Beowulf/Botkine/Avertissement

Anonyme
Traduction par Léon Botkine.
Imprimerie Lepelletier (p. 3-5).



BEOWULF




Da veniam cœpto, Jupiter alte, meo.
Ovide.


AVERTISSEMENT

Je crois devoir me disculper, en présentant cette première traduction française de Beowulf, du double reproche qui pourrait m’être adressé d’avoir supprimé des passages du poëme et de n’en avoir pas suffisamment respecté la lettre. D’abord je dois dire que les passages que j’ai supprimés (il y en a fort peu) sont ou très obscurs ou d’une superfluité choquante. Ensuite, il m’a semblé qu’en donnant une certaine liberté à ma traduction et en évitant autant que possible d’y mettre les redites et les périphrases de l’original anglo-saxon, je la rendrais meilleure et plus conforme à l’esprit véritable de l’œuvre. Est-ce sacrifier du reste la fidélité d’une traduction que d’épargner au public la lecture de détails le plus souvent bizarres et inintelligibles ? N’est-il pas plus logique d’en finir de suite avec des artifices poétiques inconnus à nos littératures modernes, plutôt que de vouloir s’escrimer en vain à les reproduire en français ? Et alors même qu’on poursuivrait jusqu’au bout une tâche si ingrate, pourrait-on se flatter en fin de compte d’avoir conservé au poëme son cachet si indiscutable d’originalité ? Non certes ; et c’est ici le cas de répéter avec M. Taine : « On ne peut traduire ces idées fichées en travers, qui déconcertent l’économie de notre style moderne. » Sharon Turner s’était exprimé déjà d’une manière non moins énergique sur ce sujet, ainsi qu’on le verra dans les passages de son livre que je reproduis plus loin. Est-ce à dire cependant que le style du poëme soit dépourvu de tout charme ? Loin de là ; il possède au contraire une saveur sui generis un peu barbare peut-être, mais néanmoins très réelle, que le rythme et l’allitération contribuent en partie à lui donner ; mais c’est à conserver cette saveur que nos langues modernes se montrent tout-à-fait impuissantes[1].

Voilà ce que j’avais à dire sur la traduction. Je dois ajouter que, pour le développement de la partie historique du poëme, si pleine d’obscurité, j’ai suivi l’interprétation qu’en a donnée Grein et qu’on considère en général comme la plus vraisemblable. Cette interprétation elle-même est loin d’être définitive. On doit la considérer comme un bon point de départ, comme une base solide que les travaux ultérieurs de la critique compléteront et modifieront de plus d’une manière. Les notes qui suivent ma traduction sont destinées à éclaircir les points qui ne sont pas traités dans la préface : je les ai empruntées en partie aux ouvrages de Grein, Heyne, Ettmüller, dont les travaux font autorité dans le domaine de la philologie saxonne. Enfin, je n’ai pas besoin de faire ressortir l’utilité du résumé du poëme dont j’ai fait accompagner mon travail.

Je dois dire en terminant que ce n’est pas sans une certaine anxiété que je livre mon travail à l’examen des érudits. Puisse leur critique m’être légère ! Puissent-ils eux-mêmes tenir compte des efforts que j’ai faits pour publier le poëme dans son entier, des longues veilles que m’a coûtées l’étude de la langue dans laquelle il a été écrit ! Je suis du reste prêt à profiter de tous les conseils que l’examen de mon texte pourra leur suggérer ; loin de proclamer orgueilleusement la perfection de mon travail, je réclame pour lui l’indulgence de tous. Da veniam cœpto, Jupiter alte, meo.




  1. Il ne faut pas oublier que la langue française différant complètement par ses racines de l’anglo-saxon, il ne m’a pas été permis d’éluder les difficultés de l’original comme on a pu le faire parfois en anglais et en allemand.