Bibliothèque d’Apollodore l’Athénien (Édition Clavier 1805)/Tome premier


ΑΠΟΛΛΟΔΩΡΟΥ

ΤΟΥ ΑΘΗΝΑΙΟΥ

ΒΙΒΛΙΟΘΗΚΗ.

BIBLIOTHÈQUE
D’APOLLODORE
L’ATHÉNIEN.

TRADUCTION NOUVELLE,
Avec le texte grec revu et corrigé, des Notes et une
Table analytique,
Par E. CLAVIER,
Membre de la Cour de Justice Criminelle séante à Paris.
TOME PREMIER.


PARIS,

de l’imprimerie de delance et lesueur.

AN XIII. — 1805.

PRÉFACE.


L’ouvrage suivant est la plus ancienne compilation qui nous soit parvenue sur la Mythologie et l’Histoire héroïque de la Grèce. On l’attribue à Apollodore, célèbre grammairien d’Athènes, qui vivoit dans la 158e Olympiade, environ 150 ans avant notre ère. Suidas nous apprend qu’il étoit fils d’Asclépiades, qu’il avoit étudié la philosophie sous Panætius, et la grammaire sous le célèbre Aristarque. Il s’étoit acquis une telle réputation que, suivant Pline, (L. iii, C. 37), les Amphictyons lui décernèrent des honneurs publics. Il avoit fait un très-grand nombre d’ouvrages, dont on peut voir les titres et les fragmens à la suite des deux éditions de sa bibliothèque, données par M. Heyne. Les principaux étoient un Traité sur les Dieux, en xx livres au moins ; un Commentaire en xii livres sur le Catalogue des vaisseaux d’Homère, et une Chronique en vers Iambiques. Quant à celui dont je donne la traduction, est-il réellement de lui ? Quelques critiques célèbres, tels que Henri de Valois, Tanneguy Lefebvre et Isaac Vossius en ont douté, et ce doute est fondé sur le silence des Anciens, qui ont souvent cité les autres ouvrages d’Apollodore, mais qui n’ont jamais parlé de celui-ci. Photius est le premier auteur dont nous connoissions l’époque, qui le lui ait attribué, et il est trop récent pour que son autorité puisse être d’un grand poids. Quant aux scholiastes qui citent souvent cette Bibliothèque, il n’y en a presque aucun dont l’époque nous soit connue ; leur témoignage ne prouve donc rien.

Ce silence des Anciens n’est, à la vérité, qu’une preuve négative, mais elle acquiert beaucoup de force lorsqu’on jette les yeux sur le grand nombre de fautes dont cet ouvrage est rempli ; fautes qu’on ne peut attribuer à un grammairien aussi savant qu’Apollodore. On a cherché, à la vérité, à en pallier quelques-unes, en les attribuant aux copistes ; mais on verra par mes notes qu’elles sont, pour la plupart, du compilateur lui-même[1]. Ces fautes, et la manière plus que succincte de laquelle notre auteur s’explique très-souvent, ont fait conjecturer à Tannegui Lefebvre, que cet ouvrage n’étoit qu’un abrégé de celui d’Apollodore ; et malgré toutes les raisons qui ont été alléguées par Thomas Gale et M. Heyne, je crois cette Conjecture très-fondée ; et elle me paroît autorisée par le style même de l’ouvrage, qui est tellement rempli d’expressions poétiques, qu’on y reconnoît à chaque instant, disjecti membra poetœ. Cela vient sans doute de ce que l’auteur original avoit rapporté les passages mêmes des poètes dont il s’autorisoit, comme l’a fait Athénée, et comme l’avoit fait Étienne de Byzance, à en juger par l’article Dodone et quelques autres qui nous sont restés en entier. L’abréviateur n’a pas conservé les vers, mais il ne s’est pas donné la peine d’en changer les expressions ; ce qui est aisé à remarquer dans l’histoire de Mélampe, dans celle d’Admète, de Minos, et dans beaucoup d’autres endroits. Un écrivain du siècle des Ptolémées auroit évité soigneusement ce défaut, qu’on ne remarque que dans les compilateurs du Bas-Empire. Je ne doute donc pas que cet ouvrage ne soit un abrégé ; et je vais même plus loin que Tannegui Lefebvre, car je crois qu’Apollodore n’avoit fait aucun ouvrage qui portât le nom de Bibliothèque, et que celui que nous avons n’est autre chose qu’un extrait de ceux qu’il avoit faits sur la Mythologie et l’Histoire héroïque, tels que son Traité sur les Dieux, son Commentaire sur le catalogue des vaisseaux, et sa Chronique. Je fonde ma conjecture sur un passage d’Étienne de Byzance qui, au mot Δύμη, cite Apollodore, ou celui qui a abrégé ses ouvrages. On voit par là qu’il en existoit déjà un abrégé à cette époque, c’est-à-dire, vers la fin du ve siècle ; c’est probablement à cet abrégé qu’on a donné le nom de Bibliothèque. Le passage qu’Étienne de Byzance cite, pouvoit se trouver dans la partie que nous avons perdue ; car Photius (Biblioth., p. 236) dit, qu’outre l’Histoire des Dieux et des Héros, cette Bibliothèque contenoit les noms des fleuves, des pays, des peuples et des villes, ce qui se trouvoit sans doute dans l’histoire du siége de Troyes, dans celle du retour des Grecs, et des divers établissemens qu’ils formèrent à cette époque.

Au reste, que cet ouvrage soit l’abrégé d’un ou de plusieurs traités d’Apollodore, il n’en est pas moins très-important par le grand nombre de faits qu’il renferme ; faits, dont beaucoup nous sont inconnus d’ailleurs, ce qui le rend absolument nécessaire pour l’intelligence des poëtes et l’explication des monumens antiques. Il seroit beaucoup plus utile si l’abréviateur avoit mis plus de soin à faire ses extraits. Nous voyons, en effet, qu’Apollodore avoit sous les yeux les poëtes cycliques et les premiers écrivains en prose, tels que Pbérécydes, Hellanicus, Acusilas, Hécatée de Milet, etc. Il avoit sans doute comparé leurs récits avec ceux des lyriques et des tragiques, et avoit cherché à séparer les traditions les plus vraisemblables de celles qui étoient purement de l’invention des poëtes. C’étoit même le but de son commentaire sur le Catalogue des vaisseaux, qui étoit, suivant les apparences, un traité sur l’origine des différeras peuples de la Grèce. Nous ne trouvons presque rien de tout cela dans l’abrégé qui nous reste, et son auteur, qui vivoit à une époque où les poëtes tragiques étoient beaucoup plus connus, a souvent négligé ces anciennes traditions, et s’est contenté de rapporter celles qui pouvoient servir à expliquer les auteurs qu’on lisoit le plus de son temps.

J’ai cherché à réparer cette omission, et j’ai rassemblé, autant que je l’ai pu, les fragmens de ces anciens écrivains, ce qui m’a souvent conduit à des découvertes assez importantes. Il ne faut pas croire, en effet, que l’histoire des temps héroïques soit entièrement le produit de l’imagination des anciens poëtes, ou, comme d’autres l’ont supposé, qu’elle ne soit qu’une allégorie perpétuelle. La poésie n’étant depuis long-temps qu’un art d’imagination, ceux qui s’y livrent s’inquiètent très-peu de la vérité des sujets qu’ils traitent, pourvu qu’ils leur fournissent les moyens de fixer l’attention par des récits agréables. Mais il n’en étoit pas de même dans les premiers temps ; comme l’usage de l’écriture étoit très-peu répandu, et que la mémoire étoit presque le seul moyen qu’on eût pour transmettre à la postérité les événemens importans, il falloit trouver l’art d’y fixer le plus grand nombre possible de faits, et cela ne se pouvoit qu’en revêtant le récit qu’on en faisoit, d’une certaine mesure qui les rendit plus faciles à apprendre. Les premières histoires durent donc être rédigées en vers, et l’on n’y joignit le merveilleux que pour mieux les imprimer dans la mémoire, en frappant plus vivement l’imagination. D’après cela, il est aisé de sentir que les anciens poëtes n’étoient autre chose que des historiens. Ils n’avoient pas besoin de chercher à inventer des sujets, l’histoire d’un pays divisé en autant de petits États que la Grèce l’étoit alors, leur en fournissoit assez. Ils se contentoient donc de revêtir des charmes de la poésie et du merveilleux les traditions qui leur avoient été transmises par leurs ancêtres. Aussi voyons-nous que toutes les parties de l’histoire grecque avoient été traitées dans différens poèmes dont, excepté l’Iliade et l’Odyssée, il ne nous reste que les titres et quelques fragmens. Je ne parlerai pas des Théogonies, des Titanomachies, et des Gigantomachies, qui renfermoient sans doute beaucoup de traditions historiques ; mais je vais donner une liste de poèmes purement historiques que je trouve cités par les Anciens.

Ces poèmes sont : la Phoronide, qui traitoit sans doute de la fondation du royaume d’Argos, et par conséquent des premiers temps de la Grèce ; la Danaïde, la Deucalionide, le Poëme sur Europe, la Mèlampodie, l’Œdipodie, la Thébaïde, la Guerre des Épigones, l’Eumolpie, la Minyade, les Argonautiques, l’Héracleïde, la Prise d’Œchalie, les Noces de Céyx, la Théseïde, l’Amazonide, les Vers Cypriens, l’Iliade, la Petite Iliade, l’Æthiopide, la Prise de Troyes, les Retours, l’Odyssée, la Télégoniade, les Naupactiques, la Thesprotide, l’Ægimius, etc. Les auteurs de ces poëmes, presque tous antérieurs aux lyriques, avoient rassemblé toutes les anciennes traditions. Il y avoit sans doute beaucoup de contradictions entre eux ; chacun, en effet, avoit dû chercher à illustrer, au préjudice de tous les autres, le pays qui lui avoit donné le jour, ou le peuple qui étoit le plus puissant à l’époque où il écrivoit[2]. Mais en se tenant en garde contre ces préjugés, et en ne regardant comme avérés que les faits qui étoient rapportés par des poëtes de nations différentes, il ne devoit pas être difficile de découvrir la vérité historique.

L’histoire grecque ayant fourni très-peu d’événemens remarquables, depuis l’établissement des Doriens dans le Péloponnèse, jusqu’à l’invasion des Perses, et ces événemens étant trop récens pour que le merveilleux pût y être admis, les poëtes continuèrent à puiser leurs sujets dans l’histoire héroïque. Mais comme ces sujets avoient déjà été traités, et qu’ils vouvoient dire quelque chose de nouveau, ils se permirent de les arranger à leur manière, et de les varier au gré de leur imagination. C’est pourquoi nous trouvons des traditions si singulières dans Pindare et dans les fragment qui nous restent des autres poëtes lyriques qui remplirent cette seconde époque.

Mais les libertés que ces poëtes avoient prises, n’étoient rien en comparaison de celles que se donnèrent les tragiques. Comme ils étoient presque tous Athéniens, ou tout au moins établis à Athènes, ils s’occupèrent beaucoup moins de rappeler les anciennes traditions, que d’en forger de nouvelles pour capter les suffrages du peuple, qui devoit récompenser leurs talens. Ils cherchèrent donc à tout rapporter à l’histoire de l’Attique. Les anachronismes les plus grossiers, les mensonges les plus palpables, les contradictions les plus révoltantes, rien ne leur coûta ; et ils y mirent si peu de précaution, qu’il n’est pas rare de voir le même fait raconté de trois manières différentes dans le petit nombre de tragédies qui nous reste, et j’en ai donné plusieurs exemples dans mes notes.

C’est de ces trois classes de poëtes que les historiens grecs ont tiré presque tout ce qu’ils nous ont appris sur les antiquités de leur nation, mais ils n’ont pas tous su y puiser avec le même discernement. Ceux des premiers temps, tels que les deux Phérécydes, Hellanicus, Hécatée de Milet, Acusilas, Charon de Lampsaque, Denys de Milet, Hérodote, etc., avoient en général remonté aux sources, et n’avoient rien tiré des poètes lyriques et tragiques, qui n’avoient pas encore paru, ou qui n’avoient point encore acquis d’autorité à l’époque où ils écrivoient. Ceux qui leur succédèrent furent moins scrupuleux. Bien plus occupés de la manière de présenter les faits, que de s’assurer de leur vérité, ils puisèrent avec une égale confiance dans les poëtes héroïques des premiers siècles, dans les lyriques et dans les tragiques. C’est ainsi qu’Éphore, Théopompe, Callisthènes, Timée, Héraclides de Pont, etc., avoient accrédité beaucoup de traditions, qui n’avoient d’autre fondement que l’imagination de quelques poëtes. Cependant, comme ils avoient recueilli beaucoup de choses, leurs ouvrages, nous apprendroient bien des faits que nous ignorons, et qui nous aideroient à former un système suivi d’histoire pour ces temps reculés, mais ils sont malheureusement perdus ; et de tous les historiens originaux qui se sont occupés des antiquités de la Grèce, il ne nous reste qu’Hérodote. Nous sommes donc obligés de puiser nos connoissances dans quelques compilateurs plus modernes, tels que Diodore de Sicile, Denys d’Halicarnasse, Strabon, Plutarque et Pausanias, et dans un nombre infini de grammairiens, de scholiastes, de pères de l’église, dans lesquels on trouve quelquefois des fragments précieux des écrivains originaux que nous avons perdus.

C’est au milieu de ces traditions éparses, comme on le voit, dans une infinité d’ouvrages, et souvent contradictoires, que j’ai cherché à découvrir la vérité. Quelques points principaux, indiqués par Homère, Hérodote et Pausanias, qui, bien que d’un âge très-inférieur, a rassemblé beaucoup de traditions originales, m’ont guidé dans ces recherches, et je crois être parvenu à éclaircir quelques parties très-obscures de l’histoire primitive de la Grèce. Il y a beaucoup de choses que je n’ai fait qu’indiquer, et sur lesquelles je m’étendrai davantage dans mes notes sur Pausanias, auxquelles cet ouvrage-ci doit servir d’introduction.

On demandera sans doute quelle peut être l’utilité de toutes ces recherches ; le voici : outre qu’elles peuvent servir à expliquer beaucoup de passages des auteurs anciens, comme on le verra dans mes notes, et les monumens des arts, dont je n’ai pas pu m’occuper ; outre cela, dis-je, il me semble qu’elles ont pour nous un autre genre d’intérêt. L’histoire des anciens Grecs est réellement celle de nos ancêtres. L’Asie étoit depuis long-temps civilisée, comme on peut s’en convaincre par la vue de ses monumens, tandis que l’Europe étoit encore dans l’état le plus sauvage. Quelques Phéniciens viennent s’établir à Argos, ils y fondent moins une colonie qu’un comptoir commercial ; mais les habitans du pays se réunissent autour d’eux, s’empressent de profiter de leurs connoissances, apprennent d’eux les arts les plus utiles, et surtout celui de l’agriculture, qui les met en état d’accroître leur population, et d’envoyer bientôt eux-mêmes des colonies sur les côtes de l’Attique, de la Thessalie, de l’Italie, de l’Asie Mineure, de la Thrace, et dans presque toutes les îles de la Méditerranée. Dès lors la face de l’Europe change, et cette partie du monde, qui jusque-là avoit été inconnue, ne tarde pas à jouer le rôle principal dans l’histoire. C’est donc aux Grecs que nous devons notre existence civile, et je crois même pouvoir avancer que toutes les nations du midi de l’Europe, en y comprenant la France, ne sont autre chose que des colonies grecques, et je n’en veux d’autres, preuves que leurs langues, dans lesquelles il y a plus des deux tiers des mots qui sont ou purement grecs, ou venus du grec par le latin.

Je dois maintenant rendre compte des secours que j’ai eus pour entreprendre ce travail. J’ai fait usage de toutes les éditions qui ont précédé la mienne, et qui ne sont pas très-nombreuses. La première est celle d’Ægius Spoletinus, qui publia à Rome, en 1550, cet auteur, avec une traduction latine et des notes qui annoncent beaucoup d’érudition. Il le publia d’après les manuscrits du Vatican ; mais il s’est souvent permis, suivant la mauvaise coutume de son siècle, de corriger le texte d’Apollodore, d’après ses propres conjectures, ou d’après les anciens scholiastes. Quelques-unes de ces corrections sont nécessaires, mais il auroit été à souhaiter qu’il en eût averti dans ses notes, ce qu’il n’a fait que très-rarement ; cependant son travail est très-estimable, et j’ai été souvent obligé de recourir à cette première édition.

Jérôme Commelin fit réimprimer cet auteur à Heidelberg, en 1699, avec la traduction latine d’Ægius Spolétinus. Il revit le texte sur les Mss. de la Bibliothèque Palatine, dont les variantes sont à la tête de son édition, et il mit entre des crochets les passages qui ne se trouvoient point dans ces Mss.

Tannegui Lefebvre fit réimprimer cette édition à Saumur, en 1661, in-8o. ; il y ajouta quelques notes remplies de sagacité, et qui font regretter qu’il n’ait pas donné sur cet auteur un commentaire plus étendu, comme il en avoit le projet.

On imprima à Paris, en 1675, sous le titre de Hisoriæ poeticæ Scriptores, un recueil d’ouvrages grecs sur la Mythologie, du nombre desquels est la Bibliothèque d’Apollodore. Il paroît que le libraire de Paris vendit son édition à un libraire de Londres, qui pria le savant Thomas Gale d’y faire des notes et un discours préliminaire. C’est là tout ce qu’il y a de bon dans cette édition ; car le texte et la traduction sont défigurés par les fautes les plus grossières, et il est presque impossible d’en faire usage.

Je ne dirai rien de deux autres éditions d’Apollodore, l’une grecque et latine, imprimée à Amsterdam, en 1666, in-12, et l’autre toute grecque, qui parut à Londres en 1686, in-12. Elles ne sont que des répétitions de celles de Commelin.

Le premier qui ait donné un travail complet sur Apollodore, a été le savant M. Heyne, qui publia à Gottingue, en 1782, le texte de cet auteur, revu sur les manuscrits, et qui y joignit, en 1783, un commentaire rempli d’érudition. Cette édition est en quatre volumes in-12, savoir : un volume de texte, deux volumes de notes, et un volume qui contient une dissertation sur Apollodore, les fragmens de ses autres ouvrages, et les tables. M. Heyne vient de faire réimprimer cette édition à Gottingue, en 1803, en deux volumes in-8°, avec quelques augmentations. Il l’a aussi disposée d’une manière différente. Le premier volume contient le texte avec des notes critiques au-dessous, et les fragmens. Les notes et les tables forment le second volume. Il avoit fait collationner pour ce travail les manuscrits de la Bibliothèque du Roi, et il avoit, outre cela, tous les matériaux que Van Swinden avoit rassemblés pour donner une nouvelle édition d’Apollodore, dont on peut voir un échantillon dans le recueil intitulé Miscellanœ observationes novæ, T. iii, p. 37 et suivantes.

Il a aussi paru à Berlin, en 1789, in-8°., une nouvelle édition d’Apollodore ; mais elle a été faite pour les collèges, et n’a aucun mérite particulier.

Je ne connois qu’une seule traduction française d’Apollodore : Passerat, qui en est l’auteur, ne jugea pas à propos de la publier de son vivant. Elle fut imprimée à Paris, en 1605, in-12, par les soins de Rougevalet son neveu, et elle est très-rare. Cette traduction, qui est sans doute l’ouvrage de la jeunesse de Passerat, n’est pas, à beaucoup près, aussi parfaite qu’elle auroit pu l’être s’il y avoit mis tous ses soins. Cependant elle n’a pas laissé de m’être utile, et il a souvent mieux saisi le sens que le traducteur latin.

On sait que Bachet de Méziriac avoit fait un commentaire sur la Bibliothèque d’Apollodore, et il le cite souvent dans ses notes sur les Héroïdes d’Ovide. Ce commentaire, qu’on avoit long-temps cru perdu, étoit, en 1730, entre les mains de l’abbé Sallier, comme on le voit par une de ses lettres à l’abbé Papillon, citée p. 77 de la vie de Bachet de Méziriac, qui fait partie d’un ouvrage intitulé : Éloges de quelques auteurs françois ; Dijon, 1742, in-12. Il paroît qu’il s’est, perdu de nouveau depuis cette époque ; car, malgré toutes mes recherches, je n’ai pu le découvrir. MM. les conservateurs des Mss. de la Bibliothèque Nationale, de la complaisance desquels je ne saurois assez me louer, ont eu à la vérité la bonté de me communiquer un exemplaire de cet ouvrage, de l’édition de Commelin, dont les marges avoient été remplies de notes par Bachet de Méziriac, et entre chaque feuillet duquel il avoit intercalé quatre ou cinq morceaux de papier, sur lesquels il avoit recueilli différens passages relatifs au texte d’Apollodore ; mais on ne peut regarder cela que comme des matériaux, et il les avoit sans doute mis en ordre, car l’abbé Sevin, dans le commentaire manuscrit dont je vais parler tout à l’heure, rapporte souvent, sous le nom de Bachet de Méziriac, des corrections et des discussions dont je n’ai trouvé aucune trace dans ce volume.

MM. les conservateurs m’ont aussi communiqué un commentaire manuscrit sur Apollodore, de l’abbé Sevin, savant très-connu par un voyage qu’il fit au Levant, où il fit diverses acquisitions pour la Bibliothèque du Roi, à laquelle il étoit attaché, et par les savans mémoires dont il a enrichi le recueil de l’Académie des Inscriptions dont il étoit membre. Ce commentaire, écrit en latin, est très-étendu, et il m’a été de la plus grande utilité. Sevin avoit collationné tous les Mss. de la Bibliothèque du Roi, et un Ms. de Besançon qui m’est inconnu. Il avoit aussi entre les mains le commentaire de Bachet de Méziriac qu’il cite très-souvent, et il en avoit sans doute tiré tout ce qu’il y avoit de bon, ce qui doit diminuer le regret qu’on pourroit avoir de sa perte.

Quoique j’aie beaucoup profité des travaux de Sevin et de M. Heyne, il ne faut pas croire que je n’aie fait que les extraire. J’ai lu presque tous les auteurs Grecs et Latins dans lesquels j’ai cru pouvoir trouver quelque chose de relatif à ce travail et à celui dont je m’occupe sur Pausanias, ce qui m’a donné lieu de faire beaucoup d’observations qui avoient échappé à ceux qui m’avoient précédé dans la même carrière.

Les Mss. de la Bibliothèque Nationale ayant été collationnés par Sevin et par Van Swinden, dont M. Heyne a eu les papiers, j’ai cru pouvoir me dispenser du travail pénible de les collationner de nouveau. Je ne me suis asservi, quant au texte, à aucune des précédentes éditions. J’y ai souvent rétabli d’anciennes leçons qu’on avoit changées mal à propos. Quelquefois je l’ai corrigé d’après mes propres conjectures ou d’après celles de quelques savans, et surtout d’après celles de mon ami le D. Coray, qui, en jetant un coup d’œil sur les épreuves, y a découvert beaucoup de fautes de grammaire qui avoient échappé à tous les éditeurs précédent. On m’accusera sans doute de témérité, mais je crois que ce respect religieux pour les Mss., dont quelques savans font profession, n’est nécessaire que lorsqu’on publie pour la première fois un auteur, ou lorsque les éditions en sont très-rares. Mais quand on fait réimprimer un ouvrage aussi répandu que celui-ci, c’est moins pour le faire connoître que pour le rendre plus intelligible, et alors on ne doit pas, par une timidité ridicule, y laisser subsister des fautes évidentes, lorsqu’on peut les corriger par le changement d’une lettre ou d’une syllabe.

On trouvera peut-être mes notes un peu longues, mais mon but étant, comme je l’ai dit, de les faire servir d’introduction à celles que je prépare sur Pausanias, j’ai cru pouvoir me livrer à beaucoup de discussions qui, sans être essentielles à l’explication d’Apollodore, jettent quelque lumière sur différens points très-obscurs de l’histoire de la Grèce, J’ose même espérer qu’on ne regardera pas ces digressions comme la partie la moins intéressante de cet ouvrage ; j’y ai éclairci une foule innombrable de faits relatifs à l’origine des différentes peuplades grecques. En distinguant des personnages qui avoient porté le même nom, en mettant de côté les fables inventées par les tragiques, j’ai donné une face absolument nouvelle à une histoire qu’on n’avoit regardée comme fabuleuse, que parce qu’on ne s’étoit pas donné la peine d’y porter le flambeau de la critique ; et je ne crains pas d’avancer qu’on peut extraire de mes notes une histoire de la Grèce avant le siége de Troie, bien plus complète que toutes celles que nous avons jusqu’à présent. Je ne me flatte cependant pas d’avoir tout éclairci ; il y a des choses que nous ignorerons toujours, faute de monumens ; il y en a d’autres (comme par exemple ce qui concerne la famille de Tantale) dont je n’ai rien dit, parce que la partie de l’ouvrage d’Apollodore où il en étoit question, ne nous est pas parvenue ; mais j’en parlerai dans mes notes sur Pausanias. Comme ce dernier auteur nous a conservé une infinité de détails très-précieux sur l’origine et l’histoire des principales villes de la Grèce, cela me fournira l’occasion d’en discuter les points les plus importans. Ma traduction est achevée ; j’ai même revu le texte sur les manuscrits de la Bibliothèque Nationale ; et soit par le secours de ces manuscrits, soit à l’aide de quelques conjectures, je crois être parvenu à rétablir et à expliquer beaucoup de passages qui n’avoient pas été entendus. J’ai la plus grande partie des matériaux nécessaires pour mes notes ; il ne me manque qu’un peu de loisir pour les mettre en ordre ; et quoique les fonctions pénibles auxquelles je suis attaché ne m’en laissent pas beaucoup, je pourrai, à ce que je crois, livrer avant peu cet ouvrage à l’impression, si toutefois il se trouve quelque libraire qui veuille bien s’en charger ; ce que je n’ose pas trop espérer, vu le discrédit dans lequel la littérature ancienne est tombée en France.

Malgré tous les soins que j’ai donnés à l’impression de cet ouvrage, soins qui ne m’ont pas été très-pénibles, grâce à l’intelligence de MM. Delance et Lesueur, qui sont du très-petit nombre de ceux qui soutiennent encore à Paris l’honneur d’un art qui y a jadis été porté au plus haut degré de perfection par les Étienne, les Morel, les Turnèbe et tant d’autres dont le nom ne périra jamais, tant que la langue grecque sera cultivée[3] ; malgré tout cela, dis-je, il s’y est glissé quelques fautes d’impression, que j’ai indiquées dans l’errata que j’ai mis à la fin du second volume. On y trouvera aussi plusieurs nouvelles observations qui me sont survenues dans le courant de l’impression, ou qui m’ont été communiquées depuis, par mon savant ami M. Visconti. Enfin, j’y ai rectifié quelques erreurs qui m’avoient échappé, ce qui étoit impossible à éviter dans un ouvrage de la nature de celui-ci. Je n’ose pas me flatter de les avoir toutes relevées, mais je compte sur l’indulgence des lecteurs, et j’espère qu’ils voudront bien excuser celles dont je ne me serois pas aperçu.

La Table des matières est l’ouvrage de M. Jannet, libraire au Palais ; mais je l’ai revue avec le plus grand soin, et j’y ai ajouté beaucoup de détails sur lesquels il avoit passé légèrement pour ne pas la rendre trop volumineuse. J’ai pensé que cette crainte ne devoit pas m’arrêter, et qu’il valoit mieux qu’on pût lui reprocher le trop d’abondance,

que le défaut contraire.

BIBLIOTHÈQUE
D’APOLLODORE.

BIBLIOTHÈQUE
D’APOLLODORE
L’ATHÉNIEN

LIVRE PREMIER.

CHAPITRE PREMIER.

§ 1. Uranus,1 ou le Ciel, gouverna le premier le monde ; ayant épousé la Terre, il en eut d’abord ceux qu’on nomme à cent bras, Briarée2, Gyès, et Cottus. Ils avoient chacun cent bras et cinquante têtes, et leur force et leur grandeur, les rendoient invincibles.

§ 2. Il eut ensuite de la Terre les Cyclopes, Argès, Brontès3 et Steropès, qui n’avoient chacun qu’un œil au milieu du front. Uranus ayant enchaîné tous ses premiers enfants, les précipita dans le Tartare, qui est un lieu ténébreux dans les enfers, aussi éloigné de la terre, que la terre est éloignée du Ciel4.

§ 3. Il eut ensuite d’autres fils, appelés Titans, savoir, l’Océan, Cœüs, Hypérion, Crius, Japet, et Saturne5, le dernier de tous ; et des filles, nommées les Titanides, qui furent Téthys, Rhéa, Thémis, Mnémosyne, Phœbé, Dioné6 et Thia. La Terre, irritée de la perte de ceux de ses enfants qu’Uranus avoit précipités dans le Tartare, engagea les Titans à se révolter contre lui, et elle arma à cet effet Saturne d’une faux de diamant7. Les Titans, à l’exception de l’Océan8, s’étant donc soulevés contre leur père, Saturne lui coupa les parties génitales et les jeta dans la mer. Des gouttes de sang qui en tombèrent9, naquirent les trois furies, Alecto, Tisiphone et Mégère10. Ils le chassèrent ensuite du trône, qu’ils donnèrent à Saturne, et rappelèrent leurs frères qui étoient dans le Tartare.

Saturne les ayant enchaînés, les y précipita de nouveau ; il épousa ensuite Rhéa, sa sœur ; mais comme Uranus et la Terre lui prédirent qu’il seroit détrôné par un de ses enfants, il les avaloit à mesure qu’ils venoient au monde ; il fit disparaître ainsi Vesta, Cérès, Junon, et ensuite Pluton et Neptune. Rhéa, indignée de sa barbarie, se retira dans l’île de Crête, lorsqu’elle fut enceinte de Jupiter11, et en accoucha dans l’antre de Dictée. Elle le donna à élever aux Curètes et aux nymphes Adraste et Ida, filles de Mélissus12. Elles le nourrissoient du lait de la chèvre Amalthée, tandis que les Curètes gardoient l’antre en frappant de leurs lances sur leurs boucliers, pour empêcher que ses cris ne parvinssent à Saturne, à qui Rhéa présenta à avaler une pierre emmaillotée au lieu de son enfant.

CHAPITRE II.

§ 1. Jupiter étant parvenu à l’âge viril, appela à son aide Métis, fille d’Océan ; elle fit prendre à Saturne un breuvage qui lui fit vomir d’abord la pierre, ensuite les enfants qu’il avoit avalés, avec lesquels Jupiter fit la guerre aux Titans et à Saturne1. Après avoir combattu dix ans, la Terre prédit la victoire à Jupiter, s’il appeloit à son secours les fils d’Uranus que Saturne avoit précipités dans le Tartare. Jupiter ayant tué Campé, gardienne de leur prison, les délivra, et les Cyclopes lui donnèrent le tonnerre, l’éclair et la foudre. Ils donnèrent à Pluton le casque d’invisibilité, et le trident à Neptune. Revêtus de ces armes, ils vainquirent les Titans, et les enfermèrent dans le Tartare, où ils leur donnèrent pour gardiens ceux qu’on nomme à cent bras ; ils divisèrent ensuite l’empire du monde en trois parts, qu’ils tirèrent au sort : le Ciel échut à Jupiter, la Mer à Neptune, et l’Enfer à Pluton2.

§ 2. Voici quels furent les descendants des Titans :

L’Océan3 eut de Téthys trois mille Nymphes Océanides, Asie, Styx, Électre, Doris, Eurynome, Amphitrite et Métis. De Cœüs et de Phœbé naquirent Astérie et Latone ; d’Hypérion et de Theia4, l’Aurore, le Soleil5 et la Lune ; de Crius et d’Eurybie, fille de Pontus, Astræus, Pallas, Persès.

§ 3. De Japet et d’Asie6, fille de l’Océan, naquirent Atlas, qui porte le Ciel sur ses épaules, Prométhée, Épiméthée et Ménœtius, que Jupiter précipita d’un coup de tonnerre dans le Tartare, lors du combat avec les Titans7.

§ 4. Chiron, centaure, naquit de Saturne et de Philyre8. De l’Aurore et d’Astræus, naquirent les Vents et les Astres ; de Persès et d’Astérie, Hécate9. De Pallas et de Styx, fille de l’Océan, naquirent la Victoire, la Puissance, l’Émulation et la Force.

§ 5. Jupiter rendit l’eau de Styx, qui sort d’un rocher dans les enfers, un serment sacré pour les Dieux ; il fit cet honneur à Styx pour la récompenser, de ce qu’avec ses enfants, elle avoit pris les armes pour lui dans la guerre contre les Titans.

§ 6. De Pontus10 et de la Terre, naquirent Phorcus, Thaumas, Nérée, Eurybie et Céto ; de Thaumas et d’Électre, fille de l’Océan, Iris et les Harpies, Ællo et Ocypéte ; de Phorcus et de Céto, les Phorcydes et les Gorgones, dont je parlerai à l’article de Persée.

§ 7. De Nérée et de Doris, fille de l’Océan naquirent les Néréides dont voici les noms11 : Cymothoé, Speio, Glaucothoé, Nausitoé, Alie, Erato, Sao, Amphitrite, Eunice, Thétis, Eulimène, Agavé, Eudore, Doto, Phéruse, Galathée, Actée, Protoméduse, Hippothoé, Lysianassa, Cymo, Pione, Alimède, Plexaure, Eucrate, Proto, Calypso, Panope, Cranto, Néoméris, Hipponoé, Déjanire, Polynoé, Autonoé, Mélie, Dione, Isée, Déro, Evagore, Psamathée, Eumolpe, Ione, Dynamène, Céto et Limnorée12.

CHAPITRE III.

§ 1. Jupiter épousa Junon1, et en eut Hébé2, Ilithie3 et Mars4. Il eut aussi des enfants de plusieurs autres femmes, tant immortelles que mortelles, savoir : de Thémis5, fille d’Uranus, les Saisons6, la Paix, Eunomie, la Justice, et les Parques7, Clotho, Lachésis et Atropos. De Dione il eut Vénus8 ; d’Eurynome, fille de l’Océan, il eut les Grâces9, Aglaé, Euphrosine et Thalie ; de Styx, Proserpine10 ; de Mnémosyne, les Muses, d’abord Calliope, ensuite Clio, Melpomène, Euterpe, Erato, Terpsichore, Uranie, Thalie et Polymnie112.

§ 2. De Calliope et d’Œagre12, naquirent Linus et Orphée13, qui passoient pour fils d’Apollon ; Linus fut tué par Hercule, et Orphée14 s’étant appliqué à la musique, faisoit mouvoir par ses chants les arbres et les rochers15. Eurydice, sa femme, étant morte de la piqûre d’un serpent, il descendit la chercher aux Enfers16, et pria Pluton de la renvoyer ; celui-ci y consentit, à condition qu’il ne se retourneroit pas pour la regarder, avant d’être rendu chez lui ; Orphée, se méfiant de la promesse de Pluton, voulut regarder si Eurydice le suivoit, et elle retourna en arrière. Ce fut lui qui inventa les mystères de Bacchus17 ; il est enterré dans la Piérie, où il mourut déchiré par les Bacchantes.

