Le Parnasse contemporain/1869/Ballade hongroise
LAURENT-PICHAT
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BALLADE HONGROISE
Sur un blanc tilleul un beau ramier pleure.
Un beau page en pleurs parcourt la forêt.
« Ramier, doux ramier, quel chagrin t’effleure ?
Cher petit oiseau, dis-moi ton secret ?
— Un dur épervier m’a pris ma compagne.
Nous étions perchés sur ce blanc tilleul !
Il a fui là-bas, loin, dans la campagne,
Emportant ma vie, & je reste seul.
— Ramier, doux ramier, vois cette tourelle
Au sommet des rocs, dans le vieux manoir.
Je suis veuf aussi de ma tourterelle,
Le comte l’a mise en son donjon noir !
— Beau page, ton âme est bien mal trempée !
Où donc est l’obstacle ? où donc l’embarras ?
À ton ceinturon je vois une épée.
Pour gravir les rocs, n’as-tu point de bras ?
« Au lieu de pleurer ici mes misères,
Faible, désarmé, vaincu, je voudrais
Pour elle être mort, si j’avais des serres,
Si j’avais l’essor, je les rejoindrais.
— Ramier, doux ramier, répondit le page,
L’oiseau seul est brave & seul a raison.
Je suis en assez vaillant équipage
Pour forcer les murs de cette prison ! »
Il partit, gravit la roche escarpée,
D’un élan força le nid du vautour,
Dispersa la garde, & de son épée
Tua le seigneur au seuil de la tour.
Il ouvre un cachot, voit sa fiancée.
— Ne crains rien, dit-il, pauvre amour tremblant,
Viens !… » — Puis reportant en bas sa pensée
Vers le doux ramier, sous le tilleul blanc :
« Te voilà sauvée, oh ! viens, ma colombe,
Viens, & qu’à te voir il soit le premier… »
Sous le blanc tilleul quelque chose tombe :
C’était l’oiseau mort. — Ramier, doux ramier !