Alphonse Lemerre, éditeur (p. 73-75).

XIII

LA FORÊT DU MANS

Un coin de bois perdu dans la forêt du Mans.
Des arbustes épars alentour d’un vieux chêne,
Si touffu que la nuit semble toujours prochaine :
La chouette l’emplit de ses hululements.

C’est là que, sans scrupule, ayant juré sa perte,
Les poches tintant clair de l’or qu’ils ont reçu,
Valets du noir complot que Margiste a conçu,
Trois sergents — rengagés — traînent la pauvre Berthe.

Dieu même en sa faveur ne s’est point déclaré,
Pour d’autres criminels réservant son tonnerre,
Et voici qu’à présent Berthe la débonnaire
Va périr sans absoute et sans miséréré.

Déjà les trois sergents ont tiré leur épée :
Berthe attend d’un cœur ferme et d’un corps anxieux,
Et, pour ne pas se voir mourir, ferme les yeux…
— Mourir, oh ! n’être plus qu’une tête coupée !

S’en aller d’ici-bas, sans avoir eu sa part !…
Faudrait-il croire, enfin, ce qu’ont dit les sceptiques,
Que le vrai Dieu n’est pas le bon Dieu des cantiques,
Et qu’il est trop partout pour être quelque part !

Mais, dans l’instant précis que Berthe désespère,
Sur un nuage d’or au céleste reflet,
— Et ce nuage, c’est sa barbe s’il vous plaît ! —
Vint à passer par là, brave homme, Dieu le père.

Son clair regard qui met en fuite les péchés
Se pose doucement sur ces hommes de crimes,
Et tous trois, au moment de frapper leur victime,
Par un trouble inconnu se sentent empêchés.

« À quoi bon nous charger d’un meurtre ? Pourquoi faire ?
Dit l’un d’eux. Reprenons, frères, notre chemin.
Nous soutiendrons qu’elle a péri de notre main,
Et les bêtes du bois en feront leur affaire. »

Sitôt dit, sitôt fait. Ils s’éloignent. Leurs pas
Traînent sinistrement sur les feuilles durcies ;
Et bientôt la nuit tombe aux branches obscurcies.
Berthe est seule, et voudrait crier, et n’ose pas.