Alphonse Lemerre, éditeur (p. 119-123).

XXI

BERTHE ET PÉPIN

Le sergent qui les guide a reconnu la place :
Le vieil arbre, le chemin creux, c’est bien cela.
Un grand besoin d’agir soutient leur force lasse.
Mais, naturellement, Berthe n’était plus là.

Déjà le ciel brunit. Le cœur du roi tressaille,
Et son dernier espoir s’éloigne avec le jour.
Mais voici que, dans l’ombre, écartant la broussaille,
Cette femme qui vient, c’est Berthe, son amour.

Tandis qu’elle brodait, rêveuse, en sa chaumière,
Le cœur plein d’un mystérieux et tendre émoi,
Il lui sembla qu’un ange en robe de lumière
De loin lui faisait signe et lui disait : « Suis-moi ! »

Sans surprise, docilement, elle est venue.
Elle est là maintenant, grave et craintive un peu.
Le roi Pépin la prend par sa blanche main nue,
Et les parfums du soir embaument leur aveu.

« C’est donc vous, cette fois, vous que j’ai tant aimée,
Vous que je pressentais absente obscurément !
Je vous ai. Votre main tremble en ma main fermée…
Ce n’était donc pas vous qui faisiez mon tourment.

« Je regarde et je vois. Quand je maudissais l’autre.
Et que je détestais son âme en son beau corps.
Le corps seul, que j’aimais, était un peu le vôtre,
Et je ne pouvais pas adorer sans remords.

« Je comprends maintenant pour quel espoir tenace
Malgré moi, mon amour ne voulait pas mourir.
L’avenir était sombre en moi. Vaine menace !
Mon cœur ne s’est pas clos, puisqu’il devait s’ouvrir.

« Et toi, que faisais-tu ? Moi ce n’est pas ma faute
Si l’autre avait sa place en mon lit, sous mon dais.
Toujours, assis, couchés, nous vivions côte à côte. »
Et Berthe, en rougissant, lui répond : « J’attendais. »

Blanchefleur à son tour s’approche et l’on s’embrasse.
On pleure et l’on sourit. Tableau simple et charmant :
Mère et fille, femme et mari. Je vous fais grâce,
Et ne décrirai point leur attendrissement.

Vous saurez seulement que, dans le crépuscule,
Dont la pénombre tendre emplit au loin les bois,
Pépin parlait d’amour sans être ridicule,
— Et vraiment c’était bien pour la première fois…



Maintenant le public aime qu’on le renseigne
Sur les héros qu’on laisse en des cas hasardeux.
C’est un vœu trop connu pour que je le dédaigne.
Sachez donc en trois mots tout ce qu’il advint d’eux :
Je ne vous ai pas dit que Margiste était morte,
— C’est un oubli ; — Margiste est morte, — ayant pris froid…
D’Alix et de Tybert, l’histoire nous rapporte
Que Berthe intercéda pour eux auprès du roi.
Blanchefleur retourna très heureuse en Hongrie.
Maître Simon devint sabotier de la cour,
— Emploi que l’on créa tout exprès, je vous prie ; —
Quant à Berthe et Pépin, ils s’aimèrent d’amour…

Vous voyez, tout cela finit par un sourire,
L’histoire est toute simple, et je n’ai qu’un regret,
C’est que pour la conter il ait fallu l’écrire,
Et puis conter en vers, c’est peut-être indiscret.