Beautés de la poésie anglaise/Le Vieux Robin Gray

Traduction par François Chatelain.
Beautés de la poésie anglaiseRolandivolume 1 (p. 47-48).

Née le 8 Décembre 1750—Morte le 6 Mai 1825.
Le Vieux Robin Gray.


Quand brebis sont au parc, quand vaches sont au gîte,
Quand le monde épuisé prend un repos licite,
Que mon bonhomme dort sans s’en douter ma foi,
Tous les maux de mon cœur débordent malgré moi.

Jeune, Jacques m’aimait, il me voulait pour femme,
Mais sauf un seul écu Jacques n’avait rien, dame !
Pour en faire de l’or, il s’en fut en mer quoi !
Mais cet écu, cet or mon Dieu ! c’était pour moi !

Un an et puis un jour de ce départ, mon père
Il se cassait le bras ; malade était ma mère,
Notre vache volée,—et lui mon Jacque, en mer,
Et le vieux Robin Gray vint qui me dit m’aimer.

Mes parents ne pouvaient travailler davantage,
Je travaillai la nuit, le jour, avec courage,
Mais ne gagnais assez,—pour lors le vieux Robin
Les soutint tous les deux, puis demanda ma main.

Hélas ! mon cœur dit non,—mon cœur attendait Jacques,
Automne, Hiver, Été, du Printemps jusqu’à Pasques ;
Mais les vents soufflaient fort, son vaisseau fut perdu,
oh ! pourquoi vivre encor !… Jacques pourquoi vis-tu ?

Mon père me pressa beaucoup,—ma pauvre mère
Son silence éloquent était une prière !
Ils donnèrent tous deux non mon cœur, mais ma main,
Et le vieux Robin Gray devint notre homme enfin !

J‘avais été sa femme un mois, pas même encore,
Quand triste sous mon porche, oh ! me le remémore !
De Jacques je vis l’ombre,—et croyais m’abuser
Quand lui dit : « Je reviens, amour, pour t’épouser ! »

Oh ! combien de soupirs entre nous échangeâmes,
Un baiser ! rien qu’un seul, et nous nous séparâmes.
J’appelle tous les jours la mort, mais c’est en vain,
Car, oh je suis bien jeune, et j’ai plus d’un demain !

Comme un revenant j’erre,—et bien peu me soucie
De filer ; c’est péché, qui, vrai, me supplicie
Que de penser à Jacque ;—oh ! pour Robin je veux
Demeurer brave femme ; il est si bon ce vieux !