule.

Mais tous les peuples compris entre les Alpes, les Pyrénées, le Rhin et l’Océan, se montraient belliqueux à tel point que les auteurs de l’antiquité conviennent qu’ils n’en ont pas connu qui les égalassent en courage. Cet excès de valeur a peut-être nui long temps à leur civilisation.

Ils étaient divisés en une multitude d’états indépendants ; chacun avait ses armes, et marchait à la voix de son chef. Un combat décidait du sort de la guerre ; les vainqueurs et les vaincus se dispersaient bientôt.

Tant que les Gaulois furent libres, ils conservèrent quelques usages de la vie nomade : l’amour des forêts, l’habitude de communiquer entre eux à de grandes distances, celle de se réunir soudainement, et de suivre sans réflexion le téméraire qui proposait une entreprise hardie. De là ces assemblées fréquentes, ces guerres que les petits peuples de la Gaule se faisaient tous les ans dans l’intervalle des semailles et des moissons.

Les travaux de la terre étaient imparfaits ; cependant l’application de ces peuples à la défricher annonçait un commencement de civilisation. Ce fut pour eux la cause de nouveaux malheurs. Les aliments nés de l’agriculture devinrent l’appât qui attirait les hordes des Germains ; et, forcées de respecter les frontières de l’Italie, elles se précipitèrent de ce côté.

Les Gaulois formaient probablement autant de peuples qu’ils avaient compté de hordes errantes. César n’en fait pas le dénombrement général ; mais il en nomme près de quatre-vingts dans ses Mémoires. Tous ne possédaient pas des villes ; César en cite vingt-huit ou trente. Nous savons que les conquérants Romains ses prédécesseurs n’en trouvèrent que six.

Il n’est pas vraisemblable non plus que les Gaulois connussent alors un système de gouvernement, une constitution fondamentale. La force, les circonstances introduisirent quelques usages dont aucun ne paraît avoir été stable ou admis généralement. Des factions sans cesse renaissantes divisaient les nations, les villes, et jusques aux familles.

Chacun de ces peuples formait un gouvernement particulier. La plupart avaient un chef à qui César donne le nom de roi. Cependant le fils ne succédait point à son père, ou du moins lui succédait rarement.

Chez quelques-uns on élisait ce chef tous les ans ; ailleurs son autorité durait autant que sa vie. Tous avaient des assemblées de nobles ou notables, que César appelle sénat. Ce sénat jouissait d’un faible crédit.

Mais de quelle manière définir ces nobles ? Des patriciens, comme à Rome ; des hommes dont les pères s’étaient distingués jadis dans la guerre ? Descendaient-ils des Druides, ou bien se trouvaient-ils choisis par eux pour les défendre ? César ne le dit pas. Chez les nations nomades il existe des races distinguées ; leur origine remonte à ces divers accidents trop communs parmi ces Barbares. Elles sont issues pour la plupart de chefs des hordes.

Quand on lit avec attention les Mémoires de César, on voit que nulle autorité n’était affermie chez les Gaulois. Les plus braves, les plus riches, les plus téméraires se disputaient par les cabales et par les armes, la domination de leur cité, comme celle des peuples voisins.

On n’y trouve nulle trace de ces grandes idées si chères aux Grecs et aux Romains, telles que l’amour de la patrie, la liberté des citoyens, le respect pour les lois. Le peuple, tenu dans l’abjection, n’entrait dans aucun conseil, ne formait point d’assemblée, n’avait aucune part aux honneurs, ni au gouvernement. Il était, dit César, aussi avili que les esclaves, et presque confondu avec eux.

Les prêtres, étant toujours chez les Barbares plus éclairés que le reste de la nation, comprirent de bonne heure que les hommes ne deviennent forts qu’en se réunissant, et composèrent leur ordre sur le modèle d’une armée. Ils eurent un chef, des sous-chefs et de simples soldats.

Ainsi fut organisé le corps des Druides. Il s’arrogea bientôt le privilége exclusif d’enseigner, de prédire, de sacrifier.

