Avis à tous les Orientaux/Édition Garnier

Avis à tous les Orientaux
Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 26 (p. 561-562).

AVIS
À TOUS LES ORIENTAUX[1].

Toutes les nations de l’Asie et de l’Afrique doivent être averties du danger qui les menace depuis longtemps. Il y a dans le fond de l’Europe, et surtout dans la ville de Rome, une secte qui se nomme les chrétiens catholiques : cette secte envoie des espions dans tout l’univers, tantôt sur des vaisseaux marchands, tantôt sur des vaisseaux armés en guerre. Elle a subjugué une partie du vaste continent de l’Amérique, qui est la quatrième partie du monde. Elle-même avoue qu’elle y massacra dix fois douze cent mille habitants pour prévenir les révoltes contre son pouvoir despotique et contre sa religion. Il s’est écoulé environ cent trente révolutions du soleil depuis que cette secte, soi-disant catholique chrétienne, ayant trouvé le moyen de s’établir dans le Japon, autrement Nipon, elle voulut exterminer toutes les autres sectes, et causa une des plus furieuses guerres civiles qui aient jamais désolé un royaume. Le Japon nagea dans le sang, et, depuis cette affreuse époque, les habitants ont été obligés de fermer leur pays à tous les étrangers, de peur qu’il n’entre chez eux des chrétiens.

Les espions appelés jésuites, que le prêtre prince de Rome avait envoyés à la Chine, commençaient déjà à causer du trouble dans ce vaste empire, lorsque l’empereur Yong-tching, d’heureuse mémoire, renvoya tous ces dangereux hôtes à Macao, et maintint, par leur bannissement, la paix dans son empire[2].

Ces mêmes jésuites se sont soumis, en Amérique, un pays de quatre cent soixante milles de circonférence ; on dit qu’ils ont civilisé les habitants : ces peuples, en effet, sont civils au point d’être esclaves des bonzes et fakirs catholiques connus sous le nom de jésuites.

Ces mêmes catholiques ont fait plus d’une tentative pour subjuguer le royaume d’Abyssinie.

Le nom de catholique signifie universel ; ce nom leur suffit pour persuader aux idiots qu’on doit dans tout l’univers croire à leurs dogmes, et se soumettre à leur pouvoir ; ces dogmes sont le comble de la démence, et ils disent que c’est précisément ce qui convient au genre humain. Non-seulement ils annoncent trois dieux qui n’en font qu’un, mais ils disent qu’un de ces trois dieux a été pendu. Ils prétendent le ressusciter tous les jours avec des paroles ; ils le mettent dans un morceau de pain ; ils le mangent, et le rendent avec les autres excréments. C’est à cette doctrine qu’ils veulent que tous les hommes se soumettent ; et quand ils sont les plus forts, ils font mourir dans les tourments tous ceux qui osent opposer leur raison à cet excès de folie.

Ces tyrans extravagants se vantent d’être descendus d’un ancien peuple qu’on appelle hébreu, juif, ou Israélite. Ils persécutent avec férocité ces Juifs dont ils se disent les enfants : ils en font des sacrifices à leurs trois dieux, et surtout à celui qu’ils changent en un morceau de pain ; et pendant ces sacrifices de chair humaine, ils chantent les hymnes composés autrefois par ces mêmes Juifs qu’ils immolent. S’ils ont traité avec tant de barbarie toutes les nations étrangères, ils ont exercé mutuellement les mêmes fureurs contre toutes les petites sectes dans lesquelles leur religion est divisée. Il n’y a point de province en Europe que la religion chrétienne n’ait remplie de carnage. Cette barbare égorge chez elle ses propres enfants de la même main qui a porté la désolation aux extrémités du monde.

Il est donc nécessaire qu’on fasse passer ces excès dans toutes les langues, et qu’on les dénonce à toutes les nations.



FIN DE L’AVIS À TOUS LES ORIENTAUX.

  1. Cette espèce de manifeste n’a jamais été imprimé ; il s’est trouvé dans les papiers de l’auteur, et l’on ignore s’il en avait fait quelque usage. (K.) — Cette pièce a été, en 1825, mise par M. Clogenson dans le Dictionnaire philosophique, au mot Chrétiens catholiques, ainsi que je l’ai déjà dit (tome XVIII, page 159). C’était parmi les Facéties que les éditeurs de Kehl l’avaient classée. Je place cet opuscule en 1767 ou 1768, parce que, dans ces années, Voltaire en publia beaucoup dans le même esprit. Mais, dans ses lettres à Damilaville, des 4 et 8 février 1762, Voltaire parle de l’Oriental, qui pourrait bien être l’Avis à tous les Orientaux. (B.)
  2. Voyez tome XIII, page 168 ; XV, 81-83.