Bible Segond 1899/Avant-propos


Collectif
Traduction par Louis Segond.
Delessert (p. ix-xx).


AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR

placé en tête de la première édition




I

L’Ancien Testament est écrit en hébreu, langue que parlait jadis le peuple d’Israël. Les livres qu’il renferme, au nombre de trente-neuf, appartiennent à divers auteurs et à différents âges : les uns ont été composés pendant les siècles qui précédèrent la captivité de Babylone, les autres sont postérieurs. Rien n’est plus varié que le contenu : histoire, législation, doctrine religieuse, morale, poésie, révélations prophétiques. Les Juifs attribuaient à la plupart de ces livres une autorité divine, et leurs docteurs en faisaient le point de départ des enseignements qu’ils donnaient au peuple. Aussi quand la langue hébraïque eut cessé d’être une langue parlée, furent-ils les premiers à éprouver le besoin d’avoir, pour leur usage, des traductions dans les idiomes des peuples au milieu desquels ils vivaient dispersés.

Ainsi prit naissance la version dite des Septante ou d’Alexandrie, la plus célèbre de toutes et en même temps la plus ancienne, composée en grec par des savants Juifs établis en Égypte, et très-probablement achevée cent cinquante ans environ avant Jésus-Christ. Faite à une époque où, par suite des conquêtes d’Alexandre le Grand, la langue grecque était généralement répandue, elle a rendu des services incontestables et a été longtemps entourée d’une grande considération. Ce n’est pas ici le lieu d’en discuter les origines plus ou moins douteuses, ni d’émettre une appréciation critique sur sa valeur réelle. Rappelons seulement quelques faits propres à constater l’influence qu’elle exerça. Les Septante ont servi de base à un grand nombre de versions écrites dans plusieurs des dialectes de l’Orient ; c’est d’après les Septante, et non d’après l’hébreu, que sont habituellement faites les citations de l’Ancien Testament dans le Nouveau ; les Chrétiens des premiers siècles, ne sachant pas l’hébreu, furent conduits à se servir de la version des Septante, et allèrent même jusqu’à croire à son inspiration ; enfin, toutes les versions latines usitées dans l’Église d’Occident jusqu’à l’époque d’Augustin étaient des reproductions, généralement assez imparfaites, de celle des Septante.

Tel était l’état des choses lorsque parut Jérôme, l’un des plus remarquables parmi les Pères de l’Église. À l’inverse d’Augustin et autres docteurs de ce temps qui ignoraient l’hébreu, Jérôme se livra, dès sa jeunesse, à l’étude de cette langue sacrée. Puis, séjournant en Palestine, il prit à Jérusalem des leçons d’un rabbin nommé Barhanina, qui lui donnait instruction pendant la nuit, par crainte de ses compatriotes ; il eut encore pour maîtres deux savants rabbins, dont l’un lui enseigna le chaldéen, et dont l’autre le fortifia dans l’hébreu. Ainsi muni de ces connaissances philologiques, Jérôme se mit à comparer le texte original de l’Ancien Testament avec la version grecque des Septante et avec la meilleure des versions latines (la vetus Itala) exécutées sur les Septante. Il fut bientôt convaincu des fautes évidentes et des nombreuses imperfections de l’une comme de l’autre ; et, encouragé par quelques amis, il prit la résolution de traduire à nouveau la Bible en latin immédiatement d’après l’hébreu. Cette œuvre, qui a coûté à son auteur vingt années de travaux assidus, fut commencée vers l’an 385 et achevée l’an 405. Si nous l’avons mentionnée avec quelques détails, c’est à cause du rôle immense qu’elle a joué dans l’histoire de toutes les versions qui suivirent, et notamment des versions protestantes en langue française, comme on va le voir.

Deux mots auparavant sur les destinées du travail de Jérôme, et sur la forme finale qui lui fut donnée par l’Église romaine. Ce travail, bien accueilli par quelques-uns, surtout par les Juifs, qui rendirent hommage à sa fidélité, rencontra dès l’abord de nombreux adversaires, entre autres Augustin ; et des accusations d’hérésie circulèrent même contre la personne de Jérôme. Toutefois, ce n’étaient ni la science de cet homme d’élite ni l’exactitude du résultat de ses recherches qui étaient mises en suspicion ; mais on censurait par-dessus tout la hardiesse de celui qui avait osé traduire autrement que ne l’avaient fait les Septante. Depuis la mort de Jérôme, les ennemis de sa version allèrent de plus en plus en diminuant ; au bout de deux siècles, elle était à Rome sur le même pied que l’ancienne version latine, et l’on finit par l’employer de préférence pour le service divin. De là le nom de Vulgate, qui plus tard lui fut donné. Malheureusement, plus elle acquérait de faveur et se répandait par des copies multipliées, plus elle s’altérait sous la plume de ceux qui la transcrivaient de manuscrits en manuscrits. Elle devint alors l’objet de corrections successives, à dater de Charlemagne qui s’était adressé dans ce but au célèbre Alcuin. Et, quand arriva l’invention de l’imprimerie, on eut bientôt des éditions offrant entre elles les plus grandes diversités, selon les manuscrits dont on s’était servi. Néanmoins, le concile de Trente déclara la Vulgate seule version officielle de l’Église (1546), et le pouvoir pontifical se chargea, moyennant de nouvelles corrections, de publier une édition authentique, qui parut vers la fin du seizième siècle. Qui dira jusqu’à quel point elle reproduit l’œuvre primitive de Jérôme ?