§ 3. Clio ayant reproché à Vénus son amour pour Adonis, la déesse, pour s’en venger, la rendit amoureuse de Piérus, fils de Magnès18 ; elle en eut un fils nommé Hyacinthe19, dont Thamyris20, fils de Philammon et de la nymphe Argiope, devint amoureux. Ce Thamyris fut le premier qui se livra à l’amour des garçons21. Apollon fut ensuite l’amant d’Hyacinthe, et le tua involontairement en jouant au disque avec lui. Quant à Thamyris, célèbre par sa beauté et ses talents en musique, il osa défier les Muses, sous la condition qu’il jouiroit d’elles toutes, s’il étoit vainqueur, et que, s’il étoit vaincu, elles le priveroient de ce qu’il leur plairoit de lui ôter22. Les Muses ayant eu la supériorité, le privèrent de la vue et de ses talents en musique23.

§ 4. D’Euterpe et du fleuve Strymon naquit Rhésus24, que Diomède tua au siége de Troyes. Suivant d’autres, il étoit fils de Calliope. De Thalie et d’Apollon, naquirent les Corybantes ; de Melpomène et du fleuve Achéloüs, les Sirènes25, dont nous parlerons à l’article d’Ulysse.

§ 5. Junon mit au monde Vulcain sans avoir eu commerce avec aucun homme26 ; mais Homère dit qu’elle l’eut aussi de Jupiter. Ayant voulu secourir sa mère, que Jupiter avoit suspendue du haut de l’Olympe, pour avoir excité une tempête contre Hercule, lorsqu’il revenoit du siége de Troyes, ce dieu le précipita du Ciel, d’où il tomba dans l’île de Lemnos ; et s’étant estropié les pieds, Thétis prit soin de lui et le sauva.

§ 6. Jupiter voulut jouir aussi de Métis27, qui prit toutes sortes de formes pour se soustraire à ses poursuites ; étant devenue enceinte, elle lui prédît qu’après la fille dont elle alloit accoucher, elle auroit un fils qui seroit le maître du Ciel : dans la crainte de cet événement, Jupiter l’avala toute enceinte qu’elle étoit ; le terme de l’accouchement étant arrivé, il se fit fendre la tête par Prométhée, ou, suivant d’autres, par Vulcain, et Minerve en sortit toute armée28, auprès du lac Tritonide.

CHAPITRE IV.

§ 1. Des filles de Cæüs, Astérie s’étant changée en caille se jeta dans la mer, pour éviter les poursuites de Jupiter1. Elle donna son nom à la ville appelée d’abord Astérie, ensuite Délos.

Latone ayant cédé aux désirs de Jupiter2, Junon la poursuivit par toute la terre, jusqu’à ce que, étant arrivée dans l’île de Délos, elle y mit au monde Diane, qui l’accoucha ensuite d’Apollon. Diane demeura vierge, et se livra entièrement à la chasse. Apollon ayant appris de Pan, fils de Jupiter et de Thymbris3 l’art de prédire, alla à Delphes, où Thémis rendoit alors des oracles4 ; le serpent Python5, gardien de la caverne où elle les rendoit, l’empêchant d’en approcher, il le tua, et s’empara de l’Oracle. Il tua peu après Tityus, fils de Jupiter et d’Elare, fille d’Orchomène6. Jupiter ayant joui d’elle, l’avoit cachée sous terre, pour la soustraire à la colère de Junon ; et lorsqu’elle eut accouché, il fit sortir de la terre son fils Tityus, qui étoit d’une taille extraordinaire ; Tityus allant à Pythos vit Latone, et en étant devenu amoureux, voulut la violer7 ; elle appela à son secours ses enfants, qui le tuèrent à coups de flèches. Il subit une punition, même après sa mort, car des vautours lui rongent le cœur dans les Enfers.

§ 2. Apollon tua aussi Marsyas, fils d’Olympus8 ; ce Marsyas ayant trouvé les flûtes que Minerve avoit jetées, parce qu’elles la défiguroient9, osa disputer à Apollon le prix de la musique ; ils convinrent que le vaincu seroit à la discrétion du vainqueur ; lorsqu’on en fut au concours, Apollon retourna sa cithare10 et ne laissa pas de jouer dessus. Il exigea que Marsyas en fît de même ; celui-ci ne l’ayant pu, on donna la victoire à Apollon, qui, ayant suspendu Marsyas à un pin très élevé, le fit périr en l’écorchant11.

§ 3. Diane tua Orion à Délos ; Orion étoit fils de la Terre, et d’une taille prodigieuse : Phérécyde dit qu’il étoit fils de Neptune et d’Euryale12 ; Neptune l’avoit doué de la faculté de marcher sur les flots : il épousa Sidé, que Junon précipita dans les Enfers, pour avoir osé se comparer à elle pour la beauté13. Orion se rendit ensuite à Chio, où il demanda en mariage Mérope14, fille d’Œnopion15, ce dernier l’enivra, lui creva les yeux, tandis qu’il dormoit, et l’exposa sur le bord de la mer. Orion étant entré dans une forge, y prit un enfant16, qu’il mit sur ses épaules, en lui ordonnant de le conduire vers le lever du Soleil ; et il y recouvra la vue par les rayons de cet astre. Il retourna sur le champ vers Œnopion, à qui ses sujets avoient construit une maison souterraine17.

§ 4. L’Aurore s’étant éprise d’Orion18, (car Vénus la rendoit souvent amoureuse, pour se venger de ce qu’elle avoit accordé ses faveurs à Mars) l’enleva et le porta à Délos. Enfin Diane ; le tua à coups de flèches19, soit qu’il l’eut défiée au disque, soit, comme d’autres le disent, qu’il eût violé Opis20 l’une des Vierges venues du pays des Hyperboréens.

§ 5. Neptune épousa Amphitrite, fille de l’Océan ; il en eut Triton et Rhode21, que le Soleil épousa.

CHAPITRE V.

§ 1. Pluton étant devenu amoureux de Proserpine1, l’enleva en secret à l’aide de Jupiter2. Cérès la chercha long-temps par toute la terre nuit et jour avec des torches allumées ; ayant enfin appris des Hermionéens3 que Pluton l’avoit enlevée, elle abandonna le Ciel, irritée contre les Dieux, et s’étant transformée en simple mortelle, elle vint à Eleusis, et s’y assit d’abord auprès du puits Callichore4, sur une pierre qui a pris de là le nom d’Agélaste. S’étant rendue ensuite chez Céleüs5, roi d’Eleusine, les femmes qui s’y trouvoient l’invitèrent à se reposer, et une vieille, nommée Iambé6, la fit rire par ses plaisanteries ; et c’est en mémoire de cela, dit-on, que les femmes se plaisantent aux fêtes des Thesmophories. Métanire, femme de Céleüs, ayant un petit enfant7, Cérès se chargea de l’enlever ; et voulant le rendre immortel, elle le mettoit toutes les nuits dans le feu, pour consumer ce qu’il y avoit de mortel dans son corps.

§ 2. Déïphon, (c’étoit le nom de cet enfant) prenoit chaque jour un accroissement prodigieux ; Métanire épia ce que faisoit la Déesse8, et lui voyant mettre son enfant dans le feu, elle jeta un cri ; l’enfant fut consumé, et la Déesse se fit connoître. Elle donna à Triptolême9, l’aîné des fils de Métanire, un char attelé de serpens ailés, dans lequel il parcourut les airs, semant partout le blé que Cérès lui avoit donné. Panyasis dit que Triptolème étoit fils du héros Eleusis, et que ce fut celui-ci qui reçut Cérès : suivant Phérécyde il étoit fils d’Océan et de la Terre.

§ 3. Jupiter ayant ordonné à Pluton de renvoyer Proserpine, celui-ci, de crainte qu’elle ne demeurât trop long-temps auprès de sa mère, lui donna à manger un grain de grenade ; ce qu’elle fit, ne prévoyant pas ce qui devoit en arriver. Ascalaphe, fils de l’Achéron10 et de Gorgyre, en ayant rendu témoignage, Cérès l’enferma dans les Enfers sous une grosse pierre ; et Proserpine fut obligée de passer un tiers de l’année avec Pluton et le reste avec les autres Dieux11. Voilà ce qu’on raconte de Cérès.

CHAPITRE VI.

§ 1. La Terre, irritée du malheur des Titans, eut d’Uranus les Géans1, d’une force et d’une taille au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. Leur vue étoit effrayante ; ils avoient de longues barbes et de longs cheveux, les jambes couvertes d’écailles de serpent ; ils demeuroient, suivant les uns, dans les campagnes de Phlégre, et, suivant d’autres, à Pallène. Ils lançoient contre le Ciel des rochers et des chênes enflammés. Porphyrion et Alcyoné étoient surtout remarquables ; ce dernier étoit immortel, tant qu’il combattoit sur la terre de laquelle il étoit né. L’autre avoit enlevé dans Erythie les bœufs du Soleil. Il étoit connu dans le Ciel que les Dieux tout seuls ne pouvoient faire périr aucun des Géans, et que, pour y parvenir, il falloit qu’ils empruntassent le secours d’un mortel. La Terre ayant appris cela, se mit à la recherche d’une plante qui devoit les empêcher d’être tués, même par les mains des hommes : mais Jupiter ayant défendu au Soleil, à la Lune et à l’Aurore de paroître, prévint la Terre, et coupa cette plante. Il fit ensuite appeler par Minerve Hercule à son secours3. Hercule perça d’abord Alcyoné à coups de flèches ; mais comme en touchant la terre il reprenoit de nouvelles forces, Hercule l’entraîna hors de Pallène par le conseil de Minerve, et alors il mourut4.

§ 2. Porphyrion ayant attaqué tout à la fois Hercule et Junon, Jupiter lui inspira des désirs pour cette dernière ; comme il lui déchiroit ses vêtements et cherchoit à la violer, elle appela à son secours ; alors Jupiter renversa Porphyrion d’un coup de foudre, et Hercule5 l’acheva à coups de flèches. Quant aux autres géants, Apollon perça l’œil droit d’Ephialte d’un coup de flèche, et Hercule perça le gauche. Bacchus tua6 Eurytus d’un coup de Thyrse ; Hécate, ou plutôt Vulcain, tua Clytius en lui jetant des pierres enflammées. Minerve jeta l’île de Sicile sur Encélade qui fuyoit7, et ayant écorché Pallas, elle se servit de sa peau pour se couvrir dans les combats. Polybotes, poursuivi à travers la mer par Neptune, se réfugia dans l’île de Cos : Neptune en arracha la partie qu’on appelle Nisyre et la lui lançant, l’accabla dessous8. Mercure, armé du casque de Pluton, tua Hippolyte. Diane tua Gration. Les Parques tuèrent Agrius et Thoon, qui combattoient avec des massues d’airain. Jupiter fit périr les autres en les foudroyant, et Hercule les acheva tous à coups de flèches9.

§ 3. Les Dieux ayant vaincu les Géants, la Terre, encore plus irritée, coucha avec le Tartare, et mit au monde dans la Cilicie Typhon10, qui étoit à moitié homme et à moitié bête féroce. Il surpassoit, en force et en grandeur, tous ceux qu’elle avoit produits jusqu’alors. Il avoit la forme d’un homme pour la moitié supérieure du corps, et surpassoit en hauteur les plus hautes montagnes. De sa tête il touchoit souvent aux astres ; de ses mains, l’une touchoit au levant, l’autre au couchant, et il en sortoit cent têtes de serpent ; de ses cuisses sortoient des vipères nombreuses, qui, en formant des replis tortueux, l’entortilloient jusqu’à la tête, et faisoient entendre des sifflements effroyables. Tout son corps étoit couvert de plumes ; des crins épais et mêlés flottoient sur sa tête et sur ses joues ; ses regards étoient enflammés : étant tel et si puissant, et lançant contre le Ciel des pierres enflammées, il s’y portoit avec des sifflements et des cris, et des torrents de flammes sortoient de sa bouche. Les Dieux le voyant escalader le Ciel, s’enfuirent dans l’Égypte11, en prenant les formes de toutes sortes d’animaux. Tant que Typhon fut éloigné, Jupiter le frappoit à coups de tonnerre ; mais lorsqu’il se fut approché, il l’épouvanta avec une faux de diamant, et l’ayant mis en fuite, il le poursuivit jusqu’au mont Casius, qui est au-dessus de la Syrie. Là, le voyant blessé, il en vint aux mains avec lui ; mais Typhon l’ayant enlacé dans ses replis de serpent, s’empara de lui, et lui ayant pris sa faux, lui coupa les nerfs des pieds et des mains, et l’ayant mis sur ses épaules, il le porta à travers la mer dans la Cilicie, où il le déposa dans l’antre Corycien ; il y mit aussi ses nerfs enveloppés dans une peau d’ours, et y laissa, pour le garder, Delphyné, qui avoit la moitié du corps d’une femme, et l’autre moitié d’un serpent. Mercure et Ægipan ayant dérobé ses nerfs, les lui rajustèrent en secret ; Jupiter ayant alors recouvré toutes ses forces, partit de l’Olympe sur un char attelé de chevaux ailés, et poursuivit Typhon en le foudroyant jusqu’au mont appelé Nysa : là les Parques trompèrent Typhon, et lui faisant croire qu’il acquerroit de nouvelles forces, elles lui firent manger des fruits éphémères. Jupiter revenant à sa poursuite, il s’enfuit en Thrace près du mont Hæmus, et de là il lançoit en combattant des monts entiers contre Jupiter ; ce dernier les lui repoussant par des coups de tonnerre, Typhon y perdit beaucoup de sang, et ce fut delà, dit-on, que cette montagne prit son nom. Essayant ensuite de fuir à travers la mer de Sicile, Jupiter lui jeta l’Etna dessus13. Cette montagne est d’une hauteur prodigieuse ; et le feu qu’elle jette depuis ce temps-là provient des tonnerres qui l’enflammèrent alors. Mais en voilà assez sur cet article.

CHAPITRE VII.

§ 1. Prométhée1, ayant formé les hommes avec de la terre et de l’eau, leur donna le feu, à l’insu de Jupiter, l’ayant dérobé dans une fine tige de férule. Jupiter s’en étant aperçu, ordonna à Vulcain de le clouer sur le Caucase, qui est une montagne de la Scythie2. Prométhée y demeura attaché un grand nombre d’années, et un aigle venoit lui manger chaque jour le foie, qui renaissoit pendant la nuit. Ce fut ainsi que Prométhée fut puni d’avoir dérobé le feu, jusqu’à l’époque à laquelle il fut délivré par Hercule, comme on le verra par la suite.

§ 2. Prométhée eut pour fils Deucalion, qui régna sur la Phthiotide, et épousa Pyrrha, fille d’Epiméthée et de Pandore, la première femme que les Dieux créèrent. Jupiter voulant détruire l’espèce des hommes d’airain, Deucalion se fabriqua, par le conseil de Prométhée, un coffre, dans lequel il mit toutes les choses nécessaires à la vie, et s’y retira avec Pyrrha. Jupiter ayant fait tomber beaucoup de pluie du Ciel, la plus grande partie de la Grèce fut inondée4, et tous les hommes périrent, à l’exception de quelques-uns qui se réfugièrent sur les hauteurs des montagnes voisines. Ce fut alors que se séparèrent les montagnes de la Thessalie5. Toute la partie de la Grèce, en dehors du Péloponnèse et de l’Isthme, fut inondée. Deucalion ayant été ballotté par la mer pendant neuf jours et neuf nuits, aborda enfin au Parnasse ; la pluie ayant cessé alors, il sortit de son coffre, et offrit un sacrifice à Jupiter-Phyxius. Jupiter ayant envoyé Mercure vers lui, lui permit de demander ce qu’il voudroit. Deucalion le pria de repeupler la terre ; alors, d’après l’ordre de Jupiter, ils jetèrent des pierres derrière eux ; celles que Deucalion jetoit se changeoient en hommes, celles que Pyrrha jetoit se changeoient en femmes. C’est de là que les peuples furent appelés, par métaphore, Λαος… de Λάας, pierre.

Deucalion eut de Pyrrha plusieurs enfants, Hellen fut le premier ; quelques-uns le disent fils de Jupiter6. Le second fut Amphictyon7, qui régna sur l’Attique après Cranaüs ; il eut pour fille Protogénie8, qui eut de Jupiter un fils nommé Aëthlius. D’Hellen et de la nymphe Orséide naquirent Dorus, Xuthus et Æolus.

§ 3. Ce fut d’Hellen que les Grecs10 prirent le nom d’Hellènes. Il divisa ce pays à ses enfants, et Xuthus ayant pris pour sa part le Péloponnèse11, eut de Créüse, fille d’Erechthée, deux fils, Achæus et Ion, qui donnèrent aux habitants de ce pays les noms d’Achéens12 et d’Ioniens13, Dorus ayant pris le pays vis-à-vis le Péloponnèse14, donna le nom de Doriens à ceux qui l’habitoient. Enfin Æolus régnant sur la Thessalie et les pays circonvoisins15, fit porter le nom d’Æoliens aux peuples qui les habitoient. Ayant épousé Enarète, fille de Déimaque, il eut d’elle sept fils, savoir : Créthée, Sisyphe, Athamas, Salmonée, Déionée, Magnès et Périérès ; et cinq filles, savoir : Canacé, Alcyone, Pisidice, Calyce et Périmède. De Périmède et du fleuve Achéloüs16, naquirent Hippodamas et Oreste. De Pisidice et de Myrmidon17, naquirent Antiphus et Actor.

Céyx, fils de Lucifer18, épousa Alcyone ; leur orgueil fut cause de leur perte ; Céyx donnoit en effet le nom de Junon à sa femme, et elle appeloit son mari Jupiter : ce dieu les changea en oiseaux, la femme en alcyon, et le mari en plongeon.

§ 4. Canacé eut de Neptune Oplée, Nerée, Épopée, Aloée, et Triops19. Aloée épousa Iphimédie, fille de Triops. Iphimédie étant devenue amoureuse de Neptune, alloit souvent vers les bords de la mer, elle en puisoit l’eau avec ses mains, et la portoit dans son sein. Neptune ayant joui d’elle, elle en eut deux enfants, Otus et Ephialtes, qu’on nomme ordinairement les Aloïdes. Ils croissoient chaque année d’une coudée en grosseur20, et d’une toise en hauteur ; de sorte qu’ils avoient à neuf ans neuf coudées d’épaisseur et neuf toises de haut. Alors ils voulurent faire la guerre aux Dieux, et ayant mis l’Ossa sur l’Olympe, et le Pélion21 sur l’Ossa, ils menaçoient d’escalader le Ciel ; ils se proposoient de combler la mer avec des montagnes, et de lui faire changer de place avec la terre. Ils vouloient aussi épouser, Ephialtes, Junon, et Otus, Diane. Ils avoient garrotté Mars, que Mercure délivra par adresse23. Enfin Diane les fit périr par ruse dans l’île de Naxos ; s’étant changée en cerf, elle s’élança au milieu d’eux ; voulant à l’envi tirer dessus, ils se tuèrent l’un l’autre23.

§ 5. De Calyce et d’Aëthlius naquit Endymion24, qui conduisit dans l’Elide une colonie d’Æoliens de la Thessalie25 : suivant d’autres, il étoit fils de Jupiter. Comme il étoit d’une rare beauté, la Lune en devint amoureuse. Jupiter lui ayant promis de lui accorder ce qu’il souhaiteroit, il demanda de dormir éternellement, et sans vieillir.

§ 6. D’Endymion et de Séïde, nymphe Naïade26, ou, comme d’autres le disent, d’Iphianasse, naquit Ætolus, qui ayant tué Apis27, fils de Phoronée, s’enfuit dans le pays des Curètes ; et là, ayant tué Dorus, Laodocus et Polypœtes fils d’Apollon et de Phthia28, qui lui avoient donné l’hospitalité, il donna son nom à la contrée.

D’Ætolus et de Pronoé, fille de Phorbus, naquirent Pleuron et Calydon29, qui donnèrent leurs noms à deux villes d’Ætolie.

§ 7. Pleuron ayant épousé Xanthippe, fille de Dorus, en eut un fils nommé Agénor, et trois filles, Stérope, Stratonice et Laophonte. De Calydon et d’Æolie, fille d’Amythaon, naquirent Épicaste, et Protogénie qui eut de Mars Oxylus.

Agénor, fils de Pleuron, épousa Épicaste, fille de Calydon ; il en eut Parthaon30 et Démonice. De cette dernière et de Mars naquirent Evénus, Molus, Pylus et Thestius31.

§ 8. D’Evenus32 naquit Marpesse ; Apollon l’ayant demandée en mariage, Idas, fils d’Apharée, l’enleva dans un char ailé que Neptune lui avoit donné. Evénus le poursuivit dans son char, jusqu’au fleuve Lycormas, et n’ayant pu l’atteindre, il égorgea ses chevaux, et se précipita dans le fleuve, qui a pris de lui le nom d’Evénus.

§ 9. Idas se rendit à Messène ; Apollon l’ayant rencontré, voulut lui enlever Marpesse ; comme ils se battoient à qui l’épouseroit, Jupiter ayant fait cesser le combat, dit à la fille de choisir entre les deux celui qu’elle vouloit épouser. Marpesse craignant qu’Apollon ne l’abandonnât quand elle seroit vieille, choisit Idas pour son époux.

§ 10. Thestius eut d’Eurythémis, fille de Cléobée34, trois filles, Althée, Léda et Hypermnestre, et quatre fils, Iphicle, Evippe, Pléxippe et Eurypyle35.

§ 11. De Parthaon et d’Euryte, fille d’Hippodamas, naquirent Œnée, Agrius, Alcathous, Mêlas, Leucopéus36, et une fille nommée Stérope, qui eut les Sirènes du fleuve Achéloüs.

CHAPITRE VIII.

§ 1. Œnée régnoit à Calydon ; il reçut le premier de Bacchus le fruit de la vigne1. Ayant épousé Althée, fille de Thestius, il en eut Toxée, qu’il tua lui-même, pour avoir franchi un fossé ; il en eut ensuite Thyrée fit Clymenus ; et deux filles, savoir, Gorgé qu’Andræmon2 épousa, et Déjanire qu’Althée eut, à ce qu’on dit, de Bacchus. Elle avoit le talent de conduire un char, et se plaisoit à tous les exercices militaires. Hercule disputa sa main au fleuve Achéloüs, en se battant contre lui.

§ 2. Althée eut encore d’Œnée, Méléagre, qu’on dit aussi fils de Mars. Il n’avoit que sept jours, lorsque les Parques étant venues, dirent qu’il mourroit, quand un tison qui étoit sur le brasier seroit consumé. Althée ayant entendu cela, retira le tison du feu, et le serra dans une armoire.

Méléagre parvenu à l’âge viril, étoit vaillant et invulnérable ; il mourut de la manière que je vais raconter. Œnée sacrifiant aux dieux les prémices des fruits du pays, oublia la seule Diane. La déesse irritée, envoya un sanglier terrible par sa force et par sa taille3, qui ravageoit les moissons, détruisoit les troupeaux, et tuait tous les hommes qu’il rencontroit. Œnée rassembla les plus vaillants des Grecs pour donner la chasse à ce monstre, et en promit la dépouille pour récompense à celui qui le tueroit. Ceux qui se rendirent à cette chasse, furent Méléagre, fils d’Œnée ; Dryas, fils de Mars4, tous d’eux de Calydon ; Idas et Lyncée, fils d’Apharée, de Messène ; Castor et Pollux, fils, de Jupiter et de Léda, de Lacédémone ; Thésée, fils d’Ægée, d’Athènes ; Admète, fils de Phérès, de Phère ; Céphée, et Ancée5, fils de Lycurgue, de l’Arcadie ; Jason, fils d’Æson, d’Iolcos ; Iphiclès6, fils d’Amphytrion, de Thèbes ; Pirithoüs, fils d’Ixion7, de Larisse ; Pelée, fils d’Æaque, de Phthie ; Télamon, fils d’Æaque, de Salamine ; Eurytion, fils d’Actor8, de Phthie ; Atalante, fille de Schœnée9, de l’Arcadie ; Amphiaraus, fils d’Oïclée, d’Argos ; et avec eux, les fils de Thestius10. Œnée les traita pendant neuf jours ; au dixième, Céphée et Ancée parurent dédaigner d’aller à la chasse avec une femme ; Méléagre, qui étoit déjà marié à Cléopâtre, fille d’Idas et de Marpesse, et qui désiroit néanmoins avoir des enfants d’Atalante, les força à l’admettre dans leur compagnie. Lorsqu’ils furent tous rassemblés autour du sanglier, Hyléus et Ancée11 furent tués par cet animal ; Pélée tua involontairement Eurytion d’un coup de flèche ; Atalante blessa la première le sanglier d’un coup de flèche dans le dos. Amphiaraüs lui perça ensuite l’œil, et Méléagre le tua enfin12 en le frappant au côté. Après en avoir ôté la dépouille, il la donna à Atalante ; les fils de Thestius se croyant déshonorés, si une femme avoit le prix en présence de tant d’hommes, la lui ôtèrent, disant qu’elle leur appartenoit par droit de naissance, si Méléagre ne la prenoit pas pour lui.

§ 3. Irrité de cela, Méléagre tua les fils de Thestius, et rendit la peau du sanglier à Atalante. Althée, chagrine de la mort de ses frères, brûla le tison fatal, et Méléagre mourut sur-le-champ13.

D’autres disent que ce ne fut pas ainsi que périt Méléagre ; une dispute s’étant élevée sur la question de savoir qui avoit le premier blessé le sanglier, les fils de Thestius prétendant que c’étoit Iphiclès, il s’éleva une guerre entre les Curètes et les Calydoniens. Méléagre ayant, dans une sortie, tué quelques-uns des fils de Thestius, Althée lui donna sa malédiction. Irrité de cela, Méléagre resta dans sa maison, jusqu’à ce que les ennemis s’approchant des murs, et les habitants le suppliant de les secourir, il se laissa à peine persuader par sa femme de prendre les armes, et ayant tué les autres fils de Thestius, il périt lui-même dans le combat. Après sa mort, Althée et Cléopâtre14 se pendirent et les femmes qui pleuroient à ses funérailles, furent changées en oiseaux.

§ 4. Althée étant morte, Œnée épousa Péribée, fille d’Hipponoüs ; suivant l’auteur de la Thébaïde il l’avoit eue pour sa part du butin à la prise d’Olène. Hésiode dit qu’ayant été corrompue par Hippostrate, fils d’Amaryncée15, Hipponoüs son père l’envoya d’Olène vers Œnée, et le pria de la faire transporter dans un pays éloigné de la Grèce16.

§ 5. Suivant d’autres enfin, Hipponoüs apprenant que sa fille avoit été corrompue par Œnée, la lui envoya lorsqu’il s’aperçut qu’elle étoit enceinte17. Œnée eut d’elle Tydée ; Pisandre dit qu’il l’avoit eu de Gorgès, sa propre fille, dont il étoit devenu amoureux par la volonté de Jupiter.

Tydée étant devenu un très vaillant guerrier, fut obligé de s’enfuir de son pays18, pour avoir tué, suivant les uns, Alcathoüs, frère d’Œnée, ou, suivant l’auteur de l’Alcmæonide, Phénée, Euryale, Hyperlaüs, Antiochès, Eumédes, Sternope, Xanthippe et Sthénélus, fils de Mélas, qui avoient conspiré contre Œnée ; ou enfin, suivant Phérécydes, pour avoir tué Olénias son propre frère. Poursuivi par Agrius à cause de ce meurtre, il s’enfuit à Argos vers Adraste, qui lui donna en mariage sa fille Déïpyle, dont il eut Diomèdes.

Tydée étant allé au siège de Thèbes avec Adraste son beau-père, y fut tué par Mélanippe.

§ 6. Quant aux fils d’Agrius, Thersites, Oncheste, Prothoüs, Céleutor, Lycopée et Mélanippe, ils ôtèrent la couronne à Œnée, et la donnèrent à leur père ; et en outre, ils tenoient Œnée renfermé et le maltraitoient ; mais, quelques temps après, Diomèdes étant venu secrètement d’Argos avec un autre, les tua tous, à l’exception d’Onchestus et de Thersites, qui s’enfuirent dans le Péloponnèse19. Œnée étant déjà vieux, Diomèdes mit sur le trône Andræmon qui avoit épousé la fille de ce prince et l’emmena lui-même à Argos20. Ceux des fils d’Agrius qui s’étoient échappés, lui dressèrent une embuscade près de l’endroit de l’Arcadie nommé la table de Télèphe21, et y tuèrent le vieillard. Diomèdes ayant emporté son corps à Argos, l’y enterra, et donna son nom à une ville qui se nomme, encore Œnoé ; et ayant épousé Ægialée, fille d’Adraste22, ou, comme d’autres le disent, d’Ægialéus, il alla à la seconde guerre de Thèbes et à celle de Troyes.

CHAPITRE IX.

§ 1. Athamas, l’un des fils d’Æole, régnant sur la Bœotie, eut de Néphèlé1 un fils, nommé Phrixus, et une fille nommée Hellé. Il épousa ensuite Ino2, dont il eut Léarque et Mélicerte. Ino voulant faire périr les enfants de Néphèlé, engagea les femmes à griller, à l’insu de leurs maris, les grains qu’on destinoit aux semences ; la terre ne recevant que des semences grillées, ne donnoit point de récolte. Athamas envoya alors à Delphes consulter l’oracle sur les moyens de remédier à cette calamité ; Ino gagna ceux qu’il y envoyoit pour leur faire dire que l’oracle avoit répondu que cette calamité cesseroit, si on sacrifioit Phrixus à Jupiter3. Athamas ayant reçu cette réponse, se préparoit à sacrifier Phrixus, s’y voyant contraint par les habitants du pays. Phrixus étoit déjà près de l’autel, lorsque Néphèlé sa mère l’enleva avec sa sœur, et leur donna un bélier à toison d’or qu’elle avoit eu de Mercure4. Ce bélier les porta par les airs, à travers la terre et la mer. Lorsqu’ils furent arrivés à la mer qui sépare Sigée de la Chersonèse, Hellé se laissa tomber dans les eaux, et cette mer prit d’elle le nom d’Hellespont5. Phrixus arriva à Colchos où régnoit alors Æétes, fils du Soleil, et de Perséïs ; frère de Circé et de Pasiphaé, femme de Minos6. Æétes le reçut, et lui donna en mariage Chalciope, l’une de ses filles7. Phrixus sacrifia le bélier à Jupiter-Phyxius8, et donna sa peau à Æétes, qui la cloua à un chêne dans un bois consacré à Mars. Phrixus eut de Chalciope9 quatre fils, Argus, Mélas, Phrontis et Cytisorus10.

§ 2. Athamas perdit aussi, quelque temps après, par l’effet de la colère de Junon, les enfants qu’il avoit eus d’Ino : il tua Léarque à coups de flèches dans un accès de frénésie, et Ino se précipita avec Mélicerte dans la mer. Athamas ayant été chassé de la Bœotie, consulta Apollon pour savoir où il irait s’établir ; le dieu lui répondit de chercher le lieu où les bêtes féroces lui donneroient l’hospitalité ; après avoir parcouru beaucoup de pays, il rencontra enfin des loups qui dévoroient des brebis, et qui s’enfuirent à son approche, en lui laissant leur proie, il y fonda un État qu’il nomma Athamantie12 ; et ayant épousé Thémisto, fille d’Hypsée13, il en eut Leucon14, Erythrius, Schœnée et Ptoüs.

§ 3. Sisyphe, fils d’Æole15 ; ayant fondé Ephyre, qu’on nomme maintenant Corinthe, épousa Mérope, fille d’Atlas ; il en eut un fils nommé Glaucus16, qui eut d’Eurymède, Bellérophon qui tua la Chimère ; ce monstre jetoit du feu par la gueule, et par les narines. Sisyphe est condamné dans les enfers à rouler un rocher avec sa tête et ses mains, il s’efforce de le pousser en haut, mais lorsqu’il l’a poussé, le rocher est repoussé en bas. Il est condamné à ce supplice pour avoir dit au fleuve Asope, où étoit sa fille Ægine, que Jupiter avoit enlevée en secret17.

§ 4. Déion18 qui régnoit sur la Phocide, épousa Diomède, fille de Xuthus ; il en eut une fille nommée Astéropée19, et plusieurs fils, savoir : Ænète, Actor, Phylacus et Céphale qui épousa Procris, fille d’Erechthée ; l’Aurore étant devenue amoureuse de lui, l’enleva.

§ 5. Périères s’étant établi à Messène, épousa Gorgophone, fille de Persée, dont il eut Apharée, Leucippe, Tyndare et Icarius. Beaucoup d’écrivains disent que Périères n’étoit pas fils d’Æole, mais de Cynortas, fils d’Amyclas ; c’est pourquoi je renverrai à parler de sa postérité à l’article des Atlantiades.

§ 6. Magnès, fils d’Æole, épousa une Nymphe Naïade20, et il en eut Polydecte et Dictys qui fondèrent Sériphe.

§ 7. Salmonée habitoit d’abord la Thessalie ; il vint ensuite dans l’Elide, et y fonda une ville21. Il étoit d’une insolence extrême, et osoit se comparer à Jupiter, ce dieu le punit de son impiété. Il vouloit en effet se faire passer pour Jupiter, défendoit qu’on lui offrît des sacrifices, et se les faisoit offrir à lui-même ; traînant à son char des cuirs secs et des vases d’airain, il imitoit le bruit du tonnerre ; il lançoit des torches enflammées contre le ciel, pour imiter les éclairs. Jupiter l’ayant foudroyé, le fît disparaître, ainsi que la ville qu’il avoit fondée et tous ses habitants.

§ 8. Tyro, fille de Salmonée et d’Alcidice, pendant qu’elle étoit élevée chez Crethée, le frère de Salmonée22, devint amoureuse du fleuve Enipée ; elle alloit souvent répandre des larmes sar ses bords. Neptune ayant pris la ressemblance de ce fleuve, jouît d’elle, et elle accoucha en secret de deux jumeaux qu’elle23 exposa. Des pâtres de chevaux passant auprès de ces enfants, un cheval en frappa un du pied, et lui fît au visage une tache livide ; un de ces pâtres les emporta, et nomma celui qui avoit été ainsi frappé, Pélias, et l’autre, Nélée24. Étant parvenus à l’âge, viril, ils reconnurent leur mère, et tuèrent Sidéro, sa belle-mère ; ayant appris en effet qu’elle faisoit éprouver à leur mère toutes sortes de mauvais traitements, ils fondirent sur elle. Sidéro s’enfuit, pour les éviter, dans le temple de Junon, et Pélias la tua aux pieds même des autels, sans aucun respect pour la déesse25.

§ 9. Ils prirent ensuite querelle l’un contre l’autre ; et Nélée forcé de fuir, se retira dans la Messénie, où il fonda la ville de Pylos26. Il y épousa Chloris27, fille d’Amphion ; il en eut une fille nommée Péro, et plusieurs fils, savoir : Taurus, Astérius, Pylaon, Déïmaque, Eurybius, Epidaüs, Rhadius, Eurymènes, Evagore, Alastor, Nestor et Périclymènes28 que Neptune29 dota de la faculté de se revêtir de toutes sortes de formes. Hercules, lorsqu’il saccagea Pylos, le tua, ainsi que tous les autres fils de Nélée30, quoiqu’en combattant il se fût changé successivement en lion, en serpent et en abeille. Nestor qui étoit élevé chez les Géréniens, fut le seul qui échappa ; il épousa Anaxibie, fille de Cratiéus31, il en eut deux filles, Pisidice et Polycaste32, et sept fils, savoir : Persée, Stratichus, Arérus, Echephron, Pisistrate, Antiloque et Thrasymèdes.

