Bernard Palissy, étude sur sa vie et ses travaux/Chapitre IX

CHAPITRE IX

Palissy huguenot. — Pourquoi il embrassa le calvinisme. — Calvin à Angoulême ; — en Saintonge ; — à Poitiers. — Louis du Tillet. — Premiers prédicants. — Antoine de Pons et Calvin. — Les Parthenay, les d’Aubeterre et Palissy. — Philebert Hamelin prêche la Réforme. — Le cardinal de Bourbon, évêque de Saintes. — Premiers supplices. — Hamelin et Palissy.

Palissy fut une des âmes honnêtes que séduisit un prétexte de réforme. Homme de mœurs pures, il vit uniquement dans les premiers apôtres du calvinisme quelques chrétiens de la primitive Église. L’ardeur qu’ils montrèrent, la foi qui les animait, le nom de Dieu qu’ils invoquaient sans cesse, la régularité de vie de trois ou quatre néo-convertis, qui contrastait avec les déportements d’un plus grand nombre de catholiques, inévitables dans une agglomération de dix à quinze mille âmes, et faut-il le dire ? peut-être les persécutions qui les assaillirent, et qu’ils supportèrent avec l’orgueil et le courage des néophytes, frappèrent le modeste artisan et lui firent illusion.

En ce moment, rien encore n’indiquait pour lui une révolution radicale ; les apparences de l’orthodoxie étaient sauvées ; le schisme était discrètement voilé ; l’hérésie habilement dissimulée. Aussi dans le récit que maître Bernard nous a laissé des commencements de la Réformation à Saintes, que voyons-nous ? Des moines apostats qui tonnent contre les abus (page 100) ; des prêtres qui résistent parce qu’ils possèdent « quelque morceau de benefice (page 100) qui aidoit à faire bouillir le pot ; » de braves gens qui eurent « les yeux ouverts et cogneurent beaucoup d’abus qu’ils avoient auparavant ignorez ; « des prédicants qui découvrent « les abus assez maigrements ; » un chanoine de Saintes, nommé Navières, théologien, qui a « commencé à descouurir les abus ? » (page 101), mais qui se rétracte parce qu’il a peur d’être privé de sa prébende ; « le peuple déceu en ses biens » (page 103) ; un procureur, greffier criminel, qui ne faisait les prières et n’allait à la messe « que pour auoir (page 111) les gerbes et fruits des laboureurs ; » des paysans qui refusent la dîme (page 110) ; les laboureurs qui « commencent à gronder en payant les dixmes » (page 8).

M. Dumesnil-Michelet, qui a écrit sa Vie au point de vue démocratique, le reconnaît : « La question se réduisait pour Palissy, comme pour le peuple, à une réforme purement morale du clergé, à une diminution des charges dont les propriétaires de bénéfices, par leurs fermiers, accablaient les paysans, et nullement aux controverses théologiques de hiérarchie et de dogme. Les modifications dans le dogme ne vinrent que plus tard. Luther et Calvin n’imposèrent leurs systèmes que lorsque les esprits, aigris par les luttes, furent rejetés par la persécution dans les partis extrêmes. »

Fait étrange ! les noms de Luther ou de Calvin ne se trouvent pas dans les livres de maître Bernard ! Il raconte les débuts de la Réforme ; il nomme d’infimes prédicants ; il narre par le menu tout ce qui se dit ou se passe, jusqu’aux pommes de terre que mangeait un ministre, et il omet le nom de Luther ! il ne dit pas non plus celui de Calvin ! Tous ces pasteurs qu’il entretient à Saintes viennent de Genève ; ils ont dû lui parler du maître, de sa doctrine ; et Palissy n’a pas un mot pour lui ! Ce silence est digne de remarque. Aussi fournit-il un argument de plus à ceux qui prétendent que maître Bernard n’a jamais été réellement hérétique, mais seulement un de ces hommes modérés qui ont des sympathies pour un parti sans s’y enrôler, et, en temps de révolution, souffrent même pour des opinions qu’ils n’ont pas.

