Traduction par Zadoc Kahn.
Durlacher (2p. 254-257).
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Habacuc





1 L’oracle que le prophète Habacuc perçut dans une vision :

2 "Jusques à quand, ô Seigneur, t’implorerai-je sans que tu entendes mon appel ? Crierai-je vers toi : violence ! sans que tu prêtes secours ?

3 Pourquoi me laisses-tu voir l’iniquité et restes-tu témoin de l’injustice ? L’oppression et la violence triomphent sous mes yeux ; partout éclatent des disputes et sévit la discorde !

4 Aussi la loi est-elle paralysée et le droit ne se manifeste-t-il plus jamais. Oui, le méchant circonvient le juste, aussi ne rend-on que des sentences perverses.

5 Jetez les yeux sur les peuples, regardez, soyez étonnés, stupéfaits ! Car il va, en votre temps, accomplir une œuvre... Vous n’y croiriez pas si on vous la racontait.

6 Oui, je vais susciter les Chaldéens, ce peuple féroce et emporté, qui parcourt les vastes espaces de la terre, pour conquérir des demeures qui ne sont pas à lui :

7 Peuple terrible et redoutable ! De lui seul il tire son droit et son orgueil.

8 Ses chevaux sont plus légers que des panthères, plus rapides que les loups du soir, et ses cavaliers se répandent de toutes parts. Ils viennent de loin, ses cavaliers, ils volent comme un aigle qui se hâte de dévorer.

9 Tous viennent pour la rapine, leur passion les porte toujours en avant. Ils amassent des captifs comme du sable.

10 Et ce peuple se moque des rois, les princes lui sont un objet de risée ; il se joue de toutes les forteresses, amoncelle un peu de terre et les prend d’assaut.

11 Ainsi il passe comme une tempête, et sur son passage il commet des méfaits, lui qui tient sa force pour son dieu !

12 N’es-tu pas, de toute éternité, ô Seigneur, mon Dieu, mon Saint ? Non, nous ne mourrons pas ! Éternel, c’est pour faire justice que tu as commis ce peuple ! O mon Rocher, c’est pour châtier que tu l’as établi !

13 O toi qui as les yeux trop purs pour voir le mal, et qui ne peux regarder l’iniquité, pourquoi regardes-tu ces perfides, gardes-tu le silence quand le méchant dévore plus juste que lui ?

14 Pourquoi as-tu rendu les hommes pareils aux poissons de la mer, aux reptiles qui n’ont point de maître ?

15 Il les prend tous avec l’hameçon, il les tire à lui avec son filet et les jette ensemble dans sa nasse ; aussi est-il content et joyeux.

16 Aussi offre-t-il des sacrifices à son filet et brûle-t-il de l’encens à sa nasse, car il leur doit une prise abondante et d’exquises victuailles.

17 Est-ce une raison pour qu’il vide [toujours son filet] et recommence sans cesse à égorger des peuples, sans pitié ?



1 Je veux me tenir à mon poste d’observation, je veux me placer sur le fort [du guetteur] pour regarder [au loin] et voir ce que Dieu me dira et ce que je pourrai répliquer au sujet de ma récrimination.

2 Le Seigneur me répondit et dit : "Mets par écrit la vision, grave-la distinctement sur les tablettes, afin qu’on puisse la lire couramment.

3 Car encore que cette vision ne doive s’accomplir qu’au temps fixé, elle se hâte vers son terme, et elle ne mentira pas ; si elle diffère, attends-la avec confiance, car certes elle se réalisera sans trop tarder.

4 Vois ! elle est enflée d’orgueil, son âme ; elle n’a aucune droiture, mais le juste vivra par sa ferme loyauté !

5 En vérité, comme le vin est perfide, ainsi l’homme arrogant qui ne demeure point en repos ; qui ouvre une bouche large comme le Cheol et, comme la mort, n’est jamais rassasié. Autour de lui, il agglomère tous les peuples, il rassemble toutes les nations.

6 Eh bien ! ceux-ci, tous ensemble, ne feront-ils pas des satires contre lui, des épigrammes et des énigmes piquantes à son adresse ? On dira : "Malheur à qui accapare le bien d’autrui ! (Jusques à quand ?) Malheur à qui accumule sur sa tête le poids de gages usuraires !

7 Ah ! Ne se lèveront-ils pas soudain, tes créanciers ! Ne se réveilleront-ils pas, tes bourreaux ? A ton tour, tu seras leur proie !

8 Car de même que tu as dépouillé, toi, des peuples nombreux, toutes les autres nations te dépouilleront à cause du sang humain [que tu as versé], des cruautés qu’ont subies les pays, les cités et ceux qui les habitent.

9 Malheur à qui amasse pour sa maison un bien mal acquis, et rêve d’établir son nid sur les hauteurs, pour échapper aux coups de l’adversité !