Nous touchons au mouvement religieux qui donna naissance au protestantisme, tirant presque toute sa force du contenu de la Parole Sainte, et assurant par là ses meilleurs succès. Un fait regrettable, mais à signaler, c’est qu’aucun de nos grands Réformateurs de langue française n’associa son nom, comme Luther en Allemagne, à une traduction de la Bible en langue vulgaire et nationale. Calvin ne nous a laissé que des préfaces et des commentaires, indépendamment de tout ce qui du reste servit de point d’application à son génie.

La version qu’on a l’habitude de considérer comme la plus ancienne dans le sein des Églises réformées est celle de Pierre-Robert Olivetan, de Noyon en Picardie, parent de Calvin. Elle parut en 1535. Mais, si l’on veut avoir un point de départ plus exact de nos versions protestantes, il faut remonter à la Bible de Lefèvre d’Étaples, dont la première édition complète fut publiée à Anvers en 1530. Il faut même remonter plus haut, et bien antérieurement à la Réformation, quand on veut se rendre compte du travail de Lefèvre, et avoir une juste idée des remaniements postérieurs. À dater du douzième siècle, dans les pays de langue romane, on eut une série de Bibles historiées et glosées, les premières dans lesquelles le fond scripturaire se trouvait noyé au milieu d’additions souvent bizarres et étrangères aux faits bibliques, les secondes dans lesquelles le texte était mélangé de notes et commentaires de diverse nature. Tous ces recueils, greffés les uns sur les autres, partaient d’une souche toujours la même, la Vulgate, plus ou moins comprise, défigurée, ou enveloppée d’additions. Lefèvre, tout en reproduisant, avec quelques modifications, l’œuvre de ses devanciers, fit disparaître du texte les gloses pour les reléguer dans des notes distinctes, ne voulant “rien ajouter ni retrancher aux paroles du Livre.” C’est là le service éminent qu’il rendit à la cause biblique, et qui a pu le faire envisager comme le premier auteur des versions protestantes, malgré ces mots qu’il inscrivit sur le titre de sa Bible : “Translatée en français selon la pure et entière traduction de sainct Hierome.”

La Bible d’Olivetan, qui ne consacra guère plus d’une année à son travail, a pour base celle de Lefèvre d’Étaples. Calvin la recommanda, sans en dissimuler les fautes, et invitant à l’indulgence. Il entreprit lui-même des corrections, mais il ne se fit aucune illusion sur la portée de semblables retouches ; car, dans un avis placé en tête de l’édition de 1561, la dernière avant sa mort, Calvin exprime le vœu “que quelque savant homme, garni de tout ce qui est requis dans une telle œuvre, se consacre tout entier pendant une demi-douzaine d’ans à la traduction de la Bible.”

La Compagnie des Pasteurs de Genève, sollicitée en outre par plusieurs pasteurs des Églises réformées de langue française, s’employa d’une manière active à réaliser le vœu de Calvin. À défaut d’un homme unique, elle remit la tâche à quelques-uns de ses membres, parmi lesquels Théodore de Bèze. Enfin, en l’année 1588, parut cette version officielle et impatiemment attendue, la première que publièrent collectivement les pasteurs et professeurs de l’Église de Genève.

C’était, en réalité, une simple révision de la Bible d’Olivetan, diversement amendée dans les éditions qui s’étaient succédé depuis 1535 ; elle adopta les variantes tantôt de l’une, tantôt de l’autre de ces éditions, et, comme élément nouveau, elle était enrichie d’un grand nombre de notes marginales. Dans une épître, placée en tête du volume, les auteurs, sans prétendre qu’on ne puisse faire mieux, émettent le désir qu’on s’en tienne à leur œuvre. Somme toute, répondant à des instances réitérées et partant d’un Corps vénéré, la version genevoise de 1588 se présenta avec une telle autorité et fut si bien accueillie des Églises réformées qu’elle ferma jusqu’à nos jours, pour ainsi dire, l’accès à toute tentative de traduction indépendante, d’après les textes originaux et en conformité avec les progrès dans les études historiques, philologiques et exégétiques. Les éditions se multiplièrent soit à Genève, soit à l’étranger, à peu près sans autres changements que ceux nécessités par les règles et les usages de la langue française : et encore resta-t-on sous ce rapport toujours en arrière.

On se tromperait si l’on pensait que les Bibles de Martin et d’Ostervald renferment des traductions nouvelles, ou même diffèrent notablement de la version genevoise. Elles ne firent, à l’origine, que reproduire Genève 1588. Leurs auteurs ne s’en cachèrent pas, comme on peut le lire sur les titres de la première édition de Martin (Amsterdam 1707) et de la première édition d’Ostervald (Amsterdam 1724), et comme il est facile de s’en convaincre par la comparaison du contenu. C’est, du reste, grâce à cette circonstance qu’elles obtinrent le transeat dans les Églises, et ceci atteste une fois de plus l’autorité dont a si longtemps joui la version de Genève. Ce qui constituait le mérite réel des publications de Martin et d’Ostervald, c’étaient les notes et préfaces du premier, les arguments et réflexions du second. Si les éditions actuelles s’écartent d’une manière plus ou moins sensible de 1588, c’est l’ouvrage des reviseurs de reviseurs, et affaire de forme plus que de fond. Les différences qu’on observe entre Martin et Ostervald proviennent en partie de modifications assez nombreuses que le pasteur neuchâtelois introduisit dans l’édition (1744) qui précéda sa mort, avec le but d’adoucir certaines expressions, de rendre plus clair et de faire mieux aimer le Livre sacré.

