Avant le voyage du Président - La Question indigène en Algérie/02

H. de la Martinière
Avant le voyage du Président - La Question indigène en Algérie
Revue des Deux Mondes7e période, tome 8 (p. 659-684).
AVANT LE VOYAGE DU PRÉSIDENT

LA
QUESTION INDIGÈNE EN ALGÉRIE
AU LENDEMAIN DE LA GUERRE

II[1]


LA PRESSE INDIGÈNE D’OPPOSITION, LE COMMUNISME ET LA PROPAGANDE BOLCHÉVISTE

Depuis la guerre, la presse indigène d’Algérie a pris l’importance que devait lui donner la loi de 1919. Quelques-uns de ses journaux ont des titres sonores qui révèlent leurs tendances ; ils défendent ce qu’ils appellent les droits des indigènes, mais leur esprit est souvent déplorable ; ils puisent leurs inspirations aussi bien dans certains milieux à Tunis que dans les partis révolutionnaires de la métropole, ceux-ci complétant un réseau d’intrigues qui enserre l’Afrique du Nord. On connaît l’action qu’exerce la Ligue dite « des peuples, » dont le siège est à Berlin et qui ne cache pas ses visées sur les Indes, sur la Tunisie et sur notre Algérie. Le club qui s’y est adjoint comptait, dès sa formation, plus de trois cents membres. Syriens, Egyptiens, Turcs, Hindous, Afghans, Persans, Kurdes, Tunisiens, Marocains, Algériens, « tous brûlant de patriotisme et désirant la libération de leur pays, » ainsi s’exprime leur propre manifeste. Des Allemands convertis à l’Islamisme et membres du club affirmèrent en de violents discours, dès l’inauguration, que l’Allemagne, après la guerre, comme avant, continuerait à prendre la défense de la religion du Prophète.

L’année dernière, un article douloureusement instructif paraissait dans une revue Der neuer Orient « le nouvel Orient » , celui que l’on prépare à Berlin pour la grandeur du germanisme et contre la France musulmane. L’auteur, musulman algérien égaré, prenait à partie les colons français ; entre autres griefs, il leur reprochait leurs protestations contre la loi de 1919, et il n’hésitait pas à collaborer à cette revue allemande qui lui réserva le lamentable honneur de publier sa prose en français, montrant ainsi l’usage auquel était réservé ce factum, en terre africaine. En vérité la propagande allemande est incessante, son ingéniosité méthodique et sournoise tient du prodige ; on le voit dans l’ouvrage si instructif de MM. Drouilly et Guerimon [2].

Cette action se manifeste dans le département de Constantine, voisin de la Tunisie ; on l’a également constatée, à l’autre extrémité de la colonie, jusque chez les Beni-Snous, au Sud de Tlemcen, dans un massif montagneux reculé, où l’on surprit des cartes d’affiliation à des comités ayant pour but d’amener ces Berbères à un socialisme qui n’exclut pas d’ardentes aspirations nationalistes.

Parmi les collaborateurs de la presse indigène se comptent bien des aigris, ambitieux déçus et transfuges du corps enseignant. Leurs articles sont à la portée des esprits indigènes ; l’influence en est plus grande que l’optimisme des pouvoirs publics ne veut en convenir. La question mérite notre attention, car le nombre des instituteurs indigènes est destiné à s’accroître par suite de la difficulté d’assurer le recrutement pédagogique français, au lendemain de la guerre. D’autre part, l’Algérie étant soumise à la même loi qui, en France, régit les délits de presse, on se demande si cette législation, résultat de la politique d’assimilation, répond, dans la colonie, aux nécessités de la situation et si le rétablissement partiel des pouvoirs disciplinaires de nos administrateurs, concédés à nouveau, comme nous le verrons, est une sauvegarde suffisante, et si nous ne devrions pas, surtout dans nos protectorats, astreindre les journaux de langue arabe, soit à l’autorisation préalable, soit au cautionnement, tout au moins à un nouveau régime. On a dû suspendre récemment, à Tunis, une feuille arabe nettement communiste ; à peine disparue, une autre s’apprête à renaître, ainsi que le phénix de ses cendres. Et l’on parle d’un journal communiste de Paris qui s’offrirait le luxe d’une édition en arabe, destinée à la Régence [3]. Ne soyons pas dupes ; la liberté de la presse se justifie en France entre Français, mais il ne saurait en être de même dans les pays où nos compatriotes, noyés dans une population indigène, sont en contact avec de forts groupements d’origine ou de nature étrangère. Il est, à tout le moins, imprudent d’assister impassible à ces efforts faits pour détacher les indigènes de notre cause, en affaiblissant leur loyalisme. Cette inaction serait, aux yeux de la population tout entière, un témoignage de faiblesse ; et je m’imagine que l’une des préoccupations les plus immédiates du Gouvernement doit être de restreindre cette presse, d’autant plus dangereuse qu’elle agit sur des centaines de mille de musulmans désormais nantis de droits électoraux.