On ne peut trouver chez Palissy un seul mot, montrant que d’abord il avait vu, dans un changement de religion, une rupture avec l’Église catholique. Ce n’est que peu de temps avant 1557, dit-il, que quelques-uns (page 104) « tacitement et avec crainte detractoyent de la papauté. » Auparavant « l’Église réformée... (page 103) n’avoit aucune apparence d’Église. » Mais alors il y avait dix ans au moins que Palissy était huguenot.

D’après son récit, on peut rapporter à l’année 1546 son abjuration. Les idées de réforme ne pénétrèrent qu’assez tard en Saintonge et dans la région de l’Ouest. C’est Calvin lui-même qui les y apporta. Avant son voyage, on ne reconnaît nul indice de la doctrine nouvelle ; après lui, les prédicants parcourent le pays.

Calvin, né à Noyon en Picardie, le 10 juillet 1509, un an avant Palissy, après avoir étudié en 1527 la jurisprudence à Orléans, sous Pierre de l’Estoile, puis à Bourges, sous l’Italien André Alciati, et appris avec Théodore de Bèze, son futur historien, le grec que leur enseigna Melchior Wolmar, vint, fuyant Paris où ses idées luthériennes avaient failli le faire arrêter, se réfugier, sous le nom de Charles d’Espeville, à Angoulême au commencement de 1534. La rue de Genève en cette ville doit, dit-on, son nom au séjour qu’il y fit. Il se lia avec un chanoine de la cathédrale, curé de Claix, Louis du Tillet, d’une famille riche et distinguée, et frère de Séraphin du Tillet, chevalier, valet de chambre de François Ier, de Jean du Tillet, greffier en chef du parlement de Paris en 1521, par la démission de Séraphin et de Jean, qui fut évêque de Saint-Brieuc, en 1553, puis de Meaux, en 1565.

Louis du Tillet donna à Calvin l’hospitalité dans la maison paternelle où Jean du Tillet avait réuni trois ou quatre mille volumes rapportés de ses voyages. Il en reçut des leçons de grec, et aussi les premières notions d’hérésie. Ils composaient ensemble de courtes exhortations, que le curé de Claix et peu à peu ses confrères des paroisses voisines débitaient aux prônes du dimanche, et qui accoutumaient sans bruit le troupeau à prendre les erreurs de son pasteur.

Calvin lui-même conservait les formes extérieures du culte dont il avait au fond renié le dogme. Il assistait aux cérémonies de l’Église. Appelé trois fois à prêcher en latin dans la cathédrale d’Angoulême, il garda devant le clergé assemblé les apparences de la plus pure orthodoxie. Mais il se dédommageait bien vite de cette crainte hypocrite, et poussait en tapinois à la révolte le prieur de Boutteville, Antoine Chaillou ; l’abbé de Bassac ; puis Charles Girault d’Anqueville ; puis Hélie de la Place, seigneur de Torsac, qui fut maire d’Angoulême en 1561, et était frère du célèbre Pierre de la Place, président à la cour des aides de Paris, assassiné à la Saint-Barthélemi. Ce furent là ses premières recrues. Il les réunissait secrètement à Girac en la paroisse de Saint-Michel d’Entraigues, maison aux portes d’Angoulême, qu’habitait ordinairement Antoine Chaillou, et leur lisait les chapitres de son Institution chrétienne qu’il publia l’année suivante 1535. Du Tillet les attirait aussi à sa cure de Claix, et plus tard logea le maître lui-même à Saint-Saturnin.

Pendant son année de séjour à Angoulême, Calvin fit plusieurs voyages. Peut-être vint-il en Saintonge. Plusieurs traditions locales le font prêcher à la Rochelle et à Saint-Jean-d’Angely. Ce sont de purs on-dit qui n’ont rien de sérieux. Une vigne nommée la Calvine et une partie d’assez vastes bâtiments appelés la Chambre de Calvin, près de l’église actuelle de Saint-Saturnin, les Grottes de Calvin, en la paroisse des Trois-Palis, sont les seules traces réelles du passage de Calvin qui soient restées dans la mémoire des habitants.

