Belgique et Prusse rhénane. Manufactures

BELGIQUE ET PRUSSE RHÉNANE.




MANUFACTURES.


Encourager et multiplier les manufactures, tel est maintenant l’objet favori sur lequel se concentre l’attention des cabinets. À peine quelques établissemens de ce genre commencent-ils à s’élever, que des droits énormes sont aussitôt imposés sur les produits étrangers.

Le roi des Pays-Bas partage lui-même ce goût général des manufactures ; il s’est presque fait marchand et fabricant. Aussi les plaisans n’ont-ils pas manqué d’en baptiser une, dont il s’est fait le patron, de cette singulière raison sociale : MM. Cockerell, Le Roi et Compagnie.

Liège était célèbre, il y a environ deux cents ans, par la supériorité de ses fabriques d’acier, et, dans le quatorzième siècle, les draps de Verviers jouissaient d’une haute renommée. Pendant cinq cents ans, Aix-la-Chapelle s’est livrée avec succès à la fabrication des draps. C’est sans doute à ses eaux chaudes et sulfureuses, que cette ville doit la réputation de ses manufactures. En effet, la laine brute encore est plongée dans les eaux brûlantes jusqu’à ce qu’elle en sorte d’une blancheur éblouissante.

Telle a été la persévérance des fabricants de cette ville, que la maison d’Isaac et Compagnie peut invoquer des souvenirs qui remontent à près de trois cents ans. Quelques autres maisons, depuis cent ans et plus, se livrent au commerce des draps. À Verviers, même antiquité et même persévérance. Depuis cent cinquante ans, la famille Fishbach, de Stavelot, étend et perfectionne ses tanneries héréditaires.

L’histoire de M. Cockerell se lie singulièrement à la rapide prospérité industrielle de ce pays. À l’emploi des forces manuelles dans le tissage des laines, venaient de succéder, il y a trente ou quarante ans, des métiers à bas prix et d’un mécanisme facile, quand, en 1806, un pauvre anglais débarque à Verviers sans autre fortune que le modèle d’une machine en état de filer cinquante fois plus de laine que des rouets ordinaires. M. Simonnet, un des premiers fabricans de la ville, en fut si frappé, qu’il lui demanda immédiatement une machine construite sur ce plan. Cet homme était M. Cockerell. Tout était prévu, et dans le cas où l’eau ne pourrait servir de force motrice, M. Cockerell, avec l’aide d’un M. Hodson, construisit des machines à vapeur propres à faire marcher ses appareils. Les demandes se succédèrent avec tant de rapidité, que M. Cockerell établit une manufacture de fer aux environs de Liège, qui depuis est devenu la magnifique fonderie de Sérang. Bientôt ses relations s’étendirent, et de nouveaux établissemens, soumis à sa direction, s’élevèrent à Berlin et à Castelnaudary, où si long-temps il fabriqua de la basse coutellerie. Les efforts de son industrie ont fini par être récompensés, et il est devenu millionnaire.

Les fabricans d’Aix-la-Chapelle ne furent pas moins clairvoyans que ceux de Verviers. Des machines à vapeur s’élevèrent de toutes parts, et portèrent l’art de la fabrication à ce point de perfection que l’on reconnaît dans les produits de l’ancienne maison de Keltener et Compagnie. Là, comme dans l’établissement de M. Golt, de Leeds, la laine est apportée toute brute, et après diverses préparations, elle n’en sort que transformée en draps d’un travail supérieur.

De nombreuses et d’anciennes manufactures d’épingles et d’aiguilles sont en activité aux environs d’Aix-la-Chapelle. Dans les petites villes de Stavelot et de Malmedy, la population entière prépare et tanne les cuirs. De nouvelles machines à filer s’élèvent sur la rivière qui passe à Verviers, et, selon toute apparence, l’excès de la production amènera bientôt une de ces crises qui affligent périodiquement la fabrication du coton.

Il sera curieux de rapprocher de ces renseignemens l’opinion qu’on a conçue en Angleterre de la prospérité des manufactures belges et de la Prusse rhénane. Voici les résultats d’une enquête commerciale entreprise par des négocians anglais.

« Il est important pour la prospérité commerciale de l’Angleterre, de comparer la valeur des objets manufacturés en Belgique et en Prusse, avec ceux de la Grande-Bretagne.

» À Verviers, à Aix-la-Chapelle, les diverses qualités de draps sont plus variées qu’en Angleterre ; et à moins d’en examiner attentivement la qualité respective, il serait impossible d’établir une comparaison entre leur valeur. Les gros draps du Yorkshire sont à meilleur marché que ceux de Verviers et d’Aix-la-Chapelle, tandis que c’est le contraire pour les qualités intermédiaires, je veux dire les draps à reflets brillants, mais d’un tissu léger, ainsi qu’on en fabrique à Londres, à Bath, pour l’usage des dames. La différence est de 40 p. %. En comparant les prix et les premières qualités de Belgique avec nos draps superfins, la différence est encore de 30 ou 40 p. %, mais en faveur de l’Angleterre. Joignant la force à la légèreté, ils obtiennent une incontestable supériorité. Le prix des plus beaux draps belges est de 35 fr. la verge.