Malgré l’immense succès de la version de 1588, succès qui se prolonge encore, nous venons de le dire, sous les noms de Martin et d’Ostervald, on éprouva de bonne heure à Genève le désir de l’améliorer. Mais la chose devenait impossible en face d’une opposition énergiquement dessinée parmi les fidèles : tout ce qui dépassait les limites d’une légère retouche ou d’un simple redressement de la langue était frappé de réprobation. Les ministres genevois n’étaient plus les maîtres de leur œuvre, bien qu’ils en sentissent les imperfections. Ainsi se passa quelque chose d’analogue à ce qui s’était passé pour la version des Septante. En 1721 seulement, sous l’influence de J.-A. Turretin, on prit courage, on travailla presque tout un siècle, et l’on mit au jour la version de 1805, la seconde et la dernière que publièrent collectivement les pasteurs et professeurs de l’Église de Genève.

Nous n’avons pas à entrer ici dans l’appréciation des qualités ou des défauts qui distinguent cette version : peut-être n’a-t-elle pas encore été impartialement jugée. C’est plus qu’une simple révision ; mais ce n’est pas, dans son ensemble, une traduction émanant en ligne directe du texte hébreu. Elle n’a pas eu le sort prospère de sa sœur aînée ; on l’a repoussée plutôt qu’accueillie ; les sociétés bibliques lui ont été défavorables ; et, quoique dès longtemps épuisée, elle n’a pas été réimprimée. La Compagnie des Pasteurs donna à une commission permanente le mandat de la revoir ; mais, après plusieurs années d’un travail dont les difficultés allaient croissant, la commission s’est dissoute, et la Compagnie ne l’a pas renouvelée.

Résumons. Toutes nos versions, unies entre elles par une étroite filiation, découlent de la Vulgate latine, reproduction en quelque mesure incertaine du travail primitif de Jérôme. Ainsi, les Églises réformées de langue française n’ont jamais possédé une traduction de la Bible, faite en entier sur les textes originaux. Les circonstances diverses qui ont pesé sur ces Églises, bien plus que le manque d’hommes capables, suffisent amplement pour donner l’explication de ce phénomène.

Il était réservé à notre époque de s’affranchir de cette crainte pusillanime, tendant à faire considérer une version, œuvre tout humaine, comme une espèce d’arche sainte à laquelle il n’est pas permis de toucher sans être accusé de profanation. Aujourd’hui, grâce à un courant plus libéral et à des appréciations plus judicieuses, il n’y a pas à risquer la censure ou le bûcher pour qui, s’écartant de ses devanciers, essaie de donner à ses frères une interprétation plus fidèle des choses qui nous ont à tous été révélées.

Loin de là. Dans les divers rangs de la société religieuse protestante, on a senti l’insuffisance des versions actuellement en usage, et qui sont au milieu de nous comme un précieux héritage de la piété de nos pères. De toutes parts aussi, on a compris qu’il y avait des inconvénients majeurs à procéder indéfiniment par la voie des révisions ; de toutes parts, on a réclamé une version nouvelle, qui, travaillée d’après les textes sacrés, fût un reflet plus direct de leur véritable contenu. Et en même temps, par une étonnante dispensation de la Providence, des ouvriers étaient suscités par elle pour répondre largement à ce besoin. Quatre versions, au lieu d’une, seront désormais à la disposition de chacun. Trois d’entre elles ont été déjà publiées, à Neuchâtel, à Lausanne, à Paris[1], toutes les trois remarquables, élaborées par des hommes de foi et de science. Celle-ci est la quatrième. Ces quatre versions, assez divergentes d’aspect et de style, conçues à part et mises à exécution presque simultanément par leurs auteurs, concordent néanmoins pour les résultats essentiels. Nos Églises et les membres de nos Églises pourront ainsi faire leur choix en pleine liberté.


II

Les personnes qui liront attentivement notre traduction de l’Ancien Testament, surtout si elles ont quelque notion de la langue hébraïque, reconnaîtront par elles-mêmes les principes qui nous ont servi de guide. Il est bon néanmoins de les rappeler sommairement, pour qu’il ne reste à cet égard aucune équivoque.

Une condition préliminaire indispensable, c’est une indépendance d’esprit et de situation, qui place le traducteur en dehors de toute influence propre à le détourner du soin exclusif de rechercher et d’exprimer le vrai sens du Livre sacré. Qu’il se dégage des préoccupations dogmatiques, sans avoir souci de ce qui peut plaire ou déplaire aux partis théologiques qui divisent les chrétiens. La Bible a été écrite pour tous les hommes : c’est pour tous, et en conscience, que le traducteur doit accomplir sa tâche. Il est sous le regard du Dieu de vérité : c’est la vérité seule qui sera la suprême ambition de ses efforts. S’il échoue, qu’il se résigne par avance ; s’il réussit, qu’il en rapporte la gloire à Dieu seul.

