Barzaz Breiz/1846/Les Fleurs de Mai

Barzaz Breiz/1846
Barzaz Breiz, 1846Franck2 (p. 259-265).



LES FLEURS DE MAI.


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ARGUMENT.


Un poétique et gracieux usage existe sur la limite de la Cornouaille et du pays de Vannes : on sème de fleurs la couche des jeunes filles qui meurent au mois de mai. Ces prémices du printemps sont regardées comme un présage d’éternel bonheur pour celles qui peuvent en jouir, et il n’est pas une jeune malade dont les vœux ne hâtent le retour de la saison des fleurs, si fleurs sont près d’éclore, ou l’instant de sa délivrance, si elles doivent bientôt se flétrir.

On chante en Cornouaille une élégie composée sur ce doux et triste sujet par deux sœurs paysannes, auteurs d’une chanson qu’on lira plus tard, les Hirondelles.

XXV


LES FLEURS DE MAI.


( Dialecte de Cornouaille. )


I.


Qui aurait vu Jeff sur la grève, les yeux brillants el les joues roses ;

Qui aurait vu Jeff au pardon aurait en le cœur réjoui.

Mais qui l’aurait vue sur son lit eût pleuré de pitié pour elle ;

Pour la pauvre fille malade, aussi pâle qu’un lis d’été.

Elle disait à ses compagnes assises sur le banc de son lit :

— Mes compagnes, si vous m’aimez, au nom de Dieu, ne pleurez pas.

Vous savez bien, il faut mourir : Dieu lui-même est mort, mort en croix. —


II.


Comme j’allais puiser de l’eau à la fontaine, le rossignol de nuit chantait d’une voix douce :

— « Voilà le mois de mai qui passe, et les fleurs des haies avec lui;

Heureuses les jeunes personnes qui meurent au printemps !

Comme la rose quitte la branche du rosier, la jeunesse quitte la vie ;

Celles qui mourront avant huit jours, on les couvrira de fleurs nouvelles,

Et du milieu de ces fleurs, elles s’élèveront vers le ciel, comme le passe-voie du calice des roses. —


III.


Jeffik, Jeffik, vous ne savez pas ce que le rossignol a dit :

« Voilà le mois de mai qui passe, et les fleurs des haies avec lui. »

Quand la pauvre fille entendit, elle mit ses deux mains en croix ;

— Je vais dire un Ave Maria en votre honneur, dame Marie ;

Pour qu’il plaise à Dieu, votre fils, d’avoir pitié de moi ;

Pour que j’aille, sans tarder, attendre mes compagnes dans le paradis. —

Sa prière était à peine finie, qu’elle pencha la tête ;

Elle pencha la tête et puis ferma les yeux.

En ce moment, on entendit le rossignol qui chantait encore au courtil :

« Heureuses les jeunes personnes qui meurent au printemps !

« Heureuses les jeunes personnes que l’on couvre de fleurs nouvelles ! »

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NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.


Les Bretons gallois du midi ont conservé, comme ceux de quelques cantons de la Bretagne française, l’usage de semer de fleurs la couche des jeunes filles qui meurent dans le mois de mai ; cet usage doit donc remonter au cercueil des vierges celtiques. Un barde moderne y fait allusion :

« Son lit funèbre, blanc comme la neige de la montagne, fut jonché de fleurs suaves : ces preuves de sincère amour, arrosées de larmes, l’accompagnèrent dans la tombe. »

Tous les ans, au retour du printemps, les amies de celle qui a vécu ce que vivent les roses lui portent de nouvelles guirlandes. Shakspeare, auquel les traditions et les coutumes bretonnes fournirent plus d’un vers charmant, a enchâssé ce dernier trait, comme un joyau de prix, dans son poëme sur le Gallois Kymbeline :

« Tant que dureront les beaux jours et tant que je vivrai, je viendrai fidèle parfumer ta tombe des plus belles fleurs de l’été : la fleur qui ressemble à ce qu'était ton visage, pâle prime-rose, ne te manquera pas ; ni l'arabella, azurée comme étaient tes veines, ni la feuille de l’églantier fleuri, moins embaumé que n’était ta suave haleine. »



Mélodie originale


Pas de partition dans cette édition.