Barzaz Breiz/1846/Les Chouans/Bilingue

Barzaz Breiz, édition de 1846
Les Chouans



XXIII


LES CHOUANS.


( Dialecte de Vannes. )


Les vieillards et les jeunes filles et les petits garçons et tous ceux qui sont incapables d’aller se battre, diront, dans leurs maisons, avant de se coucher, un Pater et un Ave pour les chouans.

Les chouans sont des hommes de bien, ce sont de vrais chrétiens ; ils se sont levés pour défendre notre pays et nos prêtres ; s’ils frappent à votre porte, je vous en prie, ouvrez-leur ; Dieu de même, mes braves gens, vous ouvrira un jour.

Julien aux cheveux roux[1] disait à sa vieille mère, un matin : — Je m’en vais, moi, rejoindre Tinténiac, car il me plaît d’aller. — Tes deux frères m’ont abandonnée, et toi tu m’abandonnes aussi ! mais, s’il te plaît d’aller, va-t’en à la garde de Dieu ! —

Comme les chouans arrivaient de chaque partie de la Bretagne, de Tréguier, de Cornouaille, et surtout de Vannes, les Bleus venant du côté de la France les joignirent, au manoir de Coatlogon, au nombre de trois mille.

— Voici l’heure qui sonne, voici l’heure sonnée, où nous en viendrons encore une fois aux mains, avec ces misérables soldats : du courage, enfants de la Bretagne ! du courage, et voyons ! Si le diable est pour eux. Dieu est pour nous ! —

Quand ils en vinrent aux prises, il (Julien) frappait comme un homme : chacun d’eux avait un bon fusil ; lui, il n’avait

que son bâton, son bâton et son chapelet de Sainte-Anne, et quiconque l'approchait était abattu à ses pieds.

Et tout percé était son chapeau, et percée sa veste, et une partie de sa chevelure avait été coupée d’un coup de sabre, et le sang coulait de son flanc ouvert, et il ne cessait de frapper, et de plus il chantait.

Et je cessai de le voir, et puis je le revis, il s’était retiré à l’écart sous un chêne, et il pleurait amèrement, la tête inclinée, le pauvre monsieur de Tinténiac en travers sur ses genoux.

Et quand le combat finit, vers le soir, les chouans s’approchèrent, jeunes et vieux, et ils ôtaient leurs chapeaux et ils disaient ainsi : — Voilà que nous avons gagné la victoire, et il est mort ! hélas ! —

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  1. Julien Cadoudal.