Barzaz Breiz/1846/Azénor la Pâle/Bilingue

Barzaz Breiz, édition de 1846
Azénor la Pâle



I


AZÉNOR LA PÂLE.


( Dialecte de Cornouaille. )



I.


La petite Azénor la Pâle est fiancée, mais elle ne l’est pas à son plus aimé ;

La petite Azénor la Pâle est fiancée, mais à son doux clerc, elle ne l’est pas.


II.


La petite Azénor était assise auprès de la fontaine, vêtue d’une robe de soie jaune ;

Au bord de la fontaine, toute seule, assemblant des fleurs de genêt,

Pour en faire un joli bouquet, un petit bouquet au clerc de Mezléan.

Elle était assise près de la fontaine, lorsque passa le seigneur Ives,

Le seigneur Ives sur son cheval blanc, tout à coup, au grand galop ;

Tout à coup, au grand galop, qui la regarda du coin de l’œil :

— Celle-ci sera ma femme, ou, certes, je n’en aurai point. —


III.


Le clerc de Mezléan disait aux gens de son manoir, un jour :


— Où y a-t-il un messager, que j’écrive à ma douce amie ?

— Des messagers, on en trouvera, mais ils arriveront trop tard.

— Ma petite servante, dites-moi, qu’y a-t-il d’écrit ici ?

— Azénor, je n’en sais rien, je n’ai jamais été à l’école ;

Azénor, je n’en sais rien ; ouvrez la lettre, et vous verrez. —

Elle la posa sur ses genoux, et se mit à la lire.

Elle n’en pouvait venir à bout, tant elle avait de larmes aux yeux.

— Si cette lettre dit vrai, il est sur le point de mourir ! —


IV.


En parlant de la sorte, elle descendit au rez-de-chaussée.

— Qu’y a-t-il de nouveau dans cette maison, que je vois au feu les deux broches ?

Que je vois les deux broches au feu, la grande et la petite ?

Qu’y a-t-il de nouveau céans, que les ménétriers arrivent ?

Que les ménétriers arrivent et les petits pages de Kermorvan.


— Ce soir il n’y a rien de nouveau céans, mais vos noces ont lieu demain.

— Si mes noces ont lieu demain, je m’irai coucher de bonne heure,

El je ne me lèverai que pour être ensevelie. —

Le lendemain, à son réveil, entra sa petite servante ;

Sa petite servante entra et se mit à la fenêtre.

— Je vois sur le chemin une grande poussière qui s’élève, et beaucoup de chevaux qui viennent ici :

Messire Ives est à leur tête, puisse-t-il se casser le cou !

A sa suite, des chevaliers et des écuyers, et une foule de gentilshommes le long du chemin.

Il monte un cheval blanc qui porte sur le poitrail un harnais doré ;

Un harnais doré tout du long, et sur le dos une housse de velours rouge.

— Maudite soit l’heure qui l’amène ! maudits soient mon père et ma mère tout les premiers !

Jamais les jeunes gens, en ce monde, ne feront ce que leur cœur désire. —


V.


La petite Azénor la Pâle pleurait en allant à l’église ce jour-là.


La petite Azénor demandait, en passant près de Mezléan :

— Mon mari, s’il vous plaît, j’entrerai un moment dans cette maison.

— Pour aujourd’hui, vous n’entrerez pas ; demain, si cela vous fait plaisir. —

La petite Azénor pleurait amèrement, et personne ne la consolait ;

Et personne ne la consolait, que sa petite servante :

— Taisez-vous, madame, ne pleurez pas ; le bon Dieu vous récompensera. —

La petite Azénor pleurait auprès de l’autel, à midi ;

De l’autel à la porte de l’église, on entendait son cœur se fendre.

— Approchez, ma fille, que je vous passe l’anneau au doigt.

— M’approcher me semble bien dur ; je n’épouse point celui que j’aime.

— Petite Azénor, vous péchez, vous épousez un homme comme il faut ;

Un homme qui a de l’or et de l’argent, et le clerc de Mezléan est pauvre.

— Quand je serais réduite à mendier avec lui mon pain, cela ne regarderait personne ! —



VI.


La petite Azënor demandait en arrivant à Kermorvan : — Ma belle-mère, dites-moi, où mon lit est-il fait ? — Près de la chambre du chevalier noir ; je vais vous y conduire. —

Elle tomba violemment sur ses deux genoux, ses blonds cheveux épars ;

Elle tomba à terre, l’aine brisée de douleur. — Mon Dieu ! ayez pitié de moi ! —


VII.


— Madame ma mère, s’il vous plaît, où est allée ma femme ?

— Se coucher dans la chambre haute ; montez-y et consolez-la. —

Quand il entra dans la chambre de sa femme : — Bonheur à vous, dit-elle, ô veuf !

— Par Notre-Dame et la Trinité ! est-ce que vous me prenez pour un veuf ?

— Je ne vous prends point pour un veuf, mais dans peu vous le serez.

Voici ma robe de fiancée, qui vaut, je pense, trente écus ;

Ce sera pour la petite servante, à qui j’ai donné bien des peines,

Qui portait des lettres perdues… de Mezléan chez nous, mon mari.

Voici un manteau tout neuf que m’a brodé ma mère ;

Celui-ci sera pour les prêtres, afin qu’ils prient Dieu pour mon âme.

Quant à ma croix et à mon chapelet, ils seront pour vous, mon mari ;

Gardez-les bien, je vous en prie, comme un souvenir de vos noces. —


VIII.


— Qu’est-il arrivé au hameau, que les cloches sonnent en tintant ?

— Azénor vient de mourir, la tête sur les genoux de son mari. —

Au manoir du Hénan, sur une table ronde, a été écrite cette ballade ;

Au manoir du Hénan, près de Pont-Aven, pour être à tout jamais chantée.

Le barde du vieux seigneur l’a composée, et une demoiselle l’a écrite.