Ballade pour mes morts
BALLADE POUR MES MORTS
Nature, qui les as repris,
Où sont-ils, et dans quels royaumes
De ton empire, les Esprits
Dont j’évoque en vain les fantômes ?
Qu’en as-tu l’ait ? À quels symptômes,
Depuis qu’ils y sont répartis,
Reconnaître leurs chers atomes ?
Tous ceux que j’aimais sont partis.
Où est Gautier, âme sans prix ?
Flaubert, bon géant chez des gnomes ?
Las ! dissipés dans le pourpris
Du temple d’azur aux sept dômes !
Sur Banville j’ai dit les psaumes,
Puis le créole aux vers sertis
Dans les rythmes grecs et les nomes[1],
Tous ceux que j’aimais sont partis !
Initiés du Verbe, épris
Du mystère des idiomes,
Pacifiques sous les mépris
Des Tallemants et des Brantômes,
Ô mes maîtres, les chrysostomes,
Tisserands des tons assortis
Et brodeurs des mots polychromes,
Tous ceux que j’aimais sont partis.
ENVOI
Prince, j’en écrirais cent tomes ?
Les rôles sont intervertis :
Le temps est aux gens à diplômes !
Tous ceux que j’aimais sont partis.
- ↑ Leconte de Lisle.