Hachette (p. 200-209).

CHAPITRE XXII.

Rompant le silence qu’ils avaient gardé jusque-là, ils se mirent à pousser un grand cri, aussitôt qu’ils se furent rangés devant la prison, et demandèrent à parler au gouverneur. Leur visite n’était pas tout à fait inattendue, car sa maison, qui se trouvait sur la rue, était fortement barricadée ; le guichet de la geôle était fermé, et on ne voyait personne aux grilles ni aux fenêtres. Avant qu’ils eussent répété plusieurs fois leur sommation, un homme apparut sur le toit de l’habitation du gouverneur, pour leur demander ce qu’ils voulaient.

Les uns disaient une chose, les autres une autre, la plupart ne faisaient que grogner et siffler. Comme il faisait déjà presque nuit, et que la maison était haute, il y avait dans la foule un grand nombre de gens qui ne s’étaient pas même aperçus qu’il fût venu personne pour leur répondre, et qui continuaient leurs clameurs, jusqu’à ce que la nouvelle s’en fût répandue partout dans le rassemblement. Il s’écoula bien au moins dix minutes avant qu’on pût entendre une voix distincte, et, pendant ce temps-là, on voyait cette figure qui restait perchée là-haut, et dont la silhouette se détachait sur le fond brillant d’un ciel d’été, regardant en bas dans la rue où se passait la scène de trouble.

« N’êtes-vous pas, finit par crier Hugh, monsieur Akerman, le geôlier en chef de la prison ?

— Certainement, c’est lui, camarade, » lui dit Dennis à l’oreille.

Mais Hugh, sans faire attention à lui, voulait avoir la réponse de l’homme même.

« Oui, dit-il, c’est moi.

— Vous avez là, sous votre garde, maître Akerman, quelques-uns de mes amis.

— J’ai là beaucoup de monde sous ma garde ; » et en même temps il jetait en bas un coup d’œil dans l’intérieur de la prison.

Et l’idée qu’il pouvait voir de là les différentes cours, et embrasser tout ce qui leur était masqué par ces murailles maudites, irritait et excitait si fort la populace, qu’ils hurlaient comme des loups.

« Eh bien ! délivrez seulement nos amis, dit Hugh, et vous pourrez garder les autres.

— Mon devoir est de les garder tous ; et je ferai mon devoir.

— Si vous ne nous ouvrez pas les portes toutes grandes, nous allons les enfoncer, dit Hugh, parce que nous voulons absolument faire sortir les gens de l’émeute.

— Tout ce que je peux faire pour vous, mes braves gens, répliqua Akerman, c’est de vous exhorter à vous disperser, et de vous rappeler que toutes les conséquences du moindre trouble causé dans cette maison ne peuvent qu’être très sérieuses, et donner à bon nombre d’entre vous d’amers et d’inutiles regrets, quand il ne sera plus temps. »

Il fit mine de se retirer là-dessus, mais il fut arrêté par la voix du serrurier. « Monsieur Akerman, cria Gabriel, monsieur Akerman !

— Je ne veux plus entendre un seul d’entre vous, répondit le gouverneur, se tournant vers l’homme qui lui parlait, et lui faisant signe de la main qu’il ne voulait pas parlementer plus longtemps.

— Mais je ne suis pas un d’entre eux, dit Gabriel. Je suis un honnête homme, monsieur Akerman, un honorable industriel…. Gabriel Varden, le serrurier. Vous me connaissez bien ?

— Comment ! vous dans la foule ! cria le gouverneur d’une voir altérée.

— Ils m’ont amené de force…. ils m’ont amené ici pour leur forcer la serrure de la grand’porte, répondit le serrurier. Veuillez m’être témoin, monsieur Akerman, que je m’y refuse, que je n’en veux rien faire, advienne que pourra de mon refus. S’ils me font quelque violence, faites-moi le plaisir de vous rappeler ça.

— N’avez-vous plus moyen de vous tirer de là ? dit le gouverneur.

— Non, monsieur Akerman. Vous allez faire votre devoir et moi le mien…. Encore une fois, tas de brigands et de coupe-jarrets, dit le serrurier, se retournant de leur côté, je refuse. Ah ! enrouez-vous tant que vous voudrez à hurler contre moi, je refuse.

— Un moment, un moment, se hâta de dire le geôlier. Monsieur Varden, je vous connais pour un digne homme, pour un homme qui ne consentirait jamais à rien faire contre la loi…. à moins d’y être forcé.