Aussi bien, on retrouve, trop fréquemment, une opposition calculée, chez quelques dirigeants des partis indigènes, quand il s’agit de mieux orienter notre administration ; à la dernière session des assemblées algériennes, des délégués indigènes s’élevaient contre le projet de réorganisation à Paris des services de l’Algérie du ministère de l’Intérieur. Redoutaient-ils que la Métropole, mieux instruite des affaires de la colonie, fit le départ entre les fallacieuses revendications des meneurs et les besoins réels de la population ? Ne laissons pas s’installer le crédit d’agitateurs qui exploitent notre générosité ou nos faiblesses et s’efforcent de grouper l’Islam algérien en déformant ce qui se produit ailleurs dans le monde musulman. L’Africain mêlé de sang berbère est subtil autant qu’utilitaire ; son esprit, comme celui de ses ancêtres numides, est souple et fertile ; il s’emparera, soyons-en convaincus, de toutes les armes qu’il trouvera. Le souvenir des luttes religieuses du Donatisme qui ravagèrent l’Afrique du Nord aux premiers siècles du Christianisme porte à la réflexion, car le succès de ce schisme provenait, en grande partie, de l’ardeur des Berbères à embrasser une cause qui, en fait, était bien plus la révolte de leur indépendance contre le pouvoir central de Rome. C’est ainsi que de nos jours la propagande d’un communisme plus ou moins frotté de bolchévisme sera utilisée et qu’elle aura sur les esprits une large influence, dans la mesure où elle respectera l’intérêt islamique. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à connaître les étroites relations que quelques-uns des chefs du parti indigène d’opposition entretiennent avec nos communistes les plus notoires, plusieurs de ces derniers ayant, du reste, collaboré à la Tunisie martyre, ce livre empoisonné du parti « Jeune Tunisien. »

L’un des phénomènes les plus caractéristiques de notre époque est assurément la propagande qui exploite les revendications musulmanes. Celles-ci, grossies par des meneurs tour à tour européens ou indigènes, servent l’astucieuse campagne poursuivie dans la Métropole ; pour donner le change à l’opinion parlementaire : ces meneurs sont habiles à cultiver les ambitions et les rancunes sous le couvert de la religion. Nous voyons, ainsi que me le disait l’un des fonctionnaires les plus avertis du Protectorat à Tunis, qu’un certain panislamisme, bassement démagogique, ressemble étrangement au bolchévisme.

Quoique la masse indigène ne soit pas encore entamée, il est temps d’envisager les mesures capables de sauvegarder nos populations. N’a-t-on pas surpris dans les écoles indigènes de Kabylie des tracts d’adhésion à la IIIe Internationale de Moscou, imprimés à Marseille et qui faisaient l’éloge de Lénine, de son gouvernement et de ses conceptions, tandis qu’un instituteur en congé, à Bône, signait des affiches d’une rare violence contre le Président du conseil Millerand, après la victoire, et que, précédemment, un employé des postes d’Oran avait eu l’audace d’organiser une conférence contre l’emprunt de la Défense nationale ? Enfin, les dockers indigènes du même port entraient en grève pour protester contre la politique du Gouvernement français à l’égard de la République des soviets, et, à Clairefontaine, dans le département de Constantine, des cheminots indigènes préparaient sur la voie ferrée, suivant toutes les règles de la science, un sabotage qui aurait pu avoir les plus meurtrières conséquences.

