Bel-Ami/Édition Conard, 1910/Bel-Ami/Deuxième partie/VII

Louis Conard, libraire-éditeur (XIIIp. 477-508).
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VII



Depuis deux mois la conquête du Maroc était accomplie. La France, maîtresse de Tanger, possédait toute la côte africaine de la Méditerranée jusqu’à la régence de Tripoli, et elle avait garanti la dette du nouveau pays annexé.

On disait que deux ministres gagnaient là une vingtaine de millions, et on citait, presque tout haut, Laroche-Mathieu.

Quand à Walter, personne dans Paris n’ignorait qu’il avait fait coup double et encaissé de trente à quarante millions sur l’emprunt, et de huit à dix millions sur des mines de cuivre et de fer, ainsi que sur d’immenses terrains achetés pour rien avant la conquête et revendus le lendemain de l’occupation française à des compagnies de colonisation.

Il était devenu, en quelques jours, un des maîtres du monde, un de ces financiers omnipotents, plus forts que des rois, qui font courber les têtes, balbutier les bouches et sortir tout ce qu’il y a de bassesse, de lâcheté et d’envie au fond du cœur humain.

Il n’était plus le juif Walter, patron d’une banque louche, directeur d’un journal suspect, député soupçonné de tripotages véreux. Il était Monsieur Walter, le riche israélite.

Il le voulut montrer.

Sachant la gêne du prince de Carlsbourg qui possédait un des plus beaux hôtels de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, avec jardin sur les Champs-Élysées, il lui proposa d’acheter, en vingt-quatre heures, cet immeuble, avec ses meubles, sans changer de place un fauteuil. Il en offrait trois millions. Le prince, tenté par la somme, accepta.

Le lendemain, Walter s’installait dans son nouveau domicile.

Alors il eut une autre idée, une véritable idée de conquérant qui veut prendre Paris, une idée à la Bonaparte.

Toute la ville allait voir en ce moment un grand tableau du peintre hongrois Karl Marcowitch, exposé chez l’expert Jacques Lenoble, et représentant le Christ marchant sur les flots.

Les critiques d’art, enthousiasmés, déclaraient cette toile le plus magnifique chef-d’œuvre du siècle.

Walter l’acheta cinq cent mille francs et l’enleva, coupant ainsi du jour au lendemain le courant établi de la curiosité publique, et forçant Paris entier à parler de lui pour l’envier, le blâmer ou l’approuver.

Puis, il fit annoncer par les journaux qu’il inviterait tous les gens connus dans la société parisienne à contempler, chez lui, un soir, l’œuvre magistrale du maître étranger, afin qu’on ne pût pas dire qu’il avait séquestré une œuvre d’art.

Sa maison serait ouverte. Y viendrait qui voudrait. Il suffirait de montrer à la porte la lettre de convocation.

Elle était rédigée ainsi : « Monsieur et Madame Walter vous prient de leur faire l’honneur de venir voir chez eux, le trente décembre, de neuf heures à minuit, la toile de Karl Marcowitch : Jésus marchant sur les flots éclairée à la lumière électrique. »

Puis, en post-scriptum, en toutes petites lettres, on pouvait lire : « On dansera après minuit. »

Donc, ceux qui voudraient rester resteraient, et parmi ceux-là les Walter recruteraient leurs connaissances du lendemain.

Les autres regarderaient la toile, l’hôtel et les propriétaires, avec une curiosité mondaine, insolente ou indifférente, puis s’en iraient comme ils étaient venus. Et le père Walter savait bien qu’ils reviendraient, plus tard, comme ils étaient allés chez ses frères israélites devenus riches comme lui.

Il fallait d’abord qu’ils entrassent dans sa maison, tous les pannés titrés qu’on cite dans les feuilles ; et ils y entreraient pour voir la figure d’un homme qui a gagné cinquante millions en six semaines ; ils y entreraient aussi pour voir et compter ceux qui viendraient là ; ils y entreraient encore parce qu’il avait eu le bon goût et l’adresse de les appeler à admirer un tableau chrétien chez lui, fils d’Israël.

Il semblait leur dire : « Voyez, j’ai payé cinq cent mille francs le chef-d’œuvre religieux de Marcowitch : Jésus marchant sur les flots. Et ce chef-d’œuvre demeurera chez moi, sous mes yeux, toujours, dans la maison du juif Walter. »

Dans le monde, dans le monde des duchesses et du Jockey, on avait beaucoup discuté cette invitation qui n’engageait à rien, en somme. On irait là comme on allait voir des aquarelles chez M. Petit. Les Walter possédaient un chef-d’œuvre ; ils ouvraient leurs portes un soir pour que tout le monde pût l’admirer. Rien de mieux.

La Vie Française, depuis quinze jours, faisait chaque matin un écho sur cette soirée du trente décembre et s’efforçait d’allumer la curiosité publique.

