Barreaux/Noël en taule

Éditions de Minuit et demi (p. 33-34).

Noël en taule

Qu’importe aux enfants du hasard
Le verrou qu’on tire sur eux :
Noël n’est pas pour les veinards,
Noël est pour les malchanceux.
Voici la nuit : il n’est pas tard,
Mais la cloche tinte pour eux.

Bon Noël des garçons en taule ;
Noël des durs et des filous,
Ceux dont la vie ne fut pas drôle,
La fille qui bat le marlou,
Les gars qui suivaient mal l’école,
Ils te connaissent comme nous.

Noël derrière les barreaux,
Noël sans arbre et sans bonhomme,
Noël sans feu et sans cadeaux
C’est celui des lieux où nous sommes,
Où d’autres ont joué leur peau,
Sur la paille dormi leur somme.


Les chefs qui lâchent leurs garçons,
Ceux qui s’enfuient, ceux qui sont riches,
Boivent sec dans leurs réveillons
De la Bavière et de l’Autriche,
Mais nous autres, dans nos prisons,
Nous sommes contre ceux qui trichent.

Je t’adopte, Noël d’ici,
Bon Noël des mauvaises passes ;
Tu es le Noël des proscrits
De ceux qui rient dans les disgrâces
Des pauvres bougres qu’on trahit
Et des enfants de bonne race.

Nous savons qu’au dehors, ce soir,
Les amis et les cours fidèles,
Les enfants ouvrent, dans le noir,
Malgré le sommeil, leurs prunelles,
Évoquent l’heure du revoir
Et tendent leurs mains fraternelles.

Et pour revoir, gens du dehors,
Le vrai Noël de nos enfances,
Il suffit de fermer encor
Nos yeux sur l’ombre de l’absence
Pour dissiper le mauvais sort,
Et faire flamber l’espérance.