Un jour, on arrête un ancien tirailleur fixé à Médine, marié à une femme du Turkestan, parlant le russe, revenant de Syrie en Algérie avec un passeport espagnol ; il parcourait la colonie, allant de marabout en marabout, de centre religieux en centre religieux, récoltant des aumônes et se livrant à la plus mystérieuse des besognes. Enfin, dernièrement, une association commerciale, sous la direction d’un musulman fixé à Fez, masquait une organisation à tendance bolchéviste. On ne saurait s’en étonner, après que l’Algérie et la Tunisie ont subi les voyages de propagande, au cours de l’hiver précédent, d’un universitaire en congé, délégué permanent du parti socialiste communiste, dans l’Afrique du Nord, qui rapporta au Congrès de Tours l’adhésion à la IIIe Internationale de ce que l’on appelle le prolétariat indigène africain, si grande est l’audace de cette entreprise révolutionnaire ! A Tunis, les idées bolchévistes ont eu un certain succès, et, de fait, de hautes personnalités de l’Islam avaient proclamé que les théories de Moscou s’accordent avec la loi du Prophète et que, pour un croyant, il est méritoire de les répandre. « La guerre de feu est terminée : maintenant la guerre politique va commencer, » disait, en novembre 1920, le propre frère d’Enver Pacha, Nouri Bey, lors de son passage à Gabès, assurant qu’il rapporterait bientôt l’indépendance à ses frères d’Afrique. Les événements de Tripolitaine devaient avoir une forte répercussion dans le Sud tunisien et jusqu’en Algérie, car les Italiens ont cru devoir combler de faveurs les mêmes grands chefs indigènes qui, en 1915, les ont obligés à se réfugier à la côte. Disons en passant que cette politique, pour le moins étrange, est bien mal comprise dans la Métropole, car tout récemment, nous l’entendions citer en exemple pour la direction de nos affaires en Tunisie.

Nous ne devons donc pas laisser la masse de nos populations livrée à elle-même ; tout est à faire de ce côté ; nous pouvons y être encouragés, car on se rappellera qu’à l’ouverture des hostilités avec la Turquie, une délégation de hautes personnalités indigènes effectua à Constantine une démarche de loyalisme auprès du Préfet, témoignant ainsi de sa fidélité à l’autorité française.

La souplesse de la propagande soviétiste est connue ; quand elle s’adresse aux musulmans, ce ne sont pas les théories marxistes que mettent en avant les agents de Lénine ; ils se bornent à préconiser la haine religieuse de l’étranger, préparant ainsi, sous la forme d’un nationalisme perfide, les luttes de classes entre les deux populations européenne et musulmane, premier pas vers la grande Révolution, espoir final des gens de Moscou. L’un des délégués orientaux, au dernier Congrès de Dakou, déclarait que l’incendie se propagera lentement, mais sûrement, de proche en proche. Après l’Egypte, ce sera le tour des autres pays du Nord de l’Afrique, celui de la Tunisie, puis de l’Algérie et même du lointain Maroc. Aucun effort n’est négligé quand il s’agit de nous aliéner les populations musulmanes pour ruiner la France, déclarait textuellement Lénine. Quel que soit l’avenir réservé à la République de Moscou, son action aura produit bien des ravages, semant des germes dont souffriront longtemps les peuples musulmans, car de telles aspirations nationalistes sont prématurées chez des populations encore peu capables de régler leurs destinées. Ces procédés ont été mis en lumière dans une étude de M. Jean Maxe [4], qui signale à Moscou une savante organisation, d’une méthode très allemande, et qui suit attentivement les affaires musulmanes. Cette propagande sournoise emprunte quantité de formes : l’autre hiver, à Kairouan, un Hollandais voulait faire une conférence aux habitants de la grande ville religieuse ; sous le prétexte de passer en revue les différentes solutions à la question sociale, il avait préparé un exposé à tendance nettement communiste, d’autant plus dangereux que les indigènes ne réagissent aucunement comme les Européens, mais il en fut judicieusement empêché par l’autorité, car on signalait, dans la ville, à ce même moment, la présence d’autres personnalités suspectes de propagande ennemie [5].