Du Roy rageait du triomphe du patron.

Il s’était cru riche avec les cinq cent mille francs extorqués à sa femme, et maintenant il se jugeait pauvre, affreusement pauvre, en comparant sa piètre fortune à la pluie de millions tombée autour de lui, sans qu’il eût su en rien ramasser.

Sa colère envieuse augmentait chaque jour. Il en voulait à tout le monde, aux Walter qu’il n’avait plus été voir chez eux, à sa femme qui, trompée par Laroche, lui avait déconseillé de prendre des fonds marocains, et il en voulait surtout au ministre qui l’avait joué, qui s’était servi de lui et qui dînait à sa table deux fois par semaine. Georges lui servait de secrétaire, d’agent, de porte-plume, et quand il écrivait sous sa dictée, il se sentait des envies folles d’étrangler ce bellâtre triomphant. Comme ministre, Laroche avait le succès modeste, et pour garder son portefeuille, il ne laissait point deviner qu’il était gonflé d’or. Mais Du Roy le sentait, cet or, dans la parole plus hautaine de l’avocat parvenu, dans son geste plus insolent, dans ses affirmations plus hardies, dans sa confiance en lui complète.

Laroche régnait, maintenant, dans la maison Du Roy, ayant pris la place et les jours du comte de Vaudrec, et parlant aux domestiques ainsi qu’aurait fait un second maître.

Georges le tolérait en frémissant, comme un chien qui veut mordre, et n’ose pas. Mais il était souvent dur et brutal pour Madeleine, qui haussait les épaules et le traitait en enfant maladroit. Elle s’étonnait d’ailleurs de sa constante mauvaise humeur, et répétait :

— Je ne te comprends pas. Tu es toujours à te plaindre. Ta position est pourtant superbe.

Il tournait le dos et ne répondait rien.

Il avait déclaré d’abord qu’il n’irait point à la fête du patron, et qu’il ne voulait plus mettre les pieds chez ce sale juif.

Depuis deux mois, Mme Walter lui écrivait chaque jour pour le supplier de venir, de lui donner un rendez-vous où il lui plairait, afin qu’elle lui remît, disait-elle, les soixante-dix mille francs qu’elle avait gagnés pour lui.

Il ne répondait pas et jetait au feu ces lettres désespérées. Non point qu’il eût renoncé à recevoir sa part de leur bénéfice, mais il voulait l’affoler, la traiter par le mépris, la fouler aux pieds. Elle était trop riche ! Il voulait se montrer fier.

Le jour même de l’exposition du tableau, comme Madeleine lui représentait qu’il avait grand tort de n’y vouloir pas aller, il répondit :

— Fiche-moi la paix. Je reste chez moi.

Puis, après le dîner, il déclara tout à coup :

— Il vaut tout de même mieux subir cette corvée. Prépare-toi vite.

Elle s’y attendait.

— Je serai prête dans un quart d’heure, dit-elle.

Il s’habilla en grognant, et même dans le fiacre il continua à expectorer sa bile.

La cour d’honneur de l’hôtel de Carlsbourg était illuminée par quatre globes électriques qui avaient l’air de quatre petites lunes bleuâtres, aux quatre coins. Un magnifique tapis descendait les degrés du haut perron et, sur chacun, un homme en livrée restait roide comme une statue.

Du Roy murmura : « En voilà de l’épate. »

Il levait les épaules, le cœur crispé de jalousie.

Sa femme lui dit :

— Tais-toi donc et fais-en autant.

Ils entrèrent et remirent leurs lourds vêtements de sortie aux valets de pied qui s’avancèrent.

Plusieurs femmes étaient là avec leurs maris, se débarrassaient aussi de leurs fourrures. On entendait murmurer : « C’est fort beau ! fort beau ! »

Le vestibule énorme était tendu de tapisseries qui représentaient l’aventure de Mars et de Vénus. À droite et à gauche partaient les deux bras d’un escalier monumental, qui se rejoignaient au premier étage. La rampe était une merveille de fer forgé, dont la vieille dorure éteinte faisait courir une lueur discrète le long des marches de marbre rouge.

À l’entrée des salons, deux petites filles, habillées l’une en folie rose, et l’autre en folie bleue, offraient des bouquets aux dames. On trouvait cela charmant.

Il y avait déjà foule dans les salons.

La plupart des femmes étaient en toilette de ville pour bien indiquer qu’elles venaient là comme elles allaient à toutes les expositions particulières. Celles qui comptaient rester au bal avaient les bras et la gorge nus.

Mme Walter, entourée d’amies, se tenait dans la seconde pièce, et répondait aux saluts des visiteurs. Beaucoup ne la connaissaient point et se promenaient comme dans un musée, sans s’occuper des maîtres du logis.