Cette condition préalable, nécessaire à nos yeux, étant réalisée, de quelle manière le traducteur poursuivra-t-il son œuvre ?

Exactitude, clarté, correction : telles sont les trois qualités auxquelles il est essentiel de viser, si l’on veut à la fois être fidèle et s’exprimer en français. C’est presque une lutte de géant. Mais il faut la soutenir, dans les limites du possible. Faire bon marché de la correction comme chose secondaire ou superflue, c’est oublier que toute langue a ses droits, c’est fournir aux personnes cultivées un genre de distraction nuisible à l’édification. Prétendre que la clarté n’est pas rigoureusement requise parce qu’on rencontre dans l’original des passages obscurs, c’est un accommodement de conscience à rejeter. Altérer sciemment l’exactitude du sens, ne fût-ce que d’une nuance, afin de flatter le lecteur par une forme littéraire plus élégante, c’est manquer de respect à ce même lecteur et encore plus à la Parole sainte. — Pour revêtir dans leur ensemble ces trois qualités, une version ne doit être ni littérale ni libre. Précisons les termes. Elle ne doit pas être littérale, c’est-à-dire “faite mot à mot,” selon la définition du dictionnaire[2] ; ce serait énerver le sens même, et risquer de le rendre inintelligible, sans parler des lois de la grammaire et de la syntaxe qu’on a toujours tort de braver volontairement. Elle ne doit pas non plus être libre, c’est-à-dire, offrir des additions ou des suppressions qui ne sont pas strictement motivées, affaiblir ou renforcer la valeur d’une phrase ou d’un mot quand les expressions qui correspondent à l’original ne font pas défaut, substituer au langage biblique des explications qui appartiennent à la conception particulière de l’interprète. Qu’il y ait place hors du texte pour les commentaires, extraits, résumés, paraphrases, imitations, etc., c’est bien ; mais que la source reste pure, et ne se transforme pas elle-même en imitation, paraphrase, ou commentaire. — Si une bonne version de la Bible ne doit être ni littérale ni libre, aux divers points de vue qui viennent d’être mentionnés, que doit-elle être ? Comme réponse, et en l’absence d’un qualificatif unique, qu’il soit permis de répéter : exacte, claire, correcte.

Ce n’est pas tout. Il faudrait encore, sans la moindre atteinte portée à aucune de ces qualités, qu’elle se distinguât sous le rapport littéraire par des mérites de style, qui, n’étant pas une conséquence logique de l’exactitude, de la clarté, de la correction, réclament un écrivain d’un talent supérieur. Il faudrait, enfin et par-dessus tout, un homme qui, à la fois savant philologue, poète et littérateur éminent, possédât le sens religieux suffisant pour donner à son œuvre une véritable empreinte biblique, et placer les lecteurs comme en la présence directe des révélations divines, dont il ose se rendre l’interprète.

Voilà les principes. Reste l’exécution. Voilà l’idéal, idéal dont la vue sourit et électrise, mais impossible à réaliser. Est-il besoin, en effet, de proclamer à nouveau qu’une version à tous égards parfaite est chose qui dépasse les forces humaines, individuelles ou collectives ? Qu’on veuille bien y réfléchir. Les ressources d’interprétation dont peut disposer un traducteur, si remarquablement qualifié soit-il, connaissances linguistiques, ethnographiques, archéologiques, étude et comparaison des travaux antérieurs, etc., ces ressources sont purement humaines, sujettes par conséquent à des chances d’erreur, malgré les progrès, disons mieux, en vertu même des progrès dont elles sont susceptibles. Sans doute, celui qui croit, celui pour qui la Bible n’est pas un livre ordinaire, n’entreprendra pas et ne poursuivra pas une œuvre d’aussi longue haleine et d’une nature aussi grave que la version des saintes Écritures, dépôt des révélations du Tout-Puissant, en négligeant de s’appuyer sur le secours de Dieu et de l’invoquer itérativement au milieu de ses incertitudes et de ses défaillances. Mais qui dira dans quelles limites et sous quelles formes le secours divin se manifeste en pareille circonstance ? Peut-on s’attendre à une force surnaturelle qui préserve de toute inexactitude, à une sorte d’inspiration infaillible qui n’a pas même été le privilège des copistes auxquels nous sommes redevables du texte original dont il s’agit de reproduire le sens dans nos langues modernes ? Aux prises avec les difficultés (et pourquoi ne pas l’avouer ?), on se sent vaincu dans plus d’un cas, incapable de rendre d’une manière satisfaisante dans sa propre langue ce dont on a, ou croit avoir, la perception nette dans la langue sacrée. Et là même où on pense le mieux réussir en serrant de très-près le texte scripturaire, pour en conserver avec scrupule les tours, les images, la couleur, ne va-t-on jamais trop loin, ne fait-on jamais fausse route ? Puis, que de choses inaperçues, glissées peut-être sous la plume contre toute intention et malgré les principes !