Les hordes devenant moins errantes, les Druides consacrèrent à leur culte des enceintes sacrées qui leur tinrent lieu de temples qu’ils ne savaient point bâtir. Les peuples y déposaient une partie de leur butin et de leurs récoltes. De là viennent ces richesses trouvées par les Romains dans les Gaules, ces trésors que l’on découvre quelquefois encore, et que l’on ne peut distinguer de ceux que la terreur a fait enfouir à des époques de calamités publiques.

Tous les ans le corps des Druides s’assemblait dans le pays des Carnutes que l’on supposait situé au centre des Gaules. Là, dans un lieu consacré, ces prêtres s’érigeaient en juges et citaient à leur tribunal les principales affaires. Tout homme élevé par eux demeurait soumis à leur juridiction sans pouvoir jamais s’en affranchir.

Si l’on en croît la plupart des écrivains, il semble que cet Ordre décidait de tout. Cependant l’histoire montre assez son impuissance pour empêcher les divisions intestines ; et l’on ne voit pas que les diverses nations de la Gaule aient long-temps goûté les douceurs de la paix.

Il est certain que les Druides jouissaient de grands privilèges, ce qui engageait beaucoup de jeunes gens à entrer dans ce corps. Ainsi, leur exemple et les principes établis par eux, au lieu de former dans la nation un esprit public, apprenaient à éluder les devoirs du citoyen, faisaient préférer les exemptions aux charges utiles de la société.

Ils enseignaient leur doctrine avec un grand mystère. Les Mages, les Shoen, les Brahmes, et en général tous les prêtres du monde enveloppent leurs dogmes d’obscurité, et en interdisent l’examen. C’est ce qui les distingue des savants, des vrais philosophes ; car ceux-ci au contraire recherchent la vérité pour la faire connaître, exposent leur doctrine afin qu’on la discute, et demandent qu’on les éclaire s’ils se trompent.

Pomponius Mela qui écrivit cinquante ou soixante ans après César, et paraît avoir bien connu les dogmes et le culte des Druides, nous apprend qu’ils se vantaient de connaître la forme et la grandeur de la terre, les mouvements des astres, et tout ce que les Dieux exigent de l’homme. C’est dans le fond des antres dit-il, que la jeunesse est instruite en secret pendant vingt ans. Un seul dogme, ajoute Mela, perce dans le peuple, sans doute pour l’exciter à braver la mort sur le champ de bataille ; ce dogme enseigne que les âmes sont éternelles, que les mânes jouissent d’une autre vie.

Lucain, contemporain de Pomponius Mela, nous a transmis en beaux vers cette croyance des Gaulois, ainsi que la barbarie de leur culte. On peut rendre ainsi ce passage :

Le cruel Teutatès ne peut être apaisé
Si du sang des humains l’autel n’est arrosé.
Ilesus et Taranis ont plus de barbarie
Que n’en eut la Diane adorée en Scythie.
C’est dans un antre obscur, c’est au fond des forêts
Que des Dieux le Druide annonce les décrets.
Si j’en crois ses discours, les pâlissantes ombres
N’habitent point l’Érèbe et les royaumes sombres ;
L’esprit qui régissait les membres de leurs morts,
Dans un monde inconnu va survivre à leurs corps.
Mourir, c’est donc passer dans cette courte vie
Vers une autre plus pure, en durée infinie.
Heureux par cette erreur, les habitans du Nord
Vivent débarrassés des craintes de la mort.
Plus hardis dans la guerre, exempts de nos alarmes,
Ils courent se jeter sur la pointe des armes ;
Ils n’ont point d’intérêt à conserver des jours
Qui, vainement tranchés, renaissent pour toujours.

Les femmes des Druides partageaient avec leurs maris les fonctions du sacerdoce. On dit qu’elles égorgeaient quelquefois des victimes humaines ; et il est certain que les femmes des prêtres de la Bretagne et de la Germanie s’acquittaient elles-mêmes de ce ministère sanglant.

Les Gaulois avaient quelques vierges sacrées, mais en petit nombre, comme tous les peuples de l’antiquité. On ne comptait chez les Romains que six vestales ; encore la sagesse de ce peuple avait-elle permis que leur vœu de chasteté fut révocable au bout de quelques années.

