Barzaz Breiz/1846/Les Hirondelles

Barzaz Breiz/1846
Barzaz Breiz, 1846Franck2 (p. 393-397).



LES HIRONDELLES


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ARGUMENT.


Cette charmante chansonnette, qui couronnera la seconde partie de ces chants populaires, pourra servir de contraste à la ballade du poëte Loéiz Kam, et, comme elle, prouver que le génie poétique, si vivace encore parmi les classes supérieures qui savent le breton et qui écrivent en cette langue, est loin d’être éteint parmi le peuple des campagnes.

On l'attribue à deux jeunes paysannes, deux sœurs. Toutes deux pourtant, si on les interroge, se défendent d’abord vivement de l’avoir composée (c’est l’usage) ; puis, si on continue de les presser de questions, elles s’en attribuent l’une à l’autre l’honneur, et, si on les presse davantage, elles finissent par avouer, en rougissant, qu’elles l’ont faite ensemble. « On ne saurait trop admirer leur œuvre, dit un poète anglais (M. Milmann), bon juge en pareille matière ; elle semble une espèce de reproche délicat fait à un fils de famille qui va chercher des plaisirs, et peut-être former des liens loin du pays natal[1]. »

XVII


LES HIRONDELLES.


( Dialecte de haute Cornouaille )


Il y a un petit sentier qui conduit du manoir à mon village,

Un sentier blanc sur le bord duquel on trouve un buisson d’aubépine

Chargé de fleurs qui plaisent au fils du seigneur du manoir.

Je voudrais être fleur d’aubépine, qu’il me cueillit de sa main blanche.

Qu’il me cueillit de sa petite main blanche, plus blanche que la fleur d’aubépine.

Je voudrais être fleur d’aubépine, pour qu’il me plaçât sur son cœur.

Il s’éloigne de nous, quand l’hiver entre dans la maison :

Il s’en va vers le pays de France, comme l’hirondelle qui vole.

Quand revient le temps nouveau, il revient aussi vers nous ;

Quand les bluets naissent dans les prés, et que l’avoine fleurit dans les champs ;

Quand chantent les pinsons et les petits linots ;

Il revient avec les fêtes ; il revient à nos pardons.

Je voudrais voir des fleurs et des fêtes chez nous en chaque saison,

El voir les hirondelles voltiger par ici, toujours ;

Je voudrais les voir voltiger toujours au bout de notre cheminée.


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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


Il est impossible d’exprimer avec plus de délicatesse un sentiment plus doux. Tous les chants des jeunes paysannes bretonnes {et ils sont nombreux) ont le même caractère de pudique réserve : vous diriez qu’on y sent toujours battre le cœur d’une vierge. Lorsque le sujet s’élève, comme en cette circonstance, et que l’auteur se trouve lié à celui qu’il chante par une communauté d’origine, de langue, de traditions, de souvenirs, d’intérêts et d’affections, résultat du vieil esprit de clan, il s’enveloppe d’ombres discrètes, et le mystère prête à son œuvre un charme nouveau. Mais malheur a qui le trahit ! Alors arrivent par troupeaux ces chercheurs de motifs et de paroles qu’on appelle compositeurs de romances : jugeant l’esprit Français moins pénétrant que celui des paysans bas bretons, ils déchirent tous les voiles dont le chaste poêle a enveloppé sa création virginale ; ils chargent de notes l’harmonieuse plainte qui devait avoir pour unique accompagnement le frôlement du fuseau de la jeune fileuse, et l’imprudent révélateur n’a plus qu’a se frapper la poitrine en répétant ce vers de Virgile, que M. Sainte-Beuve a fait passer avec tant de bonheur et d’art dans la poésie française :


Perditus, ah ! liquidis immisi fontibus apros !

J'ai mis le sanglier dans la claire fontaine,

Amour du peuplier !


  1. Quarterly Review, June 1843, p. 37.