Bayou Choupique - 5 novembre 1890

Louisiana studies. Literature, customs and dialects, history and education
F. F. Hansell & bro (p. 203-205).

Premiers Lettre.

Bayou Choupique, le 5 Novembre 1890.

Mon cher Mussieu Philologue :

D’abord l’public s’a intéressé à connaite notre histoire, mouan[1] j’va dire tout ça j’connais et pi[2] les autres vont conter ça ils savions[3]. Pou ça je connais, j’ai toujours attendu[4] dire que les premiers Cadiens qu’a venu icite étions arrivés du Nord par le Missippi. Ils venions des Illinoués et s’étions éparpillés tout le long du fleuve et ceuzes[5] qua quitté la grand bande avions arrêteé côté nous autres. Ils étions tous des chasseurs et des coureurs des bois. La beauté des chauvagesses les avions tentés ; ça fait y en a plein dans eux autres qui s’avions marié avec ces filles des bois. Mouan j’en connais plein des familles içite qu’a du sang chuavage et même qu’ils étions bien fiers de descendre des premiers habitants ; i[6] s’disions les seuls vrais Américains. Pour lors donce eune fois établis icite tous ces gaillards-là s’avons mis à travailler dur ; et pi i s’étions bâti des cabanes et avions défréchi[7] et netteyé d’la terre et chacun dans eux autres a eu eune désert[8] pou cultiver du mais, du tabac, de l’indigo, et boucoup plus tard du coton et pi ensuite a venu la canne et ensuite le riz.

Nos grands-popas avions eu boucoup des pitits. Ça me fait jongles dans mon jeune temps, quand ma pauvre définte moman me faisait carder du coton pou faire la cotonnade ; les fils étions tindus[9] bleus ou rouges. Alors on avait des bien jolies tchulottes et des véreuses[10] pou aller vous promener l’dimanche. On avait été d’auparavant à la messe pour apprendre le catéchime avec le tchuré et pi quand on était paré[11] on faisait sa première communion. Oh ! mais c’était eune beau jour, on sentait qu’on était légère comme une plume. A rien m’aurai pas tenté pou faire eune péché, a rien aurait pu me faire virer[12] de bord et prendre eune mauvais chemin comme les mauvais garniments.

Aussitot on était assez grand pou travailler la terre, on soignait les bêtes. Notre popa nous donnait toujours eune tite taure[13] pou commencer et au bout de quéque temps alle[14] avait un veau, ça fait que chacun dans nous autres avait un p’tit commencement pou nous marier.

Nous autres dans la campagne on se mariait jeune. On courtisait les filles et eune fois un garçon avait choisi sa prétendue, la noce tardait pas boucoup. Oh ! mais du Djiab si on s’amusait pas bien mieux qu’à c’t’heure. A eune noce ou eune bal on dansait des rigodonss et c’etait si tentant que les violoniers memes quittaient leur violon et se mettaient à corcobier comme les autres. Ah ! tu peux guetter[15], va, c’etait pas comme a c’t’heure, non. Parlez-moi des autres fois, oui. A present à n’importe qui temps i dansions ; nous autres on dansait jisque quand la saison commençait a frédir, mais par exemple, quand le Mardi[16] Gras tombait un samedi, i avait pas de Catherine, [17] i fallait un bal. Dans les grands chaleurs on avait pas le temps, on travaillait trop boucoup dur la charrue ; i fallait rabourer la terre, renchausser et dechausser l’maïs et l’coton, et pi à la fin de l’été faire des mulons de foin et de paille. J’vous garantis on était souvent mal en position avec le soleil qui vous grillait la caloquinte, [18] les chouboulures, les maringouins, les bêtes rouges et les poux de bois. On avait pas même le temps de charrer[19] un peu, comme disait nainaine[20] Soco.

Sitôt le soleil était couché fallait jongler a boire eune bonne tasse de lait et manger un peu de couche[21] couche et pi aller s’fourrer en bas le bere[22] pou dormir un peu et se lever a la barre du jour. Cré mille miseres i avait des moments on fumait[23] un vilain coton ; surtout quand notre defint popa vivait. Il etait toujours le premier deboute ; i fallait filer raide. Mai povre defint, les Bon Dieu l’a pris, et mouan même je suis après procher[24] côté le curé pou garder ses poules.
Bon Djeu merci, au jour d’aujourd’hui tous me pitits sont grands. Je leurs y ai donné tout ça j’avais, et comme i me reste plus arien, ça c’est juste que ça j’ai fait pou eux autres ils le faisions pou mouan. J’ai pas fait avec eux le partage à Montgommery. C’était dans le temps à d’Arta guette[25] que ce fameux lapin là vivait. C’était un gaillard qu’était plus coquin que bête ; quand il allait à la chasse avec ses camarades, comme il était fort comme eune cheval il commençait toujours par grogner faire semblant t’être en colère. I leur faisait eune bonne cache et quand il fallait partager le gibier il prenait tout et laissait la restant pou les autres. Ça fait depi ce temps-là nous autres ons dit toujours le partage à Montgommery.

Ma plume connaît galoper quéquefois dans l’passé, alle prend l’estampic[26], mais je connais l’arrêter quand même j dois li mettre eune bridon. Comme je me sentions lasse j’vas finir icite ma première lettre, et je vous promets, Mussieu, de vous écrire encore anvant le jour de Noal. On doit faire eune grand réveillons si vous voulez venir. On va se revoir plus tard.

Je vous salue de loin, Batis Grosbœuf.

  1. Moi.
  2. Puis.
  3. The first person plural of the verb used with pronouns of first person singular and third person plural.
  4. Entendu
  5. Ceux.
  6. Ils
  7. Défriché.
  8. Champ, a curious expression. The word distrt must have designated the prairies.
  9. Teints.
  10. Vareuses
  11. Prêt.
  12. Virer de bord, one of the nautical expressions so common among the Acadians.
  13. Génisse.
  14. Elle.
  15. Tu peux guetter, va : You may say what you please.
  16. Quand le Mardi Gras tombait un samedi : In carnival time.
  17. I avait pas de Catherine : It had to be done.
  18. La tête.
  19. Charrer, to converse.
  20. Marraine
  21. A dish made with com meal.
  22. La moustiquaire.
  23. On fumait un vilain coton, for on filait : We were in an embarrassing situation
  24. Procher coté le curé pou garder ses poules : I shall soon die ; I shall be in the cemetery to take care of the curate’s chickens.
  25. Very long ago D’Artaguette and Vincennes were burned by the Indians.
  26. Le mort aux dents : Stampede