Ballades sur plusieurs sujets/Ballade XXIV

Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 171-172).

BALLADE XXIV.

     Ung jour à mon cueur devisoye
Qui en secret à moy parloit,
Et en parlant lui demandoye
Se point d’espargne fait avoit
D’aucuns biens, quant Amours servoit ?
Il me dist que tresvoulentiers
La vérité m’en compteroit,
Mais qu’eust visité ses papiers.
     Quant ce m’eut dit, il print sa voye
Et d’avecques moy se partoit,
Après entrer je le véoye
En ung comptouer qu’il avoit ;
Là deçà et delà queroit,
En cherchant plusieurs vieux cayers,
Car le vray monstrer me vouloit,
Maisqu’eust visité ses papiers.
     Ainsi, par ung temps l’atendoye.
Tantost devers moy retournoit
Et me monstra, dont j’euz grant joye,

Ung livre qu’en sa main tenoit,
Ou quel dedens escript portoit
Ses faiz, au long et bien entiers,
Desquelz informer me feroit,
Mais qu’eust visité ses papiers.
     Lors demanday se j’y liroye,
Ou se mieulx lire lui plaisoit ?
Il dit que trop paine prendroye,
Pour tant à lire commançoit ;
Et puis gettoit et assommoit
Le compte des biens et dangiers
Tout à ung ; vy que revendroit
Mais qu’eust visité ses papiers.
     Lors dy : « Jamais je ne cuidoye.
Ne nul autre ne le croiroit,
Qu’en amer, où chascun s’employe,
De prouffit n’eust plus grant exploit ;
Amours ainsi les gens deçoit,
Plus ne m’aura en telz santiers.
Mon cuer bien effacier pourroit,
Mais qu’eust visité ses papiers. »


ENVOI.

     Amours savoir ne me devroit
Mal gré, se blasme ses mestiers.
Il verroit mon gaing bien estroit,
Mais qu’eust visité ses papiers.