Que dire de ceux de nos compatriotes qui, pour la défense des droits indigènes, en arrivent à être plus ou moins les artisans d’une politique capable de compromettre l’œuvre française ? Si la démocratie est l’art de se discipliner, que ceux d’entre nous qui se dévouent à la cause indigène, s’inspirent de ce précepte. La dernière élection européenne d’Alger fera réfléchir : un républicain de gauche passa au deuxième tour par 14 000 voix, mais un candidat se disant communiste avait réuni plus de 8 000 suffrages, fâcheux spectacle pour la population musulmane, bien qu’à tout prendre on ne puisse, évidemment, prétendre qu’il y ait 8 000 communistes à Alger même !

Quand on examine la capacité de résistance d’un pays d’Europe aux entreprises communistes ou bolchévistes, on a coutume de faire entrer en ligne de compte sa situation au point de vue du partage de la propriété. Une population dont la majorité possède, ne fût-ce qu’un lopin de terre, sera, assure-t-on, attachée à la défense de son bien et, de ce fait, assez réfractaire au communisme ; mais, dans notre Afrique du Nord, la défense de l’islam, la lutte contre le roumi, auront toujours leur poids, même sur l’âme du propriétaire indigène, puisqu’il existe, ainsi que nous l’avons vu, un vieux levain de désordre et d’insurrection chez ces habitants de Berbérie où se sont exercées tant de dominations étrangères. Quelques optimistes prétendent que le bolchévisme ne peut prendre racine dans les pays où n’existent pas d’industries capables d’étayer un mouvement ouvrier étendu ; cette réserve ne saurait s’appliquer à l’Algérie, puisque les travailleurs des ports sont déjà rangés au syndicalisme, sans qu’ils soient, naturellement, en état de comprendre où on les entraine. C’est ainsi que, récemment, un cortège d’indigènes, chantant l’Internationale, marchait à Oran sous le drapeau rouge, à la grande satisfaction de l’un de nos députés, socialiste unifié, qui préfère, dit-il, le drapeau rouge au drapeau vert du prophète.

Le communisme préconisé dans certaines feuilles a tout ce qu’il faut pour séduire nombre de musulmans : la doctrine ne donne-t-elle pas tous les espoirs pour la libération de l’étranger quand elle fait miroiter aux yeux des simples d’esprit le droit de travailler le sol, sans payer de dime à quiconque, rejetant ainsi toute emprise du capitalisme ; redoutons que l’une des confréries religieuses dont l’action, avant l’incendie, est si difficile à surprendre, n’en serve la cause. Il n’y a, évidemment, qu’une nuance pour que des indigènes donnent libre cours, dans leurs cerveaux façonnés par la foi coranique, à un réveil de fanatisme contre le roumi ; ils auraient vite fait, d’autre part, d’abandonner leur fatalisme qui nous fut si commode. Souvenons-nous que les bolchévistes se déclarent les protecteurs de ce qu’ils appellent les opprimés et que leur propagande de forme islamique issue du proche Orient s’influence des événements d’Angora [6] et de l’Egypte ; aussi est-elle soutenue par les « Jeunes Tunisiens, » et comme, de l’autre côté, l’Algérie se trouve en butte à l’action du communisme européen procédant aussi de quelques milieux de Paris, on en conclura que notre colonie court le danger d’être prise entre deux feux.

