BAnQ/Émeutes de Québec de 1918/Témoignage du Révérend Isidore Évain, prêtre

Émeutes de Québec de 1918 - Témoignage du Révérend Isidore Evain, prêtre
(p. 1-22).


Témoignage du Révérend Isidore Évain, prêtre[1]


Révérend Isidore Évain, de Québec, prêtre, Oblat de Marie Immaculée, étant dûment assermenté, dépose ainsi qu’il suit,


Interrogé par le Coroner


Q. Quel est votre nom de baptême.


R. Isidore.


Q. Vous êtes prêtre, Oblat de Marie Immaculée ?


R. Oui monsieur.


Q. Résidant à St Sauveur de Québec ?


R. À St Sauveur de Québec.


Q. Vous avez eu connaissance des évènements de lundi soir n’est-ce pas à St Sauveur ? dans la soirée du lundi premier avril, vous avez été appelé si je ne me trompe pas pour administrer vos secours religieux à un blessé ?.


R. Monsieur le Coroner, j’étais dans ma chambre, je veillais ce soir là. Vers onze heure moins un quart à un moment j’entendis une fusillade très vive. Je me levai et j’allai voir à ma fenêtre qui a vue sur la rue St Valier — rue Sauvageau et coin St Valier — et je vis alors un certain nombre d’hommes, de jeunes gens, de petits garçons qui arrivaient à la course, tournant le coin St Valier et Sauvageau chez Dubois.


Q. Venant de la rue St Valier ?


R. Venant de la rue St Valier.


Q. Et allant vers l’ouest ?


R. Venant à la rue Sauvageau, devant notre presbytère.


Q. Cette foule là criait ?


R. Pas à ce moment là. Ils se sauvaient, il n’y avait pas de cris, et avant ce moment là je n’avais pas remarqué de cris anormaux, non plus ; rien d’extraordinaire, quelques cris par ci par là comme tous les soirs nous en entendons de temps en temps. Alors je me remettais tranquillement assis à mon bureau, lorsque vers onze heures, un quart d’heure après par conséquent, j’entendis le portier monter à ma chambre. Il arrive et il me dit : père vous êtes appelé au coin. Alors je lui répondis voilà deux ans que j’ai demandé pour être aumônier militaire au front en France, mon temps est arrivé. Je descendis, je pris le nécessaire pour aller aux malades et j’allais au parloir à la porte un homme de police que je connus pour être Isidore Caouette m’attendait. Il dit : père, vous êtes requis pour un blessé tout près d’ici. Je vas vous conduire. S’il vous plait, suivez-moi. Je sortis avec cet homme de police par la porte de la rue Massue. Je pris la rue Sauvageau et là j’aperçus une troupe que j’évaluerais entre trente et quarante personnes, justement ces hommes, jeunes gens et petits garçons qui s’étaient sauvés lors de la fusillade sans doute. Lorsqu’ils me virent ils voulurent me suivre. À ce moment, comme je quittais le coin de la rue St Valier et Sauvageau qui tourne au presbytère, j’entendis une seconde fusillade très vive, et les gens criaient : le père va se faire tuer. N’ayez pas peur, leur répondis-je je suis français : si je suis tué, ça sera fait. Ils continuèrent à me suivre quelque temps. L’homme de police dit : je crois qu’il y a du danger, père, dites à la foule de s’en retourner. J’ai dit : mes amis retournez s’il vous plait, ne venez pas, je n’ai pas besoin de vous. Quelqu’un dans la foule a dit : le père nous dit de nous en retourner, n’y allez pas, obéissons lui. J’ai continué ma marche avec l’homme de police marchant en avant de moi. Un peu avant d’arriver à la rue Bagot l’homme de police a dit : père, attendez un peu, ici il y a du danger, les soldats sont tout près. Je vas crier « police » alors on ne tirera pas. C’est ce qui a été fait. L’homme de police, avant d’arriver au tournant a crié : « police, police ». Alors un autre homme de police vint à notre rencontre.