— Forcé, monsieur ! reprit le serrurier, qui voyait bien, d’après le ton dont c’était dit, que le gouverneur lui ménageait une excuse bien suffisante pour céder à la multitude qui l’assiégeait et l’étreignait de toutes parts, et au milieu de laquelle on voyait debout ce vieillard, seul contre tous. Forcé, monsieur ! je ne ferai rien de force ni de gré.

— Où donc est l’homme qui me parlait tout à l’heure ? dit le gardien avec inquiétude.

— Présent ! répondit Hugh.

— Ne savez-vous pas ce que c’est qu’une accusation de meurtre, et qu’en retenant cet honnête artisan avec vous, vous mettez sa vie en péril ?

— Nous savons bien ça, répondit-il ; pourquoi donc croyez-vous que nous l’avons amené ici, si ce n’est pas pour ça ? Donnez-nous nos amis, maître Akerman, et nous vous donnons le vôtre. N’est-ce pas que vous ratifiez ce troc, mes gars ? »

La populace lui répondit par un bruyant hourra.

« Vous voyez ce que c’est, cria Varden. Ne les laissez pas entrer, au nom du roi Georges, et rappelez-vous ce que je viens de vous dire. Bonne nuit. »

Les négociations finirent là. Une grêle de pierres et d’autres projectiles força le gouverneur à se retirer, et la multitude, s’avançant par essaims le long des murailles, bloqua Gabriel Varden contre la porte.

C’est en vain qu’on mit à ses pieds le paquet d’instruments de son état ; c’est en vain qu’on employa tour à tour, pour le forcer d’en faire usage, les promesses, les coups, des offres de récompense, des menaces de mort sur place : « Non, cria l’intrépide serrurier, non, je ne veux pas. »

Il n’avait jamais tant aimé la vie, mais rien ne put l’ébranler. Les faces sauvages qui le dévisageaient de tous côtés, les cris de ceux qui étaient altérés de son sang, comme des bêtes féroces, la vue des hommes qui fendaient la foule et marchaient sur le corps de leurs camarades pour arriver jusqu’à lui, le visant, par-dessus la tête des autres, avec leurs haches et leurs piques, tout échouait devant son courage obstiné. Il les regardait l’un après l’autre, homme par homme, face à face, et toujours avec sa voix fatiguée, son visage pâlissant, il leur criait haut et ferme : « Non, je ne veux pas ! »

Dennis lui asséna sur la figure un coup de poing qui le jeta par terre. Il se remit sur ses pieds avec la prestesse d’un jeune homme, et, le front tout ensanglanté, il lui sauta à la gorge.

« Ah ! c’est toi, chien de lâche ? lui dit-il ; rends-moi ma fille, rends-moi ma fille. »

Ils luttèrent ensemble. Il y en avait qui criaient : « Tuez-le ! » et d’autres qui heureusement ne se trouvaient pas assez près, qui voulaient l’écraser sous leurs pieds. Quant au bourreau, il avait beau serrer de toutes ses forces les poignets de son adversaire, il ne pouvait pas venir à bout de lui faire lâcher prise.

« Si c’est comme ça que vous me remerciez, monstre d’ingratitude ! dit-il enfin avec force jurons et hors d’haleine, car il avait toutes les peines du monde à articuler une parole.

— Rends-moi ma fille, criait le serrurier, devenu aussi furieux que ceux qui l’entouraient ; rends-moi ma fille. »

Renversé encore une fois, encore une fois redressé, puis par terre, il luttait contre une vingtaine d’hommes qui se le passaient de main en main, quand un grand coquin, qui sortait de l’abattoir avec ses habits et ses grandes bottes encore chauds et fumants de sang et de graisse, leva une hallebarde et, poussant un horrible jurement, visa la tête découverte du brave vieillard. Au même instant, pendant qu’il avait le bras levé pour frapper, il tomba lui-même comme d’un coup de foudre, et un manchot lui passa sur le corps pour venir en aide au serrurier. Il avait un autre homme avec lui, et à eux deux ils saisirent vivement et rudement l’artisan.

« Vous n’avez qu’à nous le laisser, crièrent-ils à Hugh en jouant des pieds et des mains pour se frayer un passage en arrière à travers la foule. Vous n’avez qu’à nous le laisser. N’allez-vous pas gaspiller votre force contre cet homme-là, quand il n’en faut que deux comme nous pour lui faire son affaire en deux minutes ? Vous perdez votre temps. Songez aux prisonniers, songez à Barnabé. »

Ceci fut répété partout dans la foule. Les marteaux commencèrent à battre contre les murs ; chacun fit des efforts pour arriver au pied de la prison et prendre place au premier rang. S’ouvrant de force un passage à travers les mutins avec une ardeur aussi désespérée que s’ils étaient au milieu d’ennemis acharnés et non de leurs propres camarades, les deux hommes opérèrent leur retraite avec le serrurier au milieu d’eux, et l’entraînèrent jusqu’au cœur même du rassemblement.