§ 10. Pélias habitoit la Thessalie ; il épousa Anaxibie, fille de Bias33, ou, suivant d’autres auteurs, Philomaque, fille d’Amphion ; il en eut un fils nommé Acaste, et quatre filles, Pisidice, Pélopée, Hippothoé et Alceste34.

§ 11. Créthée, le fondateur d’Iolchos35, épousa Tyro, fille de Salmonée, et en eut pour fils Æson, Amythaon et Phérès.

Amythaon habitoit Pylos36, où il épousa Idomène, fille de Phérès37 ; il en eut deux fils, Bias et Mélampe38. Ce dernier, habitant la campagne, avoit devant sa maison un chêne dans lequel étoit un repaire de serpents ; ses domestiques ayant tué ces serpens, Mélampe fit apporter du bois, les brûla et éleva leurs petits39. Ces serpens étant devenus grands, s’entortillèrent autour de ses épaules pendant son sommeil, et lui purifièrent les oreilles avec leur langue40. Il s’éveilla saisi de frayeur, mais il s’aperçut ensuite qu’il entendoit le langage des oiseaux ; et d’après ce qu’ils disoient, il prédisoit l’avenir. Il s’instruisit aussi dans la partie de la divination qui se fait par les sacrifices. Enfin, ayant rencontré Apollon près du fleuve Alphée, il s’instruisit à fond dans toutes les parties de l’art de prédire l’avenir.

§ 12. Bias, fils d’Amythaon, recherchoit en mariage Péro, fille de Nélée ; d’autres la demandant aussi, Nélée la promit à celui qui lui amèneroit les bœufs de Phylacus41 ; ces bœufs étoient à Phylaque, et un chien les gardoit de telle manière, que ni homme, ni bête féroce, ne pouvoient en approcher. Bias ne sachant comment s’y prendre pour les dérober, pria son frère de lui rendre ce service ; Mélampe le lui promit, en l’avertissant d’avance qu’il seroit pris sur le fait, qu’il resteroit un an en prison, mais qu’il auroit enfin les bœufs. Ayant fait cette promesse, il alla à Phylaque, il y fut pris comme il l’avoit prédit, et fut enchaîné dans une prison : l’année étant presque révolue, il entendit dans le faîte de la maison, quelques vers qui se parloient ; l’un demandoit s’il restoit encore beaucoup de la poutre à ronger, et les autres lui répondoient qu’elle étoit presque finie42. Mélampe demanda alors qu’on le transférât sur le champ dans une autre chambre : celle qu’il venoit de quitter, étant tombée peu de temps après son départ, Phylacus étonné, et apprenant qu’il étoit un excellent devin, le délivra, et lui demanda par quel moyen Iphiclus, son fils, parviendroit à avoir des enfans ? Mélampe lui promit de le lui dire, s’il vouloit lui donner ses bœufs pour récompense. Phylacus les lui ayant promis, Mélampe sacrifia deux taureaux, et les ayant coupés par petits morceaux, il invita les oiseaux à manger. Dans le nombre se trouvoit un vautour qui lui apprit que Phylacus43, taillant un jour des béliers dans ses champs, avoit posé auprès d’Iphiclus son couteau tout ensanglanté ; l’enfant s’étant enfui saisi de frayeur, Phylacus ramassa le couteau, et le piqua dans un chêne sacré ; il l’y oublia, et le chêne en croissant l’enveloppa de son écorce : le vautour ajouta que, pour qu’Iphiclus pût avoir des enfans, il falloit retrouver le couteau, en racler la rouille, et lui en faire boire pendant dix jours, Mélampe le retrouva, fit boire de la rouille à Iphiclus, qui eut un fils nommé Podarque. Mélampe emmena ensuite les bœufs à Pylos, et ayant obtenu par ce moyen la fille de Nélée, il la maria à Bias, son frère. Il demeura quelque temps dans la Messénie, mais Bacchus ayant rendu folles les femmes d’Argos, il les guérit moyennant la cession qu’on lui fit d’une partie du royaume d’Argos, et il s’y établit avec son frère Bias.

§ 13. De Bias et de Péro naquit Talaüs44, qui eut de Lysimaque, fille d’Abas45, fils de Mélampe, Adraste, Parthénopée, Pronax46, Mécisiée, Aristomaque et Eryphile, qu’Amphiaraüs épousa. De Parthénopée naquit Promaque, qui se trouva avec les Épigones à la guerre de Thèbes. Euryale qui alla au siège de Troyes, étoit fils de Mécistée, et Lycurgue étoit fils de Pronax.

D’Adraste et d’Amphithée, fille de Pronax47, naquirent trois filles, Argie, Déïpyle et Ægialée, et deux fils, Ægialéus et Cyanippe.

§ 14. Phérès, fils de Créthée, fonda Phéres dans la Thessalie48 ; il eut pour fils Admète et Lycurgue. Lycurgue, qui habitoit les environs de Némée, épousa Eurydice, ou, suivant d’autres, Amphithée ; il en eut pour fils Opheltes, connu sous le nom d’Archémore.

§ 15. Admète étoit roi de Phéres : Apollon étoit à son service à l’époque où il recherchoit en mariage Alceste, fille de Pélias49 ; ce dernier ayant promis de la donner à celui qui lui amèneroit un char50 attelé d’un lion et d’un sanglier, Apollon attela ces deux animaux à un char, et Admète l’ayant présenté à Pélias, obtint sa fille en mariage. Faisant un sacrifice à ses noces, il oublia Diane, et lorsqu’il voulut entrer le soir dans sa chambre pour se coucher, il la trouva pleine de serpens entortillés51. Apollon lui ayant conseillé d’apaiser la déesse, obtint en outre des Parques que lorsqu’Admète seroit sur le point d’expirer, il seroit rendu à la vie si quelqu’un vouloit mourir pour lui. Étant près de sa dernière heure, et son père et sa mère s’étant refusés à perdre la vie pour lui, Alceste se dévoua à sa place, et Proserpine la renvoya, ou, comme d’autres le disent, Hercules l’enleva à Hadès, en se battant contre lui52.

§ 16. Jason étoit fils d’Æson fils de Créthée, et de Polymède, fille d’Autolycus53. Il habitoit Iolchos, dont Pélias étoit roi après la mort de Créthée54. Les dieux ayant averti Pélias qui les consultoit sur le sort de son royaume, de se méfier de celui qui n’auroit qu’un pied chaussé, il ne sut d’abord ce que signifioit cet oracle ; mais il en eut bientôt l’intelligence ; faisant en effet auprès de la mer un sacrifice à Neptune, il y avoit invité plusieurs personnes, et Jason, entre autres. Ce dernier, qui demeuroit à la campagne par goût pour l’agriculture, s’empressa d’y venir ; il perdit un de ses souliers en traversant le fleuve Anaurus55 et en sortit avec un seul pied chaussé. Pélias y ayant pris garde et se rappelant de l’oracle, s’approcha de lui et lui demanda ce qu’il feroit, en ayant le pouvoir, s’il lui avoit été prédit qu’il seroit tué par quelqu’un de ses concitoyens. Alors, soit cela lui vint naturellement à l’idée, soit que cela lui fut inspiré par Junon qui, irritée de ce que Pélias ne lui rendoit aucun culte, vouloit faire venir Médée dans la Grèce pour son malheur, Jason répondit qu’il lui ordonneroit d’apporter la toison d’or ; et Pélias lui ordonna aussitôt d’aller la chercher. Cette toison étoit à Colchos, suspendue à un chêne, dans un bois consacré à Mars, et gardée par un dragon qui ne dormoit jamais.

Jason ayant reçu cet ordre, fit venir Argus, fils de Phrixus56, qui lui construisit, sous la direction de Minerve, un vaisseau à cinquante rames qu’on nomma Argos, à cause de celui qui l’avoit fabriqué. Minerve ajusta à la proue une pièce de hêtre parlant de la forêt de Dodone : lorsque le vaisseau fut achevé, Jason consulta l’oracle, qui l’exhorta à partir après avoir rassemblé les principaux de la Grèce. Ceux qui se rassemblèrent pour cette expédition, furent : Tiphys, fils d’Hagnius57, qui fut chargé de la conduite du vaisseau ; Orphée, fils d’Œagre58 ; Zétès et Calaïs, fils de Borée ; Castor et Pollux, fils de Jupiter ; Télamon et Pélée, fils d’Æaque ; Hercules, fils de Jupiter ; Thésée, fils d’Ægée59 ; Idas et Lyncée, fils d’Apharée ; Amphiaraüs60, fils d’Oiclès ; Coronus, fils de Cænée61 ; Palæmon62, fils de Vulcain ou d’Ætolus ; Céphée, fils d’Aléus ; Laërtes, fils d’Arcisius63 ; Autolyeus, fils de Mercure64 ; Atalante, fille de Schœnée65 ; Menœtius, fils d’Actor ; Actor66, fils d’Hippasus ; Admète, fils de Phérès ; Acaste, fils de Pélias ; Eurytus, fils de Mercure67  ; Méléagre, fils d’Œnée ; Ancée, fils de Lycurgue ; Euphémus, fils de Neptune68 ; Pœas69, fils de Thaumacus ; Butès, fils de Téléon70 ; Phanus71 et Staphylus72 fils de Bacchus ; Erginus, fils de Neptune73 ; Périclymènes, fils de Nélée ; Augias, fils du Soleil ; Iphiclus, fils de Thestius ; Argus, fils de Phrixus ; Euryale74, fils de Mécistée ; Pénélée, fils d’Hippalmus ; Léïtus, fils d’Alector ; Iphitus, fils de Naubolus75 ; Ascalaphe et Ialménus, fils de Mars76 ; Astérius77, fils de Comètes, et Polyphême, fils d’Élatus78.

§ 17. S’étant tous embarqués79 sous les ordres de Jason, ils abordèrent d’abord à Lemnos80 ; cette île étoit alors absolument dépeuplée d’hommes, et elle étoit gouvernée par Hypsipyle, fille de Thoas ; voici comment cela étoit arrivé : les Lemniennes ne rendoient aucun culte à Vénus ; la déesse, pour s’en venger, leur donna à toutes une si mauvaise odeur, que leurs maris ne pouvant en approcher, enlevèrent dans la Thrace, qui étoit voisine, des jeunes filles, et partagèrent leur lit avec elles. Irritées de ce mépris, les Lemniennes tuèrent leurs pères et leurs maris, à l’exception de la seule Hypsipyle qui cacha Thoas son père. Les Argonautes, ayant abordé à cette île, gouvernée alors par des femmes, couchèrent avec elles, et Hypsipyle eut de Jason deux fils, Eunéus et Nebrophonus81.

§ 18. Étant partis de Lemnos, ils abordèrent dans le pays des Dolions, où régnoit Cyzicus82, qui les reçut avec beaucoup d’humanité. En étant partis de nuit, ils y furent ramenés, sans s’en apercevoir, par les vents contraires : les Dolions croyant que c’étaient les Pélasges83, leurs ennemis habituels, qui venoient les attaquer, allèrent à leur rencontre, et ils se livrèrent combat sans se reconnoître ; les Argonautes en ayant tué beaucoup, et entre autres Cyzicus84, reconnurent leur erreur lorsque le jour fut venu ; affligés de cet événement, ils coupèrent leurs cheveux, et firent à Cyzicus des funérailles magnifiques ; ils partirent ensuite, et allèrent aborder dans la Mysie.

§ 19. Ils laissèrent dans ce dernier pays, Hercules et Polyphême : Hylas, fils de Thiodamas85 et le bien-aimé d’Hercules, ayant été puiser de l’eau, fut ravi par les nymphes éprises de sa beauté : Polyphême l’ayant entendu appeler à son secours, tira son épée et y courut, croyant qu’il étoit emmené par des brigands ; ayant rencontré Hercules, il lui fit part de ce qu’il avoit entendu ; tandis qu’ils cherchoient tous deux Hylas, le vaisseau partit. Polyphême fonda, dans la Mysie, une ville nommée Cios, dont il fut le roi ; quant à Hercules, il retourna à Argos : suivant Hérodore, il n’étoit même pas du nombre des Argonautes, mais il étoit alors esclave chez Omphale, reine de Lydie : Phérécydes dit qu’on le laissa à Aphètes en Thessalie, le vaisseau Argos ayant dit qu’il ne pouvoit le porter à cause de sa pesanteur86. Démarate dit qu’il alla jusqu’à Colchos, et Denys ajoute même qu’il étoit le chef des Argonautes.

§ 20. De la Mysie ils abordèrent dans le pays des Bébryces, où régnoit Amycus, fils de Neptune et de Bithynis87 ; cet Amycus étoit courageux, et forçoit ceux qui s’arrêtoient dans ses États, à se battre au pugilat avec lui ; il avoit déjà fait périr ainsi beaucoup de voyageurs ; s’étant présenté au vaisseau, il demanda si quelqu’un vouloit se mesurer avec lui. Pollux accepta le défi, et le tua en le frappant sur le cou88. Les Bébryces s’étant précipités sur lui, les autres Argonautes prirent leurs armes et les mirent en fuite après en avoir tué un grand nombre.

§ 21. Os abordèrent ensuite à Salmydesse, en Thrace, où demeuroit alors Phinée, habile dans l’art de prédire l’avenir, et privé de la vue. Il étoit fils d’Agénor, suivant les uns ; de Neptune, suivant les autres89. Les uns disent que les dieux l’avoient privé de la vue, parce qu’il prédisoit aux hommes ce qui devoit arriver90 ; il en fut privé, suivant d’autres, par Borée et les Argonautes91, parce que, sur un faux rapport de leur belle-mère92, il avoit aveuglé ses propres enfans. Enfin quelques-uns disent que ce fut Neptune qui la lui fit perdre par ce qu’il avoit enseigné aux enfans de Phrixus, qui demeuroient à Colchos, le chemin qu’ils dévoient prendre pour se rendre par mer dans la Grèce93. Les dieux lui avoient envoyé les Harpyes94 ; elles avoient des ailes et fondoient du haut des airs sur ce qu’on lui servoit à manger, en emportaient la plus, grande partie, et infectoient tellement le reste, que personne ne pouvoit y toucher95. Les Argonautes désirant savoir ce qui concernoit leur voyage, Phinéé promit de le leur apprendre, s’ils le délivroient de ces monstres. Pour y parvenir, ils firent servir une table couverte de mets : les Harpyes ayant fondu dessus avec de grands cris, les enlevèrent. Alors Zétès et Calais, fils de Borée, qui avoient des ailes, tirèrent leurs épées, et se mirent à leur poursuite à travers les airs. Le destin avoit réglé que les Harpyes périroient de la main des enfans de Borée, ou que les enfans de Borée périroient eux-mêmes, s’ils ne réussissoient pas à les atteindre. Les Harpyes étant ainsi poursuivies, l’une tomba dans le Tigrès, fleuve du Péloponnèse, qui a pris de là le nom d’Harpys : elle se nommoit Nicothoé, suivant les uns, et Aellopos, suivant d’autres. La seconde, nommée Ocypeté, ou, d’après d’autres écrivains, Ocythoé, ou enfin, suivant Hésiode, Ocypode, s’enfuit à travers la Propontide jusqu’aux îles Echinades, qui portent depuis ce temps le nom de Stropbades (tournantes), parce qu’arrivée là, elle se retourna et tomba de lassitude sur le rivage avec celui qui la poursuivoit. Apollonius, dans son poëme des Argonautes, dit qu’elles furent poursuivies jusqu’aux îles Stropbades, mais qu’elles ne reçurent aucun mal, ayant prêté serment de ne plus nuire à Phinée.

§ 22. Phinée étant délivré des Harpyes, enseigna aux Argonautes comment ils devoient y gouverner dans leur navigation, et les précautionna contre les roches Symplégades : ces roches s’élevoient de beaucoup au-dessus de la mer, et les vents les faisoient heurter l’une contre l’autre de telle manière qu’elles fermoient le passage ; elles étoient toujours environnées de brouillards épais, il s’y faisoit un bruit épouvantable, et il étoit impossible aux oiseaux mêmes d’y passer. Phinée leur conseilla de lâcher un pigeon à travers ces roches, et leur dit que si le pigeon y passoit ; ils pouvoient y passer sans rien craindre, sinon, de ne pas tenter le passage. Ils partirent munis de toutes ces instructions, et étant arrivés auprès des roches, ils lâchèrent un pigeon de la proue ; le pigeon ayant pris son vol au travers, les deux roches en se rejoignant, lui emportèrent le bout de la queue. Ils saisirent alors le moment où les rochers s’écartoient de nouveau, et y passèrent à force de rames et par le secours de Junon. Le bout de leur poupe fut cependant fracassé96. À compter, de ce moment, les Symplégades demeurèrent stables, d’après l’arrêt du Destin, qu’elles le seroient aussitôt qu’un vaisseau auroit passé au travers.

§ 23. Les Argonautes arrivèrent ensuite dans le pays des Mariandyniens97, et Lycus, le roi du pays, les reçût avec beaucoup d’humanité98. Idmon, le devin, y mourut blessé par un sanglier ; Tiphys, leur pilote, y mourut aussi99, et Ancée se chargea du gouvernement du Vaisseau.

Après avoir passé le Caucase et le fleuve Thermodon, ils arrivèrent enfin à l’entrée du Phase, qui est un fleuve de la Colchide. Jason ayant laissé le vaisseau dans le port, alla trouver Æétes, et lui faisant part des ordres de Pélias, lui demanda la toison. Æétes avoit eu en présent de Vulcain deux taureaux sauvages d’une grandeur extraordinaire100, qui souffloient le feu par les narines, et qui avoient des pieds d’airain. Il promit la toison à Jason s’il parvenoit, tout seul, à mettre ces taureaux sous le joug, et s’il semoit, ensuite des dents du dragon que Cadmus avoit tué à Thèbes ; car Minerve avoit donné la moitié de ces dents à Æétes. Jason étoit fort embarrassé de savoir comment s’y prendre pour mettre ces taureaux sous le joug, lorsque Médée devint amoureux de lui. Elle étoit fille d’Æétes et d’Idyia, fille de l’Océan101, et savante magicienne. Craignant que Jason ne fut tué par les taureaux, elle lui fit dire, à l’insçu de son père, qu’elle l’aideroît à les mettre sous Le joug, et qu’elle lui donneroit la toison, s’il lui juroit de la prendre pour femme, et de remmener avec lui dans la Grèce. Jason lui en ayant fait le serment, elle lui donna une composition, elle lui dit de s’en frotter tout le corps, d’en frotter aussi son bouclier et sa lance, et que par ce moyen le fer, ni le feu ne pourraient l’endommager de tout le jour. Elle l’avertit aussi que des dents du dragon qu’il semeroit, il en sortiroit des gommes tout armés ; qu’il, falloit jeter des pierres au milieu d’eux lorsqu’il les verroit réunis y et profiter du moment où ils se battroient les uns contre les autres pour les tuer. Ayant reçu toutes ces instructions, Jason se frotta de la composition ; entra dans le bois qui étoit devant le temple, et y chercha les taureaux. Ils fondirent sur lui en jetant beaucoup de flammes ; il les réduisit cependant sous le joug, et ayant semé les dents, des hommes amies sortirent de la terre ; lorsqu’il les voyoit en grand nombre, il jetoit, sans en être aperçu, des pierres au milieu d’eux, et fondant sur eux lorsqu’ils étoient occupés à se battre les uns contre les autres, il les tuoit. Quoiqu’il eut mis les taureaux sous le joug, Æétes ne vouloit cependant pas lui donner la toison, il vouloit même brûler le vaisseau, et faire périr ceux qui le montoient102. Mais Médée Tayaut prévenu, conduisit Jason, durant la nuit, à l’endroit ou étoit la toison, et ayant endormi par des breuvages le dragon qui la gardoit103, elle la prit et s’embarqua avec Jason et son frère Absyrte, et les Argonautes partirent la même nuit avec eux.

§ 24. Æétes voyant ce que Médée avoit osé faire, alla à la poursuite du vaisseau. Médée le voyant approcher, tua son frère, et l’ayant coupé par morceaux, le jeta dans la mer104. Æétes n’ayant pu l’atteindre, parce qu’il s’étoit occupé à rassembler les membres de son fils, retourna sur ses pas pour leur donner la sépulture, et nomma Tomes le lieu où il les déposa. Il envoya ensuite un grand nombre de Colchidiens à la poursuite du vaisseau Argos, en les menaçant de leur faire subir la punition qu’il destinoit à Médée, s’ils revenoient sans elle. Ils se dispersèrent donc de côté et d’autre pour la chercher.

Les Argonautes étant arrivés auprès du fleuve Eridan, Jupiter irrité du meurtre d’Absytte, fit élever une forte tempête qui les jeta hors de leur route ; lorsqu’ils passèrent vers les îles Absyrtides105, le vaisseau leur dit que la colère de Jupiter ne cessèrent de les poursuivre, que lorsqu’ils auroient été dans l’Ausonie se faire purifier par Circé du meurtre d’Absyrte ; côtoyant donc le pays des Celtes et celui des Libyens106, ils se rendirent dans la mer de Sardaigne, et ayant passé par le pays des Tyrrhéniens, ils abordèrent à Æaea. , où s’étant présentés à Circé en posture de supplians, ils furent purifiés par elle.

§ 25. En passant auprès des Sirènes, Orphée prit la contre-partie de leur chant, et retint par là les Argonautes ; le seul Butès se jeta dans la mer pour aller les joindre ; mais Vénus l’enleva et le porta à Lilybée.

Ils trouvèrent ensuite Charybde, Scylla et les roches errantes sur lesquelles on voyoit beaucoup de flammes et de fumée ; mais Thétis et les Néréides, à la prière de Junon, firent passer leur vaisseau sans accident à travers tous ces dangers.

Ils laissèrent ensuite de côté l’île Thrinacie, où étoient les bœufs du Soleil, et arrivèrent à Corcyre, l’île des Phaeaciens, où régnoit alors Alcinoüs.

Quant aux Colchidiens qui avoient été envoyés à la poursuite du vaisseau, et qui n’avoient pu l’atteindre, les uns s’établirent sur les monts Cérauniens ; d’autres, jetés sur les côtes de l’Illyrie, y peuplèrent les îles Absyrtides ; quelques-uns enfin arrivèrent dans l’île des Phaeaciens, où ils trouvèrent les Argonautes ; ils redemandèrent Médée à Alcinoüs ; il répondit que si elle étoit encore vierge, il la rendroit à son père, mais que si son mariage étoit consommé, il la laisseroit à Jason ; Arété, femme d’Alcinoüs, le prévint107, et maria sur-le-champ Médée avec Jason.

§ 26. Les Colchidiens restèrent donc avec les Phaeaciens, et les Argonautes partirent avec Médée. Ils furent surpris durant la nuit par une violente tempête ; alors Apollon se tenant sur les roches nommées le Col Melantien, tira dans la mer une flèche et en fit sortir des éclairs, à la lueur desquels ils aperçurent auprès deux une île qu’ils nommèrent Anaphé, parce qu’elle leur avoit apparu subitement. Ils y élevèrent un autel à Apollon Flamboyant, et lui ayant offert un sacrifice, ils prirent ensuite leur repas ; alors les douze filles qu’Arété avoit données à Médée, se mirent à les railler par manière de divertissement ; et de là il est en usage encore maintenant que lorsqu’on offre ce sacrifice, les femmes raillent les hommes.

Ils arrivèrent ensuite à la vue de l’île de Crète, dont Talus les empêcha d’approcher. Ce Talus étoit de la race des hommes d’airain ; suivant d’autres, Vulcain l’avoit donné à Minos108. D’autres le nomment Taurus : il avoit une veine qui lui prenoit depuis le cou jusqu’au talon, et qui étoit fermée avec un clou d’airain109. Il faisoit trois fois par jour le tour de l’île pour la garder ; et ayant aperçu le vaisseau des Argonautes, il l’éloignoit à coups de pierres. Médée le fit périr, les uns disent que ce fut en le rendant phrénétique par un breuvage qu’elle lui donna ; suivant d’autres, lui ayant promis de le rendre immortel, elle lui ôta le clou d’airain qui tenoit ; sa veine fermée ; et tout son sang s’étant écoulé, il perdit la vie sur-le-champ ; enfin, d’autres disent que Pœas le tua en le perçant d’une flèche au talon.

Ayant passé là une nuit, ils abordèrent à Ægine pour y faire de l’eau, et ils eurent à ce sujet un combat avec les habitans. Delà, ils passèrent entre l’Eubée et la Locride, et arrivèrent à Iolchos, après avoir employé quatre mois dans toute leur navigation.

§ 27. Pélias ne croyant point que les Argonautes reviendroient, avoit voulu faire périr Æson ; celui-ci ayant obtenu la permission de se Faire mourir lui-même, offrit un sacrifice, et termina ses jours avec courage, en buvant du sang de taureau110. La mère de Jason après avoir fait des imprécations contre Pélias, se pendit, laissant un fils encore enfant111, nommé Promaque, que Pélias fit périr aussi. Jason étant de retour, lui donna la toison, et attendit une occasion favorable pour se venger. Il alla d abord à l’Isthme avec les principaux Argonautes, et y consacra son vaisseau à Neptune. Il pria ensuite Médée de chercher quelque moyen de le venger de Pélias : pour y parvenir, elle alla dans le palais de ce prince, et engagea ses filles [Astéropée et Antinoé112] à le couper par morceaux et à le Faire cuire, leur promettant de le rajeunir par ses médicamens ; et pour leur en donner la preuve, elle fit cette expérience sur un bélier qu’elle fit redevenir agneau. Elles suivirent ses conseils, et firent ainsi périr leur père.

§ 28. Acaste et les habitans d’Iolchos donnèrent la sépulture à Pélias, et chassèrent de la ville Médée et Jason.

Ils se retirèrent à Corinthe, et y vécurent dix ans assez heureux ; mais Créon, roi de cette ville113, ayant promis sa fille Glaucé à Jason, celui-ci répudia Médée pour l’épouser. Alors cette princesse invoquant les dieux par lesquels Jason avoit juré, et se plaignant amèrement de son ingratitude, envoya à la nouvelle mariée un manteau empoisonné ; celle-ci s’en étant revêtue, fut consumée avec son père qui avoit voulu la secourir, par le feu qui en sortit. Médée tua ensuite Mermérus et Phérès, les deux enfans qu’elle avoit eus de Jason114, et s’enfuit à Athènes sur un char attelé de dragons, que le Soleil lui avoit donné. D’autres disent qu’elle laissa ses enfans très-jeunes, après les avoir mis sous la protection de Junon Ascræenne, et que les Corinthiens les ayant arrachés de son temple, les tuèrent.

Médée se rendit à Athènes, et y épousa Ægée, dont elle eut un fils nommé Médus115. Ayant cherché par la suite à faire périr Thésée, elle en fut chassée avec son fils. Celui-ci, après avoir vaincu beaucoup de peuples barbares, donna le nom de Médie au pays qu’il avoit conquis. Ayant ensuite entrepris une expédition contre les Indiens, il y perdit la vie.

Médée retourna à Colchos sans y être connue ; et ayant trouvé Æétes détrôné par son frère Persès, elle tua ce dernier, et rendit la couronne à son père.

BIBLIOTHÈQUE
D’APOLLODORE
L’ATHÉNIEN

LIVRE SECOND.

CHAPITRE PREMIER.

§ 1. Ayant fait l’histoire de la postérité de Deucalion, je vais passer à celle d’Inachus.

Inachus, qui donna son nom au fleuve qui passe à Argos, étoit fils de l’Océan et de Téthys1.

Il eut de Mélia, fille de l’Océan, deux fils, Phoronée et Ægialée ; ce dernier mourut sans enfants, et le pays prit de lui le nom d’Ægialée2. Phoronée3 régna sur tout le pays qui prit, par la suite, le nom de Péloponnèse4, et il eut de la nymphe Laodicé5, Apis et Niobé. Apis changea en tyrannie l’autorité dont il jouissoit, et donna au Péloponnèse le nom d’Apia. Comme il étoit très cruel, Thelxion et Telchines7 ayant conspiré contre lui, le tuèrent ; il ne laissa point de postérité ; il fut mis dans la suite au nombre des dieux, sous le nom de Sarapis8.9.

Niobé, la première femme mortelle avec qui Jupiter ait eu commerce10, en eut un fils nommé Argus11, et suivant Acusilas, un autre nommé Pélasgus, qui donna son nom aux habitants du Péloponnèse. Hésiode dit que ce dernier étoit Autochthone ; nous en parlerons encore ailleurs.

§ 2. Argus succéda à Phoronée, et le Péloponnèse prit de lui le nom d’Argos ; ayant épousé Evadné12 fille de Strymon et de Néæra, il en eut quatre fils, Ecbasus13, Piranthus14, Epidaurus15 et Criasus16, qui lui succéda au trône. D’Ecbasus17 naquit Agénor, qui eut pour fils Argus, surnommé Panoptès ; il avoit en effet des yeux sur tout le corps18. Il étoit d’une force extraordinaire. Ayant tué un taureau qui ravageoit l’Arcadie, il se revêtit de sa peau19. Il combattit et tua un satyre qui faisoit beaucoup de mal aux Arcadiens et enlevoit leurs troupeaux. On dît aussi qu’ayant épié l’instant de son sommeil, il tua Echidne, fille du Tartare et de la Terre20 qui enlevoit les passants. Il vengea aussi la mort d’Apis, en faisant mourir ceux qui l’avoient tué.

§ 3. D’Argus et d’Ismène, fille du fleuve Asope, naquit Iasus qui fut, à ce qu’on dit, père d’Io. Castor, dans son Traité sur les erreurs chronologiques, et la plupart des poètes tragiques, disent qu’elle étoit fille d’Inachus21. Hésiode et Acusilas disent qu’elle étoit fille de Pirèn22. Elle étoit prêtresse de Junon lorsque Jupiter la séduisit ; mais ayant été surpris par Junon avec elle il la changea, par son attouchement, en une vache blanche, et jura qu’il n’avoit eu aucun commerce avec elle. C’est pourquoi Hésiode dit que les parjures des amants n’excitent point la colère des dieux. Junon ayant demandé cette vache à Jupiter, lui donna pour gardien Argus Panoptès qui étoit fils d’Arestor, suivant Asclépiades ; d’Inachus, suivant Phérécyde23 ; d’Argus et d’Ismène, fille d’Asopus, suivant Cercops ; enfin, Acusilas dit qu’il étoit fils de la Terre. Argus l’attachoit à un olivier qui étoit dans les bois de Mycènes. Jupiter ordonna à Mercure de la lui dérober ; mais Hiérax l’ayant découvert, Mercure ne pouvant plus se cacher, tua Argus d’un coup de pierre24 ; c’est pourquoi on le nomme Argiphontes. Junon alors envoya un taon qui, s’attachant à la vache, la fit se jeter dans le golfe qui prit d’elle le nom d’Ionique25. Elle traversa ensuite l’Illyrie, et ayant franchi le mont Hæmus, elle passa à la nage le détroit de Thrace, qu’à cause d’elle on nomme maintenant Bosphore. Elle alla ensuite dans la Scythie et dans le pays des Cimmériens ; et ayant parcouru beaucoup de pays par terre et traversé, à la nage beaucoup de mers ; tant de l’Europe que de l’Asie, elle arriva enfin en Égypte, où ayant repris sa première forme, elle mit au monde, près le fleuve du Nil, un fils nommé Epaphus26. Les Curetés le firent disparaître à la prière de Junon27, et Jupiter irrité les tua. Il se mit à la recherche de son fils, et parcourut, à cet effet, toute, la Syrie, car on lui avoit appris qu’il étoit nourri par la femme du roi de Byblos. L’ayant enfin retrouvé, elle retourna en Égypte, où elle épousa Télégone qui y régnoit alors. Elle y éleva une statue à Cérès, que les Egyptiens nommoient Isis ; et elle y fut aussi adorée sous le même nom.

§ 4. Epaphus régna sur l’Égypte ; il y épousa Memphis, fille du Nil. Il bâtit une ville à laquelle il donna le nom de son épouse, et il en eut une fille nommée Libye, qui donna son nom au pays28. De Libye et de Neptune naquirent deux fils jumeaux, Agénor et Bélus.

Agénor s’étant rendu dans la Phénicie, y régna, et y fut chef d’une nombreuse postérité29 ; c’est pourquoi je renverrai à un autre endroit ce que j’ai à en dire.

Bélus resta en Égypte, et il en fut roi ; il épousa Anchinoé, fille du Nil ; il en eut deux fils jumeaux, Ægyptus et Danaüs, et, suivant Euripides, Céphée et Phinée.

Bélus plaça Danaüs en Libye, et Égypte et en Arabie. Ce dernier ayant soumis le pays des Mélampodes, lui donna son nom. Il eut de plusieurs femmes cinquante fils, et Danaüs eut cinquante filles30. La guerre s’étant élevée entre eux quelque temps après, au sujet de leurs états31, Danaüs craignant les fils d’Ægyptus, construisit, par le conseil de Minerve, le premier vaisseau qui eût été fait ; on le nomma Pentécontore, à cause du nombre de ses filles. Il les y embarqua et s’enfuit avec elles32.

Ayant abordé à Rhodes, il y érigea une statue à Minerve la Lindienne ; il se rendit de là à Argos, et Gélanor qui y régnoit alors, lui céda la couronne34. Danaüs étant ainsi devenu maître du pays, donna aux habitants le nom de Danaens35. Neptune ayant desséché toutes les fontaines pour se venger d’Inachus, qui avoit rendu témoignage que le pays appartenoit à Minerve36 Danaüs envoyoit ses filles puiser de l’eau : Amymone, l’une d’entre elles « cherchant une fontaine » lança un trait contre un cerf, et atteignit un satyre qui dormoit : ce satyre s’éveilla et voulut lui faire violence ; mais Neptune s’étant montré, le satyre s’enfuit ; Neptune jouit d’elle, et lui fit connoître les fontaines de Lerne37.