Q. Vous ne savez pas qui ?


R. Non je ne sais pas quel est celui qui vint à ce moment en avant de moi. Peut être est… ce……


Q. Si vous ne savez pas peu importe.


R. il vint nous rejoindre à mi-chemin entre la rue Demers et la rue Sauvageau sur la rue Bagot. Il me dit : arrivez ici, voici deux hommes étendus à terre. En arrivant, un soldat qui était là, l’arme à la main, le genou à terre, me dit en me montrant le premier : cet homme est mort. En anglais : this one is dead. Alors auprès de lui, à peu près à quatre ou cinq pieds de lui gisait un homme. En arrivant à lui il me regardait et me dit : est-ce vous père Évain ? je dis : oui mon ami — qui êtes vous ? — Tremblay. Vous me connaissez ? — en effet je le reconnus. J’avais vu cet homme là plusieurs fois. Alors je lui donnai les secours de mon ministère ; et ensuite je me retournai vers le cadavre et je lui donnais aussi les secours que mon ministère me permettait de donner dans ce cas.


Mtre A. Lavergne. — Sur quelle rue était-ce ?


R. Au coin de la rue Demers et Bagot. La rue Signaï prend tout près de là. Les deux cadavres étaient le long de la clôture sur la rue Bagot, mais tout près du coin Demers, mais gisant sur la rue Bagot. Le cadavre du mort était couché sur le dos, les bras étendus. L’autre ne se plaignait pas trop. Dès que j’eus fini de remplir mon ministère, j’entendis derrière moi des coups de feu. Les soldats étaient sur la rue, genou en terre, fusil à la main, comme on tire en rase campagne généralement, genou à terre. Ils firent une salve de fusillade vers la rue Sauvageau.


Le Coroner. — Est-ce qu’il y avait une grande foule sur la rue Sauvageau à ce moment ?


R. Je vas vous dire Monsieur le Juge. Je vas continuer mon rapport. Alors sans regarder vers la rue Sauvageau s’il y avait du monde oui ou non, je m’approchai des soldats et je leur dis en anglais — parce que j’avais remarqué qu’ils parlaient anglais: pour l’amour de Dieu ne tirez pas, ce sont simplement des passants qui s’en vont chez eux sans doute. Je sais qu’il n’y a pas de danger ici, du moins tant que je serai avec vous ; les gens que je viens de quitter me connaissent et je ne crois pas qu’il y ait ici personne qui tirent de ce côté là. J’ai dit ça pensant qu’il n’y avait rien de danger non plus. Je ne connaissais pas ce qui s’était passé auparavant. Je reçus d’un soldat une réponse qui n’est pas parlementaire. Je ne sais pas si j’ai le droit de le dire ici.


Q. Parfaitement ?


R. Go to hell. Après leur avoir dit : ne tirez pas je ne crois pas qu’il y ait du danger ici, ce sont des passants. J’ai continué, je ne répondis pas à cette question. Je le regardai avec commisération simplement. Je lui dis : mon ami je ne comprends pas votre manière de tirer ici. Ils m’ont répondu en anglais encore : Get out from here — you have no business here. Je lui dis poliment en anglais : mon ami, je suis ici à mon devoir autant que vous et j’y resterai. Maintenant je ne m’occuperai plus de vous. Quelque temps encore après cela, je ne faisais pas attention aux soldats, j’avais mon malade et je lui demandais : faiblissez vous ? êtes vous plus faible ? Je lui ai demandé aussi quelque temps avant sans doute : Où êtes vous blessé ? vous sentez vous mal ? Il me répondit : père, je suis blessé à l’épaule et en haut de la cuisse je crois. Je lui demandai : vous sentez-vous faible ? — pas trop, me dit-il. Alors je demandai : êtes ce qu’il n’y a pas ici un médecin quelconque pour le secourir. On me répondit — les hommes de police — père, nous avons fait demander l’ambulance et nous attendons l’ambulance. Sur ça j’attendis. Pendant ce temps là, lesxgensxétaient [?] ⁁quand j’étais là allant et venant autour de mon malade et un peu plus loin sur la rue Demers, je revins encore vers mon malade et je lui demandai : comment vous trouvez-vous ? Il me répondait toujours pas trop mal, je souffre beaucoup. Mais, me dit-il, que l’ambulance prend du temps à venir me chercher. Sur l’entrefaite, j’entendis les soldats qui disaient : here is one — en voici un — en montrant la rue Sauvageau. Je ne pus encore résister à leur dire un mot.


Q. Est-ce qu’ils tiraient ?


R. Ils étaient prêts à tirer. Je leur dit : qu’avez-vous vu. Ils dirent : One head at the corner. Je dis : il n’y a pas de danger. On me répondit encore moins grossièrement, mais néanmoins une parole qui n’était pas encore bien convenable. Ils me répondirent : nous tirons ici par ordre, et nous tirons sur toutes les têtes que nous voyons dans la rue. Je dis : les ordres sont bien sévères mes amis. C’est en anglais qu’il m’ont dit ça : we fire at any head we see on the street. we have orders to fire at any head we see on the streets. Je dis : l’ordre est bien sévère mes amis.