Quand elle aperçut Du Roy, elle devint livide et fit un mouvement pour aller à lui. Puis elle demeura immobile, l’attendant. Il la salua avec cérémonie, tandis que Madeleine l’accablait de tendresses et de compliments. Alors Georges laissa sa femme auprès de la Patronne ; et il se perdit au milieu du public pour écouter les choses malveillantes qu’on devait dire, assurément.

Cinq salons se suivaient, tendus d’étoffes précieuses, de broderies italiennes ou de tapis d’Orient de nuances et de styles différents, et portant sur leurs murailles des tableaux de maîtres anciens. On s’arrêtait surtout pour admirer une petite pièce Louis XVI, une sorte de boudoir tout capitonné en soie à bouquets roses sur un fond bleu pâle. Les meubles bas, en bois doré, couverts d’étoffe pareille à celle des murs, étaient d’une admirable finesse.

Georges reconnaissait des gens célèbres, la duchesse de Ferracine, le comte et la comtesse de Ravenel, le général prince d’Andremont, la toute belle marquise des Dunes, puis tous ceux et toutes celles qu’on voit aux premières représentations.

On le saisit par le bras et une voix jeune, une voix heureuse lui murmura dans l’oreille :

— Ah ! vous voilà enfin, méchant Bel-Ami. Pourquoi ne vous voit-on plus ?

C’était Suzanne Walter, le regardant avec ses yeux d’émail fin, sous le nuage frisé de ses cheveux blonds.

Il fut enchanté de la revoir et lui serra franchement la main. Puis s’excusant :

— Je n’ai pas pu. J’ai eu tant à faire, depuis deux mois, que je ne suis pas sorti.

Elle reprit d’un air sérieux :

— C’est mal, très mal, très mal. Vous nous faites beaucoup de peine, car nous vous adorons, maman et moi. Quant à moi, je ne puis me passer de vous. Si vous n’êtes pas là je m’ennuie à mourir. Vous voyez que je vous le dis carrément pour que vous n’ayez plus le droit de disparaître comme ça. Donnez-moi le bras, je vais vous montrer moi-même Jésus marchant sur les flots, c’est tout au fond, derrière la serre. Papa l’a mis là-bas afin qu’on soit obligé de passer partout. C’est étonnant comme il fait le paon, papa, avec cet hôtel.

Ils allaient doucement à travers la foule. On se retournait pour regarder ce beau garçon et cette ravissante poupée.

Un peintre connu prononça :

— Tiens ! Voilà un joli couple. Il est amusant comme tout.

Georges pensait :

— Si j’avais été vraiment fort, c’est celle-là que j’aurais épousée. C’était possible, pourtant. Comment n’y ai-je pas songé ? Comment me suis-je laissé aller à prendre l’autre ? Quelle folie ! On agit toujours trop vite, on ne réfléchit jamais assez.

Et l’envie, l’envie amère, lui tombait dans l’âme goutte à goutte, comme un fiel qui corrompait toutes ses joies, rendait odieuse son existence.

Suzanne disait :

— Oh ! venez souvent, Bel-Ami, nous ferons des folies maintenant que papa est si riche. Nous nous amuserons comme des toqués.

Il répondit, suivant toujours son idée :

— Oh ! vous allez vous marier maintenant. Vous épouserez quelque beau prince, un peu ruiné, et nous ne nous verrons plus guère.

Elle s’écria avec franchise :

— Oh ! non, pas encore, je veux quelqu’un qui me plaise, qui me plaise beaucoup, qui me plaise tout à fait. Je suis assez riche pour deux.

Il souriait d’un sourire ironique et hautain, et il se mit à lui nommer les gens qui passaient, des gens très nobles, qui avaient vendu leurs titres rouillés à des filles de financiers comme elle, et qui vivaient maintenant près ou loin de leurs femmes, mais libres, impudents, connus et respectés.

Il conclut :

— Je ne vous donne pas six mois pour vous laisser prendre à cet appât-là. Vous serez madame la Marquise, madame la Duchesse ou madame la Princesse, et vous me regarderez de très haut, mam’zelle.

Elle s’indignait, lui tapait sur le bras avec son éventail, jurait qu’elle ne se marierait que selon son cœur.

Il ricanait :

— Nous verrons bien, vous êtes trop riche.

Elle lui dit :

— Mais vous aussi, vous avez eu un héritage.

Il fit un « Oh ! » de pitié :

— Parlons-en. À peine vingt mille livres de rentes. Ce n’est pas lourd par le temps présent.

— Mais votre femme a hérité également.

— Oui. Un million à nous deux. Quarante mille de revenu. Nous ne pouvons même pas avoir une voiture à nous avec ça.