En dehors de ces imperfections, dont aura son inévitable part la traduction nouvelle que nous offrons au public religieux, ce qui frappera plus rapidement le lecteur, ce sont les passages interprétés autrement qu’ils ne le sont dans les versions usuelles. Mais ceux qui sont au courant du mouvement de la science et des progrès de la philologie sacrée n’éprouveront à cet égard aucun étonnement pénible. Il y avait dans les versions antérieures des inexactitudes à faire disparaître, signalées par les hommes les plus compétents de toutes les nuances théologiques : aussi n’est-ce en aucune façon le désir d’innover qui a poussé le traducteur à sortir de la voie traditionnelle, il s’y est vu contraint par un sentiment de fidélité. Observons, en outre, que les changements adoptés ne sont pas tous des rectifications d’erreurs incontestables. Il en est qui doivent être attribués à une simple préférence entre deux ou plusieurs interprétations possibles, dont l’une a paru réunir en sa faveur la plus grande somme de probabilités. On comprend qu’il s’agit ici de ces difficultés tenant à l’état matériel du texte, ou à d’autres circonstances propres à exercer la sagacité des linguistes et à les conduire à des résultats différents.

À tout ce qui précède nous avons hâte maintenant d’ajouter une réflexion. Si la vérité nous a imposé le devoir de parler en toute franchise, nous ne voudrions point par là ébranler outre mesure la confiance que bien des personnes pieuses ont conservée jusqu’à ce jour pour nos anciennes versions, qui ont nourri la foi et le sentiment religieux de plusieurs générations. Les divergences, si nombreuses qu’elles soient pour le style et même pour le fond des choses, portent la plupart sur des points secondaires ; et, dans les cas où elles ont une réelle importance, elles ne sont pas de nature à effrayer les consciences et à faire chanceler la foi. Tout lecteur bien disposé trouve et trouvera toujours dans la Parole sainte, plus ou moins correctement exprimée, l’aliment spirituel qui lui suffit, et n’aura pas de peine à reconnaître les vues miséricordieuses de l’Éternel, se manifestant à travers les âges pour le salut de l’humanité pécheresse.

Que Dieu, le souverain Pasteur des âmes, qui dirige tous les événements, accorde à notre œuvre, si telle est sa volonté, une part d’influence pour l’avancement de son règne !


Genève, 31 octobre 1873.
LOUIS SEGOND


REMARQUES


Le texte massorétique, transmis à nous par les Juifs, a servi de base à cette traduction. On s’en est écarté seulement dans des cas exceptionnels et indispensables, et d’après les autorités les plus accréditées ; mais on a rejeté toute variante ne reposant que sur une opinion particulière.

La ponctuation, si importante pour la détermination du sens, a été l’objet d’un soin tout spécial. L’instrument le plus utile à cet effet, bien qu’il ne soit pas infaillible, ce sont les accents hébreux, dont l’une des fonctions consiste à marquer les rapports de chaque mot avec la phrase entière sous le point de vue des liens et des pauses.

La division du texte en versets, telle que nous l’avons aujourd’hui, n’est pas antérieure au septième siècle ; mais diverses séparations ont une origine plus antique. La division en chapitres, comme elle existe dans nos Bibles, date du milieu du treizième siècle : elle est loin d’être irréprochable et à tous égards rationnelle. Tout en conservant à la marge cette double indication des versets et des chapitres, le traducteur a divisé le texte en fragments plus conformes au contenu, et les a fait précéder de sommaires courts et précis.

Les noms propres ont été rectifiés dans leur orthographe, reproduite exactement la même dans tous les passages où ils se rencontrent. Mais les plus connus, comme Moïse, Salomon, Ésaïe, Jérusalem, etc., ont été maintenus tels que l’usage les a consacrés, quoiqu’ils soient écrits d’une tout autre manière en hébreu.

Les notes, au nombre d’environ six cents, qui figurent au bas des pages, ne doivent nullement être considérées comme donnant à notre œuvre le caractère d’une version avec des notes. Elles constituent un timide essai, qui témoigne de nos vœux en faveur d’éditions de l’Ancien Testament, présentant des notes en quantité suffisante et composées avec assez de discernement pour faciliter l’intelligence du texte, sans entrer dans la voie des commentaires ni donner lieu à des discussions théologiques.

Enfin, pour ce qui concerne le mode de transcription des fragments poétiques, nous renvoyons à l’Avertissement qui va suivre.


AVERTISSEMENT

concernant les fragments poétiques




Un grand nombre de fragments de l’Ancien Testament, et même des livres entiers, ont un caractère poétique impossible à méconnaître. Dans le but de les distinguer nettement de la prose, et de faciliter en même temps l’intelligence du contexte, on a recouru à un artifice typographique, au sujet duquel certaines explications paraissent nécessaires.

La poésie hébraïque offre-t-elle des vers proprement dits, avec un système métrique déterminé ? Cette question, débattue depuis des siècles, n’a pas encore reçu de solution péremptoire. Toutefois, dans l’état actuel de la science, le manque de faits et d’arguments décisifs porte plutôt à conclure d’une manière négative.

Le trait le plus incontestable de cette poésie, et le seul qu’on a tenté de reproduire aux yeux du lecteur, dans cette nouvelle traduction, c’est ce qu’on appelle le parallélisme des membres, qui se manifeste soit par un contraste, soit par une répétition ou par un développement de la pensée.