Q. Voyiez vous beaucoup de monde dans la rue ?


R. Non je n’examinais pas non plus monsieur le Coroner. Une porte s’ouvrit sur la rue Demers……


Mtre Lavergne. — Pardon mon père, avant d’aller plus loin, vous avez parler de paroles peu convenables. Que vous ont-ils répondus ?


R. Shut your mouth. Une porte s’ouvrit sur la rue Demers. Alors un des soldats dit à ses compagnons : par ici — this way — et les soldats se dirigèrent sur la rue Demers, dans la direction de la rue Demers, en montant vers le Boulevard, vers la rue Morin. Ils mirent genou à terre, prêts à tirer encore. Un homme de police leur dit en anglais : c’est une femme qui se montre à la porte. La réponse fut celle ci : She has no business to come out — shut the door. Et puis naturellement il y avait des passants qui passaient au coinde la rue Demers et Morin et Sauvageau et Bagot,.Alors les soldats qui ne pa⁁rlaient que l’anglais nous demandaient:dotes leur en francais de ne pas sortir,de ne pas marcher sur la rue,de ne pas passer sur la rue.C’est ce que nous faisons, leur répondis-je et de toutes la force de nos poumons nous disions au gens,:reculez vous,allez vous en, ne venez pas ici.Restez chez vous ce soir.Couchez là vous êtes et ne sortez pas. --comme nous en avions l’occasion.Le temps se passait.⁁Vers onze heures et demi je dis aux hommes de police:mes amis, est l’ambulance:cet homme enfin.Monsieur ⁁Tremblayest blressé grièvement sans doute il me dit à l’épaule et à la cuisse.Il faut coir ou est l’ambulance ou auxxsx moins avoir le secours d’un méd cin.Alors je me dirigeai sur la rue Demers et j’allaixs frapper à une porte voisine que je reconnus le lendemain pour etre au No 76 de la rue ⁁Demers chez un monsieur Laberge qui avait le téléphone.⁁Un homme de police me dit: téléphonez donc audocteur Gosselin , ilest tout près d’ici à la rue St Valier , il n’a qu’a traverser en arrière , il pourra venir sans doute. Je demandai le docteur Gosselin par téléphone.Il était là et il répondit à ,mademande de venir au coinde la rue Demers et Bagot, qu’il ne pouvait sortir.Il dit: père , je suis ici assailli;la mitrallieu se est à ma porte,et je regrette beaucoup, ce n’est pas manque de dévouement,je serais prêt à sortir , mais vraiment je ne le puis. Tachez donc de demander l’ambllance me dit-il. Nous l’avons demandée, répondis-je et elle ne vient pas. Sur ce, je finissais presque de téléphoner, quand un homme de police me cria dans la porte, père voici l’ambulance qui arrive. Il était alors plus près de minuit mois quart que de onze heures et demi. Je crois que j’ai oublié un détail. Vers onze heures et demi un xxxxxx soldat me dit : tâchez donc de prendre cet homme blessé et le conduire ailleurs. Très bien, lui dis-je, puisque vous nous le demandez et vous nous le permettez, on va le faire. Alors je demandai aux hommes de police qui étaient là — il y avait six hommes de police avec moi presque tout le temps que j’ai resté dans ce coin — j’ai demandé aux hommes de police de prendre cet homme. Naturellement le transport du blessé à la maison de monsieur Laberge j’avais été frapper lui fit pousser quelques cris. Nous le rentrâmes chez Monsieur Laberge et il me dit : père, c’est très bien ma maison est à vous, rentrez votre blessé ici. Il était entre onze heures et demi et minuit moins quart quand nous rentrâmes notre blessé chez Monsieur Laberge. Nous le mîmes par terre. Il ne voulait pas avoir de position — et là nous attendîmes l’ambulance comme je viens de le dire.