§ 5. Les fils d’Ægyptus étant venus ensuite à Argos, cherchèrent à se réconcilier avec Danaüs, et lui demandèrent ses filles en mariage. Danaüs se méfiant de leurs promesses, et voulant en outre se venger de son exil, les leur promit, et les leur distribua au sort. Avant cependant de tirer au sort, il donna Hypermnestre, l’aînée de toutes, à Lyncée, et Gorgophone à Protée. Ils étoient tous les deux fils d’Argyphie, reine, et femme d’Ægyptus ; quant aux autres38 : Busiris, Encelade, Lycus et Daïphron eurent pour femme Automate39, Amymone, Agavé et Scæa, que Danaüs avoit eues d’Europe (Gorgophone et Hypermnestre étoient filles d’Eléphantis40). Istrus épousa Hippodamie ; Chalcodon, Rhodie ; Agénor, Cléopâtre ; Chaitus, Astérie ; Diocorystès, Philodamie ; Alcis, Glaucé ; Alcménor, Hippoméduse ; Hippothoüs, Gorgé ; Euchénor, Iphiméduse41 ; Hippolyte, Rhodé. Les jeunes gens étoient fils d’une femme d’Arabie, et les filles avoient pour mère Atlantée et Phœbé, nymphes hamadryades. Agaptolème obtint au sort Pirène ; Cercestes, Dorie ; Eurydamas, Phare ; Ægius, Mnestra ; Argius, Evippé ; Archelaüs, Anaxibie ; Ménachus, Nélo. Les sept garçons étoient nés d’une femme Phénicienne, et les filles avoient pour mère une Éthiopienne. On donna à cause de la ressemblance des noms, sans tirer au sort, les filles de Memphis, aux fils de Tyria ; Clitus à Clité, Sthénélus à Sthénélé, et Chrysippus à Chrysippé. Les douze fils de la nymphe Caliande tirèrent au sort les douze filles de la Naïade Polyxo. Les fils se nommoient Euryloque, Phantès, Peristhènes, Hermus, Dryas, Potamon, Cissée, Lixus, Imbras, Bromius, Polyctor et Chthonius. Les filles étoient Autonoé, Théano, Électre, Cléopâtre, Eurydice, Glaucippe, Arithélée, Cleodore, Pléxippe, Euroto, Stygné et Brycé42. Ceux qu’Ægyptus avoit eus des Gorgones, tirèrent au sort les filles que Danaüs avoit eues de Piéria. Périphas fut marié à Actée ; Œnée à Podarcé ; Ægyptus à Dioxippe ; Métalcès à Adyte ; Lampus à Ocypèté ; Idmon à Pylargue. Les plus jeunes étoient, Idas qui épousa Hippodice ; Daiphron qui épousa Adiante : ces deux filles avoient Hersé pour mère. Pandion épousa Çallidice ; Arbélus, Oimé ; Hyperbius, Celœno43 ; Hippocorystès, Hypéripte : les garçons étoient fils d’Hephæstine, et les filles avoient Crino pour mère.

Les mariages étant ainsi assortis, Danaüs, au repas de noces, donna à chacune de ses filles un poignard, et elles tuèrent toutes leurs époux, lorsqu’ils furent endormis, à l’exception d’Hypermnestre qui sauva Lyncée, qui lui avoit conservé sa virginité44 ; c’est pourquoi Danaüs la renferma45. Les autres enterrèrent les têtes de leurs maris près des fontaines de Lerne, et donnèrent la sépulture à leurs corps devant la ville. Minerve et Mercure les purifièrent de ce meurtre par l’ordre de Jupiter.

Danaüs donna par la suite Hypermnestre à Lyncée47, et maria ses autres filles à ceux qui remportèrent la victoire dans les jeux publics48.

Amymone eut de Neptune Nauplius49 ; étant devenu très vieux et naviguant sur mer, il plaignoit beaucoup le sort de ceux qui y perdoient la vie ; il lui arriva cependant de périr de cette manière50. Avant de mourir, il épousa, suivant les tragiques, Clymène, fille de Catrée51, ou Philyre, suivant celui qui a écrit les retours ; ou enfin, Hésione, comme le dit Cercops, et il en eut trois fils, Palamède, Œax et Nausimédon.

CHAPITRE II.

§ 1. Lyncée fut roi d’Argos après la mort de Danaüs, et il eut d’Hypermnestre un fils nommé Abas1.

Ce dernier eut d’Ocalie, fille de Mantinée, deux, fils jumeaux, Acrisius et Prœtus.

Ils se battoient déjà dans le ventre de leur mère ; et étant devenus grands, ils se firent la guerre pour se disputer la couronne. Ce fut dans cette guerre qu’ils inventèrent les boucliers. Acrisius ayant eu le dessus, chassa Prœtus d’Argos ; ce dernier se retira dans la Lycie3 auprès d’Iobates4, ou, comme d’autres le disent, d’Amphianax5, et il épousa sa fille qu’Homère nomme Antée, et que les poètes tragiques nomment Sthénébée. Son beau-père le ramena avec une armée, et il s’empara de Tirynthe, que les Cyclopes lui fortifièrent. Il partagea ensuite avec son frère, et ils peuplèrent toute l’Argolide ; Acrisius régna à Argos, et Prœtus à Tirynthe, Acrisius eut d’Eurydice, fille de Lacédæmon, une fille nommée Danaé.

§ 2. Prœtus eut de Sthénébée trois filles, Lysippe, Iphinoé et Iphianasse6 : parvenues à l’âge de puberté, elles devinrent folles, suivant Hésiode, pour avoir rejeté les mystères de Bacchus, ou, suivant Acusilas, pour avoir méprisé une statue de Junon ; elles parcouroient dans cet état toute l’Argolide, l’Arcadie et le Péloponnèse, et erroient par les déserts, en faisant toutes sortes d’actions indécentes.

Mélampe, fils d’Amythaon et d’Idomène fille d’Abas, devin de profession, et qui avoit trouvé le premier l’art de guérir par les médicaments et par les purifications, promit de les guérir, si on lui donnoit le tiers du royaume7. Prœtus ayant trouvé ce prix trop considérable, la folie de ses filles augmenta, et gagna le reste des femmes, qui toutes abandonnèrent leurs maisons, faisoient périr leurs enfants, et se retiroient dans les lieux déserts. Le mal faisant tous les jours des progrès, Prœtus consentit à la demande de Mélampe ; mais ce dernier demanda un autre tiers pour son frère Bias. Prœtus craignant que Mélampe n’augmentât ses prétentions, s’il attendoit encore, lui promit ce qu’il demandoit. Mélampe alors, ayant pris les plus forts d’entre les jeunes gens, poursuivit ces filles avec des cris et une espèce de danse sacrée, les força à quitter les montagnes, et à entrer dans le pays de Sicyone8. Iphinoé, l’aînée de ces filles, mourut dans cette poursuite : les deux autres recouvrèrent leur bon sens par des purifications, et Prœtus les donna en mariage à Mélampe et à Bias9 ; il eut ensuite un fils nommé Mégapeuthès.

CHAPITRE III.

§ 1. Bellérophon, fils de Glaucus, fils de Sisyphe, ayant tué, par mégarde, son frère Déliade, ou Pirène, ou Alcimène, comme d’autres le nomment1, s’enfuit chez Prœtus2, qui le purifia. Sthénébée en3 devint amoureuse et fit des tentatives pour le faire consentir à sa passion. Bellérophon s’y étant refusé, elle dit à Prœtus qu’il avoit cherché à la séduire. Prœtus, ajoutant foi à ce qu’elle lui disoit, chargea Bellérophon de porter à Jabates une lettre4, par laquelle il prioit ce dernier de le faire périr. Jobates l’ayant lue, lui ordonna de tuer la Chimère, espérant qu’il seroit lui-même victime de ce monstre, qui étoit si puissant que les efforts réunis de plusieurs personnes n’auroient pas suffi pour le dompter ; il avoit le devant du corps d’un lion, la queue d’un serpent et le milieu du corps d’une chèvre5. Il jetoit du feu par la gueule, ravageoit toute la contrée et détruisoit les troupeaux. Il avoit dans un seul corps la force de trois animaux différents ; on dit, et c’est le sentiment d’Homère, qu’il avoit été élevé par Amisodare6. Hésiode lui donne pour parents Typhon et l’Echidne.

§ 2. Monté sur Pégase, cheval ailé, qui étoit né de Neptune et de Méduse7, Bellérophon s’éleva dans les airs et tua la Chimère à coups de flèches8. Cet exploit étant terminé, Jobates l’envoya contre les Solymes ; Bellérophon les ayant défaits, il lui ordonna de marcher contre les Amazones ; celles-ci étant vaincues, il choisit, parmi les jeunes Lyciens, ce qu’il y avoit de plus courageux, et les ayant placés en embuscade, il leur ordonna de le tuer. Bellérophon les ayant tués eux-mêmes, Jobates étonné de sa force, lui montra la lettre de Prœtus, et l’ayant engagé à rester auprès de lui, lui donna sa fille Philonoé en mariage. Il lui laissa sa couronne en mourant9.

CHAPITRE IV.

§ 1. Acrisius ayant Consulté l’oracle sur sa postérité, le dieu lui répondit que sa fille auroit un fils qui le tueroit. Craignant l’effet de cette prédiction, Acrisius fit bâtir une chambre souterraine, en airain, dans laquelle il enferma Danaé1. Elle fut, suivant quelques écrivains, séduite par Prœtus2, et ce fut à ce sujet que la division se mit entre eux. Suivant d’autres, Jupiter, s’étant changé en pluie d’or, pénétra dans son sein, à travers le toit de la prison, et jouit d’elle. Acrisius voyant qu’elle avoit mis au monde Persée3, et ne croyant point qu’elle eût été séduite par Jupiter, l’enferma dans un coffre avec son fils, et les jeta dans la mer. Le vent ayant poussé le coffre vers l’île de Sériphe4, Dictys le retira et éleva l’enfant5.

§ 2. Polydectes, frère de Dictys, et qui régnoit alors à Sériphe, devint amoureux de Danaé ; mais comme Persée étoit déjà grand, il ne pouvoit pas satisfaire sa passion. Pour y parvenir, il invita ses amis et Persée avec eux, à contribuer pour lui former, un présent, qui put lui faire obtenir la main d’Hippodamie, fille d’Œnomaüs6. Persée, ayant dit que, fallût-il la tête de la Gorgone, il ne s’y refuseroit pas, Polydectes demanda aux autres des chevaux, et lui demanda, à lui, cette tête. Persée, sous la direction de Minerve et de Mercure, alla d’abord trouver les Phorcides, Enyo, Pephredo et Dino7. Elles étoient filles de Cétô et de Phorcus ; vieilles dès leur naissance, elles n’avoient entre elles trois qu’un œil et qu’une dent qu’elles se prêtoient mutuellement. Persée s’en étant emparé, leur promit de les leur rendre, lorsqu’elles lui auroient montré le chemin pour aller vers les nymphes. Ces nymphes avoient en leur possession des brodequins ailés, une cibise, qu’on croit être une espèce de valise, [Pindare, et Hésiode dans le poème nommé le bouclier d’Hercule, dit, au sujet de Persée : tout son dos étoit couvert par la tête de la Gorgone, ce monstre terrible et la cibise entouroit son corps. On la nommoit cibise, parce qu’on y mettoit des vivres et des vêtemens8] et le casque de Pluton9. Les Phorcydes lui ayant montré la route qu’il falloit prendre, il leur rendit leur œil et leur dent, et ayant été trouver les nymphes, il obtint d’elles ce qu’il désiroit ; ayant alors attaché la valise autour de son corps, mis les brodequins ailés à ses pieds, et le casque à sa tête (ce casque avoit la vertu de rendre invisible celui qui le portoit) ; ayant reçu de Mercure une faux de diamant, il se rendit en volant sur les bords de l’Océan, et trouva les Gorgones endormies ; elles se nommoient Sthenô, Euryale, Méduse. Cette dernière étoit la seule mortelle, et c’étoit sa tête qu’on avoit demandée à Persée. Leurs têtes étoient hérissées de serpents ; elles avoient des dents comme des défenses de sanglier, des mains d’airain et des ailes d’or, à l’aide desquelles elles s’élevoient dans les airs10. Ceux qui les regardoient étoient changés en pierres. Persée s’approcha d’elles, tandis qu’elles dormoient, détournant les yeux en arrière, et les tenant fixés sur un bouclier d’airain qui réfléchissoit la figure de la Gorgone, il lui trancha la tête, à l’aide de Minerve qui lui dirigeoit la main. Cette tête étant coupée, Pégase, le cheval ailé, et Chrysaor, père de Géryon, que Méduse avoit conçus de Neptune, sortirent de son corps.

§ 3. Persée enferma cette tête dans la cibise, et se mit en route pour s’en retourner ; les Gorgones s’étant éveillées, s’attachèrent à sa poursuite ; mais elles ne purent l’apercevoir à cause du casque de Pluton qui le déroboit à leur vue. Parvenu en Æthiopie, dont Céphée étoit roi11, il trouva sa fille Andromède exposée pour être dévorée par un monstre marin12. Cassiépée, épouse de Céphée, avoit osé se comparer aux Néréides pour la beauté, et s’étoit même vantée de l’emporter sur elles. Les Néréides en furent irritées. Neptune partagea leur indignation, submergea le pays, et y envoya un monstre marin. L’oracle d’Ammon ayant annoncé que ces désastres cesseroient si on exposoit Andromède, fille de Cassiépée, pour être dévorée par le monstre, les Æthiopiens forcèrent Céphée à faire ce que l’oracle ordonnoit et à attacher sa fille à un rocher. Persée l’ayant vu, il devînt amoureux, et promit à Céphée de tuer le monstre s’il vouloit la lui donner en mariage. Céphée s’y étant engagé par serment, il attendit le monstre, le tua et délivra Andromède. Phinée, frère de Céphée, à qui Andromède avoit été promise avant cet événement, conspira contre lui pour le faire périr ; mais Persée l’ayant découvert, lui montra la tête de la Gorgone, et le changea en pierre, ainsi que tous ceux qui avoient pris part à son complot.

De retour à Sériphe, il trouva sa mère réfugiée au pied des autels avec Dictys, pour éviter la violence de Polydectes ; il alla trouver ce dernier qui appela ses amis à son secours ; Persée s’étant alors détourné découvrit la tête de Méduse, et ils furent tous changés en pierres dans la même situation où ils se trouvoient. Ayant ensuite mis Dictys sur le trône de Sériphe, il donna ses brodequins, sa cibise et son casque à Mercure et la tête de la Gorgone à Minerve. Mercure rendit tous ces objets aux Nymphes, et Minerve mit la tête de Méduse au milieu de son bouclier. Suivant quelques auteurs, c’étoit Minerve elle-même qui avoit coupé la tête à Méduse, parce qu’elle avoit voulu se comparer à elle pour la beauté.

§ 4. Persée se rendit ensuite avec Danaé et Andromède à Argos, pour y voir Acrisius ; mais celui-ci se rappelant l’oracle, quitta Argos et se retira dans le pays des Pélasges. Teutamius, roi de Larisse13, y célébroit des jeux pour les funérailles de son père, et Persée s’y rendit aussi pour y disputer le prix. Concourant à celui du Pentathle14, il lança son disque sur le pied d’Acrisius qui mourut sur le champ. Persée voyant ainsi l’oracle accompli, donna la sépulture à Acrisius hors de la ville, mais n’osant pas retourner à Argos recueillir la succession de celui qu’il avoit tué, il alla à Tirynthe, et y fit un échange avec Mégapenthès, fils de Prœtus ; il lui donna le royaume d’Argos, et prit pour lui celui de Tirynthe, où il fortifia Midée et Mycènes15.

§ 5. Il eut d’Andromède plusieurs fils, savoir : avant de revenir dans la Grèce, Perses, qu’il laissa auprès de Céphée, et de qui les rois de Perse tiroient, à ce qu’on dit, leur origine16. À Mycènes, Alcée, Sthénélus, Hélius, Mestor et Electryon17, et une fille nommée Gorgophone, que Périérès épousa18.

Alcée eut d’Hipponome, fille de Ménœcée, Amphitryon19 et une fille nommée Anaxo20.

De Mestor et de Lysidice, fille de Pélops, naquit Hippothoé, que Neptune en leva et conduisit dans les îles Echinades ; il en eut un fils nommé Taphius, qui fonda Taphos21 ; il donna à ces peuples le nom de Télébœns, parce qu’il étoit allé loin de sa patrie.

Taphius eut un fils nommé Ptérélas, que Neptune rendit immortel, en lui mettant un cheveu d’or à la tête. Ptérélas eut une fille nommée Comætho, et plusieurs fils, savoir : Chromius, Tyrannus, Antiochus, Chersidamas, Mestor et Evérès22.

Electryon ayant épousé Anaxo, fille d’Alcée, en eut une fille nommée Alcmène23, et plusieurs fils, savoir Stratobatès, Gorgophon, Philonome, Célsenée, Amphimaque, Anactor et Archélaüs. Il eut aussi de Midée, femme Phrygienne, un fils naturel, nommé Licyœnius.

Sthénélus eut de Nicippe, fille de Pélops, Alcinoé et Méduse, et un fils nommé Eurysthée24, qui régna à Mycènes25. En effet, Hercules étant prêt à voir le jour, Jupiter dit, en présence des dieux, que celui qui alloit naître de la race de Persée, régneroit à Mycènes. Junon, par jalousie, engagea Lucine à retarder l’accouchement d’Alcmène, et à faire naître sur le champ Eurysthée, fils de Sthénélus, quoiqu’il n’eût que sept mois26.

§ 6. Electryon régnoit à Mycènes ; les fils de Ptérélas vinrent sous son règne avec Taphius27 demander le trône de Mestor, le père de sa mère. Electryon ne voulant pas le leur rendre, ils se mirent en devoir d’emmener ses bœufs ; les fils d’Electryon voulurent les en empêcher, et il s’engagea un combat où ils se tuèrent les uns les autres. Il ne se sauva des fils ; d’Electryon, que Licymnius qui étoit encore très jeune, et de ceux de Ptérélas, qu’Evéxès, qui étoit resté à la garde des vaisseaux. Ceux des Taphiens qui se sauvèrent emmenèrent les bœufs sur leurs vaisseaux, et les donnèrent en garde à Polyxène, roi des Eléens. Amphitryon les ayant rachetés, les ramena à Mycènes ; Electryon vouloit cependant venger la mort de ses fils ; à cet effet, il donna à Amphitryon son royaume et sa fille Alcmène, et lui fit prêter serment de la conserver vierge jusqu’à son retour de l’expédition qu’il méditoit contre les Télébœns. Il alla ensuite recevoir ses bœufs, mais un d’eux s’étant échappé, Amphitryon lui jeta une massue qu’il tenoit à la main, Cette massue ayant frappé les cornes du bœuf, ressauta et atteignit à la tête Electryon, qui en mourut28. Sthénélus, sous ce prétexte, chassa Amphitryon de toute l’Argolide, garda pour lui-même les royaumes de Mycènes et de Tirynthe, et ayant mandé Atrée et Thyeste, fils de Pélops, il leur confia Midée.

Amphitryon s’étant retiré à Thèbes30 avec Alcmène et Licymnius, s’y fit purifier par Créon, et donna à Licymnius Périmède, sa sœur, en mariage. Alcmène ayant dit qu’elle épouseroit celui qui vengeroit la mort de ses frères, Amphitryon s’engagea à faire la guerre aux Télébœns, et pria Créon31 de l’assister dans cette expédition. Créon lui promit de l’aider, s’il délivroit auparavant le pays de Thèbes d’un renard qui le ravageoit : on attaquoit inutilement cet animal32 : il étoit en effet décidé par le destin qu’il ne seroit pris par personne.

§ 7. Comme il faisoit de très grands ravages, les Thébains lui donnoient chaque mois un enfant ; si l’on y manquoit, il en enlevoit un grand nombre33. Amphitryon se rendit alors à Athènes vers Céphale, fils de Déionée, et lui ayant promis une portion dans le butin qu’il feroit chez les Télébœns, l’engagea à conduire à cette chasse un chien, que Procris avoit amené de Crète, et qui lui avoit été donné par Minos. Ce chien aussi étoit prédestiné à prendre toutes les bêtes qu’il chasseroit34. Il se mit à la poursuite du renard ; mais Jupiter les changea tous deux en pierres.

Amphitryon ayant pour alliés Céphale de Thorigne dans l’Attique ; Panopée35, de la Phocide ; Hélius, fils de Persée, d’Hélos, ville de l’Argolide, et Créon de Thèbes, alla ravager les îles des Taphiens. Tant que Ptérélas vécut, il ne put parvenir à prendre Taphos ; mais Comætho, fille de Ptérélas, étant devenue amoureuse d’Amphitryon, arracha le cheveu d’or de la tête de son père. Ptérélas étant mort, toutes les îles furent bientôt soumises. Amphitryon ayant tué Comætho et fait un butin considérable, retourna à Thèbes, après, avoir donné ces îles à Hélius et à Céphale, qui s’y établirent et y fondèrent des villes de leur nom.

§ 8. Amphitryon étant prêt à retourner à Thèbes, Jupiter emprunta sa figure et alla trouver Alcmène. Il lui raconta tout ce qui s’étoit passé à Télèbes, et coucha avec elle une nuit, qu’il fit durer autant que trois nuits ordinaires36, Amphitryon, à son retour, voyant que sa femme ne le recevoit pas avec beaucoup d’empressement, lui en demanda la raison. Elle lui répondit qu’il étoit déjà venu et avoit couché, avec elle la nuit précédente. Il apprit alors de Tirésias ce qui s’étoit passé avec Jupiter.

Alcmène mit ensuite au monde deux fils, Hercules, fils de Jupiter37, et plus âgé d’une nuit ; et Iphicles, fils d’Amphitryon38. Hercules n’ayant encore que huit mois, Junon envoya vers son berceau deux serpents d’une grosseur extraordinaire pour le faire périr. Alcmène appela Amphitryon à son secours ; mais Hercules se leva de son berceau, tua les serpents en les étouffant chacun d’une main39. Phérécyde dit que ce fut Amphitryon lui-même qui mit ces deux serpents dans leur berceau pour savoir lequel des deux enfants étoit le sien ; qu’Iphicles s’enfuit, et qu’Hercules attendit les serpents. Ce qui lui fit connoître qu’Iphicles étoit son fils.

§ 9. Hercules apprit d’Amphitryon à conduire un char, d’Autolycus40, l’art de la lutte ; Eurytus lui enseigna à tirer de l’arc41 ; Castor à combattre armé de toutes pièces42, et Linus la musique43. Ce dernier étoit frère d’Orphée ; il étoit venu s’établir à Thèbes, et il étoit devenu Thébain. Hercules ayant été frappé par lui, le tua d’un coup de lyre44. Étant poursuivi devant les tribunaux pour ce meurtre, il se défendit en citant la loi de Rhadamanthe, qui absout celui qui en tue un autre, en repoussant la force par la force45. En conséquence de cette loi il fut renvoyé.

Amphitryon craignant qu’il ne fît encore quelque chose de pareil, l’envoya vers ses troupeaux de bœufs, et il y devint bientôt d’une force et d’une grandeur extraordinaires.

Son aspect étoit terrible, comme fils de Jupiter46 ; il avoit quatre coudées de haut47, le feu sortoit de ses yeux ; il ne manquoit jamais son but, soit à l’arc, soit à la lance. N’ayant que dix-huit ans, et étant encore avec les troupeaux, il tua le lion du mont Cithæron48. Ce lion sortoit de la montagne pour ravager les troupeaux d’Amphitryon et ceux de Thestius49.

§ 10. Ce Thestius étoit roi des Thespiens ; Hercules alla chez lui pour tuer ce lion, et il y demeura cinquante jours. Thestius avoit eu cinquante filles de Mégamède, fille d’Arnæus, et il désiroit beaucoup qu’elles eussent des enfans d’Hercules ; c’est pourquoi, tant qu’il demeura dans sa maison, chaque soir, au retour de la chasse, il en mettoit une à coucher avec lui. Hercules croyant que c’étoit toujours la même, eut affaire avec toutes50. Étant venu à bout du lion, il se revêtit de sa peau, et se servit de sa tête en place de casque.

§ 11. Au retour de cette chasse, il rencontra les hérauts qu’Erginus envoyoit à Thèbes pour y recevoir le tribut qu’on lui devoit. Voici quelle étoit l’origine de ce tribut. Le conducteur du char de Ménœcée, nommé Périérès, blessa d’un coup de pierre à Oncheste, lieu consacré à Neptune, Clymène, roi des Minyens. Ce dernier ayant été porté à Orchomène à demi-mort, recommanda en mourant, à Erginus son fils, de venger sa mort. Erginus leva une armée contre les Thébains, et en ayant fait périr un grand nombre, il fit un traité avec eux, par lequel ils se soumirent à lui donner, pendant vingt ans, cent bœufs chaque année. Hercules ayant rencontré les hérauts qu’il envoyoit à Thèbes demander ce tribut, les mutila, leur coupa le nez et les oreilles, et ayant attaché leurs mains à leur cou, leur dit que c’étoit là le tribut qu’il donneroit à Erginus et aux Minyens. Erginus irrité de cet outrage, marcha contre Thèbes ; Hercules ayant reçu une armure de Minerve, et ayant le commandement, tua Erginus51, mit les Minyens en fuite52, et les força à payer aux Thébains un tribut double de celui qu’ils avoient exigé. Amphitryon perdit la vie dans ce combat en combattant vaillamment. Créon donna à Hercules pour récompense, Mégare sa fille aînée, en mariage. Il en eut trois fils, Thérimaque, Créontiades et Déïcoon. Créon donna sa seconde fille à Iphicles, qui avoit déjà d’Antoméduse, fille d’Alcathoüs, un fils nommé Iolas. Alcmène, après la mort d’Amphitryon, épousa Rhadamanthe, fils de Jupiter, qui, ayant été obligé de s’exiler de son pays, demeuroit à Ocalie en Bœotie53.

Ayant appris d’Eurytus à tirer de l’arc, Hercules reçut de Mercure une épée, d’Apollon des flèches, de Vulcain une cuirasse d’or, de Minerve un manteau, et il coupa lui-même une massue dans la forêt de Némée54.

§ 12. Après son expédition contre les Minyens, Junon, jalouse de lui, le rendit furieux, et dans un accès de cette maladie, il jeta au feu les enfants qu’il avoit eus, de Mégare, et deux de ceux d’Iphicles55. S’étant condamné à l’exil pour cette action, il fut purifié par Thestius.

Il alla à Delphes consulter l’oracle, pour savoir quel lieu il habiteroit ; et ce fut là qu’il reçut, pour la première fois, de la Pythie, le nom d’Hercules56, car il s’appeloit Alcides auparavant. Elle lui dit d’habiter Tirynthe, d’y servir pendant douze ans Eurysthée d’exécuter les douze travaux qu’il lui ordonneroit et qu’après les avoir terminés ; il obtiendroit l’immortalité.

CHAPITRE V.

§ 1. Hercules, d’après cet oracle, alla demeurer à Tirynthe, pour y recevoir les ordres d’Eurysthée ; le premier qu’il lui donna fut de lui apporter la peau du lion de Némée. Cet animal qui étoit né de Typhon1 étoit invulnérable. Hercules allant l’attaquer, s’arrêta à Cléones où un nommé Molorchus, qui vivoit du travail de ses mains, lui donna l’hospitalité. Son hôte voulant, faire un sacrifice, il lui dit d’attendre trente jours, et qu’alors, s’il étoit revenu victorieux du lion, il sacrifieroit à Jupiter-Sauveur, et que s’il y mouroit, il lui sacrifieroit à lui, comme à un héros. Arrivé à Némée, et ayant trouvé le lion, il essaya d’abord de le percer, à coups de flèches. Voyant qu’il étoit invulnérable, il le poursuivit avec sa massue. Le lion s’étant réfugié dans un antre qui avoit deux ouvertures, Hercules en boucha une et ayant poursuivi le monstre par l’autre, il le saisit par le cou et l’étrangla. Il le mit ensuite sur ses épaules, et le porta à Mycènes. Il trouva Molorchus prêt à lui rendre les honneurs dus aux morts, le dernier jour étant expiré. Il offrit lui-même un sacrifice à Jupiter-Sauveur, et porta le lion à Mycènes. Eurysthée voyant son courage, lui défendit d’entrer à l’avenir dans la ville, et lui ordonna de montrer seulement devant les portes le résultat de ses travaux. On ajoute même qu’effrayé, il fit faire une cuve d’airain pour se cacher sous terre, et qu’il lui fit donner ses ordres pour les autres travaux par le héraut Coprée, fils de Pélops de l’Elide2. Ce Coprée ayant tué Iphitus, s’étoit enfui à Mycènes, il y avoit été purifié par Eurysthée et il s’y étoit établi.

§ 2. Le second des travaux qu’il lui ordonna, fut de tuer l’Hydre de Lerne3. Cette Hydre, nourrie dans les marais de Lerne, sortoit dans les champs ; ravageoit le pays et détruisoit les troupeaux. Elle étoit d’une granddeur démesurée ; elle avoit neuf têtes, dont huit étoient mortelles, et la neuvième immortelle. Hercules monté sur son char, qu’Iolas conduisoit, arriva à Leme, où il arrêta ses chevaux. Ayant trouvé l’Hydre sur une petite élévation, près des sources de la fontaine Amymone où étoit son repaire, il la força à en sortir en lui lançant des traits enflammés. Il la saisit alors et l’arrêta : mais, s’étant entortillée autour d’un de ses pieds, elle l’entravoit lui-même. Il frappoit ses têtes à coups de massue, et cela ne servoit de rien, car pour une qu’il abattoit, il en renaissoit deux : de plus, un cancre monstrueux prêtoit secours à l’Hydre en le mordant au pied, il commença donc par tuer le cancre ; il appela ensuite à son aide Iolas, qui ayant mis le feu à une partie de la forêt voisine, brûloit avec des tisons enflammés les têtes à mesure qu’elles repoussoient, et les empêchoit de renaître. Etant ainsi parvenu à détruire ces têtes renaissantes, il enterra celle qui étoit immortelle sur le chemin de Lerne à Eléonte, et mit une très grosse pierre dessus. Ayant ensuite ouvert son corps, il trempa la pointe de ses flèches dans son fiel. Eurysthée ne voulut point que cette action fut comptée dans les douze travaux, parce que, pour détruire l’Hydre, il avoit eu besoin du secours d’Iolas.

§ 3. Il lui ordonna, pour le troisième de ses travaux, de lui apporter la biche Cerynite vivante4. Cette biche, consacrée à Diane, avoit des cornes d’or, et se tenoit à Œnoé. Hercules ne voulant ni la tuer, ni la blesser, la poursuivit un an entier. La biche, harassée par cette poursuite, s’enfuit sur le mont nommé Artémisium, et delà vers le fleuve Ladon. Elle se préparoit à le traverser à la nage ; Hercules l’en empêcha à coups de flèches, la prit et l’ayant mise sur ses épaules, l’emporta à travers l’Arcadie. Diane, accompagnée d’Apollon, s’étant rencontrée sur son chemin, voulut lui ôter la biche, elle le blâma même de ce qu’il s’étoit exposé à tuer un animal qui lui étoit consacré. Hercules s’excusa sur la nécessité, et dit que la faute en devoit retomber sur Eurysthée. Ayant ainsi apaisé la colère de Diane, il reprit la biche et la porta vivante à Mycènes.

§ 4. Eurysthée lui ordonna ensuite de lui apporter le sanglier d’Erymanthe vivant. Ce sanglier avoit sa retraite dans le mont Erymanthe, et ravageoit toute la Psophide. Hercules traversant, pour y aller, le pays de Pholoé, y fut reçu par le Centaure Pholus5 fils de Silène et d’une nymphe Méliade. Il servoit à Hercules des viandes rôties, mais celui-ci aimoit mieux les manger crues6. Ce héros lui ayant demandé du vin, il lui répondit qu’il n’osoit pas ouvrir le tonneau commun des Centaures. Hercules l’ayant rassuré, il l’ouvrit et les Centaures7, attirés par l’odeur, arrivèrent bientôt armés de pierres et de sapins à la caverne de Pholus. Hercules mit d’abord en fuite Anchius et Agrius, les deux premiers qui osèrent entrer ; il poursuivit ensuite les autres à coups, de flèches jusqu’à Malée8, d’où ils se réfugièrent auprès de Chiron9, qui, chassé par les Lapithes du mont Pélion, étoit venu s’établir près de Malée ; Hercules continuant à leur tirer des flèches, un trait passa à travers le bras d’Elatus, et alla blesser Chiron au genou. Affligé de cet événement, Hercules accourut, et ayant retiré la flèche, mit sur la plaie un baume que Chiron lui donna. Celui-ci s’étant retiré dans sa caverne, avec une blessure incurable, désiroit mourir, et ne le pouvoit étant immortel. Cependant, ayant donné à Jupiter Prométhée, pour être immortel à sa place, il obtint la faculté de mourir10. Le reste des Centaures, s’enfuit de côté et d’autre11 ; quelques-uns se retirèrent sur le mont Malée12. Eurytion se réfugia à Pholoé13 ; Nessus, vers le fleuve Evenus ; et Neptune cacha les autres dans la montagne Eleusine14. Hercules étant retourné à la caverne de Pholus, le trouva mort avec beaucoup d’autres. Il avoit arraché une flèche d’un corps mort, et voyoit avec étonnement qu’une si petite pointe eut pu détruire d’aussi grands corps15, la flèche lui échappa des mains, tomba sur son pied, et le fit périr sur le champ. Hercules, l’ayant enterré, alla à la recherche du sanglier, et l’ayant fait sortir d’un taillis, il le poursuivit avec des cris à travers la neige qui étoit fort haute, jusqu’à ce qu’il l’eut fatigué. Il le prit alors, le tua et le porta à Mycènes16.

§ 5. Le cinquième des travaux que lui ordonna Eurysthée, fut de nettoyer dans un jour les étables d’Augias. Cet Augias étoit roi d’Elide, quelques-uns disent qu’il étoit fils du Soleil ; suivant d’autres, il étoit fils de Neptune ; enfin, d’autres lui donnent Phorbas pour père17. Il avoit de nombreux troupeaux de bœufs18. Hercules s’étant présenté à lui, sans faire aucune mention des ordres d’Eurysthée, lui proposa d’enlever tout le fumier de ses étables dans un jour, s’il vouloit lui donner la dixième partie de ses bestiaux. Augias ne croyant pas la chose possible, consentit à sa demande. Hercules ayant pris Phylée, fils d’Augias, à témoin de ses promesses, abattit un mur de ses étables, détourna le fleuve Alphée et le Pénée qui coûtoient auprès, les fit passer à travers, et les nettoya par ce moyen19. Augias ayant appris qu’il avoit fait cela par l’ordre d’Eurysthée, lui refusa son salaire, nia même qu’il en eut promis un, et offrit de s’en rapporter à cet égard à des juges. Ces juges étant assemblés, Hercules fit venir Phylée, qui déposa contre son père. Augias irrité, avant même que le jugement fut rendu, ordonna à Phylée et à Hercules de sortir sur le champ de l’Elide. Phylée se retira à Dulichium où il s’établit20, et Hercules se rendit à Olène, auprès de Dexamène21 ; il le trouva prêt à marier, malgré lui, Mnésimaque sa fille, à Eurytion le Centaure22. Dexamène ayant imploré son secours, Hercules tua Eurytion à son arrivée pour épouser la jeune fille23. Eurysthée ne voulût pas, compter le curement des étables d’Augias, parmi les douze travaux, sous prétexte qu’il l’avoit fait pour un salaire.