Cet ensemble de faits réclame une extrême attention si l’on veut déjouer des manœuvres qui ne sauraient donner le change à un esprit averti ; dans ce dessein, on doit envisager une politique de conservation sociale indigène autant qu’européenne. Le nouveau Parlement y semble plus préparé que l’ancien. L’âme de nos musulmans n’est pas insensible au raisonnement ; c’est affaire au gouvernement général à Alger d’entreprendre cette propagande de concert avec le Ministère des Affaires étrangères, puisque ce qui se passe en Algérie retentit sur l’ensemble de notre situation dans l’Islam. Ce ne sont pas les éléments qui nous font défaut pour cette action ; ne sommes-nous pas en train de réaliser la création, à Paris, d’une maison de l’Islam sous la forme d’une mosquée et d’un institut qui se rattache à l’œuvre des « Habous » ou biens religieux de notre Afrique du Nord ? On ne saurait trouver une meilleure réponse aux cam- pagnes anti-françaises de Berlin et de Moscou, à condition de contrôler attentivement le fonctionnement de cet institut [7]. Une mosquée à Paris, symbole des liens de la France avec sa population musulmane, avait déjà été prévue en 1895 par le gouverneur de l’Algérie [8]. En tout cas, persuadons-nous que, pour lutter contre l’action révolutionnaire bolchéviste, il faut agir sans retard 5 la temporisation serait une sorte de bolchévisme par consentement tacite, ainsi que je l’ai entendu justement développer dans une conférence organisée à Tunis par la ligue des chefs de section et soldats combattants, sous les auspices de notre nouveau et vigilant résident général.


LA SÉCURITÉ EN ALGÉRIE ET LES POUVOIRS DISCIPLINAIRES DES ADMINISTRATEURS DE COMMUNES MIXTES

Dans ces conditions, il est indispensable de se préoccuper de la sécurité que l’on représente souvent comme précaire dans la colonie, l’institution d’une police préventive y étant pratiquement impossible. Comment établir, au milieu d’aussi vastes espaces, dans chaque centre, dans chaque douar, près de chaque ferme, des brigades de gendarmerie ou des gardes-champêtres ? Les assemblées de la colonie ont cependant voté des crédits qui ont permis de créer une 17e brigade mobile, tandis qu’une autre brigade supplémentaire, dite volante, était organisée ; enfin, on a eu parfois recours à des patrouilles de cavalerie, de concert avec l’autorité militaire. Une désolante situation révélée par le juge d’instruction et par le tribunal d’Oran montre que les auteurs de crimes demeurent inconnus dans la proportion de neuf sur dix.

Le nombre des brigades algériennes étant insuffisant pour un pays presque plus étendu que la France, il faudrait une forte police à recrutement indigène parce que seuls les indigènes connaissent leurs semblables, et, grâce à un service d’automobiles, on devrait augmenter les facilités du service de surveillance, pour faire obstacle à la poussée criminelle qui se manifeste depuis 1920.

En réalité, celle recrudescence de délits était due à des causes multiples [9], quelques-unes provenant de la guerre, telles que le retour des indigènes soldats ou travailleurs d’usine de guerre ou des ports, souvent gagnés à l’alcoolisme et fâcheusement contaminés, comme à Marseille où se commettaient tous les délits dans la plus sereine impunité ; il convient aussi d’incriminer l’amnistie qui a ouvert les prisons à tant de condamnés de droit commun, ce qui n’a pas été moins délétère pour la colonie que pour la mère-patrie.

L’insécurité provint également de l’erreur commise en 1914, quelques mois avant la guerre, lorsque le Parlement retira à nos administrateurs de communes mixtes une partie de leurs pouvoirs disciplinaires. La question des pouvoirs disciplinaires conférés aux administrateurs de communes mixtes a été le grand argument pour ceux qui, sciemment ou non, discréditaient l’autorité française. Certes, des abus ont pu être commis comme dans toute œuvre humaine, mais, il faut le proclamer, le corps de nos administrateurs est composé d’un personnel de haute moralité et de grand mérite, et nos musulmans ne sont jamais livrés sans défense et sans appel à l’arbitraire ou aux possibles erreurs. La Commission qui siège à Alger, au Gouvernement général, et qui a charge d’examiner ou de réduire ces peines, écarte ou réduit fréquemment les sanctions et on n’a pas souvenance qu’un gouverneur n’ait tenu compte de ses avis.