Q. C’est alors que vous avez téléphoné au docteur Gosselin ?


R. Oui pendant qu’il était rentré, pendant que le malade était chez Monsieur Laberge je m’aperçus qu’il avait saigné. Il demandait à boire. Je m’aperçus alors que certainement il devait perdre du sang. Je savais que lorsqu’un blessé a soif c’est signe qu’il perd du sang beaucoup. Je lui ai demandé encore s’il était bien faible. Il me dit : un peu, mais pas trop encore. Alors l’ambulance arriva là vers minuit moins quart, entre minuit moins quart et minuit. C’était l’ambulance, m’a-t-on dit, de la Ville. Je pensais que c’était l’ambulance de l’Hotel Dieu. On m’a dit que non. Alors nous sortîmes le blessé, il fut mis sur la civière que l’on entra dans la maison — nous sortîmes le blessé et nous le plaçâmes dans l’ambulance. Je demandai à l’homme de police de bien vouloir l’accompagner. Les hommes de police me dirent : père, nous sommes ici en devoir, peut être serons nous requis. Voici un homme qui arrive, un monsieur Genest. Comment était-il venu là, je n’en sais rien — mais quand je sortis avec mon blessé de chez monsieur Laberge j’aperçus un jeune homme que je connais très bien et nous lui demandâmes d’accompagner le blessé jusqu’à l’hôpital. Il embarqua avec Monsieur Tremblay qu’il connaissait bien lui-même, me dit-il. Je connais bien Monsieur Tremblay, me dit-il.


Mtre Lavergne. Il n’y avait pas de médecin avec l’ambulance ?


R. Non, il y avait seulement que le cocher. Donc le blessé est parti. Alors il arrivait près de minuit. Je sortis dehors et alors quand je sortis les portes de la maison étaient ouvertes. Un soldat était là n’est-ce pas voyant l’opération se faire. Le parquet de la maison de Monsieur Laberge était vraiment couvert de sang sur une grande partie du parquet : un prélart ciré — et je m’aperçus vraiment que le blessé perdait beaucoup de sang, mais il était parti dans ce temps là. Un soldat passant là a dit : only a few drop of blood, that is not much. Seulement quelques gouttes de sang, c’est peu de chose. Alors je demandai aux soldats xxxxxx, deux ou trois soldats près de là, je dis : mes amis, je ne mange pas le monde, est-ce que je pourrais savoir d’où vous venez vous autres ? Oui, me dit l’un d’entre eux, nous venons d’Angleterre et des États Unis. Très bien, leur dis-je, je suis français, je viens de France — il est bien malheureux que ceci arrive ici dans notre ville de Québec. À ce moment moment je fus accosté par un autre soldat, qui était revêtu d’une redingote en caoutchouc longue. Je crois qu’il avait une ceinture. Je ne pourrais pas l’affirmer, mais avec le képi. Il me dit : père, oui. Je parlais en anglais. Il me répondit : oui, c’est bien malheureux, de revenir du front pour venir ici à Québec de nouveau à la bataille. Je fis quelques xxxxxx réflexions, je ne me rappelle pas quelles réflexions, je restais encore quelques instants, peut être cinq ou dix minutes après que Monsieur Tremblay fut parti. Pendant que j’étais là, de temps en temps je demandais aux hommes de police, je m’en vais aller un peu plus loin pour dire aux gens si j’en vois de ne pas venir ici parce qu’il y a du danger. Les Hommes de polices me répondirent au moins une couple de fois : père, n’y allez pas, c’est dangereux. Peut être qu’on peut tirer sur vous sans le faire exprès. Nos hommes ici paraissent un petit peu excités, énervés, n’y allez pas. Alors je restai dans mon coin. Pendant que Monsieur Tremblay était dans la maison — j’oublie quelques détails, vous me le pardonnerez bien — je sortis pour voir s’il y avait du nouveau dans les environs, comment allait la fusillade. Je m’aperçus que les tirailleurs qui étaient au coin de la rue Bagot et Demers étaient rendus au coin de la rue Sauvageau et Bagot. Ils avaient avancé. J’entendis quelques coups de fusil partir de ce coin de la rue Bagot et Sauvageau. Je pus distinguer que les coups allaient en montant, dans la direction du Cap, toujours vers la rue Morin.