§ 6. Il lui ordonna, pour le sixième, de chasser les oiseaux Stymphalides. Il y avoit à Stymphale, ville de l’Arcadie, un marais appelé Stymphalis, couvert d’arbres et de broussailles épaisses ; des oiseaux énormes24 s’y retiroient, craignant que les loups n’enlevassent leur proie25. Hercules ne sachant comment les en chasser, Minerve lui donna des cymbales d’airain26, qu’elle avoit eues de Vulcain. Il les fit sonner sur une montagne voisine du marais pour effrayer ces oiseaux, qui ne pouvant supporter ce bruit, s’envolèrent saisis de crainte, et Hercules les tua à coups de flèches.

§ 7. Pour le septième de ses travaux, Eurysthée lui ordonna de lui amener le taureau de Crète27. Acusilas dit que ce taureau étoit celui qui avoit amené Europe à Jupiter. Suivant d’autres, Minos ayant promis à Neptune de lui sacrifier ce qui sortiroit de la mer, ce dieu en fit sortir ce taureau. Minos voyant sa beauté l’envoya dans ses pâturages, et en sacrifia un autre à Neptune. Le dieu irrité, rendit ce taureau féroce. Hercules s’étant rendu dans l’île de Crète pour le demander, Minos lui permit de le prendre s’il pouvoit le dompter. Hercules l’ayant pris, le mena à Eurysthée, et après le lui avoir montré, le laissa aller. Ce taureau ayant parcouru le pays de Sparte et toute l’Arcadie, traversa l’Isthme et se rendit à Marathon dans l’Attique, où il fit beaucoup de ravages.

§ 8. Pour le huitième de ses travaux, il lui ordonna de lui amener les juments de Diomède de Thrace28. Ce Diomède, fils de Mars et de Cyrène, étoit roi des Bistoniens, peuple de Thrace très belliqueux. Il avoit des juments qu’il nourrissoit de chair humaine. Hercules s’étant embarqué avec quelques gens de bonne volonté, prit ces juments malgré ceux à qui le soin en étoit confié, et les amena vers la mer. Les Bistoniens étant accourus en armes pour les reprendre, il les donna en garde à Abdérus, Locrien d’Opunte, et fils de Mercure29, dont il étoit amoureux ; les juments le déchirèrent. Hercules livra ensuite combat aux Bistoniens, les mit en fuite, après avoir tué Diomède leur roi ; et ayant fondé une ville nommée Abdère auprès du tombeau de son malheureux ami, il emmena les jumens, et les donna à Eurysthée, qui les mit en liberté30. Elles allèrent sur le mont Olympe, et y furent tuées par les bêtes féroces.

§ 9. Le neuvième des travaux qu’il lui ordonna, fut de lui apporter le baudrier d’Hippolyte, reine des Amazones, qui habitoient les bords du Thermodon, et formoient un peuple vaillant et belliqueux : elles s’exerçoient en effet à la guerre ; des enfants qu’elles faisoient, elles n’élevoient que les filles ; elles comprimoient leur mamelle droite pour qu’elles ne fussent pas gênées en lançant leurs dards, et leur laissoient la gauche pour allaiter leurs enfants. Hippolyte avoit le baudrier de Mars, qui servoit parmi elles de marque de commandement. Admète, fille d’Eurysthée31, ayant envie de ce baudrier, Hercules reçut l’ordre d’aller le chercher. Ayant rassemblé quelques hommes de bonne volonté, il s’embarqua sur un seul vaisseau, et aborda d’abord à l’île de Paros où demeuroient Eurymédon, Chrysès, Néphalion et Philolaüs, fils de Minos, qui tuèrent deux de ses compagnons. Hercules affligé de cette perte, les tua sur le champ, et força le reste des habitans à s’enfuir dans la ville, où il les tint assiégés jusqu’à ce qu’ils lui eussent envoyé des ambassadeurs, pour lui offrir ceux d’entre eux qu’il voudroit choisir, en échange de ses compagnons qu’on avoit tués. Hercules ayant levé le siège, emmena Alcée et Sibénélus, fils d’Androgée. Il aborda ensuite dans la Mysie, où il fut reçu par Lycus, fils de Dascyle32. Les Bébryces étant venus fondre sur le pays, Hercules marcha contre eux avec Lycus, en tua plusieurs, et entre autres Mygdon, leur roi, frère d’Aniycus ; et leur ayant ôté une partie de leur territoire, le donna à Lycus, qui nomma Héraclée toute cette portion de pays.

Il entra ensuite dans le port de Thémiscyre. Hippolyte33 vint au-devant de lui ; et ayant appris quel étoit le sujet de son voyage, lui promit son baudrier. Mais Junon ayant pris la figure d’une Amazone, souleva la multitude, en disant que ces étrangers enlevoient leur reine. Elles coururent sur-le-champ au vaisseau, à cheval et avec leurs armes. Hercules croyant qu’on vouloit le trahir, tua Hippolyte et prit son baudrier : ayant ensuite livré combat au reste des Amazones, il se rembarqua et aborda à Troyes.

Cette ville se trouvoit alors plongée dans le malheur par la colère d’Apollon et de Neptune. Ces dieux voulant éprouver la méchanceté de Laomédon, s’étoient transformés en hommes, et avoient entrepris, moyennant un salaire convenu, de bâtir les murs de Pergame34. Ces murs étant finis, il refusa de les payer ; c’est pourquoi Apollon répandit la peste dans le pays, et Neptune, par un débordement de la mer, y jeta un monstre marin qui enlevoit les hommes dans les champs. L’oracle ayant dit que cette calamité cesseroit, lorsque Laomédon auroit exposé Hésione sa fille, pour être dévorée par le monstre ; ce prince la fit attacher aux rochers voisins de la mer. Hercules la voyant exposée ; promit de la délivrer, si Laomédon vouloit lui donner les chevaux qu’il avoit eus de Jupiter, en indemnité de l’enlèvement de Ganymède. Ce prince les ayant promis, Hercules tua le monstre35, et délivra Hésione. Laomédon ayant ensuite refusé de tenir sa promesse, il partit en le menaçant de revenir ravager Troyes, et alla aborder à Ænos.

Il y fut reçu par Poltyus. Côtoyant ensuite le territoire d’Ænos, il tua à coups de flèches, à cause de son insolence, Sarpédon, fils de Neptune et frère de Poltyus. Delà il vint à Thasos, soumit les Thraces qui habitoient cette île, et la donna aux fils d’Androgée. De Thasos, il alla à Toroné où il tua, en luttant avec eux, Polygone et Télé-gone, fils de Protée36, fils de Neptune, qui l’avoient provoqué à ce genre de combat. Ayant enfin porté le baudrier à Mycènes, il le donna à Eurysthée.

§ 10. Le dixième des travaux qu’on lui ordonna fut d’amener d’Erythie, les bœufs de Géryon. Erythie étoit une île située près de l’Océan, qu’on nomme maintenant Gadire37. Elle étoit habitée par Géryon, fils de Chrysaor et de Callirhoé, fille de l’Océan. Il avoit trois corps qui n’en formoient qu’un seul ; ils se réunissoient vers le ventre, et se séparoient de nouveau, à partir des flancs et des cuisses38. Ses bœufs étoient de couleur de pourpre, et il avoit pour berger Eurytion39 qui les gardoit avec Orthros, chien à deux têtes, né de Typhon et de l’Echidne40.

Étant parti pour aller chercher ces bœufs, il traversa l’Europe, où il trouva beaucoup de peuples sauvages, et entra dans la Lybie. Après avoir passé Tartesse, il planta deux colonnes en mémoire de son voyage, sur les deux montagnes opposées qui terminent l’Europe et l’Afrique42. Le Soleil l’incommodant dans sa route, il tendit son arc contre ce dieu qui, admirant son courage, lui donna une coupe d’or dans laquelle il traversa l’Océan43. Arrivé dans Erythie, il passa la nuit sur le Mont Abas. Le chien l’ayant senti, courut dessus lui ; Hercules l’assomma avec sa massue, ainsi que le berger Eurytion qui étoit venu à son secours. Menœtius qui gardoit près delà les bœufs de Pluton, en avertit Géryon, qui ayant rencontré vers le fleuve Anthémon Hercules emmenant ses bœufs, le provoqua au combat ; et il fut tué à coups de flèches44. Hercules ayant mis les bœufs dans sa coupe, et les ayant transportés à Tartesse, rendit la coupe au Soleil.

Passant ensuite par le pays d’Abdère45, il vint dans la Ligurie46, où Alébion et Dercynus, fils de Neptune47, voulurent lui enlever ses bœufs. Les ayant tués, il se rendit dans la Tyrrhénie. À Reggio, un taureau se détacha de la troupe, et après avoir parcouru tout le pays qu’on a depuis nommé Italie48, (Italus étoit en effet le nom que les Tyrrhéniens donnoient au taureau), il se jeta dans la mer49, et l’ayant traversée à la nage, il aborda dans la Sicile sur les terres d’Eryx fils de Neptune50 et roi des Elymes, qui le mit dans ses troupeaux. Hercules ayant confié ses bœufs à Vulcain, se mit à la recherche de ce taureau. L’ayant retrouvé dans les troupeaux d’Eryx, il le lui demanda. Eryx dit qu’il ne le rendroit pas, que d’abord Hercules ne l’eut vaincu à la lutte. Hercules l’ayant terrassé trois fois, le tua, et reprit son taureau, qu’il conduisit avec les autres vers la mer Ionienne.

Lorsqu’il fut arrivé dans le pays qui est au fond du golfe, un taon envoyé par Junon, dispersa les bœufs dans les montagnes de la Thrace. Hercules les poursuivit, et en ramena, une partie vers l’Hellespont. Les autres restèrent, et devinrent sauvages. Ayant enfin rassemblé ses bœufs avec peine, et le fleuve Strymon, qui étoit alors navigable, lui ayant donné quelque sujet de plainte, il combla son lit de pierres et le rendit impraticable. Il amena enfin les bœufs à Eurysthée, qui les sacrifia à Junon.

§ 11. Tous ces travaux furent terminés dans huit ans et un mois ; mais Eurysthée ne voulant lui compter, ni celui des étables d’Augias, ni celui de l’Hydre, lui ordonna pour le onzième de lui apporter les pommes d’or du jardin des Hespérides.

Ces pommes étoient, non dans la Lybie, comme quelques-uns le disent, mais auprès de l’Atlas dans le pays des Hyperboréens. Junon les avoit données en présenta Jupiter lorsqu’il l’épousa51. La garde en étoit confiée à un dragon immortel et à cent têtes, fils de Typhon et de l’Echidne52 qui avoit toutes sortes de voix. Elles étoient aussi gardées par les Hespérides Æglé, Erythie, Hestia et Aréthuse53.

Étant parti pour cette entreprise, il rencontra près du fleuve Echedore, Cygnus fils de Mars et de Pyrène54, qui le défia au combat. Mars voulut prendre la défense de son fils et combattre Hercules ; mais la foudre tomba au milieu d’eux, et les sépara. Hercules passa ensuite par l’Illyrie, et se rendit vers le fleuve Eridan, où il vit les Nymphes filles de Jupiter et de Thémis, qui lui indiquèrent la demeure de Nérée. Hercules l’ayant trouvé endormi, le lia, et quoiqu’il prit toutes sortes de formes, il ne le lâcha point qu’il ne lui eût dit où il trouveroit les pommes d’or et les Hespérides. Il prit ensuite son chemin par la Lybie ; elle étoit gouvernée alors par Antée, fils de Neptune55, qui forçoit les passants à lutter avec lui, et les tuait. Comme en touchant à la Terre il reprenoit de nouvelles forces, quelques-uns ont dit qu’elle étoit sa mère. Aussi Hercules contraint de lutter avec lui, l’enleva dans ses bras, et le tua en lui brisant les côtes.

De la Lybie, il passa en Égypte, où régnoit Busiris56, fils de Neptune et de Lysianasse, fille d’Epaphus. Ce roi, d’après un certain oracle, sacrifioit les étrangers à Jupiter. La famine avoit affligé l’Égypte durant neuf ans ; un devin nommé Thrasius57, venant de Chypre, dit qu’elle cesseroit, si l’on sacrifioit tous les ans un étranger à Jupiter. Busiris ayant commencé par le devin lui-même, continua à sacrifier tous les étrangers qui arrivoient. Ayant pris Hercules, il le fit Conduire à l’autel ; mais celui-ci ayant rompu ses liens, tua Busiris, Amphidamas son fils58, et Chalbès son héraut.

Ayant ensuite traversé l’Asie, il aborda à Thermydres, port de l’île de Rhodes ; il y rencontra un bouvier qui conduisoit un char attelé de deux taureaux, il en détela un, le sacrifia et le mangea59. Le bouvier trop foible pour lui résister, se retira sur une hauteur, et se mit à l’accabler d’injures. C’est pourquoi, encore maintenant, les Rhodiens, lorsqu’ils sacrifient à Hercules, l’accablent d’imprécations.

Il passa delà en Arabie60 où il tua Emathion fils de Tithon61, et il arriva par la Lybie, à la mer extérieure62, où il trouva sa coupe : il s’y embarqua, et étant abordé au continent opposé, il tua à coups de flèches, sur le Mont Caucase, l’aigle né de Typhon et de l’Echidne, qui rongeoit le foie de Prométhée, et délivra celui-ci, qui prit alors un lien d’olivier63. Il lui fit aussi obtenir l’immortalité, en donnant à sa place Chiron, qui désiroit mourir64.

Lorsqu’il fut arrivé vers Atlas, dans le pays des Hyperboréens, Prométhée lui conseilla de ne pas aller lui-même chercher les pommes, mais de prendre la place d’Atlas, et de l’envoyer les cueillir. Hercules suivit son conseil, et prit le ciel sur ses épaules : Atlas ayant cueilli trois pommes dans le jardin des Hespérides, revint vers lui, mais ne voulut plus reprendre le Ciel65, [et dit qu’il irait lui-même porter les pommes à Eurysthée. Hercules alors, par le conseil de Prométhée, pria Atlas de le reprendre seulement] jusqu’à ce qu’il eut fait un bourlet pour mettre sur sa tête. Atlas y ayant consenti, posa les pommes à terre, et reprit le ciel ; alors Hercules s’empara des pommes et s’en alla. D’autres disent que ce ne fut pas Atlas qui les lui donna, mais qu’il les cueillit lui-même dans le jardin des Hespérides, après avoir tué le serpent qui les gardoit66. Il les porta à Eurysthée qui lui en fît présent ; Hercules les donna à Minerve qui les reporta dans le jardin, car il n’étoit pas permis qu’elles fussent placées ailleurs67.

§ 12. Eurysthée lui ordonna pour le douzième de ses travaux, d’amener Cerbère des enfers. Ce monstre avoit trois têtes de chien, une queue de dragon, et sur le dos des têtes de serpent de diverses espèces. Avant de commencer cette entreprise, il alla trouver Eumolpe68 à Eleusis, pour se faire initier. Il n’étoit pas permis alors d’initier les étrangers ; il fut donc obligé de se faire adopter par Pylius. Comme il étoit encore souillé du meurtre des Centaures69 il ne pouvoit voir les mystères ; il se fit donc purifier et il fut initié par Eumolpe, il se rendit de là à Ténare, dans la Laconie, où est l’entrée des enfers, et il y descendit par cette ouverture.

Les ombres s’enfuirent toutes lorsqu’elles le virent, à l’exception de celle de Méléagre, et de celle de Méduse. Il tira l’épée contre la Gorgone, comme si elle eût été vivante, mais Mercure l’avertit que ce n’étoit que son ombre. À l’approche des portes de l’enfer, il trouva Thésée et Pirithous ; ce dernier avoit osé demander Proserpine en mariage, et il étoit enchaîné à cause de cela. Ils lui tendirent les mains comptant sur sa force pour leur délivrance. Il délivra effectivement Thésée en le prenant par la main70 ; mais la Terre ayant tremblé lorsqu’il voulut prendre Pirithous, il le laissa. Il leva aussi la pierre sous laquelle Ascalaphe étoit enfermé. Voulant ensuite faire goûter du sang aux âmes, il égorgea un des bœufs de Pluton. Ménœtius, fils de Ceuthonyme, qui les menoit paître, l’ayant défié à la lutte, Hercules le saisit par le milieu du corps, et lui ayant brisé les côtes, le laissa aller, à la prière de Proserpine.

Il demanda Cerbère à Pluton, et ce dieu lui permit de l’emmener s’il pouvoit le prendre sans se servir de ses armes. Hercules revêtu de sa cuirasse et de sa peau de lion, l’ayant trouvé vers les portes de l’Achéron, le saisit par le cou, et quoique mordu par le dragon qui formoit sa queue, il ne lâcha point prise, de manière que le chien se sentant étouffé, fut forcé de le suivre. Il l’emmena donc avec lui, remonta sur la terre à Trœzène71, et l’ayant montré à Eurysthée, il le reconduisit aux enfers. Quant à Ascalaphe, Cérès le changea en hibou72.

CHAPITRE VI.

§ 1. Tous ces travaux étant terminés, il revint à Thèbes, et donna Mégare en mariage à Iolas. Voulant ensuite se remarier, il apprit qu’Eurytus, roi d’Œchalie1, avoit proposé la main d’Iole sa fille, pour prix de l’adresse à tirer de l’arc, à celui qui le vaincroit, lui et ses fils2. Hercules s’étant rendu à Œchalie, les vainquit tous, et cependant on lui refusa Iole. Iphitus, l’aîné des fils d’Eurytus, vouloit qu’on la lui donnât ; mais Eurytus et ses autres fils s’y refusèrent, dans la crainte, disoient-ils, que s’il venoit à avoir des enfants, il ne les fit encore périr.

§ 2. Des bœufs3 ayant été volés quelques temps après dans l’Eubée par Autolycus, Eurytus prétendit que c’étoit Hercules qui avoit fait ce vol. Iphitus ne voulant pas le croire, se rendit vers ce héros, qu’il trouva arrivant de P hères ou il avoit rendu à Admète Alceste sa femme qu’il avoit retirée des enfers, et le pria de l’aider à chercher, ces bœufs. Hercules y consentit, et lui donna l’hospitalité. Mais bientôt après, étant tombé dans un nouvel accès de fureur, il le précipita du haut des murs de Tirynthe. Voulant se faire purifier de ce meurtre, il alla à cet effet vers Nélée, roi de Pylos ; Nélée qui avoit des liaisons avec Eurytus, l’ayant refusé, il se rendit à Amycles, où il fut purifié par Déïphobe fils d’Hippolyte4. Attaqué d’une maladie très grave, en punition du meurtre d’Iphitus, il alla consulter l’oracle de Delphes, pour savoir comment il en guériroit. La Pythie ayant refusé de lui répondre, il entreprit de piller le temple, et ayant emporté le trépied, il se fit un oracle particulier. Apollon en étant venu aux mains avec lui5. Jupiter lança la foudre au milieu d’eux, et les sépara. Apollon rendit ensuite un oracle à Hercules, et lui dit que sa maladie cesseroit lorsqu’après avoir été vendu comme esclave, et avoir donné à Eurytus le produit de cette vente, en indemnité de la mort de son fils, il auroit servi trois ans entiers.

§ 3. D’après cet Oracle, Mercure le vendit6 et il fut acheté par Omphale fille d’Iardanus, qui régnoit sur les Lydiens, après la mort de Tmolus son époux, qui lui avoit laissé ses états en mourant. Hercules étant au service d’Omphale7, prit et enchaîna les Cercopes qui demeuroient près d’Ephèse8. Sylée à Aulis9, forçoit les passants à travailler à la terre ; Hercules déracina sa vigne en la travaillant, et le tua avec sa fille Xénodice. Ayant abordé à l’île Doliché, il y trouva le corps d’Icare qui y avoit été apporté par les flots ; il lui donna la sépulture, et changea le nom de l’île en celui d’Icarie. Dædale10, par reconnoissance, lui érigea à Pise une statue ; Hercules ayant passé durant la nuit auprès de cette statue, ne la reconnut pas, et lui jeta une pierre croyant que c’étoit un corps animé. Ce fut tandis qu’il servoit chez Omphale, que se firent l’expédition des Argonautes et la chasse du sanglier de Calydon, et que Thésée venant de Trœzène nettoya l’Isthme des brigands qui l’infestoient11.

§ 4. Son esclavage fini, et sa maladie ayant cessé, il entreprit une expédition contre Troyes avec dix-huit vaisseaux à cinquante rames12, et une année de héros qui le suivirent volontairement ; arrivé à Troyes, il laissa Oïclée pour garder les vaisseaux, et marcha contre la ville avec les autres héros. Laomédon étant venu avec ses troupes attaquer les vaisseaux, tua Oïclée qui les défendoit13 ; mais Hercules le repoussa dans la ville et l’y assiégea. Le siège ayant duré quelque-tems14, Télamon abattit une partie du mur et entra le premier dans la ville. Hercules y entra ensuite ; mais voyant que Télamon y étoit entré avant lui, et ne voulant pas que quelqu’un pût se vanter de le surpasser en bravoure, il tira son épée, et courut sur lui. Alors Télamon se mit à amasser des pierres qui étoient auprès de lui ; Hercules lui demanda ce qu’il vouloit en faire ; élever, répondit-il, un autel à Hercules Callinice. Ce héros le loua de son zèle ; aussi lorsqu’il se fut emparé de la ville, et qu’il eut tué à coups de flèches Laomédon et tous ses fils, Podarque seul excepté, il donna à Télamon Hésione pour prix de sa valeur, et permit à celle-ci de prendre celui des captifs qu’elle voudroit. Hésione ayant demandé son frère Podarque, il lui dit qu’il falloit d’abord qu’il fût vendu comme esclave, et qu’elle pourroit alors le racheter, en donnant quelque chose à sa place. Hésione ayant ôté son voile, le donna pour le racheter, et ce fut en mémoire de cela qu’il prit le nom de Priam, au lieu de celui de Podarque qu’il portoit avant.

CHAPITRE VII.

§ 1. Hercules revenant du siège de Troyes, Junon excita contre lui une violente tempête1 ; Jupiter, irrité de cela, la suspendit à l’Olympe. Hercules s’étant approché de Cos, les habitants le prirent pour un pirate, et l’éloignèrent à coups de pierres2 ; mais il aborda malgré eux, prit leur île3, et tua leur roi Eurypyle, fils de Neptune et d’Astypalée. Il fut blessé dans le combat par Chalcodon4 ; cependant, Jupiter l’ayant enlevé, sa blessure n’eut aucune suite.

Après avoir ravagé Cos, il alla, à l’invitation de Minerve, à Phlègre, et il y combattit avec les dieux contre les géans.

§ 2. Peu de temps après, il entreprit une expédition contre Augias, et rassembla, à cet effet, dans l’Arcadie une armée à laquelle se joignirent volontairement les plus vaillans des Grecs. Augias averti qu’Hercules alloit l’attaquer, donna le commandement de ses troupes à Eurytus et à Ctéatus, qui ne formoient qu’un seul corps, et qui surpassoient en force tous les hommes de ce temps-là. Ils étoient fils de Molione et d’Actor ; mais ils passoient pour fils de Neptune. Actor étoit frère d’Augias6. Hercules étant tombé malade durant cette expédition, fit une trêve avec les Molionides ; mais bientôt après ceux-ci apprenant sa maladie, attaquèrent ses troupes et en tuèrent la plus grande partie ; ce qui força Hercules à se retirer7 : mais quelques temps après, les Jeux Isthmiques devant se célébrer pour la troisième fois, les Eléens y avoient député les Molionides pour assister en leur nom aux sacrifices. Hercules se mit en embuscade à Cléones, et les tua8. Il entra ensuite dans l’Elide avec son armée, prit la ville9, tua Augias et ses fils, et ramena Phylée qu’il mit sur le trône10. Il institua alors les jeux olympiques11, éleva un autel à Pélops, et douze autels aux douze dieux12.

§ 3. Après la conquête de l’Elide, il marcha contre Pylos, et ayant pris la ville13, il tua Périclymènes, le plus vaillant des fils de Nélée, qui prit pendant le combat toutes sortes de formes. Il tua aussi Nélée et ses autres fils, à l’exception de Nestor qui, très jeune alors, étoit élevé chez les Géréniens. Il blessa dans ce combat Pluton, qui étoit venu au secours des Pyliens14.

De Pylos il marcha contre Lacédémone pour se venger des fils d’Hippocoon, contre lesquels il étoit irrité, de ce qu’ils avoient donné du secours à Nélée, et encore plus de ce qu’ils avoient tué le fils de Licymnius15. Celui-ci étant à regarder le palais d’Hippocoon, un chien molosse en sortit et s’élança sur lui ; il lui jeta une pierre, dont il le toucha ; alors les fils d’Hippocoon accoururent, et lui donnèrent tant de coups de bâton, qu’il en mourut. Voulant donc venger ce meurtre, il leva une année pour marcher contre Lacédémone, et en passant par l’Arcadie, il pria Céphée de l’accompagner avec ses vingt fils. Céphée craignant que les Argiens ne profitassent de son absence pour venir attaquer Tégée, ne vouloit pas y aller. Hercules alors donna à Stérope16, fille de Céphée, une boucle des cheveux de la Gorgone, qu’il avoit reçue de Minerve. Cette boucle étoit dans une urne de bronze17 ; il lui dit que si une armée se présentoit, elle la mettroit en fuite en la lui montrant trois fois de dessus les murs, observant de ne pas la regarder elle-même. Alors Céphée le suivit avec ses fils, qui furent tous tués avec lui dans le combat18, ainsi qu’Iphiclus, frère d’Hercules19. Hercules, cependant, ayant tué Hippocoon et ses enfants, prit la ville, et y ramena Tyndare, à qui il donna la couronne.

§ 4. En passant par Tégée, Hercules abusa, sans la connoître, d’Augé fille d’Aléus20. Ayant accouché en secret, elle exposa son enfant dans l’enceinte consacrée à Minerve. La peste ravageant le pays, Aléus fit des perquisitions dans cette enceinte, et y trouva cet enfant qu’il fit exposer sur le mont Parthénius. Mais la providence des dieux en prit soin, car une biche qui venoit de mettre bas, lui donna la mamelle ; et des bergers l’ayant trouvé, lui donnèrent le nom de Télèphe. Aléus donna Augé à Nauplius, fils de Neptune, pour la vendre hors du pays, et celui-ci la donna à Teuthras, roi de la Teuthranie, qui en fit son épouse.

§ 5. Hercules étant venu à Calydon, demanda en mariage Déjanire fille d’Œnée21, et lutta contre le fleuve Achéloüs pour obtenir sa main. Ce dernier s’étant changé en taureau, Hercules rompit une de ses cornes. Il épousa Déjanire ; rendit ensuite au fleuve Achéloüs la corne qu’il lui avoit rompue, et en reçut en échange celle d’Amalthée. Amalthée22 étoit fille d’Hæmonius, et possédoit une corne de taureau qui avoit, suivant Phérécyde, la vertu de fournir en abondance tout ce qu’on pouvoit désirer, soit à manger, soit à boire.

§ 6. Hercules fit ensuite avec les Calédoniens une expédition contre les Thesprotes ; ayant pris Ephyre, dont Phylas23 étoit roi, il coucha avec Astyoché24 fille de ce prince, et en eut un fils nommé Tlépolême25. Etant chez les Calydoniens, il envoya dire à Thestius de garder sept de ses fils, d’en envoyer trois à Thèbes, et d’envoyer les quarante autres fonder une colonie dans l’île de Sardaigne26.

Quelque temps après, étant à un festin chez Œnée, il tua d’un coup de poing Eunomus fils d’Architéles27, qui lui versoit de l’eau sur les mains. Architéles, qui étoit proche parent d’Œnée, voyant qu’Hercules avoit tué son fils involontairement, lui pardonna ; mais Hercules voulut, conformément à la loi, se soumettre à l’exil, et résolut de se retirer à Trachine, chez Céyx. Etant parti avec Déjanire, ils arrivèrent au fleuve Evénus ; le Centaure Nessus passoit les voyageurs de l’autre côté du fleuve, moyennant, un salaire ; il disoit que les dieux lui avoient accordé ce droit pour le récompenser de son équité. Hercules traversa lui-même le fleuve, et donna Déjanire à transporter au Centaure, moyennant le prix convenu. Au milieu du passage, celui-ci voulut la violer28 ; elle se mit à crier, et Hercules perça Nessus d’un coup de flèche dans le cœur, au moment où il sortoit de l’eau. Nessus se sentant près de mourir, appela Déjanire, et lui dit que si elle vouloit avoir un philtre puissant pour se faire aimer de son époux, elle n’avoit qu’à mêler sa semence qui étoit tombée à terre29, avec le sang qui avoit découlé de sa blessure. Déjanire suivit son conseil, et garda ce philtre.

§ 7. Traversant ensuite le pays des Dryopes, et n’ayant rien à manger, Hercules rencontra Thiodamas30, qui conduisoit une charrue attelée de deux bœufs ; il en détela un et le mangea. De là, il se rendit à Trachine vers Céyx, et étant chez lui, il alla attaquer les Dryopes et les défit.

Il en partit de nouveau pour aller au secours d’Ægimius, roi des Doriens32, à qui les Lapithes, commandés par Coronus33, faisoient la guerre au sujet des limites de leurs territoires respectifs. Ils le tenoient assiégé ; il implora le secours d’Hercules, en lui promettant une partie de ses États. Hercules étant allé à son secours, tua Coronus et beaucoup d’autres avec lui, et rendit à Ægimius tout son pays entièrement libre.

Il tua ensuite Laogoras34, roi des Dryopes, et tous ses fils, au milieu d’un festin qu’ils faisoient dans l’enceinte, consacrée à Apollon. Il le punit ainsi de son insolence, et de ce qu’il avoit donné du secours aux Lapithes. À son passage à Itone, il fut provoqué à un combat singulier par Cygnus, fils de Mars et de Pélopie35 ; Hercules accepta le défi, et le tua. Il se rendit de là à Orménium : Amyntor36 qui en étoit roi, ayant voulu s’opposer à son passage, il le tua aussi.

Arrivé à Trachine, et voulant se venger d’Eurytus, il rassembla une armée pour marcher contre Œchalie ; les Arcadiens, les Méliens de Trachine, et les Locriens Epicnémidiens, l’assistèrent dans cette expédition ; avec leur secours, il tua Eurytus37 et ses fils, et s’empara de leur ville. Après avoir donné la sépulture à Hippasus fils de Céyx, à Argius et à Mêlas, fils de Lycimnius, qui avoient péri dans cette expédition, et mis la ville au pillage, il emmena Iole captive38. Ayant abordé au promontoire Cénée de l’île d’Eubée39, il y éleva un autel à Jupiter Cénéen. Voulant offrir un sacrifice, il envoya un héraut40 à Trachine lui chercher une robe de fête. Déjanire apprenant de Lâchas la prise d’Iole, craignit qu’elle n’obtint la préférence sur elle, et persuadée que le sang de Nessus étoit un vrai philtre, elle en frotta la tunique. Hercules s’en étant revêtu, offrit son sacrifice ; mais lorsque la tunique se fut échauffée, le venin de l’Hydre pénétra la chair, et la fit tomber en pourriture. Hercules alors ayant pris Lâchas par les pieds, le lança dans la mer d’Eubée41 ; il voulut arracher la tunique qui tenoit à son corps, et les chairs se détachèrent avec. Dans cet état, il se fit mettre sur un vaisseau, et se fit porter à Trachine. Déjanire apprenant ce qui s’étoit passé, se pendit. Hercules ordonna à Hyllus, le plus âgé des fils qu’il avoit de Déjanire, d’épouser Iole42, lorsqu’il seroit en âge de se marier, parvenu sur le mont Œta, qui est dans le pays des Trachiniens, il y fit élever un bûcher, et ordonna d’y mettre le feu, lorsqu’il y seroit monté. Personne ne voulant s’en charger, Pœas43, qui étoit venu là pour chercher ses troupeaux, l’alluma, et Hercules fui donna, ses flèches pour récompense. On dît que, tandis, que le bûcher brûloit, il fut enveloppé d’un nuage et transporté au ciel au milieu de grands éclats de tonnerre. Il y reçut l’immortalité44 et s’y réconcilia avec Junon, qui lui donna en mariage Hébé sa fille, dont il eut deux fils, Alexiarès et Anicétus.

§ 8. Voici les noms des enfans d’Hercules. Il eut de Procris, l’aînée des filles de Thestius, deux fils jumeaux, Antiléon et Hippéus ; de Panope, Threpsippe ; de Lysé, Eumède ; de **, Créon ; d’Epilaïs, Astyanax ; de Crathé, Iobés ; d’Eurybie, Polylaüs ; de Patro, Archemachus ; de Méline, Laomédon ; de Clytippe, Euryca-pys ; d’Eubote, Eurypyle ; d’Aglaé, Antiade ; de Chryseïs, Onésippe ; d’Orée, Laomène ; de Lysidice, Télés ; d’Entédide, Ménippide ; d’Anthippe, Hippodromus ; Téleutagore, d’Euryce ; d’Hippoté, Pylus ; d’Eubée, Olympus ; de Nice, Nicodromus ; d’Argelé, Cléolaüs ; d’Exolé, Erythrus ; de Xanthis, Homolippus ; de Stratonice, Atromus ; d’Iphis, Celeustanor ; de Laothoé, Antiphus ; d’Antiope, Alopiûs ; Astybie, de Calamétis ; de Philéis, Tigasis ; d’Aischréis, Leuconès ; d’Anthée, ** ; d’Eurypyle, Archédicus ; d’Erato, Dynaste ; d’Asopide, Mentor ; d’Eone, Amestrius ; de Tiphyse, Lyncée ; d’Olympuse, Halocrates ; d’Héliconis, Phalias ; d’Hésychie, Oistrèbles ; de Terpsicrates, Euryops ; d’Eleuchie, Bulée ; de Nicippe, Antimachus, de Pyrippe, Patrocles ; de Praxithée, Néptras ; de Lysippe, Erasippus ; de **, Lycurgue ; de Toxicrates, Lycius ; de Marsé, Bucolus ; d’Eurytèle, Leucippe ; d’Hippocrate, Hippozygos : tels furent les enfants qu’il eut des filles de Thestius.

Il eut de ses autres femmes, savoir ; de Déjanire, fille d’Œnée, Hyllus45, Ctésippus, Glénus et Onéites. De Mégare, fille de Créon, Thérimaque, Déicoon, Créontiades et Déion ; d’Omphale, Agélaus46, de qui Crsesus tir ait son origine ; de Chalciope, fille d’Eurypyle, Thessalus ; d’Epicaste, fille d’Augias, Thestalus ; de Parthénopé, fille de Stymphale, Evérès ; d’Auge, fille d’Aléus, Télèphe ; d’Astyoché, fille de Phylas, Tlépolème ; d’Astydamie, fille d’Amyntor, Ctésippus ; d’Autonoé, fille de Pirée, Palæmon47.

CHAPITRE VIII.

§ 1. Hercule ayant pris rang parmi les Dieux, ses fils se réfugièrent auprès de Céyx, pour se soustraire au pouvoir d’Eurysthée, qui les poursuivoit1. Eurysthée les ayant redemandés et menaçant Céyx de lui déclarer la guerre s’il ne les lui rendoit pas, ils eurent peur, quittèrent Trachine, et s’enfuirent dans la Grèce2. Etant poursuivis, ils se retirèrent à Athènes, et s’étant mis auprès de l’autel de la Pitié en posture de suppliants, ils implorèrent le secours des Athéniens ; les Athéniens refusèrent en effet de les livrer, soutinrent la guerre contre Eurysthée3, et tuèrent Alexandre, Iphimédon, Eurybius, Mentor et Perimédes ses fils. Eurysthée ayant pris la fuite sur son char, Hyllus le poursuivit jusqu’au delà des rochers Scironides, et le tua4 ; il lui coupa la tête, et la porta à Alcmène, qui lui perça les yeux avec des navettes à faire de la toile.