En vertu de ce phénomène, tout verset se présente ordinairement comme formé de deux parties ; et chacune de ces parties renferme un ou plusieurs membres, constituant le parallélisme. Dans l’exécution typographique, on a réservé une ligne pour chaque membre. Le commencement du verset est indiqué par une ligne sans renfoncement, le début de la seconde partie par un renfoncement, et les autres membres par un double renfoncement.

Éclaircissons par quelques exemples.

Le cas le plus simple est celui de deux membres, dont un pour chaque partie du verset.

_____La justice élève une nation,
_______Mais le péché est la honte des peuples.

_______________________________Prov. XIV, 34.

Lorsqu’il y a trois membres, c’est tantôt la première partie qui en renferme deux, tantôt la seconde.

Les liens de la mort m’avaient environné,
Et les angoisses du sépulcre m’avaient saisi ;
J’étais en proie à la détresse et à la douleur.

Ps. CXVI, 3.

Pourquoi t’abats-tu, mon âme, et gémis-tu au dedans de moi ?
Espère en Dieu, car je le louerai encore ;
Il est mon salut et mon Dieu.

Ps. XLII, 12.

Enfin, la période est susceptible de proportions encore plus grandes. Dans l’exemple qui suit, il y a cinq membres, trois pour la première partie du verset, et deux pour la seconde.

Les ennemis de l’Éternel trembleront ;
Du haut des cieux il lancera sur eux son tonnerre,
L’Éternel jugera les extrémités de la terre ;
Il donnera la puissance à son roi,
Et il relèvera la force de son oint.

I Sam. II, 10.

Le parallélisme chez les prophètes est loin d’être aussi caractérisé que chez les poètes lyriques ou didactiques, comme les auteurs des Psaumes, des Proverbes, de Job, du Cantique des Cantiques. Parfois, il est vrai, le prophète prend un élan qui le rapproche de ces derniers ; et il est facile alors de découper la période de la manière que nous avons indiquée. Mais, bien souvent, le langage prend des formes oratoires, qui ont toute l’animation rythmique, sans laisser subsister le parallélisme des membres. Il se trouve aussi, dans les écrits des prophètes, des portions historiques ou narratives, pour lesquelles un arrangement métrique ne saurait convenir, et que le lecteur pourra distinguer des autres sans aucun effort. L’Ecclésiaste, enfin, bien que classé parmi les livres poétiques, est composé dans un style qui ne diffère pas sensiblement de celui de la prose.

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AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR




I

Cette version du Nouveau Testament complète une œuvre entreprise il y a seize ans, et dont le premier résultat a été la traduction de l’Ancien Testament d’après le texte hébreu, imprimée à Genève et publiée en 1874[3].

Les principes suivis par le traducteur ne diffèrent à aucun égard de ceux qui sont exposés dans l’Avant-propos, placé en tête de l’Ancien Testament : il serait superflu de les répéter ici. Nous renvoyons au même document pour l’esquisse historique des versions de la Bible. Ajoutons seulement que le Nouveau Testament, en particulier, a été, ces dernières années, l’objet de travaux remarquables, dont la valeur ne saurait en aucune façon être amoindrie par la présente publication.

Mais, pour les hommes distingués qui ont accompli ces travaux, une question préalable s’est imposée, comme à nous, et n’a pas reçu par tous la même solution. Tel d’entre eux a pris pour guide unique, dans le choix d’un texte grec, le plus ancien des manuscrits connus ; d’autres se sont rattachés entièrement ou à peu près à ce qu’on appelle le texte reçu ; d’autres ont tenu compte de l’ensemble des manuscrits et des variantes qui s’y trouvent, et ils ont estimé pouvoir se permettre de conformer leur traduction à celles de ces variantes qui leur paraissaient les plus autorisées. Ceux qui ont suivi cette dernière marche, en rapport avec le mouvement scientifique de notre époque, ont été facilités par les études spéciales faites sur tous les manuscrits de quelque importance et par les éditions critiques qu’ont publiées des savants de premier ordre.

Quelques développements sont nécessaires.

Il n’en est pas du Nouveau Testament comme de l’Ancien. Le texte hébreu de celui-ci ne nous est parvenu que sous une seule forme, déterminée par des docteurs juifs appelés massorètes, lesquels ont réussi à faire disparaître tous les anciens manuscrits utilisés pour leur travail, et à établir l’uniformité dans les copies postérieures (dont aucune ne remonte au delà du onzième siècle) et dans les éditions imprimées. Le texte grec du Nouveau Testament, au contraire, a été conservé dans des centaines de copies, qui vont du quatrième au quinzième siècle, et qui, sous une première apparence de confusion, laissent percer des traces de plus ou moins de parenté, de plus ou moins d’indépendance, si on les compare les unes aux autres.