Q. Quelle heure était-il à peu près ?


R. Il était onze heures et demie. C’est dans l’intervalle entre onze heures et demie et minuit moins quart, pendant que Tremblay était rentré chez Monsieur Laberge, je suis sorti et je m’aperçus que les soldats étaient allés au coin de la rue Bagot et Sauvageau et qu’ils avaient tiré. J’entendis les coups de fusil. Quand je crus, vers minuit moins cinq ou minuit moins dix à peu près qu’il y avait peu de chose, on n’entendait plus de coups de fusil, plus rien, je me dis : je m’en retourne maintenant. Je pense bien que mes services ne sont plus requis ici. Je vois que le calme est rétabli. Très bien me dit l’homme de police, je vas vous accompagner parce qu’il y a des soldats au coin de la rue Bagot et Sauvageau. Très bien, lui dis-je. Alors un homme de police vint avec moi. Au coin de la rue Bagot et Sauvageau il dit aux soldats : le prêtre s’en va chez lui, j’espère bien qu’il n’y a plus de danger pour lui ? Non, dirent-ils, il peut marcher. On m’avait dit — je m’étais informé de mon malade, de mon blessé, il restait, je ne connaissait pas son adresse, où il restait. J’avais su par un homme de police qu’il restait au No 42 je crois sur la rue Durocher. Alors en partant je me dis : je m’en vas avertir la famille de mon blessé. Je me dirigeai tout droit xx par la rue Bagot jusqu’à la rue Durocher. Je ne vis personne jusqu’à ce coin. Au coin de la rue Bagot et Durocher, quatre ou cinq hommes étaient là fumant leur pipe tranquillement et se demandant qu’est-ce qui s’était passé, parce qu’ils me demandèrent en arrivant : père, qu’est-ce qu’il y a là-bas. Je leur dit en quelques mots qu’il y avait eu un blessé et un mort — c’est tout ce que je savais. Après quelques paroles je leur dis : mes amis je n’ai pas le temps de parler ce soir, rentrez chez vous c’est mieux, il n’y a plus rien. Je m’en vas avertir la famille du blessé. Je me dirigeai donc du coin Bagot par la rue Durocher vers le nord au No 42 de la rue Durocher. Au coin de la rue Massue, encore un petit groupe d’hommes fumaient leur pipe. L’un d’eux me dit : père, je vas vous accompagner, jusqu’au No 42. Je connais bien cette maison là, j’y vais avec vous. Je dis : très bien. J’y allai. Tout le monde était endormi. Je frappai à la porte, on se leva et on vint m’ouvrir. Je demandai si Monsieur Tremblay restait ici. On me dit : oui père, mais il est sorti. Il est sorti après souper entre sept et huit heures me dit-on. Êtes vous parent avec Monsieur Tremblay leur demandai-je ? Non, me dirent-ils il pensionne ici seulement depuis deux ans, je crois, me dit-on. Mes amis, leur dis-je, je viens vous apprendre que Monsieur Tremblay est blessé grièvement et qu’il vient de partir pour l’hôpital. On me répondit : nous avertirons un de ses oncles qui est ici en ville demain matin. Très bien. Sur ce : bonsoir mes amis. Je m’en retournai chez nous en revenant à la rue Massue et je rentrai chez nous. Voilà ce que je sais de cette soirée.


Q. Maintenant mon père il y a quelques points à éclaircir davantage si c’est possible. Quand vous êtes arrivé au coin de la rue Bagot et que vous avez donné les soins de votre ministère au jeune Tremblay il pouvait être onze heures et quart ou onze heures et vingt ?


R. Il n’était pas encore onze heures et quart. J’ai quitté la maison à onze heures et ça ne prend pas plus de cinq minutes pour se rendre là.


Q. Après être rendu là est-ce qu’il s’est tiré encore plusieurs coups de fusil à votre connaissance ?


R. Ah oui, au moins trois fois à ma connaissance.


Q. Il s’en est tiré même par les militaires qui étaient autour de vous ?


R. Oui c’étaient les militaires qui tiraient.


Q. En vous en allant dans cette direction là, n’avez vous pas eu connaissance vous même que les balles vous ont effleuré ?


R. Non.


Q. Vous n’avez pas entendu siffler les balles à vos oreilles ?


R. Non, j’y allais froidement et je n’ai pas entendu les balles.


Q. Au meilleur de votre connaissance mon père pourriez vous nous dire à quelle heure à peu près on a tiré le dernier coup de carabine ?


