Avril (E. Pailleron)
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 49 (p. 751-753).
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IVRESSE.


C’est quand avril, le mois rêvé,
C’est quand avril est arrivé

Qu’il fait bon vivre !
Les cœurs sont émus et tremblans,
Il neige des papillons blancs,
Le monde est ivre !

Le grillon crie un cri d’acier.
Il faut, si l’on n’est pas huissier,
Que l’on se pâme…
Bonjour, monsieur, embrassez-moi !
Je me sens là je ne sais quoi,
Et vous, madame ?

Que l’air est doux et le ciel bleu !
Décidément je crois en Dieu
Pour le quart d’heure.
Mais j’aime mieux ma mie, ô gué…
Savez-vous, quand on est très gai,
Pourquoi l’on pleure ?

Baisers ! chansons ! parfums ! couleurs !
Amours d’oiseaux ! amours de fleurs !
Flamme infinie !
C’est en avril, un beau matin,
Que Fourrier trouva, c’est certain,
Son harmonie !

Debout, voisin, mon cher ami,
Éveillez-vous, bel endormi,
Et qu’on se presse !
Allons sous le ciel, n’importe où,
Allons courir le guilledou
Chez ma maîtresse.

Corsage plein et lourd chignon,
Rire sonore et bourguignon,
Haleine pure,
La joue en fleur, la lèvre en feux,
Elle est à toi si tu la veux…
C’est la nature !

Oui, mais prends garde seulement,
Car ma belle aime rudement,
Elle est farouche,
Et j’en sais plus d’un en péril
Rien que pour avoir, cet avril,
Baisé sa bouche.


Bah ! l’amour est fait pour les forts !
Nous vivons, si d’autres sont morts.
À nous la fête !
Et tant pis pour les mal portans
À qui le vin pur du printemps
Casse la tête !

EDOUARD PAILLERON.