Aventures merveilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran/2/XXI

Librairie Hachette et Cie (2p. 239-244).

XXI

Départ.


Quand Sougriva fut parti :

« Eh bien, mon cher ami, dit Quaterquem, que s’est-il passé ? As-tu quelque nouveau Barclay à combattre ? Le premier me semble assez vigoureusement éconduit pour ne pas revenir de sitôt à la charge.

— Comment ! vous avez battu le fameux général Barclay, le héros de Lucknow ? demanda Alice.

— Et si bien battu, dit Quaterquem, qu’il doit galoper en ce moment sur la route de Bombay. »

Et il raconta l’incendie du camp anglais.

Mais il ne reçut pas de sa femme les applaudissements qu’il croyait avoir mérités. Alice se montra même très-offensée qu’il eût pris part à cette affaire.

« Ma foi, reprit Quaterquem, je suis resté neutre. C’est Corcoran et ce démon de Baber qui ont tout fait. Je me suis contenté de leur prêter ma voiture.

— Eh bien, cher bien-aimé, dit Alice, s’il vous arrive encore de prêter votre voiture comme vous dites, je vous laisserai seul dans votre île et je retournerai en Angleterre par le plus prochain steamer.

— Diable ! fit Quaterquem, on ne peut même pas rendre le plus petit service à un ami sans que les femmes s’en mêlent. Je te promets de ne plus me mêler de rien. »

Moyennant cette promesse, il eut sa grâce ; et Corcoran, toujours hospitalier, malgré la sortie qu’Alice venait de faire, lui fit ses adieux avec autant de cordialité que si elle eût poussé Quaterquem à le secourir.

Sita offrit à sa nouvelle amie un collier de diamants d’un prix inestimable. Il avait appartenu à la célèbre Nourmahar, qui fut pendant trois générations la plus belle femme de tout l’Hindoustan, et il avait été conquis par le bisaïeul d’Holkar sur le petit-fils de Nourmahar.

Alice se défendit quelque temps de l’accepter, quoiqu’elle en brûlât d’envie ; mais la générosité de Sita lui faisait sentir bien délicatement la dureté qu’elle venait de montrer.

« C’est le souvenir d’une amie, dit Sita. Si mon cher et bien-aimé Corcoran est vainqueur, je n’aurai pas besoin de ces trésors. L’Hindoustan est à nous. S’il est vaincu, il se fera tuer, et moi je ne lui survivrai pas. Je monterai sur le bûcher, comme ma grand’mère Sita la Videhaine ; et, ayant eu le plaisir d’appartenir au plus glorieux des hommes, je me poignarderai moi-même pour le retrouver plus tôt et me confondre avec lui dans le sein de Brahma ! »

Sita parlait avec tant de simplicité, qu’Alice vit bien que sa résolution était prise. Elle accepta enfin ce don inestimable et embrassa Sita avec une tendresse véritable. Elle pensait ne la revoir jamais ; car, en bonne Anglaise qu’elle était, il lui semblait impossible que Corcoran fût vainqueur. Pour lui, avec une douce et cordiale gravité, il fit ses adieux à Quaterquem et à sa femme et embrassa ses amis en homme résolu à vaincre ou à mourir.


Elle embrassa Sita avec une tendresse véritable. (Page 243.)

« Mon cher Quaterquem, dit-il au Malouin, je ne sais si je te reverrai. Garde-moi cette caisse en dépôt dans ton île. Si tu apprends qu’il nous soit arrivé malheur, ouvre-la. Ce qu’elle contient est à toi. Si je suis vainqueur, je te la redemanderai. »

Et se penchant à son oreille :

« Ce sont les pierreries du vieil Holkar, dit-il à voix basse. Elles valent plus de quinze millions de roupies. Ce sera, quoi qu’il arrive, l’héritage de Rama. Adieu.

Ils s’embrassèrent encore, et Quaterquem monta dans la frégate avec sa femme. Avant de prendre son essor :

« Madame, dit-il à Sita, je viendrai le 15 mars à Bhagavapour vous chercher, et je vous emmènerai dans mon île, que vous ne connaissez pas. Corcoran, qui sera, je l’espère, débarrassé de toute inquiétude, et qui aura fait sa paix avec lord Braddock, nous accompagnera. Alice va organiser sa maison en conséquence et chercher une femme de chambre. Adieu, cher et ambitieux maharajah. Tu as pris un chemin de traverse pour arriver au bonheur ; mais l’expérience te rendra sage. Adieu. »

La frégate s’enleva dans les airs et se dirigea vers l’Orient.

Corcoran, tout pensif, serra sa femme et Rama sur son cœur, monta à cheval avec son escorte et courut au galop dans la direction de l’armée anglaise.