R. Vers onze heures et demie, entre onze heures et demie et minuit moins quart.


Q. Au coin des rues Bagot et Sauvageau ?


R. Très bien Monsieur.


Q. Les derniers coups ont été tirés dans la direction de la côte ?


R. À ma connaissance, oui monsieur.


Q. Vous n’avez pas eu connaissance lorsque le jeune Demeule a été tiré ?


R. Du tout, seulement que plus tard je l’ai appris.


Q. Il a été tiré pendant que vous étiez à donner les soins de votre ministère ?


R. Je ne crois pas.


Q. Vous ne le savez pas ?


R. D’après ce que j’ai pu entendre dire il a être tiré à la première ou à la seconde salve.

Interrogé par Monsieur Picher.


Q. Révérend Père, lorsque vous avez entendu les coups de fusil qui venaient de la part des soldats avez vous remarqué aux alentours si les soldats étaient attaqués et s’il y avait du danger pour leur vie ?


R. Monsieur le Juré j’ai regardé bien sûr à différentes reprises sur la rue pour voir si je voyais personne afin de les avertir de s’en aller. J’ai vu une couple de fois une personne à la fois seulement passer au coin de la rue Bagot et Sauvageau et Demers et Morin.


Q. Et à part de ça il n’y avait personne, il n’y avait aucune provocation ?


R. Du tout, ils passaient tout simplement et dès qu’on criait ces gens là prenaient leur course.


Q. Voulez vous dire qu’on semblait chercher des cibles humaines pour s’exercer à tirer ?


R. Je ne pourrais pas dire vraiment qu’ils cherchaient des cibles humaines, mais on m’avait répondu qu’on avait l’ordre de tirer sur chaque personne que l’on verrait dans la rue. Alors je me dis : c’est bien malheureux que l’ordre soit si sévère ce soir mais enfin s’il y a des lois qui ont été passées auparavant…


Q. Maintenant si je vous ai bien compris vous avez dit que vous étiez accompagné de six hommes de police ?


R. Oui monsieur ils sont restés avec moi presque tout le temps que j’ai été là, pendant une heure, assis et rendant leur devoir allant et venant, tâchant de renvoyer les hommes qui pouvaient venir dans la rue. Quand ils voyaient quelqu’un les soldats criaient hands up — les mains en l’air. Les gens ne comprenaient pas — c’est des canadiens, ils ne comprenaient pas l’anglais, et nous leur disions en français, et ces hommes rebroussaient chemin ou se dispersaient.


Q. Croyez vous que ces six hommes de police auraient été suffisants pour maintenir l’ordre ?


R. Il n’y avait pas de désordre, il n’y avait aucun désordre quand je suis arrivé. La paix était parfaitement rétablie lorsque je suis arrivé, complètement, il n’y avait rien. Je n’ai vu que ce petit groupe de trente ou quarante personnes au coin de la rue Massue et Sauvageau qui ont voulu me suivre quand je m’en allais au coin chez Dubois.


Q. Et d’après les faits établis ils ont continué à tirer ?


R. Oui Monsieur.


Q. Plusieurs fois ?


R. Trois fois et plusieurs coups à chaque fois. Le lendemain j’ai voulu me rendre compte à peu près où étaient les balles. J’ai été voir et j’ai vu la place de deux balles dans la grande fenêtre du boucher Bédard au coin de la rue Bagot et Sauvageau et de là je suis monté la rue Sauvageau et vers la rue Morin et une marque de balle dans une porte de la rue Morin, au coin de la rue Sauvageau et Morin. Maintenant si on me demande d’aller plus loin, je suis entré dans la maison et si vous me demandez qu’est-ce que j’ai appris, qu’est-ce qu’on m’a dit, je vous le dirai. Sinon je ne le dirai pas.


Le Coroner. — Non mon Père.


Q. Mon Révérend Père, vous êtes Français ?


R. Oui Monsieur.


Q. Probablement que vous avez voyagé beaucoup ?


R. Je suis au Canada depuis vingt quatre ans. Je suis missionnaire des sauvages depuis dix huit ans, Je voyage tous les étés à partir du mois de mai au mois d’octobre et je vas parmi les Indiens, depuis quatre ans je suis résidant à St.-Sauveur pendant l’hiver.


Q. Vous dites que vous avez été parmi les Indiens ?


R. Oui.


Q. Vous avez probablement eu occasion d’avoir connaissance de certaines émeutes, de certains troubles ?


R. C’est bien tout le contraire. Je vas vous surprendre un peu. Les Indiens sont les hommes les plus calmes du monde. Je n’ai jamais eu aucune émeute aucun trouble avec les Indiens. On visite dans les missions des postes différents, ces dix postes sont disséminés dans différents endroits dans la Province de Québec. Ils sont très calmes. Ce sont des Algonquins d’une nature paisible.