Pendant ce temps-là, les coups commençaient à pleuvoir comme la grêle sur la grande porte et sur le bâtiment, qui ne s’en émouvait guère : car ceux qui ne pouvaient approcher de la porte étaient toujours bien aises de décharger leur rage sur n’importe quoi…. même sur les gros blocs de pierre qui brisaient leurs armes en morceaux dans leurs mains, leur donnant jusque dans les bras des fourmillements douloureux, comme s’ils ne se contentaient pas d’une résistance passive et qu’ils leur rendissent coup pour coup. Le fracas du fer contre le fer se mêlait au tumulte étourdissant qu’il dominait par son bruit éclatant, à mesure que les grands marteaux de forge s’abaissaient sur les clous et les plaques de la porte. C’était une pluie d’étincelles. Les gens travaillaient par bandes et se relayaient à de courts intervalles, pour mettre toute la fraîcheur de leur force au service de cette œuvre de destruction. Mais c’est égal : on voyait toujours debout le grand portail, aussi fier, aussi sombre, aussi fort qu’avant, et, sauf les marques des coups à sa surface, toujours le même.

Pendant qu’il y en avait qui dépensaient toute leur énergie à cette tâche pénible, il y en avait d’autres qui dressaient des échelles contre la prison, et qui essayaient de grimper de là jusqu’au haut des murs, où elles ne pouvaient atteindre parce qu’elles étaient trop courtes. Il y en avait d’autres qui soutenaient un engagement avec une escouade de la police, forte d’une centaine d’hommes, et la faisaient reculer à grands coups, ou l’écrasaient sous leur nombre ; d’autres encore faisaient le siége de la maison sur laquelle s’était montré le gouverneur, et, enfonçant les portes, revenaient avec tous les meubles, les empilaient contre la porte de la prison pour en faire un feu de joie qui pût la consumer. Aussitôt qu’on eut vent de cette idée, tous ceux qui se donnaient jusque-là une peine inutile jetèrent là leurs outils et se mirent à augmenter le tas, qui bientôt atteignit la largeur de la moitié de la rue, et une telle hauteur que ceux qui allaient porter en haut des combustibles étaient obligés de prendre des échelles. Quand tout le mobilier et les effets du gouverneur eurent été jetés sur ce riche bûcher, jusqu’au dernier, on se mit à les enduire de poix, de goudron, de résine, apportés de toutes parts, et on arrosa le tout de térébenthine. Ils en firent autant à tout le bois qui garnissait les portes de la prison, sans oublier la moindre traverse ni le moindre madrier. Après avoir accompli ce baptême infernal, ils mirent le feu au bûcher avec des allumettes flamboyantes et du goudron enflammé ; puis alors ils se tinrent auprès, pour en surveiller le résultat.

Comme les meubles étaient très-secs et rendus plus inflammables encore par l’huile et la bougie qui s’y trouvaient mêlées, sans parler des autres moyens employés, ils n’eurent pas de peine à prendre feu. Les flammes s’élancèrent avec un rugissement terrible, noircissant le mur de la prison, et se dressant jusqu’au haut de sa façade en serpents de feu. Dans le commencement, les insurgés ramassés autour de l’incendie ne témoignaient l’ivresse de leur triomphe que par leurs regards satisfaits ; mais quand il devint plus brûlant et plus menaçant…. quand il se mit à craquer, à bondir, à mugir, comme une grande fournaise…. quand il se réfléchit sur les maisons vis-à-vis, et qu’il illumina non-seulement les visages pâles et étonnés aux fenêtres, mais jusqu’aux plus intimes recoins de chaque habitation…. quand ils le virent caresser la grande porte de sa lueur rougeàtre, et badiner avec elle, tantôt s’attachant à sa surface durcie, tantôt la quittant tout à coup avec une inconstance sauvage pour prendre son essor vers les cieux, puis revenant l’envelopper dans ses serres brûlantes et préparer sa ruine…. quand il répandit une si vive clarté que le cadran de l’église du Saint-Sépulcre, dont l’aiguille marque si souvent l’heure de la mort pour les condamnés, était aussi lisible qu’en plein jour, et que le coq qui tourne au haut de son clocher brillait à ce soleil inaccoutumé comme un riche joyau monté de pierreries chatoyantes…. quand la pierre noircie et la brique sombre devinrent toutes rouges par la force de la réflexion, et que les croisées reluisirent comme de l’or bruni, miroitant aussi loin que pouvait s’étendre la vue, avec leurs vitres purpurines…. quand les murs et les tours, les toits et les blocs de cheminées, au milieu des flammes vacillantes, semblèrent trembler et chanceler comme un homme ivre…. quand des milliers d’objets qu’on n’avait jamais vus jusqu’alors vinrent s’étaler à la vue, et que les choses les plus familières prirent un aspect tout nouveau…. alors la populace commença à faire chorus avec le tourbillon enflammé, et à pousser des cris, des clameurs, des vociférations comme heureusement il est rare d’en entendre, s’agitant en même temps pour entretenir le feu et le tenir en haleine, afin de ne pas le laisser décroître.