Ils arrivaient au dernier salon, et, en face d’eux s’ouvrait la serre, un large jardin d’hiver plein de grands arbres des pays chauds abritant des massifs de fleurs rares. En entrant sous cette verdure sombre où la lumière glissait comme une ondée d’argent, on respirait la fraîcheur tiède de la terre humide et un souffle lourd de parfums. C’était une étrange sensation douce, malsaine et charmante, de nature factice, énervante et molle. On marchait sur des tapis tout pareils à de la mousse entre deux épais massifs d’arbustes. Soudain Du Roy aperçut à sa gauche, sous un large dôme de palmiers, un vaste bassin de marbre blanc où l’on aurait pu se baigner et sur les bords duquel quatre grands cygnes en faïence de Delft laissaient tomber l’eau de leurs becs entr’ouverts.

Le fond du bassin était sablé de poudre d’or et l’on voyait nager dedans quelques énormes poissons rouges, bizarres monstres chinois aux yeux saillants, aux écailles bordées de bleu, sortes de mandarins des ondes qui rappelaient, errants et suspendus ainsi sur ce fond d’or, les étranges broderies de là-bas.

Le journaliste s’arrêta le cœur battant. Il se disait : « Voilà, voilà du luxe. Voilà les maisons où il faut vivre. D’autres y sont parvenus. Pourquoi n’y arriverais-je point ? » Il songeait aux moyens, n’en trouvait pas sur-le-champ, et s’irritait de son impuissance.

Sa compagne ne parlait plus, un peu songeuse. Il la regarda de côté et il pensa encore une fois : « Il suffisait pourtant d’épouser cette petite marionnette de chair. »

Mais Suzanne tout d’un coup parut se réveiller :

— Attention, dit-elle.

Elle poussa Georges à travers un groupe qui barrait leur chemin, et le fit brusquement tourner à droite.

Au milieu d’un bosquet de plantes singulières qui tendaient en l’air leurs feuilles tremblantes, ouvertes comme des mains aux doigts minces, on apercevait un homme immobile, debout sur la mer.

L’effet était surprenant. Le tableau, dont les côtés se trouvaient cachés dans les verdures mobiles, semblait un trou noir sur un lointain fantastique et saisissant.

Il fallait bien regarder pour comprendre. Le cadre coupait le milieu de la barque où se trouvaient les apôtres à peine éclairés par les rayons obliques d’une lanterne, dont l’un d’eux, assis sur le bordage, projetait toute la lumière sur Jésus qui s’en venait.

Le Christ avançait le pied sur une vague qu’on voyait se creuser, soumise, aplanie, caressante sous le pas divin qui la foulait. Tout était sombre autour de l’Homme-Dieu. Seules les étoiles brillaient au ciel.

Les figures des apôtres, dans la lueur vague du fanal porté par celui qui montrait le Seigneur, paraissaient convulsées par la surprise.

C’était bien là l’œuvre puissante et inattendue d’un maître, une de ces œuvres qui bouleversent la pensée et vous laissent du rêve pour des années.

Les gens qui regardaient cela demeuraient d’abord silencieux, puis s’en allaient, songeurs, et ne parlaient qu’ensuite de la valeur de la peinture.

Du Roy, l’ayant contemplée quelque temps, déclara :

— C’est chic de pouvoir se payer ces bibelots-là.

Mais, comme on le heurtait, en le poussant pour voir, il repartit gardant toujours sous son bras la petite main de Suzanne qu’il serrait un peu.

Elle lui demanda :

— Voulez-vous boire un verre de champagne ? Allons au buffet. Nous y trouverons papa.

Et ils retraversèrent lentement tous les salons où la foule grossissait, houleuse, chez elle, une foule élégante de fête publique.

Georges soudain crut entendre une voix prononcer :

— C’est Laroche et Mme Du Roy.

Ces paroles lui effleurèrent l’oreille comme ces bruits lointains qui courent dans le vent. D’où venaient-elles ?

Il chercha de tous les côtés, et il aperçut en effet sa femme qui passait, au bras du ministre. Ils causaient tout bas d’une façon intime en souriant, et les yeux dans les yeux.

Il s’imagina remarquer qu’on chuchotait en les regardant, et il sentit en lui une envie brutale et stupide de sauter sur ces deux êtres et de les assommer à coups de poing.

Elle le rendait ridicule. Il pensa à Forestier. On disait peut-être : « Ce cocu de Du Roy. » Qui était-elle ? une petite parvenue assez adroite, mais sans grands moyens, en vérité. On venait chez lui parce qu’on le redoutait, parce qu’on le sentait fort, mais on devait parler sans gêne de ce petit ménage de journaliste. Jamais il n’irait loin avec cette femme qui faisait sa maison toujours suspecte, qui se compromettrait toujours, dont l’allure dénonçait l’intrigante. Elle serait maintenant un boulet à son pied. Ah ! s’il avait deviné, s’il avait su ! Comme il aurait joué un peu plus large, plus fort ! Quelle belle partie il aurait pu gagner avec la petite Suzanne pour enjeu ! Comment avait-il été assez aveugle pour ne pas comprendre ça ?