INTERROGÉ par le Major Barclay


Q. Mon Père avez-vous eu connaissance des évènements qui se sont passés au coin de la rue lorsque vous avez trouvé le blessé ?


R. Pas du tout, seulement par oui dire. J’ai entendu dire ce qu’il y avait eu auparavant.


Q. Est-ce que les hommes de police vous ont raconté que nous avons tiré beaucoup de coups sur les soldats avant notre arrivée ?


R. Je ne crois pas qu’ils me l’on dit pendant que j’étais là. Ils ne me l’ont pas dit pendant que j’étais là, mais je l’ai su le lendemain par exemple qu’on avait tiré sur les soldats, qu’on avait fait de la misère aux soldats — alors on m’a informé le lendemain que ces hommes là étaient un petit peu excités, un peu énervés.


Q. C’est pour ça que vous leur pardonnez peut-être les insultes qu’ils vous on faites ?


R. Ah oui bien volontiers, parce que je me disais : Avant ça il y a y avoir quelque chose de sérieux.


Le Coroner. — C’est dans votre nature d’ailleurs de pardonner facilement ?


R. Les Français sont chauds.


Q. Pendant le temps que les six hommes de police étaient avec vous auprès de Tremblay, est-ce qu’il y en a un parmi eux qui a essayé de lui donner secours ?


R. Au blessé, à Tremblay, pas à ma connaissance. Ils me disaient toujours : On attend l’ambulance. Si j’avais su que Tremblay était blessé simplement aux genoux et aux bras — mais ils me disaient que c’étaient à l’épaule et je me disais : Le remuer, le pauvre malheureux, il va arriver une hémorragie — parce que j’ai déjà eu des opérés, des Indiens blessés.


Q. Il y a là six hommes de police de Québec et pas un parmi eux ne lui a offert de lui donner les premiers pansements ?


R. Pas à ma connaissance …


Q. Est-ce qu’il y avait de la brume ce soir là ?


R. Oui, c’est vrai, je ne l’ai pas mentionné.


Q. Peut-être que c’était très difficile de voir à longue distance dans la rue.


R. À une longue distance, oui, néanmoins je peux vous dire — on ne voyait pas distinctement bien sûr au coin de la rue Sauvageau le coin de la rue Demers, néanmoins on voyait assez pour voir une personne passée, ça faisait une belle tache noire. Je distinguais bien. On pouvait voir aussi une tête qui se serait au coin, la tête dépassant un peu, assez bien, parce qu’il n’y a que trente verges au coin de la rue Sauvageau et Demers, trente verges seulement.


Q. Maintenant est-ce que c’est tout à fait à côté de vous qu’on a tiré ou si vous l’avez entendu loin de vous ?


R. Oui, lorsque les soldats étaient au coin de la rue Demers et Bagot, ils n’étaient pas près de moi — lorsqu’ils étaient là-bas au coin de la rue Sauvageau et Bagot, parce que je ne suis pas allé là-bas avec eux. J’étais avec le blessé. Lorsque je suis parti j’ai entendu un coup dans cette direction. J’ai l’oreille assez bonne pour voir que c’était bien au coin de la rue Sauvageau et Bagot qu’on tirait.


Q. Savez-vous si l’homme a tiré dans la grande fenêtre au coin de la rue Laviolette et St. Valier ?


R. Je ne suis pas allé là. J’étais ici — montrant sur le plan — et le blessé était ici. Je n’ai pas eu connaissance sur la rue St. Valier. Je voyais bien du coin un groupe assez proéminent à droite dans la rue Bagot, en arrivant à la rue St. Valier, je voyais bien qu’il y avait du monde. J’ai vu que c’étaient les soldats qu’il y avait là.


Q. Vous ne savez pas si c’était des soldats ou des civils ?


R. Je ne pourrais pas l’affirmer parce que je n’ai pas fait beaucoup attention. J’ai vu un groupe assez nombreux qui était tranquille. Je n’ai pas entendu de coup de feu au coin de la rue St. Valier.


Le Coroner. — Vous n’étiez pas là ?


