Barzaz Breiz/1846/Le Pardon de Saint-Fiacre/Bilingue

Barzaz Breiz, édition de 1846
Le Pardon de Saint-Fiacre



XVIII


LE PARDON DE SAINT-FIACRE.


( Dialecte de Cornouaille. )



I.


Approchez tous, jeunes gens, et vous vieillards aussi ; écoutez mon chant, mon chant nouveau sur un tout jeune homme de la paroisse de Langonet, qui a perdu la vie de la main de ses compagnons.

— Venez avec nous, cher Loéizik Rozaoulet, et nous irons au pardon de Saint-Fiacre, au Faouet.

— Passez votre chemin, mes amis, passez, je n’irai point ; je me prépare à faire mes pâques, avec le recteur de Langonet.

— Bonjour à vous, père Maurice, et à vous, Marie Fraoé ; laissez votre fils venir faire un tour avec nous ; laissez-le venir avec nous au pardon, s’il vous plaît ; nous verrons offrir le bouquet au recteur du Faouet.

— Allez donc, jeunes gens, et emmenez-le avec vous, mais qu’avant le coucher du soleil il soit de retour ici.

— Oh ! ne craignez rien, père Maurice, ne craignez rien ; le soleil ne sera pas couché, que nous serons de retour. —

Après la messe et le sermon : — Voulez-vous venir avec nous à Kerli, Loéizik, souper chez ma marraine qui nous a invités, lundi. — Allez-y seuls, allez, je n’y vais point ;

Allez-y seuls, allez, je n’y vais point, car je serais tard à la maison, et je serais grondé. —

Ils ont tant fait, qu’il s’est rendu ; Loéizik Rozaoulet les a suivis à Kerli.


II.


Au coin de la table, à Kerli, pleurait Loëiz Rozaoulet : — Seigneur Dieu ! venez à mon aide ! qu’ai-je fait ? Seigneur Dieu ! venez à mon aide ! qu’ai-je fait ? J’espérais être de bonne heure à la maison, et me voilà tard !

— Taisez-vous, Loéizik, laisez-vous ; ne pleurez pas ; nous sommes trois hommes avec vous ; il ne vous arrivera aucun mal. — Loéizik Rozaoulet pleurait au coin de la table, bien triste : — Seigneur Dieu, mon Jésus ! qu’ai-je fait ?

Et en s’en revenant ils trouvèrent, près de la croix du chemin, Marianna, qui courait à perdre haleine ; elle s’était égarée, et était restée seule loin derrière ceux qui raccompagnaient. — Arrêtez, chère petite, ne courez pas si fort. —

Auprès de la croix de Penfel. ils trouvèrent Marianna de Langonet, qui aimait Loéizik, et qui en était aimée ; ils avaient été couchés tout enfants dans le même berceau, et s’étaient bien souvent trouvés en face l’un de l’autre, à table.

La jeune fille, en les voyant, trembla de tous ses membres, et s’élança en criant vers la croix, qu’elle embrassait étroitement de ses deux pauvres petits bras. — Mon pauvre Loéizik, à mon secours ! hélas ! je suis perdue !

— Quelle horreur ! Mes amis, ce serait un péché, un très-grand péché. Cela ne sera pas ! Laissez-la passer son chemin sans lui faire de mal ni d’outrage, ou le seigneur Dieu vous punira.

— Qui diable te pique, petit champion des jeunes filles ? — El eux de le saisir par l’habit, et elle de s’enfuir, et eux de la poursuivre comme trois loups affamés. — C’est ici, cher ami. ici que tu mourras !

— Si vous voulez me conduire au bourg de Skoul, à la porte de mon père, je vous pardonnerai tout de bon cœur. — Dites adieu à votre mère et à qui vous voudrez, car jamais morceau de pain de votre vie vous ne mangerez au bourg de Skeul.

— Puisqu’il faut donc que je meure, ôtez la couronne de sainte Barbe qui est cachée dans la doublure de mes habits[1], et s’il plaît à Dieu, je mourrai ensuite. —

Et quand ils l’eurent tué, ils le traînèrent par les pieds, ils le traînèrent par ses petits pieds à la grande rivière du Faouet, et arrivés à l’eau, ils l’y jetèrent.


III.


Le vieux Maurice et sa femme pleuraient amèrement, cherchant partout leur fils Loéizik. — Taisez-vous, Maurice, ne pleurez pas, dans peu votre enfant sera retrouvé. —

Quiconque eût été là eût eu le cœur navré, en voyant Loéiz Rozaoulet couché sur le dos dans la prairie; en voyant le pauvre enfant mort, ses beaux cheveux blonds cpars sur ses yeux ;

Quiconque eût été là eût eu le cœur navré, en voyant le pauvre enfant sur le dos dans la prairie ; il n’y avait là ni père, ni mère, ni parent, ni ami qui vînt le relever, excepté le recteur de Langonet.

Le recteur de Langonet disait en pleurant amèrement : — Adieu, mon bon petit Loéïz ; tu vas aller en terre. Je t’attendais

aujourd’hui dans l’église de Langonet, mais voilà que tu seras enterré dans le cimetière du Faouet. —

Je vous en prie, habitants de Langonet, quand vous viendrez au Faouet, allez dire un Pater sur la tombe de Loéiz Rozaoulet ; allez dire un Pater sur la tombe de Loéiz Rozaoulet. qui a perdu la vie par la main de ses compagnons. —


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  1. Amulette qui préserve, dit-on, de la mort.