Ils arrivaient à la salle à manger, une immense pièce à colonnes de marbre, aux murs tendus de vieux Gobelins.

Walter aperçut son chroniqueur et s’élança pour lui prendre les mains. Il était ivre de joie :

— Avez-vous tout vu ? Dis, Suzanne, lui as-tu tout montré ? Que de monde, n’est-ce pas, Bel-Ami ? Avez-vous vu le prince de Guerche ? Il est venu boire un verre de punch, tout à l’heure.

Puis il s’élança vers le sénateur Rissolin qui traînait sa femme étourdie et ornée comme une boutique foraine.

Un monsieur saluait Suzanne, un grand garçon mince, à favoris blonds, un peu chauve, avec cet air mondain qu’on reconnaît partout. Georges l’entendit nommer : le Marquis de Cazolles, et il fut brusquement jaloux de cet homme. Depuis quand le connaissait-elle ? Depuis sa fortune sans doute ? Il devinait un prétendant.

On le prit par le bras. C’était Norbert de Varenne. Le vieux poète promenait ses cheveux gras et son habit fatigué d’un air indifférent et las.

— Voilà ce qu’on appelle s’amuser, dit-il. Tout à l’heure on dansera ; et puis on se couchera ; et les petites filles seront contentes. Prenez du champagne, il est excellent.

Il se fit emplir un verre et, saluant Du Roy qui en avait pris un autre :

— Je bois à la revanche de l’esprit sur les millions.

Puis il ajouta, d’une voix douce :

— Non pas qu’ils me gênent chez les autres ou que je leur en veuille. Mais je proteste par principe.

Georges ne l’écoutait plus. Il cherchait Suzanne qui venait de disparaître avec le marquis de Cazolles, et quittant brusquement Norbert de Varenne, il se mit à la poursuite de la jeune fille.

Une cohue épaisse qui voulait boire l’arrêta. Comme il l’avait enfin franchie, il se trouva nez à nez avec le ménage de Marelle.

Il voyait toujours la femme ; mais il n’avait pas rencontré depuis longtemps le mari, qui lui saisit les deux mains :

— Que je vous remercie, mon cher, du conseil que vous m’avez fait donner par Clotilde. J’ai gagné près de cent mille francs avec l’emprunt marocain. C’est à vous que je les dois. On peut dire que vous êtes un ami précieux.

Des hommes se retournaient pour regarder cette brunette élégante et jolie. Du Roy répondit :

— En échange de ce service, mon cher, je prends votre femme, ou plutôt je lui offre mon bras. Il faut toujours séparer les époux.

M. de Marelle s’inclina :

— C’est juste. Si je vous perds, nous nous retrouverons ici dans une heure.

— Parfaitement.

Et les deux jeunes gens s’enfoncèrent dans la foule, suivis par le mari. Clotilde répétait :

— Quels veinards que ces Walter. Ce que c’est tout de même que d’avoir l’intelligence des affaires.

Georges répondit :

— Bah ! Les hommes forts arrivent toujours, soit par un moyen, soit par un autre.

Elle reprit :

— Voilà deux filles qui auront de vingt à trente millions chacune. Sans compter que Suzanne est jolie.

Il ne dit rien. Sa propre pensée sortie d’une autre bouche l’irritait.

Elle n’avait pas encore vu Jésus marchant sur les flots. Il proposa de l’y conduire. Ils s’amusaient à dire du mal des gens, à se moquer des figures inconnues. Saint-Potin passa près d’eux, portant sur le revers de son habit des décorations nombreuses, ce qui les amusa beaucoup. Un ancien ambassadeur, venant derrière, montrait une brochette moins garnie.

Du Roy déclara :

— Quelle salade de société !

Boisrenard, qui lui serra la main, avait aussi orné sa boutonnière du ruban vert et jaune sorti le jour du duel.

La vicomtesse de Percemur, énorme et parée, causait avec un duc dans le petit boudoir Louis XVI.

Georges murmura :

— Un tête-à-tête galant.

Mais en traversant la serre, il revit sa femme assise près de Laroche-Mathieu, presque cachés tous deux derrière un bouquet de plantes. Ils semblaient dire : « Nous nous sommes donné un rendez-vous ici, un rendez-vous public. Car nous nous fichons de l’opinion. »

Mme de Marelle reconnut que ce Jésus de Karl Marcowitch était très étonnant ; et ils revinrent. Ils avaient perdu le mari.

Il demanda :

— Et Laurine, est-ce qu’elle m’en veut toujours ?

— Oui, toujours autant. Elle refuse de te voir et s’en va quand on parle de toi.

Il ne répondit rien. L’inimitié subite de cette fillette le chagrinait et lui pesait.

