Bacon - Œuvres, tome 1/Épître dédicatoire

Traduction par Antoine de La Salle.
De la dignité et de l’accroissement des sciencesImprimerie L. N. Frantin ; Ant. Aug. Renouard, libraireTome premier (p. 7-10).


ÉPÎTRE DÉDICATOIRE


DE L’AUTEUR,


À notre sérénissime prince et souverain Jacques Ier. roi de la Grande-Bretagne, de France et d’Irlande.



Votre majesté pourra peut-être m’accuser de larcin, pour avoir dérobé à ses affaires le temps qu’exigeoient de telles spéculations. Je n’aurois alors rien à répondre ; car le temps est de ces choses qu’on ne peut restituer, si ce n’est peut-être que ce temps que j’ai dérobé à vos affaires, pourroit être rendu à la mémoire de votre nom et à la gloire de votre siècle, en supposant toutefois que ce que je propose soit de quelque prix. Ce sont du moins des choses neuves, absolument neuves quant à leur genre même ; mais copiées d’après un très vieux manuscrit, d’après l’univers même et la nature de l’esprit humain. Pour moi, je l’avoue ingénument, si j’ose estimer cet ouvrage, c’est plutôt comme un fruit du temps, qu’à titre de production du génie. Car tout ce qui peut s’y trouver d’étonnant, c’est que quelqu’un ait pu en avoir la première idée, et que des opinions si accréditées aient pu à tel point lui paroître suspectes. Le reste n’en est qu’une conséquence. Mais il est sans contredit une sorte de hazard, je ne sais quoi de fortuit, non pas seulement dans les actions et les discours des hommes, mais dans leurs pensées même. Et par ce mot de hazard, dont je fais usage, je veux dire que, s’il se trouve ici quelque chose de vraiment bon, c’est à l’immensité de la munificence et de la bonté divine, et au bonheur de votre temps qu’il faut l’attribuer. Or, ce temps dont je parle, vivant, je l’ai servi avec tout le zèle dont je suis capable ; et, après ma mort, peut-être, ce flambeau que j’allume dans les ténèbres de la philosophie, pourra éclairer la marche de la postérité. Mais à quel temps, plutôt qu’à celui du plus sage des rois, est due cette régénération, cette restauration des sciences ? Il me reste à faire une demande qui n’est pas indigne de votre majesté, et qui n’est pas le point le moins essentiel dans ce que je propose ; c’est que vous, qui, en tant de choses, nous retracez Salomon, par la gravité de vos jugemens, la sérénité de votre règne, l’élévation de vos sentimens, enfin par l’étonnante variété des livres que vous avez composés, vous daigniez, pour avoir avec lui un trait de ressemblance de plus, donner vos ordres pour choisir et rassembler les matériaux d’une histoire naturelle et expérimentale, vraie, sévère, dépouillée de tout luxe de style, uniquement destinée à servir de base à la philosophie, telle enfin que nous la décrirons en son lieu ; afin qu’après tant de siècles, la philosophie et les sciences cessant de porter sur le vuide, et d’être, pour ainsi dire, aériennes, elles reposent enfin sur les solides fondemens d’une expérience bien constatée et suffisamment variée. Pour moi, j’ai fourni l’instrument ; mais quant à la matière, il faut la puiser dans les choses même. Daigne l’Être suprême conserver votre majesté. Tel est le vœu de son très dévoué et très obéissant serviteur,

FRANÇOIS VERULAM,
Chancelier.