10 Tu as décrété la honte de ta maison ! En fauchant des peuples nombreux, tu t’es condamné toi-même.

11 Oui, la pierre dans le mur crie [contre toi], et le chevron, dans la charpente, lui donne la réplique.

12 Malheur à qui bâtit une ville avec le sang, et fonde une cité sur l’iniquité !

13 Ah ! voici, cela émane de l’Éternel-Cebaot : que les peuples travaillent pour le feu et les nations s’exténuent au profit du néant !

14 Car la terre sera pleine de la connaissance de la gloire de Dieu, comme l’eau abonde dans le lit des mers.

15 Malheur à toi qui forces tes semblables à boire, qui leur verses des rasades de vin et provoques leur ivresse, pour pouvoir contempler leur nudité !

16 Tu seras gorgé, toi, de plus d’ignominie que d’honneur. A ton tour de boire et de dévoiler ta honte ! Le calice de la droite de l’Éternel va passer à toi : ce sera un amas d’infamie recouvrant ta gloire.

17 Oui, tu seras enveloppé par la violence [des hôtes] du Liban et terrifié par la férocité des fauves à cause du sang humain [que tu as versé], des cruautés qu’ont subies les pays, les cités et ceux qui les habitent.

18 Quel profit attendre de l’image sculptée par l’artisan ? De la statue de fonte, de ces guides mensongers ? Comment leur auteur peut-il assez mettre sa confiance en eux pour fabriquer des dieux muets ?

19 Malheur à celui qui dit à un morceau de bois : "Éveille-toi !" à la pierre inerte : "Lève-toi !" Sont-ce là des guides ? Vois ! L’idole est plaquée d’or et d’argent, mais aucun souffle n’est en elle !

20 Quant à l’Éternel, il trône dans son saint Palais : que toute la terre fasse silence devant lui !"



1 Prière du prophète Habacuc, sur le mode des Chighionot ;

2 "Seigneur, j’ai entendu ton message et j’ai été pris de crainte ; l’œuvre que tu as projetée, Seigneur, fais-la surgir au cours des années, au cours des années, fais-la connaître ! Mais, au milieu de la colère, souviens-toi de la clémence.

3 L’Éternel s’avance du Têmân ; le Saint, du mont Parân, Sélah ! Sa splendeur se répand sur les cieux, et sa gloire remplit la terre.

4 C’est un éclat éblouissant comme la lumière, des rayons jaillissent de ses côtés et servent de voile à sa grandeur.

5 Devant lui marche la peste, et la fièvre brûlante suit ses pas.

6 Il se lève et la terre vacille, il regarde et fait sursauter les peuples ; les antiques montagnes éclatent, les collines éternelles s’affaissent[montagnes et collines] qui sont ses routes séculaires.

7 Je vois les huttes de Couchân ployer sous le malheur et frissonner les tentes du pays de Madian.

8 Est-ce contre les fleuves que s’irrite l’Éternel, aux fleuves qu’en veut ta colère ? Est-ce à la mer que ton courroux s’adresse, quand tu t’avances avec tes coursiers, sur tes chars de victoire ?

9 Ton arc se montre nu, tes serments sont des traits lancés par ton verbe, Sélah ! La terre, s’ouvrant, livre passage à des fleuves.

10 A ton aspect, elles tremblent, les montagnes, les eaux roulent impétueuses, l’Abîme fait retentir sa voix, élève ses vagues jusqu’au ciel.

11 Le soleil, la lune s’arrêtent dans leur orbite, à la lumière de tes traits qui volent, à la clarté fulgurante de ta lance.

12 Dans ta fureur tu piétines la terre, dans ton courroux tu broies les nations.

13 Tu marches au secours de ton peuple, au secours de ton élu ; tu abats les sommités dans la maison du méchant, de la base au faîte tu la démolis, Sélah !

14 Tu transperces avec leurs propres traits ses premiers dignitaires, qui s’élancent comme l’ouragan pour me perdre. Ils triomphent déjà, comptant dévorer le faible dans l’ombre.

15 Tu foules la mer avec tes chevaux, les grandes vagues amoncelées.

16 J’ai entendu… Et mon sein en frémit ; à cette nouvelle mes lèvres s’entrechoquent. Une langueur s’empare de mes os, je m’affaisse sur moi-même. Puis-je en effet rester calme devant ce jour de malheur qui va se lever sur un peuple pour le décimer ?

17 C’est qu’on ne verra pas fleurir le figuier, ni les vignes donner des fruits ; l’olivier refusera son produit et les champs leur tribut nourricier : plus de brebis au bercail, plus de bœufs dans les étables !

18 Et cependant moi, grâce à l’Éternel je retrouverai le bonheur, je me délecterai en Dieu qui me protège.

19 Dieu, mon Seigneur, est ma force ; il rend mes pieds agiles comme ceux des biches, et il me fait cheminer sur les hauteurs ! Au chorège qui dirige l’exécution de mes chants."