§ 2. Eurysthée étant mort, les Héraclides entrèrent dans le Péloponnèse5 et en soumirent toutes les villes. Mais à cette époque la peste ayant ravagé ce pays pendant toute une année, et l’oracle ayant dit qu’ils en étoient la cause, parce qu’ils étoient rentrés avant le temps déterminé par les dieux, ils quittèrent le Péloponnèse, et allèrent s’établir à Marathon6. Avant leur sortie du Péloponnèse, Tlépolème avoit tué involontairement Licymnius ; croyant en effet frapper un esclave avec son bâton, il frappa. Licymnius qui se trouvoit là. Tlépolème alors s’enfuit à Rhodes avec un grand nombre de personnes, et y fonda un État.

Hyllus ayant épousé Iole, suivant les ordres de son père, chercha à faire rentrer les Héraclides dans le Péloponnèse, et alla consulter l’oracle de Delphes sur les moyens d’y parvenir. Le dieu lui répondit d’attendre jusqu’aux troisièmes fruits. Hyllus croyant que cela vouloit dire trois années, attendit ce terme, et entra avec son armée dans le Péloponnèse7, ** sous le règne de Tisamène, fils d’Oreste ; les habitants du Péloponnèse furent vainqueurs dans un second combat, où Aristomaque fut tué.

Les enfants de8 [Cléolaüs] étant parvenus à l’âge viril, consultèrent encore l’oracle au sujet de leur retour. Le dieu les ayant renvoyés à ses précédents oracles, Teménus lui fit des reproches, en lui disant que la confiance qu’ils y avoient eue avoit été la cause de leur perte. Le dieu leur répondit qu’ils ne devoient s’en prendre qu’à eux-mêmes de leurs malheurs, et qu’ils n’avoient pas saisi le sens de ses oracles : que par fruits, il n’avoit pas entendu ceux de la terre, mais ceux des hommes, c’est-à-dire la génération, et que par le chemin étroit et humide, il avoit entendu la mer qui est à la droite de l’Isthme9. D’après cette explication, Téménus leva une année, et fabriqua des vaisseaux dans un endroit de la Locride qui en a pris le nom de Naupacte10. Tandis que l’armée y étoit campée, Aristodème fut tué d’un coup de tonnerre ; il laissa deux fils jumeaux qu’il avoit eus d’Argie, fille d’Autésion, ils se nommoient Eurysthènes et Prôclès.

§ 3. L’année elle-même éprouva diverses calamités durant son séjour à Naupacte. Il parût dans le camp un devin11 qui, inspiré par les dieux, leur débitoit des oracles ; ils crurent que c’étoit un magicien envoyé par les habitants du Péloponnèse, pour détruire l’armée ; et Hippotès, fils de Phylas, fils d’Antiochus, fils d’Hercules, le tua d’un coup de flèche. Bientôt après, les vaisseaux périrent et la flotte fut dispersée ; l’armée de terre, en proie à la famine, se dispersa aussi. Téménus ayant consulté l’oracle, le dieu répondit que la mort du devin étoit la cause de tous ces malheurs ; qu’il falloit exiler pendant-dix ans celui qui l’avoit tué, et prendre pour général l’homme aux trois yeux. Ils exilèrent donc Hippotès, et ils cherchoient cet homme aux trois yeux, lorsqu’Oxylus fils d’Andræmon13, se présenta à eux, monté sur un cheval. Il n’avoit qu’un œil, ayant perdu l’autre d’un coup de flèche. Un meurtre qu’il avoit commis, l’avoit fait exiler de son pays ; il s’étoit retiré dans l’Elide, et l’année de son exil étant expirée, il retournoit delà dans l’Ætolie. Les Héraclides ayant conjecturé qu’il étoit celui que l’oracle désignoit, le prirent pour général, et ayant joint leurs ennemis, les battirent par mer et par terre, et tuèrent Tisamène fils d’Orestes14. Les deux fils d’Ægimius, Pamphylus15 et Dymas, périrent en combattant pour eux.

§ 4. Lorsqu’ils furent maîtres du Péloponnèse, ils élevèrent trois autels à Jupiter-Patroüs16 ; et après avoir offert un sacrifice, ils tirèrent les villes au sort. Argos formoit le premier lot, Lacédémone le second, et Messène le troisième. On apporta un vase plein d’eau, et il fut convenu que chacun y mettroit sa ballotte. Téménus et les deux fils d’Aristodème y mirent des ballottés de pierre. Cresphontes voulant avoir Messène, y mit une ballotte de terre, pour qu’elle se fondît, et que les deux autres sortissent les premières. Celle de Téménus sortit d’abord, ensuite celle des fils d’Aristodème, et Cresphontes eût Messène par ce moyen.

§ 5. Ils trouvèrent les signes suivants sur les autels où ils avoient sacrifié. Celui à qui Argos échut, y trouva une grenouille ; celui qui avoit Lacédémone, un dragon ; et celui qui avoit Messène, un renard. Les devins consultés là-dessus, répondirent que ceux qui y avoient trouvé une grenouille, feroient bien, de rester chez eux, cet animal n’ayant point de force lorsqu’il est en marche ; que ceux qui y avoient trouvé un dragon, seroient terribles dans leurs entreprises ; et que ceux qui y avoient trouvé un renard, seroient très rusés, Téménus ne tenant aucun compte d’Agélaüs, Euripyle et Callias17 ses fils, s’attacha uniquement à Hyrnétho sa fille et à Déïphontes son époux18. Ses fils, irrités de cette préférence, firent marché avec les Titanes19, pour qu’ils tuassent leur père ; ils le tuèrent effectivement ; néanmoins l’armée décerna la couronne à Hyrnétho et à Déïphontes20.

Cresphontes21 ayant régné peu de temps à Messène, fut tué avec deux de ses enfans ; Polyphontes, qui étoit lui-même un des Héraclides, lui succéda ; et épousa malgré elle Mérope sa veuve. Il fut aussi tué. Mérope en effet avoit un troisième fils nommé Aipytus, qu’elle avoit donné à élever à son père ; ce fils, parvenu à l’âge viril, rentra secrètement, tua Polyphontes et recouvra le royaume de son père.

BIBLIOTHÈQUE
D’APOLLODORE
L’ATHÉNIEN

LIVRE TROISIÈME.

CHAPITRE PREMIER.

§ 1. Après avoir tracé l’histoire de la postérité d’Inachus, depuis Bélus jusqu’aux Héraclides, nous allons passer à celle d’Agénor ; car Lybie eut, comme nous l’avons dit, deux fils de Neptune, Bélus et Agénor. Le premier régna sur l’Égypte, et fut le père de tous ceux dont nous venons de parler. Agénor s’étant établi dans l’Europe1, épousa Téléphasse2 ; il en eut une fille nommée Europe, et trois fils, Cadmus, Phœnix et Cilix. Suivant quelques auteurs, Europe étoit fille, non pas d’Agénor, mais de Phœnix3. Jupiter étant devenu amoureux d’elle, se changea en un taureau dont l’haleine sentoit le safran4 : s’étant laissé apprivoiser par elle, il se jeta à la mer lorsqu’elle fut montée sur lui, et la conduisit dans l’île de Crète. Arrivé là, Jupiter coucha avec elle, et en eut trois fils, Minos, Sarpédon et Rhadamanthe. Sarpédon5 étoit, suivant Homère, fils de Jupiter et de Laodamie, fille de Bellérophon. Europe ayant ainsi disparu, Agénor envoya ses fils à sa recherche, et leur défendit de revenir sans la ramener. Téléphasse leur mère6, et Thasus fils de Neptune, ou, suivant Phérécydes, de Cilix, partirent aussi pour la chercher. Ayant parcouru toute l’Europe, sans pouvoir la trouver, ils renoncèrent à retourner dans leur patrie, et s’établirent, savoir : Phœnix, dans le pays qui porte son nom ; Cilix, près de la Phœnicie, dans les environs du fleuve Pyrame, et il donna le nom de Cilicie à tout le pays qu’il avoit soumis. Cadmus et Téléphasse s’établirent dans la Thrace ; Thasus s’y établit aussi, et y fonda la ville de Thasos.

§ 2. Astérion7, roi de Crète, ayant épousé Europe, éleva les enfans qu’elle avoit eus de Jupiter. Ceux-ci étant parvenus à l’âge viril, se brouillèrent au sujet d’un jeune homme nommé Miletus8, fils d’Apollon et d’Arie, fille de Cléochus. Sarpédon étoit celui que le jeune homme préféroit ; Minos ayant pris les armes, les vainquit et les força à s’enfuir. Miletus se réfugia dans la Carie, où il fonda la ville qui porte son nom. Sarpédon ayant offert, moyennant une portion du pays, ses services à Cilix qui étoit en guerre avec les Lyciens, régna sur la Lycie, et Jupiter le fit vivre trois âges d’homme9. Quelques écrivains disent qu’il aimoit Atymnius, fils de Jupiter et de Cassiépée, et que ce fut cet amour qui le brouilla avec ses frères. Rhadamanthe ayant donné des lois aux habitans des îles10, fut obligé de nouveau de s’enfuir dans la Bœotie, ou il épousa Alcmène. Après sa mort, il devint avec Minos l’un des juges des enfers. Minos régna sur la Crète et lui donna des lois ; ayant épousé Pasiphaé, fille du Soleil et de Perséïs, ou, comme le dit Asclépiades, Crété fille d’Astérius, il en eut quatre fils, Catrée, Deucalion, Glaucus et Androgée, et quatre filles, Acallé11, Xénodice, Ariane et Phèdre. Il eut de la Nymphe Paria, Eurymédon, Néphalion, Chrysès et Philolaiis ; et de Déxithée, Euxanthius.

§ 3. Astérion étant mort sans enfans, on voulut refuser à Minos le royaume de Crète. Il dit que les dieux le lui avoient donné, et pour le prouver, il ajouta qu’il obtiendrait d’eux ce qu’il leur demanderoit. Faisant un sacrifice à Neptune, il le pria de faire sortir de la mer un taureau, promettant de le lui sacrifier. Neptune ayant envoyé un taureau d’une grande beauté12, Minos obtint la couronne, mais il mit le taureau dans ses pâturages, et en sacrifia un autre. Il fut le premier qui eut l’empire de la mer, et qui eut presque toutes les îles sous sa domination.

§ 4. Neptune, irrité de ce qu’il ne le lui avoit pas sacrifié, rendit le taureau sauvage, et fit que Pasiphaé en devint amoureuse. Elle implora, pour satisfaire sa passion, le secours de Dædale, architecte qui avoit été exilé d’Athènes pour un meurtre qu’il y avoit commis. Dædale construisit une vache de bois, creuse en dedans, qu’il mit sur des roulettes ; il y ajusta la peau d’une vache fraîchement écorchée, et l’ayant placée dans un endroit où le taureau avoit coutume de paître, il y fit entrer Pasiphaé. Le taureau étant venu, la couvrit comme si c’eût été une vache véritable ; elle en eut Astérius ; surnommé le Minotaure, qui avoit la tête d’un taureau, et le reste du corps d’un homme. D’après quelques oracles, Minos le garda enfermé dans le Labyrinthe. Ce Labyrinthe, que Dædale avoit construit, étoit un édifice qui avoit un très-grand nombre de détours, de façon qu’il étoit impossible d’en trouver l’issue. Nous verrons par la suite, à l’occasion de Thésée, ce qui a rapport au Minotaure, à Androgée, à Phèdre et à Ariane.

CHAPITRE II.

§ 1. Catrée, fils de Minos, eut trois filles, Aérope, Clymène et Apémosyne, et un fils, nommé Althemênes. Ayant consulté l’oracle sur la manière dont il finiroit ses jours, le dieu lui répondit qu’il mourroit de la main d’un de ses enfans. Catrée leur cacha soigneusement cette prédiction ; mais Altheménes l’ayant apprise, craignit de devenir le meurtrier de son père, quitta la Crète avec Apémosyne sa sœur, et aborda à un endroit de l’île de Rhodes dont il s’empara, et qu’il nomma Créténie. Étant monté sur le mont Atabyrius, il considéra toutes les îles circonvoisines ; apercevant celle de Crète, les dieux de son pays lui revinrent à la mémoire, et il éleva un autel à Jupiter-Atabyrien. Peu de temps après il tua sa sœur de sa propre main. Mercure, en effet, étant devenu amoureux d’elle, et ne pouvant la saisir, parce qu’elle couroit mieux que lui, étendit sur son passage des peaux fraîchement écorchées : le pied ayant glissé à la jeune fille en passant dessus1, elle tomba, et Mercure la viola. Elle dit à son frère ce qui s’étoit passé ; mais celui-ci croyant que le dieu n’étoit qu’un prétexte, lui donna un coup de pied et la tua.

§ 2. Catrée donna à Nauplius2 ses deux autres filles, Clymène et Aérope, pour les aller vendre en pays étranger. Plisthènes épousa Aérope, et en eut Agamemnon et Ménélas3 : Nauplius épousa Clymène, et fut père d’Œax et de Palamèdes.

Catrée étant devenu vieux, désiroit laisser ses états à Althemênes son fils, et il alla pour cela à Rhodes ; ayant débarqué avec les héros qui le suivoient dans un endroit désert, il fut repoussé par les bergers, qui les prirent pour des corsaires. Les bergers ne pouvant entendre ce qu’il disoit, à cause du bruit que faisoient les chiens en aboyant, les poursui voient toujours, lorsqu’Althemênes étant survenu, tua son père, sans le connoître, d’un trait qu’il lui lança. Apprenant ensuite ce qu’il avoit fait, il pria les dieux de le faire engloutir par la Terre, et son vœu fut exaucé.

CHAPITRE III.

§ 1. Deucalion eut pour enfans Idoménée, Crété, et un fils naturel1 nommé Molus2.

Glaucus encore enfant poursuivant une mouche3, tomba dans un tonneau de miel et y mourut. Minos le fit chercher partout, et consulta enfin l’oracle4 pour savoir ce qu’il étoit devenu. Les Curetés lui dirent qu’il avoit dans ses étables une vache de trois couleurs, et que celui qui trouveroit la comparaison la plus juste pour exprimer ce phénomène, lui rendroit son fils vivant. Les devins ayant été appelés, Polyïdus, fils de Cœranus5, compara la couleur de cette vache à celle du fruit de la ronce. Minos l’ayant forcé à chercher son fils, il le trouva par une pratique de son art6. Minos disant qu’il devoit le lui rendre vivant, l’enferma avec le cadavre7. Polyïdus étoit fort embarassé, lorsqu’il vit un serpent qui venoit vers le cadavre. Craignant que ce serpent ne le fit périr, il le tua d’un coup de pierre8. Un autre serpent approcha., et voyant le premier mort, se retira et revint un instant après, apportant une certaine herbe dont il couvrit le corps de son compagnon, qui ressuscita par ce moyen. Polyïdijs ayant remarqué cela avec admiration, mit cette même herbe sur le corps de Glaucus et le ressuscita ainsi.

§ 2. Minos ayant recouvré son fils, ne voulut pas laisser retourner Polyïdus à Argos, qu’il n’eut enseigné à Glaucus l’art de la divination, ce que Polyïdus fit malgré lui. Mais lorsqu’il fut prêt à partir, il dit à Glaucus de lui cracher dans la bouche9. Celui-ci l’ayant fait, oublia sur-le-champ tout ce qu’il avoit appris.

En voilà assez sur les descendans d’Europe.

CHAPITRE IV.

§ 1. Téléphasse étant morte, Cadrans lui donna la sépulture, et après avoir reçu des Thraces l’hospitalité1, il se rendit à Delphes pour s’y informer de ce qu’Europe étoit devenue. Le dieu lui dit de ne plus s’inquiéter d’elle2, mais de prendre une vache pour guide, et de bâtir une ville à l’endroit où elle se laisserait tomber de fatigue. D’après cet oracle, il prit sa route à travers la Phocide, et ayant rencontré une vache du troupeau de Pélagon, il la suivit. Cette vache en passant par la Bœotie, se coucha à l’endroit où est maintenant la ville de Thèbes. Dans le dessein de sacrifier cette vache à Minerve, il envoya un de ses compagnons puiser de l’eau à la fontaine de Mars. Un dragon dont, à ce qu’on disoit, Mars étoit le père3, tua la plupart de ceux qu’il y envoya. Cadmus irrité le tua, et sema ses dents par le conseil de Minerve4. Ces dents étant semées, on vit sortir de la terre des hommes armés, qu’on nomma Spartes. Ils se tuèrent aussitôt les uns les autres, en partie pour une querelle qui s’étoit élevée involontairement entre eux, en partie, faute de se connoître. Phérécydes dit que Cadms voyant sortir de terre des hommes armés, leur jeta des pierres ; ils crurent se les être jetées mutuellement, et ce fut là la cause de leur combat : il n’en échappa que cinq, Echion, Oudæus, Chthonius, Hypérénor et Pélor.

§ 2. Cadmus fut obligé, en expiation de ce meurtre, de servir Mars pendant un an5. L’année d’alors en duroit huit des nôtres.

Le temps de Son service expiré, Minerve lui construisit un palais6, et Jupiter lui donna en mariage Harmonie fille de Mars et de Vénus7, Tous les Dieux quittèrent le ciel, se rendirent à Cadmée, assistèrent au festin qu’il donna pour ses noces, et y chantèrent8. Cadmus donna à son épouse un manteau, et un collier9 ouvrage de Vulcain, que ce dieu lui avoit donné. Phérécydes dit qu’il avoit eu ce collier d’Europe, qui l’avoit reçu de Jupiter. Cadmus eut quatre filles, Autonoé, Ino, Sémélé et Agavé, et un fils nommé Polydore. Ino fut mariée à Athamas, Autônoé à Aristée10, et Agavé à Echion.

§ 3. Jupiter étant amoureux de Sémélé, alloit coucher avec elle, à l’insçu de Junon. Sémélé trompée par la déesse, demanda à Jupiter qu’il vint chez elle, tel qu’il étoit lorsqu’il alla demander Junon en mariage ; comme il s’étoit engagé à faire ce qu’elle lui demanderoit, et qu’il ne pouvoit révoquer sa promesse, il entra dans sa chambre sur un char, et accompagné de foudres, d’éclairs et de tonnerre ; la frayeur fit perdre connoissanoe à Sémélé, et, enceinte de six mois, elle accoucha d’un enfant, que Jupiter enleva sur-le-champ du milieu des flammes, et qu’il cousit dans sa cuisse. Les autres filles de Cadmus répandirent le bruit que Sémélé s’étoit laissée corrompre par un homme, et qu’elle avoit été foudroyée pour avoir mis cela sur le compte de Jupiter. Ce dieu ayant décousu sa cuisse, au bout des neuf mois, en tira Bacchus11, et le donna à Mercure, qui le porta à Ino et à Athamas, et les engagea à l’élever comme une fille.

Junon irritée les rendit furieux ; Athamas prenant Léarque, l’aîné de ses fils, pour un cercle poursuivit et le tua. Ino jeta Mélicerte, son autre fils, dans une chaudière bouillante ; elle prit ensuite son Cadavre dans ses bras, et se précipita avec dans la mer. Les navigateurs lui donnent le nom de Leucothée, et à son fils celui de Palæmon ; ils les invoquent dans les tempêtes. Sisyphe institua les jeux Isthmiques en l’honneur de Mélicertes.

Jupiter changea Bacchus en chevreau, pour le soustraire à la colère de Junon, et Mercure le porta aux Nymphes qui habitoient le mont Nysa en Asie12 ; Jupiter les changea par la suite en astres, et les nomma les Hyades.

§ 4. Autonoé eut d’Aristée un fils nommé Actaeon ; il fut élevé par Chiron, qui l’instruisit dans l’art de la chasse. Il fut dévoré sur le mont Cithæron, par ses propres chiens. Acusilas dit que Jupiter le fit périr ainsi pour le punir de ce qu’il avoit osé demander Sémélé en mariage ; mais suivant le plus grand nombre d’auteurs, ce fut pour avoir vu Diane au bain13. On dit que la déesse le changea sur-le-champ en cerf, qu’elle rendit enragés les cinquante chiens qui le suivoient, et qu’ils le déchirèrent sans le connoître. Ils se mirent ensuite à le chercher en hurlant, et vinrent ainsi jusqu’à la caverne de Chiron, qui ayant fait une image d’Actæon, appaisa leur rage.

[Voici les noms des chiens, qui, tels que des bêtes féroces, déchirèrent le beau corps d’Actæon.

Harpye fut la première ; ensuite ses vaillants enfans, Lyncée, Balie et Amarynthus.

Un autre poëte dit : Alors mourut Actæon par la volonté de Jupiter.

Les premiers qui goûtèrent le sang de leur maître, furent Spartus, Argus et Bores qui étoit aussi léger à la course que le vent14 ***].

CHAPITRE V.

§ 1. Bacchus ayant découvert la vigne, Junon le rendit furieux, et il parcourut dans cet état l’Égypte et la Syrie, Il fut d’abord reçu par Protée, roi d’Égypte. Il se rendit ensuite à Cybèles dans la Phrygie ; il y fut purifié par Rhéa, qui lui enseigna la célébration des mystères. Il reçut d’elle la robe longue, et prit son chemin par la Thrace pour aller dans l’Inde1. Lycurgue, fils de Dryas et roi des Edones, qui habitent près le fleuve Strymon, fut le premier qui le chassa de son pays après l’avoir outragé. Bacchus se réfugia dans la mer, auprès de Thétis, fille de Nérée ; les Bacchantes et les Satyres qui marchoient à sa suite furent faits prisonniers. Les Bacchantes furent bientôt délivrées d’une manière soudaine, parce que Bacchus rendit Lycurgue furieux ; celui-ci, dans sa fureur, tua Dryas son fils d’un coup de cognée2, croyant couper un cep de vigne. Lui ayant ensuite coupé les extrémités des pieds et des mains3, il recouvra son bon sens. Mais la terre restant sans produire, le dieu prédit qu’elle ne reprendrait sa fertilité, que lorsqu’on auroit mis Lycurgue à mort. Les Edones apprenant cela, le lièrent, le conduisirent vers le Mont Pangée, et le firent écarteler par des chevaux, conformément aux ordres de Bacchus,

Il parcourut ensuite la Thrace et l’Inde4, et ayant posé des colonnes dans ce dernier pays, il se rendit à Thèbes, et força les femmes de cette ville à abandonner leurs maisons, pour aller courir en Bacchantes sur le Moût Cithæron.

§ 2. Penthée, fils d’Echion et d’Agave, qui avoit succédé à Cadmus sur le trône, voulut les retenir, et alla lui-même sur le Mont Cithæron, pour voir ce qu’elles y faisoient ; il y fut mis en pièces par Agave sa mère, qui le prit pour une bête féroce 5. Bacchus ayant ainsi fait connoître sa divinité aux Thébains, alla à Argos, et comme les Argiens lui refusoient les honneurs divins, il rendit toutes leurs femmes furieuses6, de manière que s’enfuyant dans les montagnes, avec leurs enfans à la mamelle, elles les dévoroient elles-mêmes.

§ 3. Voulant ensuite passer d’Icarie à Naxos, il loua une trirème appartenant à des corsaires Tyrrhéniens. Ceux-ci l’ayant embarqué, laissèrent Naxos de côté, et dirigèrent leur route vers l’Asie, dans l’intention de l’y vendre. S’étant aperçu de leur projet, il changea le mât et les rames en serpens, remplit le vaisseau de lierre, et y fit entendre le son des flûtes. Les corsaires devenus furieux se précipitèrent dans la mer, où ils furent changés en dauphins7. Sa divinité étant démontrée par tous ces prodiges, les hommes lui rendirent les honneurs divins. Il ramena ensuite sa mère des enfers8, lui donna le nom de Thyoné, et monta au ciel avec elle9.

§ 4. Cadmus et Harmonie ayant abandonné Thèbes, se retirèrent chez les Enchéléens, qui étoient alors en guerre avec les Illyriens ; l’Oracle leur ayant prédit la victoire, s’ils prenoient Cadmus et Harmonie pour leurs chefs, ils suivirent ce conseil, leur donnèrent le commandement de leur armée, et vainquirent les Illyriens, Cadmus régna sur ces derniers10, et eut un fils qu’il nomma Illyrius. Ils furent ensuite, lui et sa femme Harmonie, changés en serpens11, et les dieux les placèrent aux Champs Élysées.

§ 5. Polydore étant devenu roi de Thèbes, épousa Nyctéis fille de Nyctée, fils de Chthonius12 ; il en eut un fils nommé Labdacus, qui périt après Penthée, et qui pensoit à peu près comme lui13. Labdacus ayant laissé un fils d’un an, nommé Laïus, Lycus frère de Nyctée, s’empara du trône, tandis qu’il étoit encore enfant14. Ces deux frères ayant été exilés de l’Eubée15, pour avoir tué Phlégyas, fils de Mars et de Dôtis la Béotienne16, s’étoient retirés à Hyrie17, et avoient été reçus citoyens de Thèbes à cause de leurs liaisons avec Penthée. Lycus ayant été nommé Polémarque par les Thébains, s’empara du trône, et après avoir régné vingt ans, fut tué par Amphion et Zéthus : voici quelle fut la cause de sa mort. Nyctée avoit une fille nommée Antiope, avec qui Jupiter ayoit eu commerce. Devenue enceinte, et effrayée par les menaces de son père, elle s’enfuit à Sicyone, vers Épopée, qui l’épousa. Nyctée se tua de chagrin, et recommanda en mourant à Lycus de tirer vengeance d’Épopée et d’Antiope. Lycus ayant marché contre Simone, s’en empara, tua, Épopée, et emmena Antiope captive. Elle accoucha en route, à Eleuthères en Bœotie, de deux enfans ; un bouvier les ayant trouvés, les éleva, en nomma un Zéthus, et l’autre Amphion18. Zéthus prenoit soin des troupeaux de bœufs, et Amphion ayant reçu une lyre de Mercure, se lîvroit à la musique. Lycus et sa femme Dircé, faisoient éprouver toutes sortes de mauvais traitemens à Antiope qu’ils tenoient enfermée, Ses chaînes étant tombées spontanément, elle s’enfuit sans qu’on s’en aperçût, se rendit à l’étable où etoient ses fils, et les pria de la recevoir. Ceux-ci l’ayant reconnue pour leur mère, tuèrent Lycus19, attachèrent Dircé par les cheveux à la queue d’un taureau20, et la jetèrent lorsqu’elle fut morte dans une fontaine, qui prit son nom. Ils s’emparèrent ensuite de empire, et entourèrent la ville de murs21, les pierres venant d’elles-mêmes se mettre à leur place aux sons de la lyre d’Amphion. Ils chassèrent Laïus, qui alla demeurer dans le Péloponnèse ; il y reçut l’hospitalité de Pélops, ce qui ne l’empêcha pas d’enleyer Chrysippe son fils, dont il étoit devenu amoureux, en lui apprenant à conduire un char22.

§ 6. Zéthus épousa Thèbe23, et donna son nom à la ville. Amphion épousa Niobé fille de Tantale, dont il eut sept fils ; Sipylus, Minytus, Isménus, Damasichton, Agénor, Phædimus et Tantale ; et autant de filles, Ethodæa, que d’autres nomment Neæra ; Cléodoxe, Astioché, Phthie, Pélopie, Astycratie et Ogygie. Il eut, suivant Hésiode, dix fils et dix filles ; suivant Hérodote, deux fils et trois filles ; et suivant Homère, six fils et six filles. Fière d’une aussi belle famille, Niobé se vanta d’être plus féconde que Latone. La déesse indignée, anima ses enfans contre elle ; Diane tua à coups de flèche toutes ses filles dans leur propre maison ; et Apollon tua les fils lorsqu’ils étoient à la chasse sur le Mont Cithæron24. Il ne resta de tous les garçons qu’Amphion, et de toutes les filles que Chloris, l’aînée de toutes, que Nélée épousa25. Cependant, suivant Télésille, Amycla et Mélibée furent épargnées, mais Apollon et Diane tuèrent à coups de flèche Amphion et Zéthus26. Niobé abandonna Thèbes, et se retira à Sipyle auprès de Tantale son père ; Jupiter, à sa prière, la changea en pierre, et cette pierre verse des larmes nuit et jour.

§ 7. Laïus monta sur le trône après la mort d’Amphion, et épousa la fille de Ménœcée, nommée par les uns Jocaste27, et Epicaste par d’autres. Apollon lui avoit conseillé de ne point avoir d’enfans, parce que s’il en avoit un, il seroit tué par lui28. Mais Laïus s’étant enivré coucha avec sa femme ; un enfant en étant provenu, il lui perça les pieds avec des aiguilles, et le donna à un berger pour l’exposer. Le berger l’exposa sur le Mont Cithæron. Les bouviers de Polybe, roi de Corîhthe29, ayant trouvé cet enfant, le portèrent à Péribée sa femme30 ; elle le fit passer pour le sien, lui guérit les pieds, et le nomma Œdipe, parce qu’il avoit les pieds enflés lorsqu’on le lui avoit apporté. Lorsqu’il fut grand, sa force le faisoit distinguer parmi tous ses égaux, qui par jalousie l’appeloient bâtard. Œdipe ayant questionné Péribée, et n’ayant rien pu savoir d’elle, alla à Delphes pour apprendre de l’oracle le nom de ses parens. Le dieu lui dit de ne point aller dans sa patrie, qu’il y tueroit son père, et qu’il coucheroit avec sa mère31. D’après cet oracle, il s’éloigna de Corinthe, se croyant fils de ceux qui le reconnoissoient pour tel. Passant sur son cbar à travers la Phocide, il rencontra dans un chemin étroit32 un char sur lequel étoient Laïus, et Polyphonte son héraut. Laïus lui ayant ordonné de lui céder le passage, et sur son refus et sa lenteur à se retirer, ayant tué un de ses chevaux, Œdipe indigné le tua ainsi que Polyphonte, et se rendit à Thèbes.

§ 8. Damasistrate, roi des Platæens, donna la sépulture à Laïus33, et Créon fils de Ménœcée, monta sur le trône de Thèbes. Cette ville fut affligée sous son règne d’une grande calamité ; Junon leur envoya le Sphinx34, monstre né de Typhon et de l’Echidne, qui avoit le visage d’une femme, le reste du corps d’un lion, et des ailes d’oiseau. Il se posa sur le Mont Phicée, et là, il proposoit aux Tbébains une énigme qu’il avoit apprise des Muses, et qui consistoit à savoir, quel est l’animal qui n’a qu’une voix, et qui d’abord quadrupède, devient successivement bipède et tripède ? L’oracle ayant prédit aux Tbébains qu’ils ne seroient délivrés du Sphinx, que lorsqu’on auroit deviné l’énigme, ils se rassemblèrent plusieurs fois pour en chercher l’explication ; et comme ils ne la trouvoient pas35, le Sphinx en enlevoit à chaque fois un, et le dévoroit ; il en avoit déjà fait périr plusieurs, et en dernier lieu Hæmon fils de Créon36. Alors Créon fit publier qu’il donnerait le royaume et la veuve de Laïus à celui qui devineroit l’énigme. Œdipe se présenta et l’expliqua, en disant que l’animal dont parloit le Sphinx, étoit l’homme, qui est quadrupède en naissant, puisqu’il se traîne sur ses pieds et sur ses mains ; parvenu à l’âge viril, il est bipède ; il est enfin tripède, lorsque devenu vieux, il est obligé de prendre un bâton pour se soutenir. Le Sphinx se précipita alors du haut de la citadelle ; Œdipe monta sur le trône, et épousa sa mère sans la connoître. Il eut d’elle deux fils, Polynice et Étéocles, et deux filles, Ismène et Antigone. D’autres disent qu’il avoit eu ces enfans d’Euryganie fille d’Hyperphas37.

§ 9. Ce qui étoit caché ayant été découvert par la suite38, Jocaste se pendit de désespoir ; Œdipe s’étant arraché les yeux, fut chassé de Thèbes39, dont il sortit en donnant sa malédiction à ses fils, qui le voyoient chasser ainsi sans prendre sa défense40. Arrivé avec Antigone à Colone, bourg de l’Attique, où est l’enceinte consacrée aux Euménides, il s’y assit comme suppliant, y fut accueilli par Thésée, et mourut bientôt après41.

CHAPITRE VI.

§ 1. Étéocles et Polynice convinrent de jouir alternativement du trône, chacun une année1. Quelques-uns disent que Polynice régna le premier, et qu’au bout de l’année il remit la couronne à son frère. Suivant d’autres, ce fut Étéocles qui eut le premier la couronne, et qui ne voulut plus s’en dessaisir. Polynice ayant été exilé de Thèbes, se réfugia à Argos, emportant avec lui le manteau et le collier d’Harmonie. Adraste, fils de Talaüs, régnoit alors à Argos ; il étoit déjà nuit lorsque Polynice arriva à son palais, et il engagea un combat avec Tydée fils d’Œnée, qui a voit été exilé de Calydon2. Un grand bruit s’étant fait entendre tout à coup, Adraste survint et les sépara ; se rappelant alors de ce que lui avoit dit un devin, qu’il marieroit ses deux filles à un sanglier et à un lion, et voyant qu’ils avoient sur leurs boucliers, l’un le devant du corps d’un sanglier, et l’autre celui d’un lion, il leur donna ses filles, Tydée épousa Déïpyle, et Polynice épousa Argie. Adraste leur promit de les ramener chacun dans leur patrie ; et voulant d’abord marcher contre Thèbes, il rassembla à cet effet les plus vaillans des Grecs.

§ 2. Amphiaraüs, fils d’Oïclée et célèbre devin, ayant vu dans l’avenir que tous ceux qui iroient à cette guerre y périroient, excepté le seul Adraste, refusoit d’y aller, et cherchoit même à en détourner les autres. Polynice étant allé vers Iphis, fils d’Alector, lui demanda comment il pourroit déterminer Amphiaraüs à prendre part à cette expédition. Iphis lui conseilla de donner son collier à Eriphyle, femme d’Amphiaraiis, et quoique celui-ci lui eut expressément défendu de recevoir aucun présent de Polynice, elle accepta le collier, et Polynice, en le lui donnant, la pria de faire en sorte que son mari vint à la guerre avec eux. Cela dépendent d’elle, car Amphiaraus en faisant un accommodement à la suite d’un différend qu’il avoit eu avec Adraste, avoit juré que sur toutes les discassions qui s’éleveroient entre eux, il s’en rapportoit à Eriphyle Lors donc qu’on fut sur le point de partir, Adraste renouvela ses instances, Amphiaraus persistent dans son refus ; mais Eriphyle, gagnée par le don du collier, le décida a partir Amphiaraus s’y voyant forcé, ordonna à ses fils, lorsqu’ils seroient devenus grands, de tuer leur mère, et de faire une expédition contre Thèbes.