» Ces détails m’ont été communiqués par un habile fabricant. Il offrait de livrer les droguets et autres étoffes grossières des fabriques anglaises à 30 ou 40 p. % au-dessous du cours des marchands de Verviers. Il vendait la véritable flanelle de Galles 2 ou 3 fr. 1/2 l’aune flamande, tandis que les lourdes et mauvaises contre-façons de Verviers coûtent de 4 à 4 fr. 1/2. On manque au reste sur le continent, de l’espèce particulière de laine dont on se sert en Angleterre, et jamais on n’a pu imiter les tissus larges et moelleux de nos belles flanelles.

» Les casimirs forment une des principales branches de l’industrie d’Aix-la-Chapelle. Ils sont de beaucoup inférieurs aux nôtres. Sur les marchés belges et prussiens, on trouve bien des draps de 2e et 3e qualités à bas prix ; mais toute imitation de nos casimirs coûte 30 p. % en sus ; aussi, maintenant toute idée de concurrence est-elle abandonnée.

» À Liège, à Namur, on se sert de fer anglais pour la coutellerie. Les qualités n’en sont pas assez variées. Le fer froid prend un brillant poli ; mais diverses parties de la fabrication, les manches de couteaux, les ressorts de canifs, paraissent défectueuses. Je n’ai vu de bonne coutellerie qu’à La Haye, et le prix en est supérieur aux qualités égales anglaises. Quant aux rasoirs, le continent ne peut pas même prétendre à lutter contre les nôtres.

» On a long-temps vendu à Liège des fusils à bas prix, mais médiocres. Le négociant belge dont j’ai déjà parlé, connaît cependant, dit-il, un habile fabricant qui peut livrer pour 350 ou 400 fr., un bon fusil à deux coups, à canons tors, et à platines d’un travail parfait. Sa réputation bien établie d’intrépide chasseur donne du poids à cette opinion.

» Les manufactures d’épingles et d’aiguilles d’Aix-la-Chapelle sont encore à un siècle en arrière de celles de l’Angleterre ; et un paquet de véritables aiguilles anglaises est un cadeau toujours bien reçu par une dame belge.

» Je n’ai pas eu l’occasion de visiter Elberfelt, mais, en examinant des guingams sortis des manufactures de cette ville, j’ai été vivement surpris de leur degré de perfection : finesse, éclat du tissu, égalité surprenante dans l’emploi des fils ouvrés, tout s’y trouvait réuni. Ils m’ont paru supérieurs à toutes les toiles de même espèce fabriquées dans les ateliers anglais. Mais ni les mousselines de Gand, de Suisse ou de France, ne peuvent soutenir la comparaison avec celles de l’Angleterre ou de l’Écosse. Qu’on ouvre des ballots formés d’articles pris chez toutes les nations, et les mousselines anglaises seront toujours facilement reconnues par les dames, juges dont on ne peut récuser le tact et la sagacité en pareille matière. Je sais que M. Ternaux conteste cette supériorité ; mais pour plus d’une raison, le fabricant me permettra d’être ici de l’avis du beau sexe.

» Il est assez singulier que les Suisses, ces derniers venus sur le champ de la concurrence commerciale, aient vaincu de prime abord les coloristes anglais et français. Les rubans de Glascow ou de Manchester manquent d’éclat, comparés à ceux qu’on voit orner le front des jeunes paysannes de l’Helvétie. Les rubans verts surtout n’éprouvent jamais d’altération.

» Stavelot et Malmédy renferment des populations de tanneurs. Ils tirent leurs cuirs de Buénos-Ayres. Débarqués à Anvers ou à Gand, ils leur sont ensuite expédiés par terre, sans cependant accroître le prix de la main-d’œuvre ; car ces deux villes sont entourées de vastes forêts de chêne, dont l’écorce, ainsi à portée de leurs tanneries, rétablit dans les prix un équilibre que devraient rompre les frais de transport des matières premières. Ces immenses quantités de cuirs trouvent un rapide écoulement dans l’Allemagne, dont elles vont alimenter les nombreuses boutiques de bottiers et de cordonniers. La qualité en est certainement inférieure à celle de l’Angleterre. La préparation que subissent ces peaux n’en fait pas assez disparaître les fibres. En outre, tanné trop vite, le cuir de Belgique est sujet à se moisir. Cependant, tel qu’il est, il convient aux consommateurs, et les tanneurs de Stavelot ne se creuseront pas la cervelle pour inventer de nouveaux procédés, tant qu’aucune plainte ne s’élèvera.

» Les machines à vapeur construites à Rotterdam, et destinées à la navigation du Rhin, m’ont paru d’un excellent travail. Mais une ou deux machines à filer, sorties des fonderies de Sérang, loin de fonctionner en silence, se mouvaient avec bruit, et lançaient à chaque instant des bouffées de vapeur, ce qui n’annonçait pas une grande intelligence dans l’agencement des diverses pièces. Est-ce à un vice de construction ou à la maladresse de l’ouvrier qu’il faut l’attribuer ? Je ne le sais, n’ayant pas eu l’occasion de m’en assurer.

» Mais si mes recherches sont exactes, et j’ai lieu de le penser, c’est à tort qu’on a frappé de droits énormes l’introduction de la houille d’Angleterre. Car, en forçant les grandes villes de Hollande à ne tirer leurs charbons que de Liège, le prix, pendant ces deux dernières années, s’en est élevé de 60 pour cent : 3000 livres pesant coûtent maintenant de 32 à 35 fr. Aucune fonderie anglaise ne pourrait subsister avec les combustibles à un tel prix. Il en est de même des charbons de Bruxelles ; et si quelques grands établissemens sont encore en activité à Liège, ce n’est certainement pas le moyen de leur assurer un long avenir, etc. »

St…