Barzaz Breiz/1846/Les Laboureurs/Bilingue

Barzaz Breiz, édition de 1846
Les Laboureurs



XX


LES LABOUREURS.


( Dialecte de Léon. )


Approchez tous, habitants des campagnes, pour écouter un chant qui a été nouvellement composé sur la vie du laboureur ; une vie dure et pénible ; repos ni jour ni nuit ! mais il le prend en patience, pour mériter le paradis.

Le laboureur travaille sous tous les temps, aussi bien sous le froid que sous le chaud du jour ; qu’il neige, qu’il grêle, qu’il tonne, qu’il vente, qu’il pleuve, qu’il gèle, qu’il glace, vous le verrez dans son champ, travaillant, courbé en deux plis.

Le laboureur est vêtu le plus souvent en toile ; il n’est pas beau sur la semaine, comme les bourgeois ; ses habits sont chiffonnés, souillés par la terre ; les gens de la ville, qui pourtant ont besoin de lui, crachent de dégoût à sa vue.

Il y a une grande différence entre l’état du pauvre laboureur et l’état des habitants des villes : ceux-ci se nourrissent de viande, de poisson, de pain blanc, chaque jour ; le laboureur, lui, de bouillie, de pain sec et de lavure.

Le laboureur doit payer, payer en tout temps, payer au roi, par an, trois ou quatre sortes d’impôts ; puis, quand il lui faut payer son maître, si l’argent n’est pas prêt, on fait bon marché de son bien. Ici le chagrin !

Il a, en outre, à payer les obits au recteur ; la coutume le veut, c’est juste ; à donner leur quête aux prêtres, l’aumône aux pauvres ; et, pour qu’ils ne lui manquent point, leurs gages à ses serviteurs.


Après tout cela, le laboureur sera accusé, il sera grugé par les hommes de loi, dépouillé de son peu de bien ; et, en voyant piller sa fortune, il n’a rien à dire.

Et s’il vient à compter quelquefois son argent, l’argent qu’il a amassé avec tant de peine, les hommes de la ville rient et le huent, et, si on peut, on le lui prend, en lui riant au nez.

Enfin, quelque part qu’il aille, on dit du mal du laboureur ; bien des gens le méprisent ; et pourtant, si l’on voulait bien y réfléchir : c’est le bras du laboureur qui fait vivre le monde entier.

Telle est notre vie, hélas ! notre dure vie ; notre sort est misérable, notre étoile funeste, notre état bien pénible ; repos ni jour ni nuit ! mais prenons-le en patience pour mériter le paradis.


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