§ 3. Adraste ayant rassemblé son armée sous la conduite de sept chefs, se hâta de marcher contre Thèbes. Voici quels étoient les noms de ces chefs : Adraste, fils de Talaiis ; Amphiaraus, fils d’Oïclée ; Çapanée5, fils d’Hipponous ; Hippomédon6, fils d’Aristomaque, ou suivant d’autres, de Talaiis : tous ceux-là étoient d’Argos. Polynice, fils d’Œdipe, de Thèbes ; Tydée, fils d’Enée, de l’Ætolie ; et Parthénopée, fils de Milanion7, de l’Arcadie. Quelques écrivains ne comptent ni Tydée ni Polynice au nombre des chefs, et mettent à leur place Etéoclus, fils d’Iphis, et Mécistée8.

§ 4. Arrivés à Némée, où régnoit Lycurgue9, ils cherchoient de l’eau ; Hypsipyle ayant posé à terre Opheltes, fils de Lycurgue et d’Eurydice, qu’elle nourrissoit, les conduisit à une fontaine. (Car lorsque les femmes de Lemnos surent quelle avoit sauvé la vie à Thoas son père, elles le tuèrent, la vendirent elle-même hors du pays, et elle fut achetée par Lycurgue). Tandis qu’elle leur montroit la fontaine, l’enfant qu’elle avoit laissé, fut tué par un serpent. Adraste et ses compagnons étant survenus tuèrent le serpent, et donnèrent la sépulture à l’enfant. Amphiaraüs leur dit que cet accident étoit le présage de ce qui devoit leur arriver. Ils donnèrent à l’enfant le nom d’Archémore, et instituèrent en son honneur les jeux Néméens, où Adraste remporta le prix de la course à cheval, Etéoclus celui de la course à pied ; Tydée fut vainqueur au pugilat, Amphiaraüs au saut et au disque10, Laodocus au dard, Polynice à la lutte, et Parthénopée à l’arc.

§ 5. Arrivés au Mont Cithæron, ils envoyèrent Tydée sommer Etéocles de céder le trône à Polynice, suivant leurs conventions. Étéocles l’ayant refusé, Tydée, voulant éprouver les Thébains, les défia un à un, et les vainquit tous. Ceux-ci ayant armé cinquante hommes, lui dressèrent une embuscade à son retour ; il tua tous ceux qui la composoient, à l’exception de Mæon, et retourna à son camp11.

§ 6. Les Argiens alors prirent les armes, s’approchèrent de la ville, et comme elle avoit sept portes, ils se les distribuèrent ainsi : Adraste attaqua les portes Omoloïdes ; Capanée, les portes Ogygiennes ; Amphiaraüs, les Prœtides ; Hippomédon, les Oncaïdes ; Polynice, les Hypsistes ; Parthénopée, les portes d’Électre ; et Tydée, les Crénides12. Étéocles de son côté arma les Thébains, et après avoir nommé autant de chefs qu’en avoient les ennemis, il consulta les devins sur les moyens qui pourroient lui procurer la victoire.

§ 7. Il y avoit alors à Thèbes un célèbre devin nommé Tirésias, fils d’Evérus et de la nymphe Chariclo, descendant d’Oudasus l’un des Spartiates. Il avoit perdu la vue ; il y a différentes traditions sur la manière dont il la perdit, et sur celle dont il acquit l’art de la divination. Les uns disent que les dieux le privèrent de la vue, parce qu’il dévoiloit aux hommes ce quïls vouloient leur cacher. Suivant Phérécydes, ce fut Minerve qui l’en priva, et voici comment : cette déesse aimoit beaucoup Chariclo : Tirésias étant survenu, [comme elles étoient au bain ensemble] vit la déesse absolument nue13. Minerve alors lui mit les mains sur les yeux14, et le rendit aveugle sur-le-champ. Chariclo la pria de lui rendre la vue ; mais la déesse ne le pouvant pas, lui nettoya l’ouïe de manière à ce qu’il entendit le langage des oiseaux, et elle lui donna un bâton de cormier15, avec lequel il se conduisoit aussi sûrement que ceux qui voyoient. Suivant Hésiode, Tirésias ayant trouvé à Cyllène deux serpens accouplés, et les ayant blessés, il devint femme. Ayant retrouvé, quelque temps après, ces mêmes serpens accouplés, et les ayant encore frappés, il redevint homme. C’est pourquoi Jupiter et Junon, disputant un jour sur la question de savoir qui de l’homme ou de la femme avoit le plus de plaisir en amour, le prirent pour arbitre. Tirésias répondit que de dix-neuf parties qui çomposoient le plaisir amoureux, la femme en éprouvoit dix, et l’homme seulement neuf15. Junon irritée de cette sentence le priva de la vue, mais Jupiter le doua de l’art de la divination. Il vécut jusqu’à un âge fort avancé. [Voici ce que Tirésias dit à Jupiter et à Junon : des dix parties dont se compose la jouissance, l’homme n’en éprouve qu’une ; mais la femme les éprouve toutes les dix].

Tirésias donc, annonça aux Thébains qu’ils auroient la victoire, si Ménœcée, fils de Créon, se dévouoit en sacrifice à Mars. Ménœcée ayant appris cela, s’égorgea lui-même devant les portes. Le combat s’étant engagé17, les Cadméens furent repoussés jusque dans leurs murs, et Capanée s’étant saisi d’une échelle, y montoit déjà, lorsque Jupiter le foudroya.

§ 8. À la suite de cet événement, la déroute se mit parmi les Argiens18 ; cependant, comme il périssoit beaucoup de monde de part et d’autre, les deux armées convinrent qu’Étéocles et Polynice décideroient par un combat singulier, à qui appartiendroit la couronne, et ils se tuèrent tous les deux. Un combat sanglant s’étant livré ensuite, les fils d’Astacus19 firent des prodiges de valeur, car Ismarus tua Hippomédon ; Léadès tua Etéoclus, et Amphidicus tua Parthénopée : Euripides, cependant, dit que ce dernier fut tué par Périclymènes, fils de Neptune. Mélanippus, le dernier des fils d’Astacus, blessa Tydée au ventre ; ce héros étant resté à demi mort20, Minerve apporta un breuvage qu’elle avoit demandé à Jupiter pour le rendre immortel ; mais Amphiaraüs qui lui en vouloit de ce qu’il avoit engagé malgré lui les Argiens dans cette guerre, voyant ce que Minerve vouloit faire, coupa la tête de Mélanippus que Tydée, quoique déjà blessé, avoit tué21, et la lui apporta. Tydée l’ayant ouverte, en dévora la cervelle ; la déesse voyant cette action, en eût horreur, perdit toute son affection pour lui, et se désista du bien qu’elle voulok lui faire. Amphiaraiis s’enfuit vers le fleuve Ismène, et Périclymènes22 étoit prêt à lui percer le dos, lorsque Jupiter ouvrant la terre d’un coup de tonnerre, l’engloutit tout vivant avec son char, ainsi que Baton, son écuyer (que quelques auteurs nomment Elatton), et le rendit immortel. Adraste fut le seul qui échappa, grâces à la vitesse de son cheval Arion, que Cérès transformée en furie avoit conçu de Neptune23.

CHAPITRE VII.

§ 1. Créon étant monté sur le trône de Thèbes, laissa les corps des Argiens sans sépulture, défendit qu’on en enterrât aucun, et mit des gardes auprès pour qu’on n’enfreignît point sa défense. Antigone, l’une des filles d’Œdipe, ayant dérobé le corps de Polynice, l’enterra en secret Créon l’ayant surprise, la fit enfermer vivante dans le même tombeau. Adraste s’étant rendu à Athènes, se réfugia auprès de l’autel de la pitié, et là, en posture de suppliant, il demanda qu’on fit donner la Sépulture aux morts ; les Athéniens marchèrent contre Thèbes, sous la conduite de Thésée, la prirent et rendirent les corps aux parens1. Evadné, fille d’Iphis et femme de Capanée, se jeta sur le bûcher de son mari, et fut brûlée avec lui.

§ 2. Les fils de ceux qui avoient péri, et à qui on donna le nom d’Épigones, entreprirent dix ans après une nouvelle expédition contre Thèbes, pour venger la mort de leurs pères. Ayant consulté l’oracle, le dieu leur répondit qu’ils auroient la victoire, s’ils prenoient Alcmæon pour chef. Ce dernier ne vouloit point prendre le commandement qu’il ne se fut vengé de sa mère ; mais celle-ci ayant reçu de Thersandre le manteau d’Harmonie, que Polynice avoit emporté, engagea ses fils à prendre part à cette expédition2. Les Épigones ayant donc pris Alcmæon pour chef, mirent le siège devant Thèbes. Ces guerriers étoient Alcmæon et Amphilochus, fils d’Amphiaraüs ; Ægialée, fils d’Adraste ; Diomèdes, fils de Tydée ; Promachus, fils de Parthénopée ; Sthénélus, fils de Capanée ; Thersandre, fils de Polynice ; et Euryale, fils de Mécistée3.

§ 3. Ils ravagèrent d’abord les bourgs qui environnoient la ville. Les Thébains étant ensuite venus à leur rencontre sous les ordres de Laodamas, fils d’Étéocles ; il y eut un combat sanglant, dans lequel Laodamas tua Ægialée, et fut tué ensuite par Alcmæon4. Les Thébains ayant perdu leur, chef, se réfugièrent dans leurs murs. Ensuite, d’après le conseil de Tirésias, ils envoyèrent des ambassadeurs à leurs ennemis pour leur demander la paix, et tandis qu’on traitoît, ils mirent leurs femmes et leurs enfans sur des chariots, et abandonnèrent la ville5. Ils arrivèrent de nuit à la fontaine Tilpoussa. Tirésias y finit ses jours, après avoir bu de l’eau de cette fontaine6 ; les Thébains ayant été plus loin, fondèrent une ville nommée Hestiæa, et s’y établirent.

§ 4. Les Argiens apprenant la fuite des Thébains, entrèrent dans la ville, la pillèrent et en abattirent les murs. Ils envoyèrent ensuite à Apollon, à Delphes, une portion du butin, avec Manto7, fille de Tirésias ; car ils avoient promis, s’ils prenoient Thèbes, de lui envoyer ce qu’il y auroit de plus précieux.

§ 5. Thèbes étant prise, Alcmæon apprit qu’Eriphyle sa mère avoit aussi reçu des présens pour le faire aller à la guerre ; cela l’irrita encore plus, et d’après le conseil d’Apollon, il la tua. Quelques-uns disent qu’il fit ce meurtre avec son frère Amphilochus ; suivant d’autres, il le fit tout seul. Les Furies s’étant emparées de lui, pour le punir de ce meurtre, il alla d’abord dans l’Arcadie, vers Oïclée8, et delà dans la Psophide, vers Phégée. Ayant été purifié par ce dernier, il épousa Arsinoé sa fille9, et lui donna le collier et le manteau d’Harmonie. La terre ayant par la suite cessé de donner des fruits à cause de lui, l’oracle lui dit d’aller vers le fleuve Achéloüs, et de recevoir de lui une ville10. Il alla d’abord à Calydon, vers Œnée, qui lui donna l’hospitalité ; il se rendit ensuite dans la Thesprotie, d’où il fut chassé ; il alla enfin vers les sources de l’Achéloüs, et s’étant fait purifier par lui, il épousa Callirrhoé sa fille, et fonda une ville sur un atterrissement que ce fleuve forma.

Callirrhoé par la suite, ayant eu envie du collier et du manteau, dit à Alcmæon qu’elle ne coucheroit plus avec lui qu’il ne les lui eût donnés. Alcmæon étant retourné dans la Psophide, dit à Phégée que l’oracle lui avoit prédit qu’il recouvreront son bon sens, lorsqu’il auroit consacré à Delphes le collier et le manteau. Phégée l’ayant cru, les lui rendit ; mais ayant appris d’un esclave qu’il les avoit pris pour les porter à Callirrhoé, il mit ses fils en embuscade, et ils tuèrent Alcmæon. Arsinoé leur ayant reproché ce meurtre, ils l’enfermèrent dans un coffre, et l’ayant portée à Tégée, ils la donnèrent à Agapénor, à qui ils firent croire que c’étoit elle qui avoit tué Alcmæon.

§ 6. Callirrhoé ayant appris ce meurtre, demanda à Jupiter, qui étoit couché avec elle, que les enfans qu’elle avoit eus d’Alcmæon, devinssent tout de suite assez grands pour venger la mort de leur père. Cela lui fut accordé, et ils partirent pour exécuter cette vengeance. Pronoüs et Agénor, fils de Phégée, étant partis à la même époque pour aller à Delphes y déposer le collier et le manteau, s’arrêtèrent chez Agapénor, ainsi qu’Amphotérus et Acarnan, fils d’Alcmæon. Ceux-ci tuèrent d’abord les meurtriers de leur père ; étant ensuite allés dans la Psophide, ils pénétrèrent dans le palais de Phégée, et l’y tuèrent ainsi que sa femme. Ils furent poursuivis jusqu’à Tégée, mais les Tégéates et quelques Argiens étant venus à leur secours, ils mirent les Psophidiens en fuite, et échappèrent au danger.

§ 7. Après avoir raconté tout cela à leur mère, ils allèrent, suivant le conseil d’Achéloüs, déposer dans le temple de Delphes le collier et le manteau11. Ils se rendirent delà dans l’Épire, où ils rassemblèrent des habitans, et peuplèrent un pays à qui ils donnèrent le nom d’Acarnanie.

Euripides dit qu’Alcmæon, avant d’avoir recouvré sa raison, avoit eu de Manto, fille de Tirésias, deux enfans, Amphilochus et Tisiphone ; et que, les ayant portés à Corinthe, il les avoit donnés à élever à Créon qui en étoit roi. Tisiphone étant devenue remarquable par sa beauté, la femme de Créon craignit que son mari ne voulut l’épouser, et la vendit bors du pays. Alcmæon l’ayant achetée, la garda quelque temps comme esclave, sans savoir qu’elle fut sa fille. Étant enfin revenu à Corinthe pour demander ses enfans, il retrouva son fils et reconnut sa fille. Quant à Amphilochus, d’après un oracle d’Apollon, il fonda Argos nommé l’Amphilochien12.

CHAPITRE VIII.

§ 1. Nous allons maintenant revenir à Pélasge, qui, suivant Acusilas, étoit fils de Jupiter et de Niobé % comme nous l’avons déjà remarqué. Suivant Hésiode, il étoit Autochthone. Il eut de Mélibée, fille de l’Océan1, ou, suivant d’autres, de la nymphe Cyllène3, un fils nommé Lycaon qui régna sur i’Arcadie. Lycaon eut de plusieurs femmes4 cinquante fils, savoir : Mænalus, Thesprotus, Hélix, Nyctimus, Peucétius, Caucon, Mécistée, Hoplée, Macarée, Macédnus, Horus, Polichus, Acontes, Evæmon, Ancyor, Archébates, Cartéron, Ægéon, Pallas, Eumon, Canéthus, Prothoüs, Linus, Coréthon, Mænalus, Téléboas, Physius, Phassus, Phthius, Lycius, Aliphérus, Génétor, Bucolion, Soclée, Phinée, Eumètes, Arpalée, Porthée, Platon, Hœmon, Cynaethus, Léon, Harpalycus, Héraeus, Titanas, Mantinoiis, Clétor, Stymphalus et Orchoménus. Ils étoient d’une insolence et d’une impiété que rien ne pouvoit égaler. Jupiter voulant s’en assurer par lui-même, vint à eux sous la forme d’un manouvrier. Ils lui offrirent l’hospitalité5, et ayant tué un des enfans du pays6, ils mêlèrent ses entrailles avec celles des victimes, et les lui offrirent à manger, par le conseil de Mænalus l’un d’eux. Jupiter indigné, renversa la table dans l’endroit qui porte maintenant le nom de Trapézonte, et foudroya Lycaon et ses enfans, à l’exception de Nyctimus, le plus jeune de tous, à l’égard duquel la Terre fléchit la colère de Jupiter, en lui tendant les bras, et en lui prenant la main.

§ 2. Nyctimus monta sur le trône, et ce fut sous son règne qu’arriva le déluge de Deucalion7 ; quelques-uns disent que l’impiété des fils de Lycaon en fut la cause. Suivant Eumélus et quelques autres auteurs, Lycaon ayoit eu aussi une fille nommée Callisto. Hésiode dit qu’elle étoit une des Nymphes8 ; suivant Asius, elle étoit fille de Nyctée, et, suivant Phérécydes, fille de Cétée. Elle étoit compagne de chasse de Diane, portoit les mêmes vêtemens qu’elle, et avoit juré de rester toujours vierge9. Jupiter en étant devenu amoureux, la viola, ayant pris à cet effet la ressemblance de Diane, suivant les uns, ou d’Apollon, suivant les autres. Il la changea en ourse pour la cacher à Junon ; mais cette déesse la fit tuer par Diane à coups de flèches comme une bête sauvage. D’autres disent que Diane la tua, parce quelle n’avoit pas conservé sa virginité. Callisto étant morte, Jupiter enleva son enfant, et l’ayant porté dans l’Arcadie, le donna à Maia pour l’élever, et lui donna le nom d’Arcas10 ; il changea ensuite Callisto en constellation, et c’est celle qu’on nomme l’Ourse.

CHAPITRE IX.

§ 1. Arcas eut de Léanire, fille d’Amyclas, ou de Méganire, fille de Crocon, ou, suivant Eumélus, de la nymphe Chrysopélie1, deux fils, Elatus et Aphidas. Ils se partagèrent le pays, mais toute l’autorité resta à Elatus. Il eut de Laodicé, fille de Cinyre, Stymphale et Pérée. Aphidas eut pour enfans Aléus et Sthénébée, que Prætus épousa.

Aléus eut de Néaera fille de Pérée, une fille nommée Auge, et deux fils, Céphée et Lycurgue. Auge ayant été séduite par Hercules, en eut un fils qu’elle cacha dans l’enceinte consacrée à Minerve dont elle étoit prêtresse. La terre étant devenue stérile, et l’oracle ayant dit que c’étoit parce qu’il y avoit quelque chose d’impur dans l’enceinte sacrée, son père découvrit ce qui s’étoit passé, et la donna, pour la faire mourir, à Nauplius ; celui-ci la livra à Teuthras, roi de Mysie, qui en fit sa concubine2 Quant à l’enfant, on l’exposa sur le mont Parthénius, où une biche lui donna la mamelle, ce qui le fit nommer Télèphe. Ayant été élevé par les bouviers de Corythus, il alla, lorsqu’il fut grand, consulter l’oracle de Delphes, pour savoir qui étoient ses parens ; l’oracle le lui ayant appris, il se rendit dans la Mysie ; Teuthras l’adopta, et lui laissa ses États en mourant3.

§ 2. De Lycurgue et de Cléophile, ou d’Eurynome4, naquirent Ancée, Epochus, Amphidamas et Iasus. Amphidamas eut un fils nommé Milanion, et une fille nommée Antimaque, qu’Eurysthée épousa : Iasus eut de Clymène, fille de Minyas, une fille nommée Atalante5. Le père, qui désiroit des fils, l’exposa, et une ourse venoit lui donner à téter, jusqu’à ce que des chasseurs l’ayant trouvée, la prirent et l’élevèrent parmi eux. Étant parvenue à l’âge de puberté, elle voulut demeurer vierge, et elle passoit sa vie dans les forêts et toujours armée6. Les Centaures Rhœcus et Hylaeus ayant voulu la violer, elle les tua à coups de flèches. Elle se trouva avec les autres Héros à la chasse du sanglier de Calydon, et vainquit Pélée à la lutte, aux jeux qui furent célébrés pour les funérailles de Pélias7. Elle retrouva ses parens quelque temps après, et comme son père vouloit qu’elle se mariât, elle se rendit à un endroit destiné à la course, où ayant fiché au milieu un pieu de trois coudées, elle disoit à ceux qui la demandoient en mariage de courir devant8, et elle les poursuivoit toute armée ; la mort étoit le partage de celui qui se laissoit atteindre, et sa main devoit être la récompense de celui qui seroit vainqueur. Beaucoup de prétendans y avoient déjà laissé la vie, lorsque Milanion devint amoureux d’elle9, et se présenta à la course. Vénus lui avoit donné des pommes d’or10, qu’il lui jetoit lorsqu’elle étoit prête à l’atteindre : Atalante s’étant dérangée de sa course pour les ramasser, fut vaincue, et Milanion l’épousa. On dit qu’étant un jour à la chasse, ils entrèrent dans l’enceinte consacrée à Jupiter, et s’y livrèrent aux plaisirs de l’amour ; le dieu irrité, les changea en lions11. Suivant Hésiode et quelques autres, Atalante n’étoit pas fille d’Iasus, mais de Scbœnée. Euripide dit qu’elle étoit fille de Mænale, et que celui qui l’épousa se nommoit Hippomènes12. Elle eut de Milanion, ou de Mars, Parthénopée, qui se trouva à la guerre de Thèbes13.

CHAPITRE X.

§ 1. D’Atlas et de Pléïone, fille de l’Océan, naquirent à Cyllène en Arcadie, sept filles qu’on nomme les Pléiades ; leurs noms étoient, Alcyone, Mérope, Celœno, Electre, Stérope, Taygéte et Maïa1.

Œnomaiis épousa Stérope2, et Sisyphe épousa Mérope. Neptune coucha avec deux d’entre elles ; d’abord avec Celœno, dont il eut Lycus, qu’il plaça dans les îles Fortunées3 ; ensuite avec Alcyone, dont il eut une fille nommée Æthuse, et deux fils, Hyriée4 et Hypérénor. Æthuse étoit très-belle, et elle eut d’Apollon un fils nommé Eleuther5. D’Hyriée et de la nymphe Clonie, naquirent Nyctée et Lycus ; de Nyctée et de Polyxo, naquit Antiope, qui eut de Jupiter Zéthus et Amphion. Jupiter eut des enfans de toutes les autres filles d’Atlas.

§ 2. Il coucha d’abord avec Maïa, l’aînée de toutes, et il en eut Mercure6, dont elle accoucha à Cyllène dans une grotte. À peine au berceau, Mercure en sortit, et alla dans la Piérie, où il vola les bœufs que gardoit Apollon7, et pour que leurs traces ne le fissent pas découvrir, il leur mit aux pieds des espèces de chaussures, et les emmena, à Pylos : arrivé là, il en sacrifia deux et cacha les autres dans une caverne ; il fit bouillir une partie de la chair de ceux qu’il avoit sacrifiés, et la mangea8 ; il brûla l’autre partie, et cloua leurs peaux sur les rochers. Il retourna promptement à Cyllène, et ayant trouvé devant la porte de la grotte une tortue qui paissoit, il la vida, tendit sur son écaille des cordes qu’il fit avec les boyaux des bœufs qu’il venoit de tuer, et ayant ainsi fait une lyre, il inventa aussi le plectrum. Apollon s’étant mis à la recherche de ses bœufs, vint à Pylos, et en questionna les habitans, qui lui dirent qu’ils avoient vu un enfant qui chassoit des bœufs devant lui, mais qu’ils ne pouvoient dire où il les avoit menés, parce qu’ils n’apercevoiest aucun vestige, Apollon ayant appris, par l’art de la divination, qui étoit le voleur, alla trouver Maïa à Cyllène, et accusa Mercure de ce vol. Elle le lui montra dans ses langes ; et Apollon l’ayant emporté vers Jupiter, lui demanda ses bœufs. Jupiter lui ordonna de les rendre ; mais Mercure ne convenoit pas du vol. Cependant voyant qu’on ne le croyoit pas, il conduisit Apollon à Pylos, et lui rendit ses bœufs. Apollon ayant entendu le son de la lyre, les lui donna en échange de cet instrument. Mercure, en les menant paître, fit un chalumeau et se mit à en jouer ; Apollon voulant aussi l’avoir, lui donna la baguette d’or qu’il avoit étant berger. Mercure prit la baguette, mais il voulut de plus qu’il lui enseigna l’art de prédire, et Apollon lui apprit la divination par le moyen des dés9. Jupiter l’établit messager entre les dieux infernaux et lui.

§ 3. Taygéte eut de Jupiter Lacédæmon, qui donna son nom au pays, De Lacédæmon10 et de Sparte, fille d’Eurotas, qui étoit lui-même fils de Lelex autochthone et de la naïade Gléocharie, naquirent Amyclas et Eurydice, qu’Acrisius épousa. D’Amyclas et de Diomède, fille de Lapithus, naquirent Cynortès et Hyacinthe ; ce dernier fut aimé par Apollon, qui le tua involontairement d’un coup de disque. De Cynortès naquit Périérès qui, suivant Stésichore, épousa Gorgophone, fille de Persée, et en eut Tyndare, Icarius, Apharée et Leucippe. Apharée eut d’Arène, fille d’Œbalus, Lyncée, Idas et Pisus. Beaucoup d’autres disent qu’Idas étoit fils de Neptune. Lyncée avoit la vue si perçante, qu’il voyoit dans l’intérieur de la terre. De Leucippe et de Philodice, fille d’Inachus, naquirent deux filles, Hilaïre et Phœbé. Les Dioscures les ayant enlevées, les épousèrent : Leucippe eut une autre fille nommée Arsinoé ; Apollon coucha avec elle, et en eut Esculape11. D’autres disent qu’Esculape n’étoit point fils d’Arsinoé, fille de Leucippe, mais de Coronis, fille de Phlégyas qui habitoit la Thessalie. On dit qu’Apollon en étant devenu amoureux, obtint facilement ses faveurs ; mais comme elle l’aimoit malgré son père, elle épousa Ischys, frère de Cænée12. Apollon maudit le corbeau qui lui apporta la nouvelle de ce mariage, le rendit noir de blanc qu’il étoit, et tua Coronis13. Lorsqu’elle fut sur le bûcher, il enleva l’enfant dont elle étoit enceinte, et le porta à Chiron le Centaure, qui l’éleva et lui enseigna la médecine et l’art de la chasse. Esculape étant devenu habile dans la chirurgie, à laquelle il s’étoit long-temps exercé, empêchoit non-seulement beaucoup de gens de mourir, mais en ressuscitoit même qui etoient déjà morts. Ayant reçu de Minerve le sang qui avoit coulé des veines de la Gorgone, il se servoit de celui des veines du côté gauche pour faire périr les hommes, et de celui du côté droit pour les guérir14 ; ce fut par ce moyen qu’il ressuscita des morts. Ceux que je trouve cités comme ayant été rendus à la vie par lui, sont : Capanée et Lycurgue, comme le dit Stésichore dans Eriphyle15 ; Hippolyte, suivant l’auteur des Naupactiques ; Tyndare, suivant Panyasis ; Hymenée, suivant les Orphiques ; et Glaucus, fils de Minos, suivant Mnésagoras.

§ 4. Jupiter craignant que les hommes apprenant d’Esculape l’art de guérir, ne se secourussent mutuellement sans avoir recours aux Dieux16, le foudroya ; et Apollon, irrité de la perte de son fils, tua les Cyclopes qui avoient forgé la foudre. Jupiter alloit le précipiter dans le Tartare ; mais s’étant laissé fléchir par les prières de Latone, il lui ordonna de rester pendant un an au service d’un mortel. Apollon alla à Phéres, se mit au service d’Admète fils de Phérès, dont il garda les troupeaux pendant un an ; et il fit faire à toutes ses vaches deux veaux à chaque portée.

D’autres disent qu’Apharée et Leucippe étoient fils de Périérès, fils d’Æole17, et que Périérès, dont nous parlons ici, étoit fils de Cynortas et père d’Œbalus, qui eut de Batie, nymphe Naïade, Tyndare, Hippocoon et Icarius.

§ 5. Hippocoon eut pour fils, Doryclée, Scseus, Enaraphorus, Eutychès, Bucolus, Lycon, Tébrus, Hippothoiis, Eurytus, Hippocorystès, Alcinus et Alcon. Hippocoon assisté de ses fils, chassa Tyndare et Icarius de Lacédémone. Ils se réfugièrent chez Thestius, à qui ils prêtèrent leur secours dans une guerre qu’il eut contre ses voisins, et Tyndare épousa Léda sa fille ; ils retournèrent à Lacédémone, lorsqu’Hercules eut tué Hippocoon et ses fils, et Tyndare y monta sur le trône.

§ 6. Icarius18 eut de Péribée, nymphe Naïade, cinq fils, Thoas, Damasippus, Imeusimus, Alétès et Périléus, et une fille nommée Pénélope, qu’Ulysse épousa.

Tyndare eut de Léda, Timandre, qu’Ecnémus épousa ; Clytemnestre, qui fut mariée à Agamemnon, et Philonoé, que Diane rendit immortelle.

§ 7. Jupiter, sous la forme d’un cygne, ayant joui de Léda, et Tyndare ayant eu commerce avec elle la même nuit, elle eut de Jupiter, Pollux et Hélène, et de Tyndare, Castor. Quelques écrivains disent qu’Hélène étoit fille de Jupiter et de Némésis19, qui ayant pris toutes sortes de formes, pour se soustraire aux poursuites de Jupiter, se changea enfin en oie ; Jupiter alors prit la forme d’un cygne, jouit d’elle, et elle accoucha d’un œuf20. Un berger ayant trouvé cet œuf dans les bois, le porta à Léda, qui l’enferma dans une armoire ; le terme étant arrivé, Hélène en sortit, et Léda l’éleva comme sa propre fille.

Hélène étant devenue célèbre par sa beauté, Thésée l’enleva21, et la conduisit à Athènes ; Castor et Pollux ayant attaqué cette ville, tandis que Thésée étoit, aux enfers, s’en emparèrent, reprirent Hélène, et emmenèrent captive Æthra, mère de Thésée.

§ 8. Les souverains de la Grèce se rendirent tous à Sparte, pour disputer sa main. Les prétendans étoient : Ulysse, fils de Laërte ; Dioméde, fils de Tydée ; Antilochus, fils de Nestor ; Agapénor, fils d’Ancée ; Sthénélus, fils de Capanée ; Amphimachus, fils de Ctéatus ; Thalpius, fils d’Eurytus ; Mégès, fils de Phylée ; Amphilochus, fils d’Amphiaraiis ; Menesthée, fils de Pétée ; Schédius, fils d’Epistrophus22 ; Polyxénus, fils d’Agasthènes ; Pénélée, fils de Léïtus23 ; Ajax, fils d’Oïlée ; Ascalaphus et Ialménus, fils de Mars ; Eléphénor, fils de Chalecodon ; Eumélus, fils d’Admète ; Polypœtès, fils de Pirithoüs ; Léontée, fils de Çoronus ; Podalire et Machaon, fils d’Esculape ; Philoctète, fils de Pœas ; Eurypyle, fils d’Evaimon ; Protésilas, fils d’iphiclus ; Ménélas, fils d’Atrée ; Ajax et Teucer, fils de Télamon ; Patrocles, fils de Ménœtius.

§ 9. Tyndare voyant cette foule de prétendans, craignoit, s’il en choisissoit un, que tous les autres ne se soulevassent contre lui ; Ulysse lui dit que s’il vouloit lui faire obtenir Pénélope en mariage, il lui donneront un moyen qui préviendrait toute dissention, Tyndare ayant promis de l’aider, Ulysse lui conseilla de faire prêter à tous les prétendans le serment de défendre celui qui seroit choisi24, contre tous ceux qui l’offenseroient au sujet de son mariage. Tyndare ayant fait prêter ce serment, choisit Ménélas pour l’époux de sa fille, et obtint d’Icarius Pénélope en mariage pour Ulysse25.

CHAPITRE XI.

§ 1. Ménélas eut d’Hélène Hermione1, et, suivant quelques auteurs, un fils nommé Nicostrate, Il eut, outre cela, de Piéride, esclave et Ætolienne d’origine, ou, suivant Acusilas, de Téridaé, une autre fils nommé Mégapénthès2 ; enfin, suivant Eumélus, il eut Xénodamus de la nymphe Gnossia.

§ 2. Quant aux fils de Léda, Castor se livroit aux exercices militaires, et Pollux à celui du pugilat. On les surnomma les Dioscures à cause de leur bravoure. Ils enlevèrent de Messène les filles de Leucippe, et les épousèrent. Pollux eut de Phœbé un fils, nommé Mnésiléus ; de Castor et d’Hilaïre, naquit Anogon3. Ils enlevèrent ensuite des bœufs dans l’Arcadie4 avec Idaset Lyncée, fils d’Apharée, et chargèrent Idas d’en faire le partage. Celui-ci ayant divisé un bœuf en quatre parties égales, dit que la moitié du butin seroit à celui qui le premier auroit mangé sa portion, et l’autre moitié à celui qui l’auroit mangée ensuite. À peine eut-il dit cela, qu’il avala sa part, et ensuite celle de son frère ; ils emmenèrent ainsi tout le butin à Messène. Alors, les Dioscures entrèrent dans la Messénie, reprirent ce butin, et beaucoup d’autres choses avec, et se postèrent en embuscade sous un chêne, pour attendre Idas et Lyncée au passage. Lyncée ayant aperçu Castor, le montra à Idas, qui le tua ; Pollux s’étant mis à leur poursuite, tua d’abord Lyncée en lui dardant sa lance ; il poursuivit ensuite Idas, qui lui jeta une pierre à la tête, et le renversa sans connoissance. Jupiter alors foudroya Idas, et enleva Pollux au ciel. Pollux ne voulant point de l’immortalité, s’il ne la partageoit avec Castor son frère, Jupiter leur permit d’être alternativement un jour dans le ciel, et un jour dans les enfers.

Les Dioscures étant ainsi parmi les dieux5, Tyndare fit venir Ménélas à Sparte, et lui donna ses états.

CHAPITRE XII.

§ 1. D’Électre, fille d’Atlas et de Jupiter, naquirent Jasion et Dardanus. Jasion étant devenu amoureux de Cérès, et voulant la violer, fut tué par la foudre1. Dardanus, affligé de la mort de son frère, abandonna Samothrace, et se retira sur le continent opposé2. Teucer, fils du fleuve Scamandre et de la nymphe Idée, y régnoit alors, et avoit donné son nom à ceux qui habitoient le pays3. Il accueillit Dardanus, lui donna Bâtie sa fille4 en mariage, et lui céda une portion de son territoire, sur laquelle il bâtit une ville qu’il nomma Dardanus.

§ 2. Teucer étant mort, tout le pays prit le nom de Dardanie. Dardanus eut deux fils, Ilus et Ericthonius ; Ilus mourut sans enfans, et Ericthonius étant monté sur le trône, épousa Astyoché, fille du fleuve Simoïs, dont il eut un fils nommé Tros ; celui-ci ayant pris la couronne, donna à tout le pays le nom de Troie : il épousa Callirrhoé, fille du fleuve Scamandre, et en eut une fille nommée Cléopatre, et trois fils, Ilus, Assaracus et Ganymèdes. Jupiter fit enlever ce dernier par un aigle à cause de sa beauté, et le fit dans le ciel l’échanson des dieux5. D’Assaracus et d’Hiéromnémé, fille du Simoïs, naquit Capys, qui eut de Thémis, fille d’Ilus, Anchise dont Vénus devint amoureuse6 ; elle eut de lui, Ænée, et Lyrus qui mourut sans enfans.