Dans toute la Grèce on ne trouve que deux femmes vouées au célibat par principe de religion. L’une était la prêtresse de Delphes ; l’autre, celle de Junon Athénienne. Le Parthénon était une maison de vierges consacrées à Minerve ; mais ces jeunes filles, desservant les autels de la sagesse, ne contractaient point le fol engagement de vieillir dans le célibat.

Les vierges sacrées de la Gaule habitaient différens sanctuaires situés dans des îles. Elles étaient mariées, et allaient une fois par année sur le continent pour s’acquitter du devoir conjugal.

Tout le corps du clergé gaulois, composé de plusieurs familles et soumis à un seul chef ; se trouvait partagé en trois classes, dont chacune avait sa direction particulière ; les Druides devins, les simples Druides, et les Bardes.

C’est à peine si l’on regardait ces derniers comme membres du collége des Druides. Ils n’étaient chargés d’aucun ministère sacré, leur fonction principale étant de transmettre de vive voix aux jeunes gens les poèmes qui renfermaient la doctrine, et que l’ignorance, la superstition, l’orgueil et les préjugés ne permettaient pas d’écrire.

Le régime des Druides paraît assez conforme à celui des Mages de la Perse ; les uns et les autres avaient des possessions territoriales, des assemblées, des conférences, une hiérarchie et un souverain Pontife. Les Mages ont laissé d’excellentes observations astronomiques, dont l’école d’Alexandrie a profité ; mais les Druides, qui se vantaient de connaître les lois qui régissent le cours des astres, que nous ont-ils transmis qui puisse prouver la vérité de leurs allégations ?

Après avoir lu et comparé tout ce que César, Strabon, Diodore de Sicile, Plutarque, Lucain, Pline, Pomponius Mela, Ammien Marcellin et quelques autres écrivains nous apprennent du dogme et du culte des Gaulois, on est un peu surpris des immenses volumes écrits à ce sujet par les modernes, et de la hardiesse avec laquelle plusieurs érudits ont défiguré l’histoire pour établir des systèmes.

Chiniac ose dire dans une savante académie que les premiers Gaulois n’adoraient qu’un seul Dieu ; mais que ce dogme d’unité s’était perdu chez eux, même avant la conquête des Romains.

Le moine Noël Talepied, plus hardi encore, fabrique avec une grande impudence un édit des Druides : il lui donne une forme bâtarde, moitié romaine, moitié française ; et le décore de ces quatre lettres : S. P. Q. G. Senatus populusque Gallicus ; bien que cette formule n’ait jamais été connue des Gaulois.

Dans son Histoire des Druides ce religieux de l’ordre de Saint-François établit en vingt articles le culte d’un seul Dieu, la morale des moines, l’usage d’aller au sermon, où il défend de babiller ; il constitue aussi le tribunal des femmes, dont on ne trouve pas le moindre vestige chez les anciens, si ce n’est dans le passage de Plutarque dont nous avons parlé, et celui de Polyen qui n’en est qu’un extrait.

Mais le Bénédictin D. Martin n’insulte pas moins à la raison par ses deux énormes volumes de la Religion des Gaulois ; et le ministre Peloutier, dans la Religion des Celtes, s’efforce tout aussi vainement d’établir la croyance de l’unité d’un Dieu chez ce peuple.

Ce n’est pas écrire l’histoire ; c’est vouloir plier les opinions antiques aux sentiments de l’école moderne. Je sais que les faits nous manquent lorsque nous remontons à ces temps éloignés, mais alors nous devons nous éclairer par une profonde connaissance de la nature de l’homme.

Les trois théologiens que je viens de citer, loin de prendre un pareil guide, paraissent ignorer complètement la manière dont les idées naissent et se propagent. Ils ont égaré bien d’autres écrivains, qui les croient sur parole, et ne savent pas qu’astreints à ne rien dire de contraire aux lois que leur état impose, quand même ces solitaires eussent connu la marche de l’esprit humain, ils n’oseraient la développer ou la suivre. Voilà pourquoi le clergé, malgré tant d’instruction réelle, n’a jamais produit un bon historien.