Pour réaliser l’intention du Parlement d’apporter quelques améliorations à ce que l’on appelle le régime des indigènes, c’est-à-dire l’indigénat, la méthode fut médiocre. On s’était plu à entourer ces derniers de je ne sais quelle auréole de victimes ou même de martyrs ; en réalité, on vivait sur des mots et on allait risquer de compromettre l’assise tout entière de la colonie. C’est ainsi que l’on décidait de remettre aux juges de paix une partie des pouvoirs disciplinaires, à l’exemple de ce qui a lieu dans les communes de plein exercice, après avoir retiré une partie de ces mêmes pouvoirs aux administrateurs de communes mixtes, sans se préoccuper si la mesure n’allait pas grever lourdement le budget algérien qui entretient déjà vingt mille fonctionnaires. Ceux-ci absorbent 53 pour 100 des dépenses totales et 66 pour 100, si on déduit la délie, suivant l’affligeante constatation que M. Morinaud faisait au Parlement.

Le rapporteur de la loi au Sénat convenait qu’en attendant, le nombre des juges de paix algériens serait insuffisant pour assurer ces nouveaux services et que, notamment dans vingt-six communes mixtes, les justices de paix n’étant pas installées par suite de manque de crédits, on allait forcer les indigènes à de longs et coûteux déplacements. Il ajoutait que le manque de préparation administrative de ces juges de paix, l’ignorance où ils étaient pour la plupart, de la langue, et qui les rendait tributaires de médiocres interprètes, étaient autant de conditions mauvaises ; néanmoins, il concluait, chose à peine croyable, au vote de la loi.

Ceci se passait en 1914 ; le moment ne pouvait être plus mal choisi pour diminuer notre autorité. Aussi fallut-il, en pleine guerre, parer au plus pressé et rétablir pour une période de deux ans ces mêmes pouvoirs. Mais, qui le croirait ? on oublia dans la suite de les rendre à nos administrateurs et ce ne fut qu’en face de l’émoi provoqué par la loi de 1919 et aussi pour nous défendre de certaines intrigues étrangères qu’on rétablit h nouveau, espérons-le définitivement, ces mêmes pouvoirs.

Au reste, l’esprit indigène est si épris d’autorité que, récemment, en Kabylie, il a fallu faire droit aux notables du pays, et rétablir les Kanouns, c’est-à-dire l’ensemble de lois et d’usages locaux, pour lutter contre l’alcoolisme que nos règlements sont insuffisants, comme on sait, à réprimer.

Tous les administrateurs de communes mixtes avec lesquels on s’entretient estiment ce rétablissement de pouvoirs plutôt comme une simple arme préventive ; il suffit, à leurs yeux, que l’indigène sache que les ordres inexécutés pourraient être appuyés d’une sanction pour que l’on n’ait pas besoin de s’en servir. En effet, dès le lendemain du retour à l’ancien état de choses, la perception des impôts s’effectua avec une régularité à laquelle on n’était plus habitué. Dans certaines communes, les résultats ont atteint 98 pour 100, 99 pour 100 et même 100 pour 100, résultat d’autant plus remarquable que la perception portait sur deux exercices. L’impression a donc été excellente dans les milieux indigènes, composés de paisibles cultivateurs attachés à leurs biens.

D’autre part, la surveillance politique dans la colonie ne peut être menée que par les administrateurs : comment la conduire avec le tact nécessaire et surprendre les mille courants d’intrigues qui s’exercent sous la forme de tracts, de chansons, de racontars et déterminent souvent les mouvements les plus graves, les plus étendus ? Seuls des hommes expérimentés doivent être chargés de cette tâche délicate.

Quand on parcourt l’intérieur de l’Algérie, que l’on a l’occasion de vivre au siège d’une commune mixte, on est frappé de la bienveillance de nos administrateurs. Aucun des besoins indigènes n’est ignoré par ces excellents fonctionnaires. Ce sont eux qui assurent l’exécution des lois de finances, des règlements en matière de travaux publics, d’instruction publique et de colonisation et ils s’en acquittent avec une douceur remarquable ; ils sont, en somme, les tuteurs de nos populations, comme le disait, à la tribune du Parlement, M. Robert David, le précédent sous-secrétaire d’Etat qui a de l’Algérie une longue expérience.

