Belluaires et porchers/Un Brelan d’Excommuniés

Pour les autres éditions de ce texte, voir Un brelan d’excommuniés.

Stock (p. 113-117).


XI

UN BRELAN D’EXCOMMUNIÉS


À GEORGES DESVALLIÈRES
en souvenir de Notre Seigneur Jésus-Christ

Nous assistons en France, et depuis longtemps déjà, à un spectacle si extraordinaire que les malheureux appelés à continuer notre race imbécile n’y croiront pas. Cependant, nous y sommes assez habitués, nous autres, pour avoir perdu la faculté d’en être surpris.

C’est le spectacle d’une Église, naguère surélevée au pinacle des constellations et cathédrant sur le front des séraphins, tellement tombée, aplatie, caduque, si prodigieusement déchue, si invraisemblablement aliénée et abandonnée qu’elle n’est plus capable de distinguer ceux qui la vénèrent de ceux qui la contaminent.

Que dis-je ? Elle est au point de préférer et d’avantager de ses bénédictions les plus rares ceux de ses fils qu’elle devrait cacher dans d’opaques ombres, dans d’occultes et compliqués souterrains, dont la clef serait jetée, au son des harpes et des barbitons, dans l’abîme le plus profond du Pacifique, par des cardinaux austères expédiés à très-grands frais sur une flotte de trois cents vaisseaux !

Quant à ceux-là qui sont sa couronne, ses joyaux, ses éblouissantes gemmes et dont elle devrait adorner sa tête chenue autrefois crénelée d’étoiles, elle décrotte ses pieds sur leur figure et délègue des animaux immondes pour les outrager.

Je l’ai dit autre part, avec force développements. Les catholiques modernes haïssent l’Art d’une haine sauvage, atroce, inexplicable. Sans doute, il n’est pas beaucoup aimé, ce pauvre art, dans la société contemporaine et je m’extermine à le répéter. Mais les exceptions heureuses, devraient, semble-t-il, se rencontrer dans ce lignage de la grande Couveuse des intelligences à qui le monde est redevable de ses plus éclatants chefs-d’œuvre.

Or, c’est exactement le contraire. Partout ailleurs, c’est le simple mépris du Beau ; chez les catholiques seuls, c’est l’exécration. On dirait que ces âmes médiocres, en abandonnant les héroïsmes anciens pour les vertus raisonnables et tempérées que d’accommodants pasteurs leur certifient suffisantes, ont remplacé, du même coup, la détestation surannée du mal par l’unique horreur de ce miroir de leur misère que tout postulateur d’idéal leur présente implacablement.

Ils s’effarouchent du Beau comme d’une tentation de péché, comme du Péché même, et l’audace du Génie les épouvante à l’égal d’une gesticulation de Lucifer. Ils font consister leur dévote sagesse à exorciser le Sublime.

On parle de critique, mais le flair de leur aversion pour l’Art est la plus sûre de toutes les diagnoses ! S’il pouvait exister quelque incertitude sur un chef-d’œuvre, il suffirait de le leur montrer pour qu’ils le glorifiassent aussitôt de leurs malédictions infaillibles.

En revanche, de quelles amoureuses caresses cette société soi-disant chrétienne ne mange-t-elle pas les cuistres ou les imbéciles que sa discernante médiocrité lui fait épouser ! Elle les prend sur ses genoux, ces Benjamins de son cœur, elle les dorlote, les mignotte, les cajole, les becquette, les bichonne, les chouchoute, les chérit comme ses petits boyaux ! Elle en est assotée, coqueluchée, embéguinée de la tête aux pieds ! C’est une osculation et une lècherie sans fin ni rassasiement !

Qu’on se souvienne seulement du récent prodige, raconté par tous les journaux, d’une audience accordée par le Saint Père à cette raclure de dépotoir, à ce résidu d’abcès anticlérical, — dont il faut se garder à tout prix d’écrire le nom diffamant, — que la plus élémentaire pudeur ecclésiastique aurait dû condamner au silence éternel, si sa prétendue conversion n’était pas une sacrilège matassinade ; mais que la bassesse cafarde a dévotement exalté, dans l’espoir que ce vermineux crétin pourrait encore fienter sur les ennemis de l’Église, après avoir si longtemps suppuré sur elle !

Les journaux producteurs de ce document racontaient que Léon XIII avait causé familièrement une demi-heure avec ce pacant et l’avait ensuite congédié en le frétant de sa bénédiction papale pour qu’il s’en allât combattre le bon combat. Ils faisaient observer enfin que c’était là une grandissime faveur accordée rarement par le Souverain Pontife.

Il est probable que les trois artistes royaux dont je vais parler n’auraient pas même obtenu de ce Vicaire de Jésus-Christ le quart de seconde qui suffit à un clin d’œil paternel et que les domestiques du Vatican, en leur jetant vingt portes à la figure, auraient déclaré ne pas même savoir le nom de ces présomptueux étrangers.

Il n’y a jamais eu qu’un seul catholique de talent accepté ou subi dans cet incroyable milieu. C’est Louis Veuillot. Mais celui-là, c’était l’amant à coups de bottes par qui les vieilles infantes sont quelquefois subjuguées et qui entretient l’amour à renfort de gifles et d’engueulements. On sait, d’ailleurs, l’usage qu’il fit de son autorité, ce laïque majordome de la pitance des âmes, qui ne voulut jamais partager avec aucun autre et qui, jalousement, écarta, tant qu’il vécut, les rares écrivains qui eussent pu rompre moins parcimonieusement aux intelligences le pain d’enthousiasme dont il les frustrait…

Si Dieu était beau, pourtant ! Si tous ces sacrilèges adorateurs qui le supposent à leur image se trompaient, décidément, et qu’au lieu de cet écœurant Adonis des salons, sans Calvaire ni Sueur d’Agonie, — qui devient si facilement le Moloch des humbles, — ils eussent à compter, une bonne fois, avec un Jésus d’une splendeur terrible, revenu sur terre, foudroyant de magnificence, ruisselant, pour brûler les yeux et pour fondre les métaux, de cet Idéal essentiel dont les poètes et les artistes furent, dans tous les temps, les pauvres fontaines disséminées et mal famées, — dans quelles cavernes pourraient-ils bien cacher leur stupéfaction et s’abriter de ce déluge ?…