Suzanne les saisit au détour d’une porte, criant :

— Ah ! vous voilà ! Eh bien, Bel-Ami, vous allez rester seul. J’enlève la belle Clotilde pour lui montrer ma chambre.

Et les deux femmes s’en allèrent, d’un pas pressé, glissant à travers le monde, de ce mouvement onduleux, de ce mouvement de couleuvre qu’elles savent prendre dans les foules.

Presque aussitôt une voix murmura :

— Georges.

— C’était Mme Walter. Elle reprit très bas :

— Oh ! que vous êtes férocement cruel ! Que vous me faites souffrir inutilement. J’ai chargé Suzette d’emmener celle qui vous accompagnait afin de pouvoir vous dire un mot. Écoutez, il faut… il faut que je vous parle ce soir… ou bien… ou bien… vous ne savez pas ce que je ferai. Allez dans la serre. Vous y trouverez une porte à gauche et vous sortirez dans le jardin. Suivez l’allée qui est en face. Tout au bout vous verrez une tonnelle. Attendez-moi là dans dix minutes. Si vous ne voulez pas, je vous jure que je fais un scandale, ici, tout de suite !

Il répondit avec hauteur :

— Soit. Je serai dans dix minutes à l’endroit que vous m’indiquez.

Et ils se séparèrent. Mais Jacques Rival faillit le mettre en retard. Il l’avait pris par le bras et lui racontait un tas de choses avec l’air très exalté. Il venait sans doute du buffet. Enfin Du Roy le laissa aux mains de M. de Marelle retrouvé entre deux portes, et il s’enfuit. Il lui fallut encore prendre garde de n’être pas vu par sa femme et par Laroche. Il y parvint, car ils semblaient fort animés, et il se trouva dans le jardin.

L’air froid le saisit comme un bain de glace. Il pensa : « Cristi, je vais attraper un rhume », et il mit son mouchoir à son cou en manière de cravate. Puis il suivit à pas lents l’allée, y voyant mal au sortir de la grande lumière des salons.

Il distinguait à sa droite et à sa gauche des arbustes sans feuilles dont les branches menues frémissaient. Des lueurs grises passaient dans ces ramures, des lueurs venues des fenêtres de l’hôtel. Il aperçut quelque chose de blanc, au milieu du chemin, devant lui, et Mme Walter, les bras nus, la gorge nue, balbutia d’une voix frémissante :

— Ah ! te voilà ? tu veux donc me tuer ?

Il répondit tranquillement :

— Je t’en prie, pas de drame, n’est-ce pas, ou je fiche le camp tout de suite.

Elle l’avait saisi par le cou, et, les lèvres tout près des lèvres, elle disait :

— Mais qu’est-ce que je t’ai fait ? Tu te conduis avec moi comme un misérable ! Qu’est-ce que je t’ai fait ?

Il essayait de la repousser :

— Tu as entortillé tes cheveux à tous mes boutons la dernière fois que je t’ai vue, et ça a failli amener une rupture entre ma femme et moi.

Elle demeura surprise, puis, faisant « non » de la tête :

— Oh ! ta femme s’en moque bien. C’est quelqu’une de tes maîtresses qui t’aura fait une scène.

— Je n’ai pas de maîtresses.

— Tais-toi donc ! Mais pourquoi ne viens-tu plus même me voir ? Pourquoi refuses-tu de dîner, rien qu’un jour par semaine, avec moi ? C’est atroce ce que je souffre ; je t’aime à n’avoir plus une pensée qui ne soit pour toi, à ne pouvoir rien regarder sans te voir devant mes yeux, à ne plus oser prononcer un mot sans avoir peur de dire ton nom ! Tu ne comprends pas ça, toi ! Il me semble que je suis prise dans des griffes, nouée dans un sac, je ne sais pas. Ton souvenir, toujours présent, me serre la gorge, me déchire quelque chose là, dans la poitrine, sous le sein, me casse les jambes à ne plus me laisser la force de marcher. Et je reste comme une bête, toute la journée, sur une chaise, en pensant à toi.

Il la regardait avec étonnement. Ce n’était plus la grosse gamine folâtre qu’il avait connue, mais une femme éperdue, désespérée, capable de tout.

Un projet vague, cependant, naissant dans son esprit. Il répondit :

— Ma chère, l’amour n’est pas éternel. On se prend et on se quitte. Mais quand ça dure comme entre nous ça devient un boulet horrible. Je n’en veux plus. Voilà la vérité. Cependant, si tu sais devenir raisonnable, me recevoir et me traiter ainsi qu’un ami, je reviendrai comme autrefois. Te sens-tu capable de ça ?

Elle posa ses deux bras nus sur l’habit noir de Georges et murmura :

— Je suis capable de tout pour te voir.

