Barzaz Breiz/1846/Le Prêtre exilé/Bilingue

Barzaz Breiz, édition de 1846
Le Prêtre exilé


XXI


CHANT DU PRÊTRE EXILÉ.


( Dialecte de Vannes. )


Écoutez un recteur de l’évêché de Vannes, exilé pour la foi, loin du royaume ; son corps est loin de vous, mais sa pensée comme son cœur ne vous ont pas quittés.

Depuis l’instant cruel où des ordres impitoyables m’ont éloigné de vous, je vous ai toujours devant les yeux, et je pleure nuit et jour en songeant à vos peines.

O jour plein de douleur ! ô jour plein de deuil, qui m’a séparé de vous, mes enfants ! désolant adieu ! Tant que je vivrai je me souviendrai de toi ; je ne l’oublierai jamais !

Semblable à Jérémie ou aux malheureux Juifs , pendant leur longue captivité à Babylone, chaque jour, en songeant à toutes vos peines, je mêle mes larmes aux flots de la mer.

Assis sur un rocher, seul au bord du rivage, je pleure amèrement, et j’inonde mes joues, j’inonde, hélas ! mes joues de larmes, en pensant à vous, qui êtes par delà les mers.

O bon peuple béni ! où est le temps heureux où vous me trouviez chaque jour pour vous parler de Dieu, pour décharger vos cœurs, et pour vous soutenir par la communion !


Ah! mes chers enfants, dans quel état êtes-vous ? Vous me cherchez tous les jours, et vous ne me trouvez plus ; moi, je vous cherche aussi ; mais hélas ! vous n’avez plus de père, et je n’ai plus d’enfants !

Chères petites brebis, qu’allez-vous devenir ? Qui vous assistera, qui vous portera secours ? Jésus, bon Pasteur ! ne les oubliez pas, et tendez-leur en tout temps la main.

Esprits heureux, saints et saintes, et vous, reine du ciel, ne les quittez jamais ; donnez-leur aide en leurs devoirs et consolation dans leurs maux.

terre de Bretagne ! ô mon pays désolé ! dans quelle mer d’affliction as-tu été précipité ? Autrefois tu étais beau, tu étais joyeux et gai ; maintenant, hélas ! te voilà navré de douleur !

Une troupe de traîtres, sans foi ni loi, l’ont ébranché et bouleversé ; ils ont ravi toutes les joies du cœur ; ils ont chassé évêques, moines et prêtres.

Évêques, prêtres, moines, ont été chassés ; les religieuses ont abandonné le pays ; plus de messe, plus de sacrements ; les ronces croissent dans nos églises !

Les nappes d’autel, la croix et le calice ont été profanés, et les cloches volées dans toutes les paroisses ; l’église est veuve et dépouillée de ses biens ; le cher Jésus a été exilé du tabernacle ;

L’église est profanée ; elle est changée en écurie, et le maître-autel en table à manger ; les vrais chrétiens, les honnêtes gens pleurent ; partout, partout les méchants les oppriment !

O mon Dieu ! vous êtes irrité par nos péchés ; c’est nous qui sommes les auteurs de tous les maux qui nous accablent. Quand nous vous sommes fidèles, vous nous êtes fidèle ; nous nous sommes éloignés de vous, vous vous éloignez de nous.

Dans votre colère pourtant, vous êtes plein de miséricorde, et de l’abîme de nos afflictions vous faites sortir le bonheur. Pitié ! mon Dieu ! pitié ! nous sommes vos enfants ; pardonnez nous le mal que nous avons fait !

À tout le royaume, à l’Église désolée, rendez, mon Dieu, rendez bien vite vos bontés. Ayez pitié de nous, ô Dieu d’amour ! Rendez-nous la paix, rendez-nous la foi !

Quand serons-nous, pasteurs et troupeaux, tous réunis, pour chanter vos louanges ? Quand viendra le jour qui séchera nos larmes, et où nous pourrons chanter votre gloire au milieu de nos temples ?

Ô jour de félicité ! ô jour plein de douceur ! je songe à toi à toute heure, à tout moment ; ô Dieu de bonté ! hâtez l’instant où je pourrai revoir mes enfants !

Va, chant de tristesse, consolation de mon cœur, va, et dis à mon peuple combien est grande ma douleur. Portez-le sur vos ailes, bons anges, et dites-leur bien que jour et nuit je pense à eux.

Tourterelle, petit rossignol, quand revient le temps nouveau, vous allez chanter à la porte de mes enfants. Ah ! que ne puis-je y voler comme vous ! Que ne puis-je voler, par delà la mer, jusqu’à mon pays, comme vous !

Ah ! dites-leur, connue je ferais ; chantez-leur de toutes vos forces : — Conservez bien la Foi ; conservez votre loi ; — et faites-leur vous répondre : — Oui ! nous conserverons la Foi ! plutôt souffrir mille morts que d’oublier notre Dieu ! —

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