Belle-Plante et Cornélius
Belle-Plante et CornéliusC. SionestŒuvres de C. Tillier, vol. II (p. 233-236).



XXV


Quelques jours après, le ballon de Cornélius, vainqueur de tous ses ennemis, était prêt à monter dans les airs. Cornélius, pour donner plus de solennité à son ascension, l’avait remise au 29 septembre, jour de la fête patronale du pays. La veille de ce jour solennel, Cornélius soupa chez le père Desallemagnes. Le savant était radieux, mais Louise était triste ; elle entendait en elle-même une voix qui la menaçait de quelque malheur. Après le souper, elle voulut, quoiqu’il fût fort tard, reconduire Cornélius.

— Cher ami, lui dit-elle, il faut que vous m’accordiez une grâce.

— Laquelle ? dit Cornélius.

— C’est de m’emmener avec vous demain dans votre ballon.

— Cela ne se peut, Louise ; mon ballon n’est pas encore dressé, et d’ailleurs je n’ai pas assez d’hydrogène pour qu’il puisse nous enlever tous les deux.

— Vous me trompez, Cornélius ; vous prévoyez quelque danger auquel vous ne voulez pas m’exposer. Vous savez bien, pourtant, que ma vie et la vôtre ne sont qu’une.

— Ne nous attendrissons pas, Louise, dit Cornélius ; il faut que j’aie du courage.

— Il m’en faut plus qu’à vous, dit Louise ; mais, puisque vous le voulez, n’en parlons plus.

En passant devant le presbytère, ils virent de la lumière dans la chambre du curé. Il était occupé à examiner un fusil.

— Tiens ! dit Cornélius, est-ce qu’il voudrait aller à la chasse, par hasard ?

Et ils continuèrent leur chemin.

Louise reconduisit Cornélius jusqu’à la porte de la mère Simone. Là il lui dit adieu, car il ne voulait pas la revoir le lendemain, et il sentit sur ses joues, en l’embrassant, comme une saveur de larmes. Il rentra brusquement, et s’enferma dans sa chambre.

Le lendemain, en se levant, Cornélius, examina l’état du ciel. Le temps était orageux ; il avait plu toute la nuit, et des nuages épais couraient rapidement dans l’atmosphère. Cependant Cornélius ne voulut point remettre son ascension, et il employa toute la matinée à appareiller son ballon. À deux heures, le clos de la mère Simone était environné d’une foule immense de curieux de toutes les conditions ; car la nouvelle de l’expérience que devait tenter Cornélius avait attiré à Armes une affluence inusitée.

Bientôt Cornélius parut au milieu du clos ; il était pâle, car il n’avait pas dormi de la nuit, mais son œil était rayonnant, et sa démarche était pleine d’une noble fierté. Rien ne rehausse un homme à ses yeux comme une multitude qui le contemple.

La dernière pensée de Cornélius fut pour Louise. Il appela la mère Simone, et lui remit un petit porte-crayon d’argent, la seule chose qu’il possédât capable d’être offerte à une femme.

— S’il m’arrive malheur, lui dit-il, vous donnerez cela à Louise ; si je redescends sain et sauf, vous ne lui parlerez de rien.

Puis il monta dans sa nacelle.

Comme le ballon commençait à s’élever, l’ami Dragon, qui était resté à côté comme s’il eût voulu le garder jusqu’au dernier moment, s’élança après la nacelle, dans l’intention, sans doute, de retenir Cornélius. Cet acte d’attachement du chien fut regardé par la foule comme un mauvais présage.

Cependant, le ballon, après s’être balancé quelque temps, s’éleva majestueusement dans les airs, aux acclamations de la foule, et ses roues tournant avec rapidité comme celles d’un bateau à vapeur, le poussaient, contrairement au courant d’air, dans la direction de Clamecy.

En ce moment une vive lumière brilla sur le plateau qui domine le village. Un coup de fusil se fit entendre, et aussitôt on vit voltiger en l’air les lambeaux d’une des roues du ballon, qui vinrent s’abattre sur la place. En même temps un vent impétueux s’éleva, et le ballon emporté dans les airs disparut bientôt aux yeux de la foule derrière les montagnes de Chevroches. On attendit Cornélius toute la journée, on l’attendit le lendemain, on l’attendit toute la semaine, mais il ne reparaissait pas, et personne ne pouvait donner de renseignements sur son ballon. En vain Louise fit insérer dans toutes les gazettes connues une note relative à sa disparition, nul ne savait rien de lui, et il fallut bien que la pauvre Louise se résignât à le pleurer comme mort.

Elle fit enterrer dans le jardin de son père les débris de la roue tombés du haut des airs, et chaque jour elle venait rêver en cette place à son Cornélius.



FIN DE CORNÉLIUS.