R. Non mais pendant que j’étais là je ne me rappelle d’aucun coup de feu de ce côté là.


Q. Les soldats que vous avez vus ont-il tiré en l’air ?


R. Non, ils avait un genou en terre et j’ai bien vu le canon de leurs fusils. Je les ai vus en ligne enfin, dirigeant leur fusils par ici, vers la rue Sauvageau. Une autre fois ils sont venus ici, parce que j’ai entendu une porte s’ouvrir mais ils n’ont pas tiré, mais ils étaient prêts de tirer. L’homme de police a dit : C’est une femme qui a sorti de la maison. Ils ont répondu : Qu’elle rentre.


Q. Tout ça c’est après que vous avez trouvé le blessé ?


R. Le mort et le blessé.


Q. Vous n’avez pas trouvé d’autres personnes blessées ?


R. Pas du tout, pas un seul blessé.

INTERROGÉ par Mtre. Chapleau.


Q. Vous avez dit que d’après les déclarations que le blessé vous avait faites que la blessure qu’il avait vous avez cru qu’il était prudent de ne pas y toucher ?


R. Je ne l’ai pas remué. Il m’a dit qu’il était blessé à la cuisse. Il ne sentait pas exactement la douleur.


Q. Avez-vous parlé de ces déclarations là aux hommes de police, leur avez-vous dit que ce que vous pensiez qu’il serait mieux de faire ?


R. Oui.


Q. De ne pas y toucher ?


R. Oui. Je leur ai dit qu’il m’avait dit qu’il était blessé à l’épaule et à la cuisse, et alors il faut attendre l’ambulance, l’ambulance peut venir à tout moment.

INTERROGÉ par M. Lesage.


Q. Révérend Père avez-vous remarqué que les militaires qui étaient là avaient un brancardier, qu’ils avaient une organisation médicale militaire pour prendre soin des blessés ?


R. Je n’ai rien vu, absolument rien à cette place là. J’ai vu un soldat que j’ai pris pour un officier ou un sous officier, vers minuit moins quart lorsque le blessé est parti par l’ambulance. C’est la seule fois que j’ai remarqué cet officier là. Peut-être que les hommes de police l’ont vu, mais moi je ne l’avais pas remarqué. Je ne voyais que les soldats.


Q. Cet officier là avait-il l’air d’être un médecin ?


R. Du tout non. Il ne m’a pas parlé. Il avait quelque chose à la main, je ne sais pas quoi il avait à la main. Ce n’était pas un fusil.


Le Coroner. — A-t-il donné des ordres ?


R. Non je ne l’ai pas entendu donner des ordres une seule fois. Seulement on m’a dit que lorsqu’un soldat m’a parlé un petit peu en termes impolis il a dit à ce soldat : Ne parlez pas comme ça. Je ne l’ai pas entendu mais on m’a dit ça. Dont speak that way.

INTERROGÉ par le Major Barclay.


Q. Mon Père étiez-vous témoin des évènements dans la soirée précédente ?

R. J’en ai eu connaissance par la voix des journaux.


Q. Vous savez qu’on a brulé un édifice ?


R. Oui.


Q. Après ces évènements là, est-ce que la présence des militaires sur la rue vous a étonné ?


Le Coroner. — Je ne sais pas si le Père peut nous donner ici son opinion personnelle.


Q. C’est justement son opinion personnelle que je lui demande. Vous avez eu l’opinion personnelle de M. Lavergne hier au soir, je demande la même chose au Père ici ?


R. Je ne pensais jamais voir les soldats à St. Sauveur. J’avais toujours entendu dire que l’émeute était à St. Roch, et j’ai été l’homme le plus surpris du monde quand j’ai entendu la fusillade à St. Sauveur.


Q. Mais étiez-vous surpris de savoir qu’il y avait de la milice ou des militaires dans les rues de Québec après les évènements des quatre jours précédents ?


R. Je savais qu’il y avait eu des soldats les nuits précédentes et je n’étais pas surpris qu’il y eut encore des soldats dehors ce soir là, pour essayer de maintenir l’ordre mais je n’aurais jamais cru…


Q. Vous avez su que les autorités civiles étaient incapables d’empêcher les troubles dans la ville et même que le Maire a dit ça par écrit ?


R. Je n’ai pas remarqué ça beaucoup, dans les journaux. Je n’ai pas remarqué beaucoup que les hommes de police étaient incapables de maintenir l’ordre. Je n’a pas remarqué ça, franchement.


Et le témoin ne dit rien de plus.


Je soussigné sténographe assermenté
certifie que ce qui précède est la transcription
fidèle de mes notes sténographiques.
Alexandre Bélinge
  1. Titre ajouté par Wikisource pour fin de présentation.