Il y avait là pour qui était tenté de se mettre à la poursuite du texte primitif une ample moisson de matériaux. Mais aussi quel labeur ! quelles difficultés ! quelles impossibilités ! Plus d’autographes, plus de copies immédiates ; seulement des copistes de copistes, avec leurs imperfections et leurs erreurs ; et, pour les redresser, des hommes également faillibles, incapables d’arriver à des résultats complets, dégagés de toute incertitude. Il faudrait, en effet, connaître et étudier à fond tous les manuscrits existants, les comparer entre eux, en constater les divergences ou variantes, poser des règles sûres pour guider dans leur choix, appliquer ces règles en procédant pratiquement au triage, et, pour couronnement de l’œuvre, produire une édition parfaite, fruit de toutes ces conditions réunies. Qui est, qui sera jamais suffisant ? — N’importe : ce qu’un savant ne saurait atteindre à lui seul, d’autres peuvent l’essayer et lui venir en aide ; ce qu’une génération ne saurait accomplir, d’autres peuvent s’efforcer de le faire et se rapprocher du but. Et si nos Réformateurs, avec leurs principes sur l’infaillibilité absolue des Ecritures, se sont peu préoccupés du soin de découvrir des variantes, il s’est trouvé plus tard des personnes douées de ces qualités que réclament au plus haut degré des études patientes et de longue haleine. La carrière une fois ouverte, beaucoup s’y sont jetés avec ardeur, et les recherches ont été se multipliant jusqu’à nos jours. En 1707, l’Anglais Mill, après un immense labeur, constatait déjà l’existence de trente mille variantes pour le Nouveau Testament. Bien des noms célèbres mériteraient d’être cités à côté du sien, jusqu’à ceux de Lachmann, de Tregelles, et de Tischendorf, qui, associant leurs travaux aux travaux de leurs devanciers, ont imprimé chacun des éditions critiques, dans le but de ramener le texte grec, sinon à son état primitif, du moins à une pureté relative. C’est ainsi que, prenant naissance il y a deux siècles, l’histoire et la critique du texte sont devenues une science, dont les résultats considérables ne sauraient être envisagés avec indifférence par les traducteurs des Livres Saints. A la vérité, tout n’est pas à l’abri de contestations et de doutes, tous les manuscrits ne sont pas encore collationnés, ni même sans doute découverts : le plus important à certains égards, celui du Sinaï, ne l’est que depuis vingt ans. Mais, s’il reste des progrès à faire dans la science dont nous parlons, comme dans toute autre science, ce n’est point un motif pour ne pas apprécier et utiliser les progrès réalisés.


II

Reportons-nous maintenant à l’époque où, pour la première fois, on vit paraître imprimé un texte grec du Nouveau Testament. C’était en 1516, bien avant le mouvement scientifique dont nous avons rapidement décrit les phases et la portée, et néanmoins, chose à remarquer, quatre-vingts ans après l’invention de l’imprimerie par Gutenberg à Mayence, alors que l’art typographique avait déjà reproduit la Bible en hébreu, en latin, etc.

Donc en 1516, Érasme, de Rotterdam, fit imprimer à Bâle un Nouveau Testament grec. On se servit à cet effet de deux manuscrits du treizième et du quinzième siècle, qui se trouvaient à la bibliothèque de Bâle, et d’une copie de l’Apocalypse également récente, qu’on parvint à se procurer ailleurs. Les éditions qui suivirent, sauf des corrections typographiques, ne furent guère modifiées ; dans la quatrième, Erasme introduisit quelques variantes, tirées de la Bible polyglotte du cardinal Ximènes, publiée en 1520. Parurent ensuite les éditions de Robert Etienne à Paris, de Théodore de Bèze, et des Elzévirs célèbres imprimeurs hollandais. Toutes ces éditions, pour le fond, émanent de celles d’Érasme et en diffèrent peu. La première édition elzévirienne date de 1624, et n’a pas de préface ; mais, en tête d’une nouvelle édition de 1633, les éditeurs placent un avant-propos, où il est dit au lecteur : « Maintenant vous avez un texte reçu de tous, dans lequel nous ne donnons rien de changé ni de corrompu etc. » Cette hardiesse eut un plein succès ; l’expression texte reçu est restée, et ce texte a fait force de loi pendant cent cinquante ans, même jusqu’aujourd’hui pour ceux qui ignorent les travaux critiques des temps modernes ou qui s’en défient sans examen.

Il ne nous a pas été possible de fermer les yeux à la lumière, et, dans l’état actuel de la science, de partir de ce texte pour une nouvelle version du Nouveau Testament. Que faire ?

Au lieu du texte reçu, nous aurions pu suivre le manuscrit du Vatican ou celui du Sinaï, qui partagent le privilège de la plus grande ancienneté (milieu du quatrième siècle). Et, comme il existe déjà une excellente traduction du Vatican, — auquel manquent malheureusement les Epîtres à Timothée, à Tite, à Philémon, la fin de celle aux Hébreux, et l’Apocalypse, — nous aurions arrêté notre choix sur le manuscrit du Sinaï, non encore traduit, et qui seul renferme le Nouveau Testament dans son entier. De cette manière, laissant de côté tous les autres documents et faisant abstraction de notre jugement personnel, nous aurions mis à couvert notre propre responsabilité. Mais nous n’avons pu nous résigner à perdre le bénéfice de tant de découvertes précieuses, de tant de travaux consciencieusement exécutés, et à ne tenir aucun compte des résultats positifs acquis par la science moderne. Plutôt que de nous fixer à un texte unique, notoirement défectueux, quelle qu’en soit la valeur, nous avons préféré mettre à profit l’ensemble des ressources propres à nous faire obtenir l’expression la plus approximative du texte primitif. Il est vrai que cette marche entraîne avec elle quelque responsabilité. Mais une telle responsabilité ne saurait être légèrement taxée d’arbitraire dans le mauvais sens du mot, car il y a pour qui le veut des moyens de contrôle, et l’arbitraire proprement dit n’aurait ici rien à gagner. Au surplus, quand on prend la responsabilité d’interpréter la pensée des auteurs sacrés, comme le fait indispensablement tout traducteur, on a bien le droit d’adopter entre plusieurs variantes celles qui ont en leur faveur le plus d’autorités, et de repousser celles qui ne sont dues peut-être qu’à l’inadvertance d’un copiste. Du reste, comme on va le voir, la tâche n’est ni aussi difficile ni aussi périlleuse qu’on le supposerait tout d’abord.

