CHAPITRE XV

neuvième aventure de mer


Je fis un autre voyage, d’Angleterre aux Indes orientales, avec le capitaine Hamilton. J’emmenais un chien couchant, qui valait, dans l’acception propre du mot, son pesant d’or, car il ne m’a jamais failli. Un jour que, d’après les meilleurs calculs, nous nous trouvions à trois cents milles au moins de terre, mon chien tomba en arrêt. Je le vis, avec étonnement, rester plus d’une heure dans cette position : je fis part de ce fait au capitaine et aux officiers du bord, et leur assurai que nous devions être près de terre, vu que mon chien flairait du gibier. J’en obtins qu’un succès de fou rire, qui ne modifia nullement la bonne opinion que j’avais de mon chien.

Après une longue discussion où l’on débattit mon avis, je finis par déclarer ouvertement au capitaine que j’avais plus de confiance dans le nez de mon Traï que dans les yeux de tous les marins du bord, et je pariai hardiment cent guinées, — somme que j’avais destinée à ce voyage, — que nous trouverions du gibier avant une demi-heure.

Le capitaine, qui était un excellent homme, se remit à rire de plus belle, et pria M. Crawford, notre chirurgien, de me tâter le pouls. L’homme de l’art obéit et déclara que j’étais en parfaite santé. Ils se mirent alors à causer à voix basse : je parvins cependant à saisir quelques mots de leur conversation :

— Il n’a pas sa tête à lui, disait le capitaine, je ne peux pas honnêtement accepter ce pari.

— Je suis d’un avis entièrement contraire, répliquait le chirurgien ; le baron n’est nullement dérangé ; il a plus de confiance dans l’odorat de son chien que dans la science de nos officiers, voilà tout. En tout cas, il perdra, et il l’aura bien mérité.

— Ce n’est pas raisonnable de ma part d’accepter un pareil pari, répétait le capitaine. Toutefois je m’en tirerai à mon honneur en lui rendant son argent après l’avoir gagné.

Traï n’avait point bougé pendant cette conversation, ce qui me confirma dans mon opinion. Je proposai une seconde fois le pari, qui fut enfin accepté.

Nous avions à peine prononcé le tope là sacramental que des matelots placés dans la chaloupe attachée à l’arrière du bâtiment, et occupés à pêcher à la ligne, attrapèrent un énorme chien de mer, qu’ils amenèrent aussitôt sur le pont. On commença à le dépecer, et voilà qu’on lui trouva dans le ventre six couples de perdrix vivantes !

Les pauvres bêtes y habitaient depuis si longtemps, qu’une des perdrix était occupée à couver cinq œufs, dont l’un était en train d’éclore lorsque l’on ouvrit le poisson.

Nous élevâmes ces jeunes oiseaux avec une portée de petits chats venus au monde quelques minutes auparavant. La mère chatte les chérissait autant que ses enfants, et se désolait chaque fois qu’un des perdreaux s’éloignait trop et tardait à revenir auprès d’elle. Comme dans notre prise il y avait quatre perdrix qui ne cessaient de couver à tour de rôle, notre table fut fournie de gibier tout le temps du voyage.

Pour récompenser mon brave Traï des cent guinées qu’il m’avait fait gagner, je lui donnai chaque fois les os des perdreaux que nous avions mangés, et de temps en temps même un perdreau tout entier.