Quoique la chaleur fût si intense que le badigeon des maisons en face de la prison grillait et se craquelait, formant çà et là des boursouflures, comme des pustules à la peau du patient tenu sur le gril par le bourreau, et finissait par crever et tomber en miettes : quoique les carreaux tombassent en éclats des croisées, et que le plomb et le fer sur les toits dépouillassent la main imprudente qui venait à s’y frotter par hasard ; que les moineaux sortissent de leurs trous pour prendre leur vol sur les gouttières, et qu’étourdis par la fumée, ils tombassent tremblants jusque sur le bûcher embrasé ; le feu n’en était pas moins activé sans relâche par des mains infatigables, et l’on voyait tout autour des ombres aller et venir sans cesse. Jamais ils ne se ralentissaient dans leur zèle, jamais ils ne se retiraient à l’écart ; au contraire, ils serraient la flamme de si près que les spectateurs du premier rang avaient fort à faire pour que les chauffeurs, dans leur ardeur, ne les jetassent pas dedans, par la même occasion. Si un homme s’évanouissait ou se laissait choir, il y en avait une douzaine qui se disputaient sa place, et cela, quoiqu’ils sussent bien que c’était un poste de torture, de soif, de fatigue insupportables. Ceux qui tombaient évanouis, et qui avaient le bonheur de ne pas être écrasés sous les pieds ou brûlés par la flamme, étaient emportés dans une cour d’auberge tout près de là, pour y recevoir une douche à la pompe. On se passait de mains en mains de pleins baquets d’eau dans la foule ; mais la soif était si ardente et si générale, l’empressement si grand à qui boirait le premier, que, le plus souvent, tout le contenu en était renversé par terre, sans que pas un eût pu seulement humecter ses lèvres.

Cependant, au milieu des cris et du vacarme, ceux qui étaient le plus près du bûcher continuaient de rejeter dans le tas les fragments embrasés qui venaient à rouler en bas, et poussaient les charbons ardents contre la porte, qui, malgré ce linceul de flammes, n’en restait pas moins fermée et barricadée, sans leur ouvrir de passage. On passait, par-dessus la tête des gens, de gros tisons à ceux qui se tenaient au pied des échelles, tout prêts à grimper jusqu’au dernier échelon, pour les tenir d’une main contre le mur de la prison, déployant tout ce qu’ils avaient d’habileté et de force pour lancer ces brandons sur le toit, ou les jeter en bas dans les cours intérieures. Souvent ils en venaient à bout, et c’était alors un redoublement d’horreur dans cette scène effroyable : car les prisonniers enfermés là dedans, voyant, à travers leurs barreaux, le feu prendre dans plusieurs endroits et s’approcher menaçant, pendant qu’ils étaient là sous clef pour la nuit, commençaient à s’apercevoir qu’ils étaient en danger de brûler vifs. Cette crainte horrible, se répandant de cellule en cellule, leur arrachait des cris et des lamentations épouvantables ; ils appelaient au secours avec des cris si affreux, que la prison tout entière retentissait de leurs plaintes ; on entendait leurs clameurs dominer les hurlements de la populace et le mugissement des flammes : c’était un tumulte d’agonie et de désespoir à faire trembler les plus hardis.