Calvin quitta Angoulême en 1535. Il était accompagné de Louis du Tillet, qui le suivit même hors de France quand il fut contraint de sortir du royaume. Disons ici que Louis du Tillet fut si peu édifié de ce qu’il vit à Genève où, selon Théodore de Bèze, toute la Réformation ne consistait guère que dans la cessation du culte catholique et la disparition des images et statues de saints, qu’il abandonna son maître. Il fit abjuration publique en 1539, reprit ses fonctions ecclésiastiques, et parvint plus tard à la dignité d’archidiacre d’Angoulême.

En laissant Angoulême, Jean Calvin, ou Charles d’Espeville, s’était rendu à Poitiers pour y voir la bibliothéque « tant fameuse et tant renommée, » qui fut brûlée plus tard par ses sectateurs, et pour y visiter un docteur régent de l’université, Charles Le Sage, originaire de Noyon, comme lui. Il y fut hébergé par François Fouquet, prieur des Trois-Moustiers en bas Poitou, et chez Rénier, lieutenant général de la sénéchaussée, rue des Basses-Treilles. C’est de là que, sur l’ordre de l’apôtre, partirent les missionnaires de la foi nouvelle. Calvin les réunissait sur les bords du Clain, à une grande lieue de Poitiers, près du joli bourg de Saint-Benoît, dans les grottes des Croutelles et de Saint-Benoît. Une d’elles, nommée Grotte de Calvin, servait ordinairement de temple ; elle fut témoin de la première cène calviniste. Ainsi préparés se mirent en route Jean Vernou pour les campagnes du Poitou, Albert Babinot, docteur en droit, pour Toulouse, et Philippe Véron, procureur, sous le sobriquet de Ramasseur, pour l’Aunis, la Saintonge et l’Angoumois.

Sous François Ier, l’hérésie n’avait jeté dans la contrée que quelques étincelles. Le sol n’était pas propre à les recevoir ; mais les mécontentements provoqués par l’impôt du sel et par les troubles des Pitaux leur allaient fournir un aliment inespéré et puissant. Sous Henri II, l’incendie commence ; ce n’est bientôt qu’un vaste embrasement.

Un de ceux qui introduisirent la Réforme en Saintonge et qui en furent les ardents propagateurs, fut certainement Antoine de Pons. Antoine, sire de Pons, comme nous l’avons vu, avait été en Italie chevalier d’honneur de la duchesse de Ferrare. Renée de France, qui avait déjà accueilli dans son palais Clément Marot, y donna asile en 1535 à Calvin et à Louis du Tillet. Pendant quelques mois de séjour, le réformateur acheva de gagner à sa cause l’âme hésitante de la princesse. Par ses prédications secrètes il fit embrasser sa doctrine d’abord à madame de Soubise, puis à sa fille Anne de Parthenay, puis à son fils Jean de Parthenay, seigneur de Soubise. Antoine de Pons, sous le charme de sa jeune, belle et savante épouse Anne de Parthenay, n’eut pas de peine à adopter ses opinions religieuses. Ainsi la cour de Ferrare se trouvait presque entièrement protestantisée.

Ces importants changements dans la maison de la duchesse ne purent passer inaperçus. Le pape Paul III les allégua comme un des motifs qui lui faisaient refuser à Hercule d’Este l’investiture de son duché de Ferrare, concédé à la maison d’Este par Alexandre VI. Pour ôter tout prétexte, madame de Soubise dut avec ses enfants quitter Ferrare en 1538. Elle y était depuis dix ans, raconte le grand mathématicien François Viète, précepteur de Catherine de Parthenay et conseiller de la maison de Soubise, dans ses Mémoires inédits de la Vie de Jean l’Archevesque, que possède M. B. Fillon, elle y était « autant aimée et honorée que jamais dame française qui y fust, mesme du duc Alphonse, qu’on tenoit pour le plus grand personnage d’Italie ; lequel disoit n’avoir jamais parlé à une si sage et si habile femme, et ne venoit de fois à la chambre de madame de Ferrare, qu’il ne l’entretinst deux et trois heures, disant qu’il ne parloit jamais à elle qu’il n’y apprist quelque chose. »

