Barzaz Breiz/1846/Mort de Pontcalec/Bilingue
Mort de Pontcalec
XIV
MORT DE PONTCALEC.
( Dialecte de Cornouaille. )
I.
Un chant nouveau a été composé, il a été fait sur le marquis de Pontcalec ; — Toi qui l'as trahi, sois maudit ! sois maudit ! Toi qui l’as trahi, sois maudit ! — Sur le jeune marquis de Pontcalec, si beau, si gai, si plein de cœur ! Il aimait les Bretons, car il était né d’eux ; Toi qui l’as trahi, sois maudit ! sois maudit ! etc. Car il était né d’eux, et avait été élevé au milieu d’eux. Il aimait les Bretons, mais non pas les bourgeois ; Mais non pas les bourgeois qui sont du parti des Français ; Qui sont toujours cherchant à nuire à ceux qui n’ont ni biens ni rentes, |
A ceux qui n'ont que !a peine de leurs deux bras, jour et nuit, pour nourrir leurs mères. Il avait formé le projet de nous décharger de notre faix ; Grand sujet de dépit pour les bourgeois qui cherchaient l’occasion de le faire décapiter. — Seigneur marquis, cachez-vous vite, cette occasion, ils l’ont trouvée ! —
II
Voilà longtemps qu’il est perdu ; on a beau le chercher, on ne le trouve pas. Un gueux de la ville, qui mendiait son pain, est celui qui l’a dénoncé ; Un paysan ne l’eût pas trahi, quand on lui eût offert cinq cents écus. C’était la fête de Notre-Dame des Moissons, jour pour jour ; les dragons étaient en campagne[1] : — Dites-moi, dragons, n’êtes-vous pas en quête du marquis ? — Nous sommes en quête du marquis ; sais-tu comment il est vêtu ? — Il est vêtu à la mode de la campagne ; surtout bleu orné de broderies ; Soubreveste bleue et pourpoint blanc ; guêtres de cuir et braies de toile ; |
Petit chapeau de paille tissu de fils rouges ; sur ses épaules, de longs cheveux noirs. Ceinture de cuir avec deux pistolets espagnols à deux coups. Ses habits sont de grosse étoffe, mais dessous il en a de dorés. Si vous voulez me donner trois écus, je vous le ferai trouver. — Nous ne te donnerons pas même trois sous ; des coups de sabre, c’est différent ; Nous ne le donnerons pas même trois sous, et tu nous feras trouver Pontcalec. — Chers dragons, au nom de Dieu, ne me faites point de mal : Ne me faites point de mal, je vais vous mettre tout de suite sur ses traces ; Il est là-bas, dans la salle du presbytère, à table, avec le recteur de Lignol.
III.
— Seigneur marquis, fuyez ! fuyez ! voici les dragons qui arrivent ; Voici les dragons qui arrivent ; armures brillantes, habits rouges. — Je ne puis croire qu’un dragon ose porter la main sur moi ; Je ne puis croire que l’usage soit venu que les dragons portent la main sur les marquis ! — |
Il n’avait pas fini de parler, qu’ils avaient envahi la salle. Et lui de saisir ses pistolets : Voyant cela, le vieux recteur se jeta aux genoux du marquis : — Au nom de Dieu, votre Sauveur, ne tirez pas, mon cher seigneur ! À ce nom de notre Sauveur, qui a souffert patiemment ; À ce nom de notre Sauveur, ses larmes coulèrent malgré lui ; Contre sa poitrine, ses dents claquèrent ; mais se redressant, il s’écria : « Partons ! » Comme il traversait la paroisse de Lignol, les pauvres paysans disaient : Ils disaient, les habitants de Lignol : — C’est grand péché de garrotter le marquis ! — Comme il passait près de Berné, arriva une bande d’enfants : — Bonjour, bonjour, monsieur le marquis : nous allons au bourg, au catéchisme. — Adieu, mes bons petits enfants, je ne vous verrai plus jamais ! — Et où allez-vous donc, seigneur ? est-ce que vous ne reviendrez pas bientôt ? — Je n’en sais rien, Dieu seul le sait : pauvres petits ! je suis en danger. — |
Il eût voulu les caresser, mais ses mains étaient enchaînées. Dur eût été le cœur qui ne se fût pas ému ; les dragons eux-mêmes pleuraient. Et cependant les gens de guerre ont des cœurs durs dans leurs poitrines. Quand il arriva à Nantes, il fut jugé et condamné, Condamné, non pas par ses pairs, mais par des gens tombés de derrière les carrosses[2]. Ils demandèrent à Pontcalec : — Seigneur marquis, qu’avez-vous fait ? — Mon devoir ; faites votre métier ! —
IV.
Le premier dimanche de Pâques, de cette année, un message est arrivé à Berné. — Bonne santé à vous tous, en ce bourg ; et où est donc le recteur d’ici ? — Il est à dire la grand’messe, voilà qu’il va commencer le prône. — Comme il montait en chaire, on lui remit une lettre en son livre : Il ne pouvait la lire, tant ses yeux se remplissaient de larmes. |
— Qu’est-il arrivé de nouveau, que le recteur pleure ainsi ? — Je pleure, mes enfants, pour une chose qui vous fera pleurer vous-mêmes. Il est mort, chers pauvres, celui qui vous nourrissait, qui vous vêtissait, qui vous soutenait ; Il est mort celui qui vous aimait, habitants de Berné, comme je vous aime ; Il est mort celui qui aimait son pays, et qui l’a aimé jusqu’à mourir ; Il est mort à vingt-deux ans, comme meurent les martyrs et les saints ; Que Dieu ait pitié de son âme ! le seigneur est mort : ma voix meurt ! Toi qui l’as trahi, sois maudit ! sois maudit ! Toi qui l’as trahi, sois maudit !
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