§ 3. Ilus étant allé dans la Phiygie, s’y trouva à des jeux que le roi faisoit célébrer, et y fut vainqueur à la lutte. Il reçut pour prix cinquante jeunes garçons et cinquante jeunes filles. Le roi lui donna aussi, d’après un oracle, une vache de diverses couleurs, et lui dit de bâtir une ville dans l’endroit où elle se coucheroit. Cette vache le conduisit vers un endroit de la Phrygie, nommé la colline d’Até, et s’y coucha ; Ilus y bâtit une ville, et la nomma Ilion. Ayant prié Jupiter de lui donner quelque signe de sa protection, il trouva le lendemain le Palladium, qui étoit tombé du ciel devant sa tente7. C’étoit une statue de trois coudées de haut ; elle avoit les pieds joints8, tenoit de la main droite une pique élevée, une quenouille et un fuseau de la main gauche.

Voici ce qu’on raconte sur l’origine de ce Palladium : Minerve après sa naissance, étoit élevée chez Triton, qui avoit une fille nommée Pallas : elles se livroient toutes deux aux exercices militaires ; elles prirent un jour dispute, et Pallas étoit prête à frapper Minerve, lorsque Jupiter craignant pour sa fille, mit au-devant d’elle l’Ægide. Pallas effrayée fixa sa vue dessus, et Minerve l’ayant frappée en cet instant, la fit tomber morte. Minerve au désespoir de cet événement, fit une statue en bois exactement semblable à Pallas, lui mit sur la poitrine l’Ægide qui l’avoit effrayé, et la plaça pour honorer sa mémoire, au-près de Jupiter. Par la suite, Électre après avoir été séduite, s’étant réfugiée auprès de cette statue, le Palladium fut précipité avec elle dans le pays d’llium9, où Ilus lui fit bâtir un temple, et lui rendit les honneurs divins. Telle est, à ce qu’on dit, l’origine du Palladium.

Ilus ayant épousé Eurydice, fille d’Adraste, en eut Laomédon, qui épousa Strymo, fille du Scamandre, ou, suivant quelques auteurs, Placie, fille d’Atrée10, ou de Leucippus11, suivant d’autres. Il en eut quatre fils, Tithon, Lampon, Clytius, Hicétaon et Podarque ; et trois filles, Hésione, Cilla et Astyoché. Il eut aussi de la nymphe Calybé un fils, nommé Bucolion.

§ 4. L’Aurore éprise d’amour pour Tithon, l’enleva et le transporta dans l’Éthiopie12, où elle eut de lui (deux fils, Emathion et Memnon13.

§ 5. Ilion ayant été pris par Hercules, comme nous l’avons déjà raconté, Podarque, nommé Priam, monta sur le trône, et épousa d’abord Arisbé, fille de Mérops14, dont il eut un fils nommé Æsaque, qui ayant épousé Astéropé fille de Cébren, fut si chagrin de l’avoir perdue, qu’il fut changé en oiseau. Priam ayant donné Arisbé à Hyrtacus, épousa Hécube fille de Dymas15, ou de Cissée, suivant quelques auteurs ; ou, suivant d’autres, du fleuve Sangarius et de Métope. Il en eut d’abord un fils nommé Hector. Hécube étant prête à accoucher du second, rêva qu’elle accouchoit d’un tison enflammé qui embrasoit toute la ville16. Priam instruit par elle de ce songe, envoya chercher son fils Æsaque, qui avoit appris de Mérops, son grand-père maternel, l’art d’interpréter les songes ; Æsaque ayant dit que cet enfant causeroit la ruine de son pays, et qu’il falloit le faire exposer, Priam le donna, aussitôt qu’il fut né, à un de ses esclaves nommé Agélaiis, pour le porter sur le Mont Ida. Cet enfant ayant été ainsi exposé, fut nourri par une ourse pendant cinq jours, au bout desquels Agélaüs l’ayant retrouvé vivant l’emporta, l’éleva dans les champs comme son propre fils, et le nomma Paris. Parvenu à l’adolescence, Paris l’emportoit de beaucoup sur la plupart des autres jeunes gens, pour la force et pour la beauté, et on le surnomma Alexandre, parce qu’il repoussoit les voleurs, et défendoit les troupeaux : il retrouva ses parens peu de temps après.

Hécube eut ensuite plusieurs filles, savoir : Créüse17, Laodicé, Polyxène et Cassandre. Apollon voulant jouir de cette dernière, lui promit de lui enseigner l’art de la divination. Lorsqu’elle l’eut appris, elle refusa de se rendre à ses désirs, et Apollon, pour se venger, lui ôta le don de persuader. Hécube eut encore d’autres fils, qui furent : Déïphobe, Hélénus, Pammon, Politès, Antiphus, Hipponoüs, Polydore et Troïle ; ce dernier étoit, à ce qu’on dit, fils d’Apollon.

Priam eut des fils de plusieurs autres femmes18, savoir : Mélanippus, Gorgythion, Philsemon, Hippothoiis, Glaucus, Agathon, Chersidamas, Evagoras, Hippodamas, Mestor, Atas, Doryclus, Lycaon, Dryops, Bias, Chromius, Astygonus, Télestas, Evandre, Cébriones, Mélius, Archémaque, Laodocus, Echéphron, Idoménée, Hypérion, Ascanius, Démocoon, Arrétus, Déioptès, Clonius, Echémon, Hypérochus, Ægéonée, Lysithoüs et Polymédon ; et quatre filles, Méduse, Médésicaste, Lysimaque et Aristodème.

§ 6. Hector épousa Andromaque, fille d’Eétion ; Alexandre épousa Œnone, fille du fleuve Cébren. Elle avoit appris de Rhéa l’art de la divination ; elle prédit à Alexandre ce qui lui arriveroit, s’il s’embarquoit pour aller vers Hélène. N’ayant pu le dissuader d’entreprendre ce voyage, elle lui dit, que s’il étoit blessé il reviendroit vers elle, parce qu’elle étoit la seule qui pût le guérir. Alexandre alla donc à Sparte, et enleva Hélène. Troyes étant assiégée, il fut blessé par Philoctète d’une des flèches d’Hercules ; il alla alors sur le Mont Ida chercher Œnone, qui, étant encore fâchée contre lui, dit qu’elle ne vouloit pas le guérir. Il se fit alors rapporter à Troyes, où il mourut19. Œnone s’étant repentie de sa colère, le suivit, portant avec elle les remèdes propres à sa guérison ; mais elle le trouva mort, et elle se pendit de désespoir.

§ 7. Le fleuve Asope étoit fils de l’Océan et de Téthys ; ou, suivant Acusilas, de Péro et de Neptune ; ou enfin, suivant d’autres, de Jupiter et d’Eurynome. Ayant épousé Métope, fille du fleuve Ladon, il en eut deux fils, Ismènus et Pélagon, et vingt filles20, dont l’une, nommée Ægine, fut enlevée par Jupiter21. Asope vint en la cherchant jusqu’à Corinthe, où Sisyphe lui apprit que c’étoit Jupiter qui l’avoit enlevée. Asope l’ayant poursuivi, Jupiter le foudroya, et le renvoya dans son lit ; c’est pourquoi il roule encore maintenant des charbons.

Jupiter ayant emporté Ægine dans l’île qui portoit alors le nom d’Œnone, et qui prit d’elle celui d’Ægine, coucha avec elle, et en eut un fils nommé Æaque. Comme il étoit seul dans cette île, Jupiter changea les fourmis en hommes12.

§ 8. Æaque épousa Endéïde, fille de Sciron13, et en eut deux fils, Pelée et Télamon. Phérécydes dit que Télamon étoit l’ami de Pelée, et non son frère, et qu’il étoit fils d’Actaeus14 et de Glaucé, fille de Cychrée. JSaque eut aussi les faveurs de Psamathé fille de Nérée, qui s’étoit changée en phoque25 pour se soustraire à ses désirs, et il en eut un fils nommé Phocus.

Æaque étoit le plus pieux de tous les mortels ; c’est pourquoi la Grèce étant affligée de stérilité, à cause du crime de Pélops, qui étant en guerre avec Stymphale roi d’Arcadie, et voyant qu’il ne pouvoit pas s’emparer de ses États a force ouverte, avoit fait semblant de devenir son ami, et ensuite l’avoit tué, et avoit coupé son corps en morceaux qu’il avoit dispersés ; les oracles annoncèrent que la Grèce seroit délivrée des maux qui l’affligeoient, si Æaque faisoit des prières pour elle ; et elle cessa effectivement, lorsqu’il eut fait ces prières26. Pluton voulant l’honorer après sa mort, lui a confié les clefs des Enfers.

Comme Phocus se distinguoit par son adresse dans tous les exercices, Pélée et Télamon, ses frères, formèrent le projet de le tuer. Le sort tomba sur Télamon qui, en s’exerçant avec lui, lui jeta son disque à la tête27, et le tua ; il l’emporta ensuite avec Pélée, et le cacha dans un bois. Æaque ayant découvert leur crime les chassa d’Ægine.

Télamon se retira à Salamine, vers Cychrée fils de Neptune et de Salamine, fille d’Asope. Cychrée étoit devenu roi de cette île, après avoir tué un serpent qui la ravageoit28. Se voyant sans enfans, il laissa en mourant son royaume à Télamon, qui épousa Péribée fille d’Alcathus, fils de Pélops. Hercules ayant prié les dieux de donner un fils à Télamon, un aigle apparut aussitôt, ce qui fit qu’il nomma ce fils Ajax29 ; il alla ensuite au siège de Troyes avec Hercules, qui lui donna pour prix de sa valeur Hésione, fille de Laomédon, dont il eut un autre fils nommé Teucer.

CHAPITRE XIII.

§ 1. Pélée s’enfuit à Phthie, auprès d’Eurytion1 fils d’Actor, qui le purifia, et lui donna en mariage sa fille Antigone2 avec le tiers de ses États. Il en eut une fille, nommée Polydore, qui fut mariée à Bonis, fils de Périérès.

§ 2. Delà, il se rendit avec Eurytion à la chasse du sanglier de Calydon, où croyant lancer un trait contre le sanglier, il frappa Eurytion et le tua sans le vouloir.

Obligé de quitter Phthie, à cause de ce meurtre, il se retira à Iolchos vers Acaste, qui le purifia.

§ 3. Il lutta avec Atalante dans les jeux qui furent célébrés aux funérailles de Pélias. Astydamie3 femme d’Acaste, étant devenue amoureuse de lui, lui fit des propositions ; ne pouvant le faire condescendre à ses désirs, elle envoya dire à sa femme qu’il alloit épouser Stérope, fille d’Acaste ; sa femme l’ayant cru, se pendit. Astydamie dit ensuite à Acaste que Pelée avoit cherché à la séduire. Acaste ne voulant pas tuer un homme qu’il avoit purifié, le mena avec lui à la chasse sur le Mont Pélion. Arrivés là, ils se défièrent au sujet de la chasse : ce défi étant accepté, Pélée se contentoit de couper les langues des bêtes qu’il prenoit, et les mettoit dans son havresac ; Acaste et ses compagnons ayant pris ensuite ces bêtes, se moquoient de lui, disant qu’il n’avoit rien tué ; alors, il tira de son havresac les langues qu’il y avoit mises, et leur dit qu’il avoit tué autant de bêtes qu’il y avoit de langues. Il s’endormit ensuite sur le mont Pélion, où Acaste le laissa après avoir caché son épée dans du fumier de bœuf4. Pélée s’étant réveillé, et cherchant son épée, tomba entre les mains des Centaures qui vouloient le tuer ; mais il fut sauvé par Chiron, qui chercha aussi son épéee et la lui rendit.

§ 4. Borus, fils de Périérès, épousa Polydore fille de Pélée5, il en eut Ménesthius, qui passoit pour son fils, mais qui étoit fils du fleuve Sperchius.

§ 5. Pélée épousa ensuite Thétis fille de Nérée, dont Jupiter et Neptune s’étoient disputé la main ; mais Thémis ayant prédit6 que celui qui naîtroit d’elle seroit plus puissant que son père, ils abandonnèrent leur poursuite. D’autres disent que Jupiter allant coucher avec elle, Prométhée lui prédit que le fils qui en proviendrait seroit le souverain du ciel. Suivant d’autres enfin, Thétis, par reconnoissance pour les soins de Junpn qui l’avoit élevée, se refusa aux désirs de Jupiter, qui, irrité de sa résistance, voulut qu’elle fût mariée à un mortel. Chiron ayant conseillé à Pélée de la saisir, et de ne la point laisser aller, quelque forme quelle prît, Pélée l’épia, et quoiqu’elle se changeât en eau, en feu et en bête féroce, il la retint jusqu’à ce qu’elle eût repris sa première forme7. Il l’épousa sur le Mont Pélion ; et tous les dieux célébrèrent ses noces par des chants et des festins. Chiron lui donna une lance de frêne, et Neptune lui fit présent des deux chevaux Balius et Xanthus, qui étoient immortels8.

§ 6. Thétis ayant eu un enfant de Pétée, vouloit le rendre immortel ; elle le mettoit toutes les nuits dans le feu, à l’insçu de Pélée, pour consumer ce qu’il tenoit de mortel de son père, et le frottoit d’ambroisie pendant le jour9. Pelée l’ayant épiée, et ayant vu son enfant qui palpitoit dans le feu, jeta un cri ; Thétis se voyant contrariée dans son projet, abandonna l’enfant, et se retira vers les Néréides. Pélée porta l’enfant à Chiron, qui le nourrit d’entrailles ; de lions et de sangliers, et de moelle d’ours10, et le nomma Achilles, parce que ses lèvres n’avoient touché les mamelles d’aucune femme, car il se nommoit auparavant Ligyron.

§ 7. Pélée ravagea ensuite Iolchos avec Jason et les Dioscures14 et ayant tué Astydamie femme d’Acaste, il la mit en quartiers12, et fit passer son armée à travers ses membres séparés, pour entrer dans la ville.

§ 8. Lorsqu’Achilles eut atteint l’âge de neuf ans, Calchas annonça que Troyes ne pouvoit pas être prise sans lui, Thétis prévoyant qu’il devoit périr à ce siège, le déguisa en fille, et le plaça chez Lycomèdes13. Élevé chez ce prince, Achilles coucha avec Déïdamie sa fille, et il en eut Pyrrhus, qu’on nomma par la suite Néoptolème. Ulysse ayant appris qu’Achilles étoit chez Lycomèdes, le découvrit en faisant sonner de la trompette devant lui ; et il alla ainsi au siège de Troyes.

Il y fut suivi par Phœnix, fils d’Amyntor, que son père avoit privé de la vue14, sur une fausse accusation de Phthie, sa concubine, qui dit qu’il avoit cherché à la séduire. Péjée le conduisit à Chiron, qui lui rendit la vue, et Pelée le fit roi des Dolopes.

Il emmena aussi avec lui Patrocles fils de Ménœtius et de Sthénélé, fille d’Acaste, ou de Périapis fille de Phérès ; ou, comme le dit Philocrates, de Polymèle fille de Pelée. Jouant aux osselets à Opunte avec Clysonyme, fils d’Amphidamas, Patrocles prit dispute avec lui, et le tua. S’étant enfui avec son père, il se réfugia chez Pelée, et fut l’ami d’Achilles15.

CHAPITRE XIV.

§ 1. Cécrops Autochthone, et qui étoit moitié homme et moitié serpent, régna le premier sur l’Attique1, et donna le nom de Cécropie à ce pays, qui portoit auparavant celui d’Acté. Les dieux résolurent, sous son règne, de s’approprier certaines villes dans lesquelles on leur rendroit, à chacun, des honneurs particuliers. Neptune vint le premier dans l’Attique, et ayant frappé la terre de son trident, dans le milieu de la citadelle, il y fit paroître une mer qu’on nomme maintenant Erechthéïde. Minerve vint ensuite, et prenant à témoin Cécrops de sa prise de possession, y planta un olivier, qu’on montre encore maintenant dans le Pandrosion. Une dispute s’étant élevée entre eux, sur la question de savoir à qui appartiendroit le pays, Jupiter leur donna des juges2, qui furent, non Cécrops et Cranaüs, ni Erechtée, comme le disent quelques auteurs, mais les douze dieux ; et ils adjugèrent le pays à Minerve, d’après le témoignage de Cécrops, qu’elle y avoit la première planté un olivier. Elle donna son nom à la ville. Neptune irrité, inonda les champs Thriasiens, et submergea toute l’Attique.

§ 2. Cécrops ayant épousé Agraule, fille d’Actæus, en eut un fils nommé Erysichthon, qui mourut sans enfans, et trois filles, Agraule, Hersé et Pandrose. D’Agraule et de Mars, naquit Alcippe ; Halirrothius, fils de Neptune et de la nymphe Euryté, voulant la violer, Mars le surprit et le tua ; Neptune le cita à cause de ce meurtre3, devant l’Aréopage où siégeoient alors les douze dieux, qui le renvoyèrent absous.

§ 3. De Hersé et de Mercure, naquit Céphale4 : l’Aurore en étant devenue amoureuse l’enleva, et lui accorda ses faveurs dans la Syrie ; elle eut de lui un fils nommé Tithon5, qui fut père de Phaéthon : Astynoüs naquit de ce dernier, et fut père de Sandacus, qui quitta la Syrie pour aller s’établir dans la Cilicie, où il fonda une ville nommée Célendéris ; il y épousa Pharnace fille de Mégessare, et il en eut un fils nommé Cinyre6, qui régna sur la Syrie. Cinyre amena des habitans dans l’île de Chypre, et y fonda Paphos. Il y épousa Métharmé, fille de Pygmalion, roi de Chypre, et il en eut deux fils, Oxyporus et Adonis7, et trois filles, Orsédice, Laogora et Bræsia. Ces filles, par l’effet de la colère de Vénus, se prostituèrent à des étrangers, et moururent en Égypte.

§ 4. Adonis étant encore jeune, fut tué à la chasse par un sanglier ; ce qui fut l’effet de la colère de Diane. Hésiode dit qu’il étoit fils de Phœnix et d’Alphésibée. Suivant Panyasis, Théias roi des Assyriens avoit une fille nommée Smyrne8, que Vénus irritée de ce qu’elle ne lui rendoit aucun culte9, rendit amoureuse de son père ; elle parvint par le moyen de sa nourrice à coucher douze nuits avec lui ; mais il s’en aperçut, et la poursuivit l’épée à la main pour la tuer. Se voyant sur le point d’être prise, elle pria les dieux de la faire disparoître, et par compassion, ils la changèrent en un arbre qu’on appelle Smyrne. Le dixième mois après, l’arbre s’entrouvrit, et celui qu’on nomme Adonis en sortit. Vénus voyant sa beauté, le mit encore enfant dans un coffre pour le cacher aux autres dieux, et le confia à Proserpine10. Celle-ci lorsqu’elle l’eut vu ne voulut plus le rendre : l’affaire ayant été portée devant Jupiter, il divisa l’année en trois parties, dont l’une seroit à la disposition d’Adonis ; il devoit passer l’autre avec Proserpine, et la troisième avec Vénus. Mais Adonis donna à cette déesse la portion de l’année qui étoit à sa disposition. Il fut tué dans la suite à la chasse par un sanglier.

§ 5. Cécrops étant mort, Cranaüs Autochthone11 lui succéda, et ce fut sous son règne qu’arriva le déluge de Deucalion. Il épousa Pédiade Lacédémonienne, et fille de Ménytus ; il en eut trois filles, Cranaé, Cranœchmé et Atthis ; cette dernière étant morte fille, Cranaüs donna au pays le nom d’Attique.

§ 6. Amphictyon, qui étoit fils de Deucalion, suivant quelques auteurs, et Autochthone suivant d’autres, ayant chassé Cranaüs, régna à sa place.

Après un règne de douze ans il fut détrôné par Erichthonius12, qui, suivant quelques auteurs, étoit fils de Vulcain et d’Atthis, fille de Cranaüs ; d’autres disent qu’il étoît fils de Vulcain et de Minerve, et voici comment ont raconte la chose. Minerve étant venue prier Vulcain de lui faire une armure, ce dieu, que Vénus avoit abandonné, devint amoureux de Minerve, et se mit à la poursuivre ; elle prit la fuite : il parvint cependant à la joindre, quoiqu’avec beaucoup de peine (car il étoit boiteux), et chercha à la violer ; mais Minerve, qui étroit vierge et très-sage, se défendit si bien qu’il ne put parvenir à son but, et il laissa des marques de sa passion sur la jambe de la déesse, qui en ayant horreur, les essuya avec un morceau de laine qu’elle jeta à terre. Elle s’enfuit, et Erichthonius naquit de ce qu’elle avoit jeté à terre. Minerve l’éleva à l’insçu des autres dieux, et vouloit le rendre immortel : elle le mit dans une ciste, qu’elle confia à Pandrose, fille de Cécrops, en lui défendant de l’ouvrir. Les sœurs de Pandrose poussées par la curiosité, l’ouvrirent, et trouvèrent un serpent entortillé autour de l’enfant13. Les uns disent qu’elles furent tuées sur-le-champ par le serpent ; suivant d’autres, Minerve les rendit furieuses, et elles se précipitèrent du haut de la citadelle14. Erichthonius ayant été élevé dans l’enceinte du temple par Minerve elle-même15, chassa Amphictyon, et se fit roi à sa place. Il érigea à Minerve la statue en bois qui est dans la citadelle, institua la fête des Panathénées, et ayant épousé la Naïade Pasithée, il en eut un fils nommé Pandion.

§ 7. Erichthonîus étant mort, où l’enterra dans l’enceinte du temple de Minerve ; il eut pour successeur Pandion, sous le règne duquel Cérès et Bacchus vinrent dans l’Attique. Céléus reçut Cérès à Eleusine, et Bacchus fut reçu par Icarius, à qui il donna un plant de vigne16 ; et il lui enseigna l’art de faire le vin. Icare voulant communiquer aux hommes le présent qu’il avoit reçu de ce dieu, alla vers quelques bergers, à lui il fit goûter cette boisson ; ceux-ci la trouvant agréable, en burent avec excès et sans eau, et se croyant empoisonnés, ils le tuèrent. Le lendemain, revenus dans leur bon sens, ils lui donnèrent la sépulture, Erigone sa fille s’étant mise à le chercher, une chienne nommée Mæra, qui avoit coutume de suivre Icarius, lui fit trouver son corps ; et après l’avoir pleuré, Erigone se pendit.

§ 8. Pandion ayant épousé Zeuxippe sœur de sa mère, en eut deux filles, Progné et Philomèle, et deux fils jumeaux, Erechthée et Butès. Étant en guerre avec Labdacus, au sujet des limites de ses États, il appela de la Thrace à son aide Térée fils de Mars17. Ayant, par son secours, terminé la guerre à son gré, il lui donna en mariage sa fille Progné. Térée ayant eu d’elle un fils nommé Itys, devint amoureux de Philomèle, et la séduisit, en lui faisant croire que Progné, qu’il avoit cachée à la campagne, était morte. L’ayant ensuite épousée pour en jouir à son aise, il lui coupa la langue ; Philomèle alors ayant tissu des lettres sur un manteau, y décrivit ses malheurs, et les fit connoître par ce moyen à Progné, qui étant venue chercher sa sœur, tua son propre fils Itys, et l’ayant fait cuire, le fit manger à Térée, sans qu’il s’en doutât ; puis elles s’enfuirent toutes deux promptement18. Térée prit une hache, et se mit à leur poursuite. Étant arrivées à Daulia, ville de la Phocide, et se voyant sur le point d’être prises, elles prièrent les dieux de les transformer en oiseaux : Progné fut changée en rossignol, Philomèle en hirondelle19 ; Térée fut aussi métamorphosé, et il fut changé en hupe.

CHAPITRE XV.

§ 1. Pandion étant mort, ses fils partagèrent sa succession ; Erechthée eut la couronne pour sa part, et Butès1 fut grand-prêtre de Minerve et de Neptune Erichthonius. Erechthée ayant épousé Praxithée, fille de Phrasimus et de Diogénie, fille de Céphise, eut trois fils ; Cécrops, Pandorus et Métion ; et quatre filles, savoir : Procris, Creüse, Chthonie et Orithye que Borée enleya.

Butès épousa Chthonie, Xuthus épousa Creüse2, et Procris fut mariée à Céphale, fils de Déïon. Cette dernière ayant reçu de Ptéléon une couronne d’or, consentit à lui accorder ses faveurs. Céphale l’ayant surprise3, elle s’enfuit vers Minos, qui en devint amoureux4, et chercha à la séduire : mais Minos faisoit périr toutes les femmes avec qui il couchoit, parce que Pasiphaé voyant qu’il lui faisoit souvent des infidélités, lui avoit fait prendre un breuvage dont l’effet étoit tel, que lorsqu’il voyait une autre femme, il lançoit dans son sein des bêtes venimeuses qui la faisoient périr. Minos avoit un chien très-léger à la course, et un javelot qui ne manquent jamais son coup. Procris consentit à le satisfaire, pourvu qu’il lui donnât ce chien et ce javelot5 ; et après lui avoir fait prendre en boisson de la racine Circéa, pour qu’il ne lui fit point de mal, elle coucha avec lui. Bientôt après, craignant la colère de Pasiphaé, elle retourna à Athènes ; et s’étant raccommodée avec Céphale6, elle alloit avec lui à la chasse, car il aimoit beaucoup cet exercice. Un jour qu’elle poursuivoit une bête dans un taillis, Céphale lui tira dessus ; sans la connoître, et la tua. Il fut, à cause de ce meurtre, condamné par l’Aréopage à un exil perpétuel.

§ 2. Orithye étant à jouer sur les bords du fleuve Ilissus, fut enlevée par Borée ; elle en eut deux filles, Cléopatre et Chioné ; et deux fils, Zéthus et Calaïs, qui étoient ailés. Ils se trouvèrent à l’expédition des Argonautes, et moururent, suivant quelques auteurs, en poursuivant les Harpyes ; Acusilas dit qu’ils furent tués par Hercules vers Ténos7.

§ 3. Cléopatre fut mariée à Phinée, qui en eut deux fils, Plexippe et Pandion. Il épousa ensuite Idée, fille de Dardanus, qui voulant faire périr les fils de son époux, les accusa d’avoir voulu la corrompre. Phinée la crut et les priva tous deux de la vue. Les Argonautes ayant abordé dans son pays, avec les fils de Borée, le punirent de ce forfait.

§ 4. Chioné ayant couché avec Neptune, à l’insçu de son père, accoucha d’un fils nommé Eumolpe, quelle jeta dans la mer pour que personne ne s’en aperçût. Neptune l’ayant pris, le porta dans l’Éthiopie, et le donna à Benthésicyme, l’une des filles qu’il avoit eues d’Amphitrite8. Lorsqu’il fut devenu grand, le mari de Benthésicyme lui donna une de ses deux filles en mariage9 ; Eumolpe ayant cherché à violer l’autre, fut exilé, et il se retira avec Ismarus son fils10, vers Tégyrius, roi de Thrace, qui donna sa fille en mariage à Ismarus ; Eumolpe ayant ensuite conspiré contre Tégyrius, et son crime ayant été découvert, il s’enfuit chez les Eleusiniens, avec qui il contracta amitié. Ismarus étant mort quelque temps après, Tégyrius rappela Eumolpe, se réconcilia avec lui11, et lui donna ses États. Une guerre s’étant élevée entre les Eleusiniens et les Athéniens, les Eleusiniens l’appelèrent à leur secours, et il y alla avec une nombreuse armée de Thraces. Erechthée ayant consulté l’Oracle sur les moyens de faire obtenir la victoire aux Athéniens, le dieu la lui promit, s’il sacrifioit une de ses filles12. Il sacrifia la plus jeune, et les autres se tuèrent, car on prétend qu’elles avoient pris la résolution de mourir toutes ensemble. La bataille se livra ensuite, et Erechthée tua Eumolpe12.

§ 5. Neptune ayant fait périr Erechthée, et détruit son palais, Cécrops, l’aîné de ses fils, lui succéda14 ; il épousa Métiaduse, fille d’Eupalamus, et en eut un fils nommé Pandion.

Pandion étant monté sur le trône après la mort de Cécrops, les fils de Métion excitèrent une sédition, et le chassèrent15. Il se retira à Mégare, auprès de Pylas, et épousa Pélia sa fille. Pylas le fit ensuite roi de cette ville, en tuant Bias frère de son père ; il se retira lui-même dans le Péloponnèse, avec une partie du peuple, et y fonda une ville nommée Pylos.

Pandion resté à Mégare eut plusieurs fils, savoir : Ægée, Pallas, Nisus et Lycus. Quelques écrivains disent qu’Ægée étoit fils de Scyrius16, et que Pandion le faisoit passer pour son fils.

§ 6. Après la mort de Pandion, ses fils entreprirent une expédition contre Athènes, en chassèrent les Métionides, et partagèrent le royaume entre eux quatrel7. Ægée eut cependant la principale partie de l’autorité. Il épousa d’abord Méta fille d’Oplès, et ensuite Chalciope fille de Rhéxénor. N’ayant point d’enfans, et ses frères lui donnant de l’ombrage, il alla consulter l’oracle sur les moyens d’en avoir. Le dieu lui répondit en ces termes :

« Chef du peuple, ne délie point le pied de l’outre, que tu ne sois arrivé au sommet d’Athènes. »

§ 7. Ægée ne comprenant rien à cet oracle, retourna à Athènes, et en passant par Trœsène, il y fut reçu par Pitthée fils de Pélops, qui ayant saisi le sens de l’oracle, l’enivra, et mit sa fille Æthra à coucher avec lui. Neptune eut dans la même nuit commerce avec elle. Ægée ordonna a Æthra, si elle faisoit un garçon, de l’élever sans lui dire qui étoit son père. Il mit ensuite sous une pierre des souliers et une épée, et lui dit de le lui envoyer avec ces effets, lorsqu’il seroit en état de lever cette pierre pour les prendre.

Il se rendit delà à Athènes, où il célébra les jeux des Panathénées, dans lesquels Androgée fils de Minos, vainquit tous les concurrens. Ægée l’envoya ensuite contre le taureau de Marathon, qui le fit périr. D’autres disent, qu’allant à Thèbes aux jeux funèbres de Laïus il fut tué dans une embuscade que lui dressèrent, par envie, ceux qui devoient combattre à ces jeux.

Minos, lorsqu’on lui apprit la mort de son fils, offroit dans l’île de Paros un sacrifice aux Grâces ; il ôta aussitôt la couronne qu’il avoit sur la tête, fit taire les instrumens, et continua cependant le sacrifice. C’est pourquoi, depuis cette époque, on sacrifie aux Grâces sans couronnes et sans instrumens, dans l’île de Paros.

§ 8. Peu de temps après, étant maître de la mer, il vint avec une flotte assiéger Athènes, prit Mégare, où régnoit Nisus fils de Pandion, et tua Mégarée, fils d’Hippomènes, qui étoit venu d’Oncheste au secours de Nisus. Nisus perdit aussi la vie, par la trahison de sa fille ; il avoit au milieu de la tête un cheveu couleur de pourpre, à la conservation duquel sa vie étoit attachée ; Scylla sa fille, étant devenue amoureuse de Minos, lui arracha ce cheveu, et il mourut. Minos ayant pris Mégare, attacha Scylla par les pieds à la proue d’un vaisseau, et la plongea dans la mer.

Comme la guerre traînoit en longueur, Minos n’espérant pas prendre Athènes par la force, pria Jupiter de le venger des Athéniens. La ville ayant été affligée de la peste et de la famine, les Athéniens, d’après un ancien oracle, sacrifièrent d’abord sur le tombeau du Cyclope Géræsius, Anthéïde, Ægléïde, Lytaea et Orthæa, filles d’Hyacinthe18. Leur père étoit venu de Lacédémone s’établir à Athènes. Cç sacrifice ne leur ayant procuré aucun soulagement, ils consultèrent l’oracle sur les moyens de remédier à leurs maux. Le dieu leur dit de donner à Minos la satisfaction qu’il exigeroit. Ils envoyèrent donc vers lui pour lui demander ce qu’il vouloit ; Minos exigea qu’ils lui envoyassent [chaque année] sept garçons et sept filles, sans armes, pour servir de pâture au Minotaure.

Ce Minotaure étoit renfermé dans le Labyrinthe, d’où il étoit impossible de sortir une fois qu’on y étoit entré, tant il y avoit de détours et de circuits qui empêchoient d’en trouver l’issue : il étoit l’ouvrage de Dædale19 fils d’Eupalamus, fils de Métion et d’Alcippe. Dædale étoit un excellent architecte, et il fut le premier qui trouva l’art de faire des statues.

§ 9. Il avoit été exilé d’Athènes, pour avoir précipité du haut de la citadelle Talus, fils de Perdix sa sœur, et son élève, craignant qu’il ne le surpassât dans son art. Talus, en effet, ayant trouvé la mâchoire d’un serpent, s’en étoit servi pour scier du bois, ce qui l’avoit conduit à l’invention de la scie. Le corps de ce jeune homme ayant été retrouvé, Dædale fut jugé et condamné à l’exil par l’Aréopage. Il se rendit auprès de Minos, où il fabriqua une vache de bois pour satisfaire la passion de Pasiphaé qui étoit devenue amoureuse du taureau de Neptune. Il y construisit aussi le Labyrinthe, dans lequel les Athéniens étoient obligés d’envoyer chaque année sept jeunes garçons et autant de filles pour servir de nourriture au Minotaure.

CHAPITRE XVI.

§ 1. Thésée fils Æthra et d’Ægée, étant devenu grand, souleva la pierre, et ayant pris les souliers et l’épée, se mit à pied en route pour Athènes. Cette route étoit infestée de brigands ; il la rendit praticable. Il tua d’abord à Épidaure, Périphètes fils de Vulcain et d’Anticlée, qu’on surnommoit le Corynète ou porteur de massue. Comme il avoit les pieds foibles, il portoit une massue de fer, avec laquelle il assommoit les passans. Thésée prit sa massue, et la porta par la suite.

§ 2. Il tua ensuite Sinis fils de Polypémon et de Sylée, fille de Corinthus. On le nommoit le Pityocamptès (ou courbeur de pins) ; il habitoit l’isthme de Corinthe, et forçoit les passans à tenir les pins qu’il avoit courbés ; l’arbre en se redressant, malgré leurs efforts, les jetoit au loin, et les faisoit périr malheureusement1. Thésée le fit périr lui-même de la même manière.

Le reste manque.



FIN.
  1. Voyez L. i, C. vi, note ii ; C. ix, note 74, 76 et 108. L. ii, C. i, note 50 ; C. V, notes 49, 54, 59 ; C. vii, note 41.
  2. On en voit un exemple dans Pausanias, L. ii, C. 26, qui suppose que certains vers, sur la naissance d’Esculape, avoient été faits ou par Hésiode, ou sous son nom, pour flatter les Messéniens.
  3. M. Delance est louable surtout d’avoir eu, dès l’an V, époque à laquelle presque toutes les Imprimeries étoient fermées à la littérature, le courage d’embrasser cette partie difficile et peu lucrative, qu’il n’a cessé de suivre avec autant de zèle que de succès.