De retour en Saintonge, le comte et la comtesse de Marennes s’empressèrent de prêcher le calvinisme à leurs vassaux, et firent quelques prosélytes dans les cinquante-deux paroisses composant leurs domaines. Deux ou trois de leurs officiers et plusieurs habitants de Pons se laissèrent gagner pour plaire à leur maître. Yves Rouspeau, qui fut plus tard pasteur de Saujon et de Pons, et qui a laissé un recueil poétique, Poesmes sacrez du Saint-Sacrement de la Cène, et un autre ouvrage, prose et vers, Traicté de l’office des malades, — à Pons, chez Portau, — fut envoyé à Genève pour s’y instruire. Palissy fut-il un de ceux-là ? On peut l’affirmer sans crainte. Curieux, chercheur, le potier se lia avec le grand seigneur qui arrivait d’Italie, la terre désirée. Ils causèrent de sciences, d’art, c’est maître Bernard qui nous l’apprend, et aussi sans doute de religion. La famille de Pons et celle de Parthenay témoignèrent à l’artisan une bienveillance et une protection constantes. Or, cet intérêt ne s’adressait pas à l’artiste. En 1549, Palissy n’était pas l’émailleur célèbre que nous admirons ; il en était encore à ses essais. Eh bien, c’est à cette date que madame de Pons, mourante à Paris, cinq jours avant sa mère, Michelle de Saubonne, recommanda maître Bernard à sa famille et à ses coreligionnaires. Est-ce au lit de mort qu’on songe si vivement à un indiffèrent, à un étranger ou simplement à un homme qui annonce d’heureuses dispositions ? Palissy était certainement un des néophytes de madame de Pons et de son mari. De plus, en 1555, le 22 décembre, Jean d’Aubeterre, seigneur de Saint-Martin-de-la-Couldre, près de Saint-Jean-d’Angely, écrit de Saint-Marsault à sa sœur, Antoinette d’Aubeterre, mariée à Jean de Parthenay, seigneur de Soubise, l’un des hommes les plus influents du parti et habitant alors le Parc-Soubise, paroisse de Mouchamp, en bas Poitou, résidence habituelle de la famille, une lettre citée par M. B. Fillon, où il est question de Bernard Palissy.

Antoinette d’Aubeterre, belle-sœur de madame de Pons et mère de la célèbre Catherine de Parthenay, poëte tragique, comique et élégiaque, est cette Antoinette d’Aubeterre qui, en 1562, montra tant de courage lorsque, menacées d’être poignardées, elle et sa fille, si son époux, assiégé dans Lyon, refusait de livrer la ville qu’il commandait au nom du prince de Condé, lui écrivit de les laisser périr plutôt que de trahir sa cause. Elle était alors en discussion avec ses vassaux. Son frère lui mande que, selon ses ordres et les avis de son homme de confiance, M. de Lyadières, tout est maintenant arrangé. C’est Bernard Palissy et Philebert Hamelin, l’apôtre du protestantisme en Saintonge, qui ont été chargés de régler le différend. « Monr Hamelin et Palissy, y est-il dit, ont besoigné cinq jours durant et esté d’avys qu’il fut faict ainsy que partout l’on a accoustumé faire. Par le devys que a dressé Palissy verrez ce qui raisonnablement est desparty à ceulx de Soubise, et comme iceluy Palissy et Hamelin sont hommes entendus dans ceste affaire, et aultant portez de justices qu’aultres hommes justes, devez estre asseurez que procez ne s’en suyvra. » Plus loin, Jean d’Aubeterre montre ses ardentes convictions : « Je voudrois avoir parlé à vous, pour vous faire tout le discours de ce et de l’advancement de la moisson de l’Église de Dieu en cest quartier et devers les maroys de par delà. »