Il est généralement admis que les plus anciens manuscrits sont ceux qui offrent le plus de garanties, les altérations se multipliant dans les copies de siècle en siècle. Or, en ne dépassant pas le dixième siècle, on ne compte guère que cinquante manuscrits, dont aucun n’est complet, excepté celui du Sinaï, et dont plusieurs ne contiennent que quelques versets ou des fragments plus ou moins longs. Cela réduit singulièrement le travail de comparaison. Ce n’est pas tout. Il n’est plus même besoin d’aller étudier les plus étendus et les principaux de ces manuscrits à Rome, à Pétersbourg, à Londres, à Cambridge, ou à Paris : tous ont été reproduits avec soin par la typographie, et celui qui s’y intéresse peut les consulter dans son propre cabinet. Enfin, les grandes éditions critiques de Lachmann, de Tregelles, et de Tischendorf, tout en donnant un texte épuré selon les lumières de leurs auteurs, font accompagner ce texte des variantes appartenant aux divers manuscrits, en sorte que le traducteur peut aisément y opérer des modifications toutes les fois qu’il n’accepte pas les choix pour lesquels son guide a cru devoir se décider.

En conséquence, nous avons pris pour base de notre version la dernière édition de Tischendorf, dite octava critica major, terminée en 1872. Certes, elle ne saurait affirmer la prétention d’une reconstitution exacte du texte primitif, sans aucune chance d’incertitude, ce qui jamais n’arrivera ; mais tout homme compétent n’éprouvera pas la moindre hésitation à lui assigner une supériorité prononcée sur le texte reçu. Disons encore que nous n’avons point abdiqué notre droit de discuter les variantes admises par Tischendorf, et d’incliner en plus d’un cas du côté où les autorités nous semblaient mieux établies.

Après tout, que nul de nos lecteurs ne s’épouvante à propos de la diversité des manuscrits et de la multiplicité des variantes qu’on y rencontre. Nous déclarons hautement, avec tous les hommes versés dans ces matières, que les variantes du Nouveau Testament, si nombreuses soient-elles, ne sont aucunement de nature à altérer en rien la vérité et les faits évangéliques. La plupart, en effet, portent tantôt sur l’orthographe et sur des détails de grammaire ou de syntaxe qui n’ont pas d’influence sensible dans une traduction, tantôt sur la substitution d’un synonyme à un autre, sur l’addition ou la suppression d’une particule, d’un mot de peu de valeur, etc. ; les variantes qui ont plus d’importance sont en très faible quantité relative. S’il y a là de quoi rassurer les esprits inquiets, nous ne voudrions pas cependant qu’on en vînt jusqu’à l’indifférence ou au blâme en face de légitimes efforts pour se rapprocher le plus possible de la pureté primitive du texte sacré. Tout chrétien, au contraire, doit les suivre avec intérêt, et s’en réjouir.

Pour ce qui concerne l’œuvre elle-même de la traduction que nous soumettons au public religieux, nous n’avons pas autre chose à dire sinon que nous l’avons accomplie sous le regard de Dieu, avec les forces qu’il nous a données. A Lui, s’il le juge convenable, d’en faire un instrument de bénédiction pour les disciples de son Fils. A Dieu seul soient la gloire, la miséricorde et la grâce par Jésus-Christ notre Sauveur !


_____Genève, 22 octobre 1879.

LOUIS SEGOND




REMARQUES

1. Les passages entre crochets [ ] appartiennent au texte reçu ; ils ont été conservés sous cette forme par égard pour l’opinion traditionnelle, mais ils sont omis par les meilleures autorités critiques.

2. Les notes, au nombre d’environ sept cents, roulent sur des points relatifs à la géographie, à l’histoire, à l’archéologie, à l’étymologie, sans toucher aux questions dogmatiques ou théologiques.
Un index des principales se trouve à la fin du volume.

3. Les citations de l’Ancien Testament sont reproduites telles qu’on les lit dans notre version de l’A. T., toutes les fois que les termes du grec correspondent exactement à ceux de l’hébreu. Un index de ces citations se trouve à la fin du volume.

  1. La version de Paris n’est pas encore achevée : huit livraisons ont paru.
  2. Dans une acception plus généralement admise, notre traduction sera certainement, et à juste titre, classée parmi les versions littérales.
  3. La Sainte Bible. Ancien Testament, traduction nouvelle, d’après le texte hébreu, par Louis Segond, docteur en théologie. Genève, 1874, 2 vol. in-8o.