— Alors c’est convenu, dit-il, nous sommes amis, rien de plus.

Elle balbutia :

— C’est convenu.

Puis tendant ses lèvres vers lui :

— Encore un baiser… le dernier.

Il refusa doucement.

— Non. Il faut tenir nos conventions.

Elle se détourna en essuyant deux larmes, puis tirant de son corsage un paquet de papiers noués avec un ruban de soie rose, elle l’offrit à Du Roy :

— Tiens. C’est ta part de bénéfice dans l’affaire du Maroc. J’étais si contente d’avoir gagné cela pour toi. Tiens, prends-le donc…

Il voulait refuser :

— Non, je ne recevrai point cet argent !

Alors elle se révolta :

— Ah ! tu ne me feras pas ça, maintenant ! Il est à toi, rien qu’à toi. Si tu ne le prends point, je le jetterai dans un égout. Tu ne me feras pas cela, Georges ?

Il reçut le petit paquet et le glissa dans sa poche.

— Il faut rentrer, dit-il, tu vas attraper une fluxion de poitrine.

Elle murmura :

— Tant mieux ! si je pouvais mourir.

Elle lui prit une main, la baisa avec passion, avec rage, avec désespoir, et elle se sauva vers l’hôtel.

Il revint doucement, en réfléchissant. Puis il rentra dans la serre, le front hautain, la lèvre souriante.

Sa femme et Laroche n’étaient plus là. La foule diminuait. Il devenait évident qu’on ne resterait pas au bal. Il aperçut Suzanne qui tenait le bras de sa sœur. Elles vinrent vers lui toutes les deux pour lui demander de danser le premier quadrille avec le comte de Latour-Yvelin.

Il s’étonna.

— Qu’est-ce encore que celui-là ?

Suzanne répondit avec malice :

— C’est un nouvel ami de ma sœur.

Rose rougit et murmura :

— Tu es méchante, Suzette, ce monsieur n’est pas plus mon ami que le tien.

L’autre souriait :

— Je m’entends.

Rose, fâchée, leur tourna le dos et s’éloigna.

Du Roy prit familièrement le coude de la jeune fille restée près de lui et de sa voix caressante :

— Écoutez, ma chère petite, me croyez-vous bien votre ami ?

— Mais oui, Bel-Ami.

— Vous avez confiance en moi ?

— Tout à fait.

— Vous vous rappelez ce que je vous disais tantôt ?

— À propos de quoi ?

— À propos de votre mariage, ou plutôt de l’homme que vous épouserez.

— Oui.

— Eh bien ! voulez-vous me promettre une chose ?

— Oui, mais quoi ?

— C’est de me consulter toutes les fois qu’on demandera votre main, et de n’accepter personne sans avoir pris mon avis.

— Oui, je veux bien.

— Et c’est un secret entre nous deux. Pas un mot de ça à votre père ni à votre mère.

— Pas un mot.

— C’est juré ?

— C’est juré.

Rival arrivait, l’air affairé :

— Mademoiselle, votre papa vous demande pour le bal.

Elle dit :

— Allons, Bel-Ami.

Mais il refusa, décidé à partir tout de suite, voulant être seul pour penser. Trop de choses nouvelles venaient de pénétrer dans son esprit et il se mit à chercher sa femme. Au bout de quelque temps il l’aperçut qui buvait du chocolat, au buffet, avec deux messieurs inconnus. Elle leur présenta son mari, sans les nommer à lui.

Après quelques instants il demanda :

— Partons-nous ?

— Quand tu voudras.

Elle prit son bras et ils retraversèrent les salons où le public devenait rare.

Elle demanda :

— Où est la Patronne ? je voudrais lui dire adieu.

— C’est inutile. Elle essayerait de nous garder au bal et j’en ai assez.

— C’est vrai, tu as raison.

Tout le long de la route ils furent silencieux. Mais, aussitôt rentrés en leur chambre, Madeleine souriante lui dit, sans même ôter son voile :

— Tu ne sais pas, j’ai une surprise pour toi.

Il grogna avec mauvaise humeur :

— Quoi donc ?

— Devine.

— Je ne ferai pas cet effort.

— Eh bien ! c’est après-demain le premier janvier.

— Oui.

— C’est le moment des étrennes.

— Oui.

— Voici les tiennes, que Laroche m’a remises tout à l’heure.

Elle lui présenta une petite boîte noire qui semblait un écrin à bijoux.

Il l’ouvrit avec indifférence et aperçut la croix de la Légion d’honneur.

Il devint un peu pâle, puis il sourit et déclara :

— J’aurais préféré dix millions. Cela ne lui coûte pas cher.

Elle s’attendait à un transport de joie, et elle fut irritée de cette froideur.

— Tu es vraiment incroyable. Rien ne te satisfait maintenant.