Pour être associé à un ministre protestant dans une affaire aussi délicate, Palissy ne devait pas être un simple arpenteur ou potier, ou même un grand artiste, mais quelque zélé huguenot. « Ce que n’eut peut-être pas obtenu l’homme de génie, dit M. Fillon, fut accordé au sectaire. » D’après cela, il est clair que, avec la coupe émaillée qui décida la vocation du peintre-verrier, dans les fourgons de voyage d’Antoine de Pons, se trouva le protestantisme qui fit de Palissy un adepte et une victime.

Toutefois les Pons et les Parthenay ne furent pas les seuls à prêcher maître Bernard. Il semblerait même qu’il fut redevable de son abjuration définitive à Philebert Hamelin. Il parle de lui tant de fois et avec tant d’éloges, qu’on est porté à le croire le vrai convertisseur du potier plutôt que les Pons. C’est en 1546, à Saintes, qu’il connut Hamelin. Il ne devait pas y avoir longtemps qu’il était lié avec les seigneurs de Pons ; car Antoine et sa femme ne revinrent d’Italie en Saintonge qu’en 1538 ou 1539. Philebert Hamelin était de Chinon en Touraine. « Il s’estoit despresté, nous apprend la Recepte véritable (page 104), et fait imprimeur... et s’en alloit ainsi par le pays de France, ayant quelques seruiteurs qui vendoyent des bibles et autres livres imprimés en son imprimerie. » Florimond de Rémond nous raconte comment se colportaient ces écrits : « Plusieurs compagnons des imprimeurs de la France et de l’Allemagne, au bruit du profit qu’on leur presentoit, y accouroient, lesquels après s’écartoient partout pour débiter ces bibles, catéchismes boucliers, marmites, anatomies et autres tels livres. Surtout les petits Psalmes, quand ils furent rimez, dorez, lavez et réglez. Leur seule joliveté convioit les dames à la lecture, et comme les avares marchands, au seul flairer du gain, ne craignent de seillonner les mers et prendre le hasard de mille et mille fortunes et tempestes, en cette mesme sorte des compagnons d’imprimerie, à l’appétit du gain qui leur avoit donné le premier goust, et pour avoir plus facile accez ès-villes et sur les champs, dans les maisons de la noblesse, aucuns d’entre eux se faisoient colporteurs de petits affiquets pour les dames, cachans au fond de leurs balles ces petits livres dont ils faisoient présent aux filles, mais c’estoit à la derrobée, comme d’une chose qu’ils tenoient bien rare, pour en donner le goust meilleur. »

Florimond ajoute que ces porte-balles essayaient de gagner moines et nonnes. « On jettoit, dit-il, des petits buletins et des livrets propres pour les séduire par dessus les murailles de leurs cloistres, ou, par le moyen de colporteurs, on leur faisoit tomber en main ce qu’on jugea propre à telles amorces. » Quand, attirés par les riantes perspectives qu’on leur offrait, quelques religieux et religieuses avaient fui leur couvent et s’étaient mariés, « la pauvreté les assailloit. » Alors ils demandaient leur existence au métier qui la leur avait enlevée. « Ils se faisoient colporteurs de livres, quinquailleurs, regens, ministres. » (Liv. VII, page 916, 917.)