Ce qu’il y a de remarquable, c’est que ces cris commencèrent par le côté de la prison qui faisait face à Newgate-Street, où tout le monde savait qu’étaient renfermés les hommes condamnés à être exécutés le mardi suivant. Et non-seulement ces quatre criminels, qui avaient si peu de temps à vivre, furent les premiers à prendre l’alarme, en se voyant menacés de brûler vifs, mais ce furent aussi, du commencement jusqu’à la fin, les plus importuns de tous : car on les entendait distinctement, malgré la solide épaisseur des murailles, crier que le vent donnait de leur côté et que les flammes allaient bientôt les atteindre ; ils appelaient les agents de la prison, pour qu’ils vinssent éteindre le feu en puisant de l’eau à la citerne qui était dans leur cour, et pleine d’eau. À en juger du milieu de la foule, au dehors, ces quatre condamnés ne cessaient pas un instant d’appeler au secours, et cela avec autant de frayeur et d’attachement frénétique à l’existence, que si chacun d’eux avait devant lui le long espoir d’une vie heureuse et honorée, au lieu de quarante-huit heures d’un emprisonnement misérable, suivi d’une mort violente et infâme.

Mais rien ne saurait décrire l’angoisse et la souffrance des deux fils d’un de ces malheureux, chaque fois qu’ils entendaient ou croyaient entendre la voix de leur père. Après s’être tordu les mains, en courant à droite, à gauche, comme des fous furieux, l’un d’eux montait sur les épaules de l’autre pour essayer de grimper jusqu’au mur élevé, surmonté dans le haut par des piques et des pointes de fer. Et quand il retombait dans la foule, tout meurtri qu’il était, cela ne l’empêchait pas de remonter, de retomber ; et enfin, lorsqu’il reconnut l’inutilité de ses tentatives, il se mit à battre les pierres pour les déchirer avec ses mains, comme s’il pouvait par là faire brèche dans l’épaisse muraille et s’y ouvrir de force un passage. À la fin, ils se frayèrent, à travers la multitude, un chemin jusqu’à la porte, quoique bien des hommes, douze fois plus forts qu’eux, eussent en vain essayé de le faire ; et on les vit dans le feu, oui, dans le feu, faire des efforts désespérés pour la jeter par terre avec des leviers.

Et ils n’étaient pas les seuls à être émus par le vacarme qui se faisait entendre de la prison. Les femmes qui étaient là à regarder, criaient à tue-tête, frappaient leurs mains l’une contre l’autre et se bouchaient les oreilles ; d’autres tombaient évanouies. Les hommes qui n’avaient pu approcher de la muraille pour prendre part au siége, plutôt que d’être là à ne rien faire, arrachaient les pavés de la rue avec une furie et une ardeur aussi grandes que si c’eût été la prison même et qu’ils avançassent ainsi leur projet. Il n’y avait pas dans la foule une seule créature qui ne fût dans une agitation perpétuelle. Toute cette masse énorme était folle.

Un grand cri ! Encore ! encore ! sans que la plupart pussent savoir pourquoi, ni ce que cela voulait dire. C’est que les gens qui étaient autour de la porte l’avaient vue céder tout doucement et se détacher du gond d’en haut. Elle n’était plus suspendue de ce côté que sur celui d’en bas ; mais cela ne l’empêchait pas de rester encore toute droite, soutenue derrière par la barre, et affermie par son propre poids, qui l’avait fait enfoncer au pied, dans le tas de cendres. On voyait maintenant par en haut une ouverture béante, à travers laquelle se montrait un passage obscur, caverneux, sombre…. « : Entassez le feu ! »

Le feu brûlait avec rage. La porte en était toute rouge et l’ouverture s’élargissait. Ils essayaient en vain de s’abriter le visage avec leurs mains, et, debout, tout prêts à prendre leur élan, ils surveillaient le progrès de leur œuvre. On voyait passer le long du toit de sombres figures, les unes rampant sur leurs mains et leurs genoux, les autres emportées à bras. Il était clair que la prison ne pouvait pas tenir plus longtemps. Le gouverneur, avec ses agents, leurs femmes et leurs enfants, s’échappaient…. « Entassez le feu ! »

La porte s’enfonce encore ; elle descend plus avant dans les cendres…. elle chancelle…. elle cède…. la voilà par terre !

Ils poussent un nouveau cri, reculent un pas et laissent un espace libre entre eux et l’entrée de la prison. Hugh saute sur le monceau de braise ardente et fait voler dans les airs un tourbillon d’étincelles, illumine le sombre passage avec les flammèches qui se sont attachées à ses vêtements, et s’élance dans l’intérieur.

Le bourreau le suit. Et alors il s’en précipite tant d’autres derrière eux, que le feu s’écrase sous leurs pas et va joncher la rue ; mais ils n’ont plus besoin de lui maintenant : au dedans comme au dehors, toute la prison est en flammes.