Il répondit tranquillement :

— Cet homme ne fait que payer sa dette. Et il me doit encore beaucoup.

Elle fut étonnée de son accent, et reprit :

— C’est pourtant beau, à ton âge.

Il déclara :

— Tout est relatif. Je pourrais avoir davantage, aujourd’hui.

Il avait pris l’écrin, il le posa tout ouvert sur la cheminée, considéra quelques instants l’étoile brillante couchée dedans. Puis il le referma, et se mit au lit en haussant les épaules.

L’Officiel du 1er janvier annonça, en effet, la nomination de M. Prosper-Georges Du Roy, publiciste, au grade de chevalier de la Légion d’honneur, pour services exceptionnels.

Le nom était écrit en deux mots, ce qui fit à Georges plus de plaisir que la décoration même.

Une heure après avoir lu cette nouvelle devenue publique, il reçut un mot de la Patronne qui le suppliait de venir dîner chez elle, le soir même, avec sa femme, pour fêter cette distinction. Il hésita quelques minutes, puis jetant au feu ce billet écrit en termes ambigus, il dit à Madeleine :

— Nous dînerons ce soir chez les Walter.

Elle fut étonnée.

— Tiens ! mais je croyais que tu ne voulais plus y mettre les pieds ?

Il murmura seulement :

— J’ai changé d’avis.

Quand ils arrivèrent, la Patronne était seule dans le petit boudoir Louis XVI adopté pour ses réceptions intimes. Vêtue de noir, elle avait poudré ses cheveux, ce qui la rendait charmante. Elle avait l’air, de loin, d’une vieille, de près d’une jeune, et, quand on la regardait bien, d’un joli piège pour les yeux.

— Vous êtes en deuil ? demanda Madeleine.

Elle répondit tristement :

— Oui et non. Je n’ai perdu personne des miens. Mais je suis arrivée à l’âge où on fait le deuil de sa vie. Je le porte aujourd’hui, pour l’inaugurer. Désormais je le porterai dans mon cœur.

Du Roy pensa : « Ça tiendra-t-il, cette résolution-là ? »

Le dîner fut un peu morne. Seule Suzanne bavardait sans cesse. Rose semblait préoccupée. On félicita beaucoup le journaliste.

Le soir on s’en alla, errant et causant, par les salons et par la serre. Comme Du Roy marchait derrière, avec la Patronne, elle le retint par le bras.

— Écoutez, dit-elle à voix basse… Je ne vous parlerai plus de rien, jamais. Mais venez me voir, Georges. Vous voyez que je ne vous tutoie plus. Il m’est impossible de vivre sans vous, impossible. C’est une torture inimaginable. Je vous sens, je vous garde dans mes yeux, dans mon cœur et dans ma chair tout le jour et toute la nuit. C’est comme si vous m’aviez fait boire un poison qui me rongerait en dedans. Je ne puis pas. Non. Je ne puis pas. Je veux bien n’être pour vous qu’une vieille femme. Je me suis mise en cheveux blancs pour vous le montrer, mais venez ici, venez de temps en temps, en ami.

Elle lui avait pris la main et elle la serrait, la broyait, enfonçant ses ongles dans sa chair.

Il répondit avec calme :

— C’est entendu. Il est inutile de reparler de ça. Vous voyez bien que je suis venu aujourd’hui, tout de suite, sur votre lettre.

Walter, qui allait devant avec ses deux filles et Madeleine, attendit Du Roy auprès du Jésus marchant sur les flots.

— Figurez-vous, dit-il en riant, que j’ai trouvé hier ma femme à genoux devant ce tableau comme dans une chapelle. Elle faisait là ses dévotions. Ce que j’ai ri !

Mme Walter répliqua d’une voix ferme, d’une voix où vibrait une exaltation secrète :

— C’est ce Christ-là qui sauvera mon âme. Il me donne du courage et de la force toutes les fois que je le regarde.

Et, s’arrêtant en face du Dieu debout sur la mer, elle murmura :

— Comme il est beau ! Comme ils en ont peur et comme ils l’aiment, ces hommes ! Regardez donc sa tête, ses yeux, comme il est simple et surnaturel en même temps !

Suzanne s’écria :

— Mais il vous ressemble, Bel-Ami. Je suis sûre qu’il vous ressemble. Si vous aviez des favoris, ou bien s’il était rasé, vous seriez tout pareils tous les deux. Oh ! mais c’est frappant !

Elle voulut qu’il se mît debout à côté du tableau ; et tout le monde reconnut, en effet, que les deux figures se ressemblaient !

Chacun s’étonna. Walter trouva la chose bien singulière. Madeleine, en souriant, déclara que Jésus avait l’air plus viril.

Mme Walter demeurait immobile, contemplant d’un œil fixe le visage de son amant à côté du visage du Christ, et elle était devenue aussi blanche que ses cheveux blancs.