Philebert Hamelin, qui avait été gagné en Touraine ou en Poitou par quelque disciple de Calvin, était venu en Saintonge dès l’année 1546. Avec trois prêtres ou religieux qui avaient, comme lui, jeté le froc aux orties, il avait parcouru le littoral. Tous ils feignaient un métier ou « regentoyent en quelque village (page 100), et parce que les isles d’Olleron, de Marepnes et d’Alleuert, sont loin de chemins publics, il se retirera en ces isles là quelque nombre desdits moines, ayans trouvé divers moyens de vivre sans estre cogneus ; et ainsi qu’ils frequentoyent les personnes, ils se hazardoyent de parler couuertement iusques à ce qu’ils fussent bien asseurez qu’on n’en diroit rien. »

Parfois, quand ils voyaient les laboureurs aux champs, rangés autour de la modeste écuelle de leur repas, ou prêts à prendre, à l’ombre d’une haie, le repos de midi, ils s’approchaient, feignant aussi d’avoir besoin de faire la sieste ; ils se mêlaient à la conversation, et essayaient d’endoctriner les braves gens. On les écoutait. Mais les paysans ont la tête dure et le poing solide ; et ceux-là étaient Saintongeois. Ils se courrouçaient maintes fois en comprenant où en voulaient venir les prédicants. La fuite seule sauvait Hamelin et ses compagnons des horions peut-être qui les eussent transformés en martyrs. Cependant, favorisés secrètement par un grand vicaire, ils obtinrent de prêcher dans les églises. Mais l’émoi que leurs propositions jetèrent dans ces populations fut si grand, que le bruit en arriva à Saintes.

L’évêque de Saintes était alors (1544-1550) Charles, cardinal de Bourbon, frère d’Antoine, roi de Navarre, le même qui fut, en 1589, élu roi par la Ligue sous le nom de Charles X, au mépris de la loi salique et au détriment de son neveu, Henri IV. Il se trouvait alors à la cour. Le procureur fiscal de Saintes, Collardeau, lui écrivit que son diocèse était plein de luthériens. Il alla lui-même le trouver, et obtint de lui une commission, du parlement de Bordeaux une bonne somme de deniers pour rechercher les fauteurs d’hérésie. On arrêta à Saint-Denis-en-l’île-d’Oléron, le frère Robin, moine défroqué ; à Arvert, sur la côte, un autre appelé Nicole ; et à Gemozac, bourg à cinq lieues de Saintes, un troisième dont le nom est resté ignoré, qui « tenoit eschole la semaine et preschait les dimanches. » Philebert Hamelin fut aussi saisi. Ils furent tous quatre amenés à Saintes.

Hamelin, plein de repentir, reconnut sa faute et fut relâché. Navières (peut-être Pierre Navières, Limousin, dont parle Théodore de Bèze, I, page 85, à l’année 1563), Navières, chanoine de la cathédrale de Saintes et habile théologien, essaya en vain de convertir les autres. Ils s’obstinèrent et furent condamnés à être dégradés. Collardeau se chargea d’exécuter la sentence. Puis ils furent jetés en prison jusqu’à ce qu’on les conduisit à Bordeaux, où le parlement était chargé de connaître des causes d’hérésie. Robin, lui, lime ses fers ; et, une nuit, après avoir exhorté ses codétenus à l’imiter, s’échappe de la geôle de l’évêché où il était sous la garde de quelques chiens. Ses malheureux compagnons qu’il avait si peu généreusement abandonnés, furent condamnés par le parlement de Bordeaux, et « bruslez, l’vn en cestte Ville de Xaintes (page 103) ; l’autre à Libourne, à cause que le Parlement de Bourdeaux s’en estoit là fuy, pour raison de la peste, qui estoit lors en la ville de Bourdeaux. »

D’un autre côté, Nicolas Clinet, né en Saintonge, qu’on poursuivait parce que, sous prétexte d’apprendre la croix-de-par-Dieu aux marmousets, il prêchait à leurs parents la doctrine de Calvin, fut brûlé, mais seulement en effigie.

En 1547, Guillaume Oubert, de Saint-Claud en Angoumois, fut aussi condamné au feu. On le conduisait à Angoulême pour le supplice. Il s’échappa en route.

À la Rochelle, le 10 mai 1552, périssent dans les flammes Pierre Constantin dit Castin et Mathias Couraud dit Gaston Deschamps, convaincus d’hérésie. Un autre habitant, Lucas Monjeau dit Manseau fut seulement battu de verges et banni à perpétuité du royaume. On dit que le président Claude d’Angliers, seigneur de la Saussaye près de la Rochelle, qui prononça la sentence et assista à cette exécution, fut si frappé de la fermeté des patients, qu’il se fit réformé.

La capitale et la Saintonge furent cependant tranquilles pendant une dizaine d’années. Palissy ne nous a narré aucun événement jusqu’en 1557. À cette époque, on voit reparaître sur la scène religieuse Philebert Hamelin. Il avait quitté le catholicisme pour le calvinisme, puis le calvinisme pour le catholicisme ; il quitta une seconde fois le catholicisme pour le calvinisme. À Genève, où il était aller puiser la pure doctrine évangélique, il avait fortifié sa foi chancelante. Calvin, le 12 octobre 1553, le renvoyait prêcher en Saintonge, et le recommandait comme un « homme craignant Dieu, qui a conversé, disait-il, avec nous saintement et sans reproche. » Il arriva à Arvert en septembre 1555, et se mit à parcourir le pays.

Hamelin avait établi à Genève une imprimerie pour y multiplier les exemplaires de la Bible, traduite par Pierre Olivetan, aidé de Calvin, et publiée pour la première fois en 1535 à Neutchâtel ; on a aussi de lui une édition de l’Institution chrétienne (1554) « translatée en françois » par Calvin lui-même. Il cheminait toujours suivi de plusieurs serviteurs pourvus de ces Bibles ; et il vendait ainsi à travers les campagnes de la Saintonge les produits de son établissement. Selon Palissy, le métier était assez lucratif.

Au bout de deux ans de prédications et de débit de Bibles, à Saintes, et encore avec l’aide de Palissy, le pasteur typographe avait « au plus sept ou huit auditeurs. » Aussi un jour, à Arvert, son zèle l’emporte ; un scandale aura peut-être plus d’effet qu’un sermon : il fait sonner la cloche, monte en chaire, s’élève contre l’Église romaine et baptise un enfant, le fils de Jean du Vaux. Les magistrats, qui avaient peut-être dissimulé jusque-là, sont, devant cet éclat de fougue, contraints d’intervenir ; ils l’arrêtent à une lieue de Gemozac, dans le château du seigneur de Périssac, où il avait essayé d’échapper aux poursuites. On l’amena à Saintes.

Palissy, avec un dévouement digne d’éloges, et malgré le péril où il s’exposait, implore pour son ami six des principaux juges et magistrats ; il va les trouver en leurs maisons, leur affirme que Philebert Hamelin est un excellent homme ; il y a onze ans qu’il le connaît, et il l’a toujours vu mener une vie irréprochable. Les juges écoutent ses prières avec bienveillance ; et, sur sa recommandation, le prisonnier fut l’objet des plus grands égards pendant tout le temps qu’il demeura à Saintes. Il y avait division entre les magistrats sur l’application des peines. La sévérité était odieuse ; on laissait souvent dormir les édits, ou bien on les interprétait avec douceur. Les juges de Saintes poussèrent la tolérance jusqu’à désirer qu’on ouvrit au captif les verrous de sa prison, pourvu qu’ils n’en sussent rien, et ils se chargeaient volontiers de ne rien voir.

Tout était disposé pour une évasion. Un avocat avait acheté le geôlier trois cents livres. On ne pouvait faire plus. Hamelin refusa de fuir. Les juges, hésitant entre leur compassion pour l’obstiné et les devoirs de leur charge, car les édits étaient formels, s’avisèrent qu’il était prêtre, et qu’en pareil cas, c’était à un tribunal supérieur que ressortissait la cause. Ils l’envoyèrent à Bordeaux.

Le parlement montra plus de rigueur à son égard. Ayant un jour renversé les objets destinés à la messe qu’on voulait célébrer dans sa prison pour essayer de le ramener une autre fois au culte catholique, Hamelin fut condamné à mort ; le 18 avril 1557, il périt par la corde, et son cadavre fut brûlé.