Ayant pour ma part assisté à des séances de chekaia où les populations viennent traiter et discuter de leurs affaires, j’ai pu étudier ces réunions dites de djemaas des douars où se débattent, comme nous l’avons montré, les questions de propriété ; j’ai également vu une audience de tribunal répressif et aussi ces longues théories de pauvres hères déguenillés et affamés auxquels on distribuait alors, au plus fort de la disette, des secours en argent, en grains et en vêtements, tout cela dans un ordre parfait, sans récriminations et le plus souvent avec de touchants témoignages de gratitude.

J’étais d’autant plus sensible à ces spectacles que je revenais de Tunis où s’exerçait la plus perfide des campagnes anti-françaises. Il avait fallu l’énergie et le sang-froid du nouveau Résident pour dominer, dès son entrée en fonctions, un état d’esprit presque révolutionnaire. Je voyais dans notre Algérie, parfois injustement décriée par les idéologues de la Métropole qui s’essaient à améliorer le sort de l’indigène, un témoignage effectif de la sollicitude de l’administration pour ces mêmes populations. A cet égard, il eût été instructif que quelques-uns des cinquante-quatre parlementaires, venus au printemps dernier visiter la foire d’Alger, eussent quelque peu circulé.

La situation de nos administrateurs a besoin d’être améliorée ; il convient, notamment, de leur donner des facilités de déplacement ; ces agents en sont encore aux longues chevauchées pour parcourir leurs territoires. Le Gouvernement doit leur attribuer de petites voitures automobiles comme celles dont disposent les agents des forêts, ou ceux des ponts et chaussées ; enfin, il y aurait aussi avantage à simplifier la paperasserie ; car la correspondance des bureaux du Gouvernement général, à Alger, fournirait d’édifiants exemples, si nous avions la cruauté de les préciser.


LES ACHATS DE PROPRIÉTÉS EUROPÉENNES PAR LES INDIGÈNES

La colonisation en Algérie est la plus importante des questions. Or, un cri d’alarme a été jeté sur son avenir ; on a parlé de régression, en montrant qu’il n’y a pas de progrès dans notre production agricole et notamment dans celle des céréales, dangereux symptôme pour un jeune pays comme l’Algérie [10]. Aussi bien, les statistiques établies depuis dix ans sont édifiantes, et voici que nous assistons à un spectacle qui montre clairement la situation. Il s’agit des nombreux achats de propriétés européennes par les indigènes ‘enrichis.

Avant la guerre, le problème foncier assez complexe donnait déjà lieu à de savantes études, mais aucune n’aboutit, tant dans l’intérêt des immigrants que dans celui des indigènes. L’attention du Parlement et les sympathies de la Métropole vont bien plus aux affaires purement politiques ou sentimentales, dirai-je, comme l’accession aux droits électoraux de nos indigènes.

Or, ceux-ci procèdent à des acquisitions de plus en plus nombreuses ; ils reprennent la terre de leurs pères. On ne peut leur en faire reproche, mais la physionomie du pays est, par endroits, changée. Le phénomène est particulièrement sensible dans le département de Constantine et en Kabylie, où des cantons entiers sont revenus aux indigènes. « Vous nous avez pris la terre à coups de fusil, nous vous la reprenons à coups de « douros, » disent ces Berbères âpres et tenaces. » Que leur répondre ? A la vérité, la chose avait commencé avant 1914, mais le mouvement s’est amplifié, ce qui n’est pas sans inconvénients ; s’il est heureux que l’indigène fixe son avoir et que, désormais, il s’attache à la tranquille possession de son bien, on n’en prévoit pas moins que la production agricole sera affaiblie. La race sera-t-elle capable de nous remplacer ? On peut en douter d’ici à longtemps. Assurément, les gains réalisés par les colons au cours de la guerre n’ont pas été inférieurs à ceux des indigènes ; on s’expliquerait donc mal ces nombreuses mutations de propriétés françaises, si on ne discernait, à côté de l’incapacité de résister à des offres séduisantes (souvent 4 et 5 fois la valeur d’avant-guerre), comme un découragement devant la crise aiguë de la main-d’œuvre, et en face de l’abaissement de sa qualité. L’état d’esprit, devenu souvent déplorable chez l’indigène, inquiète le colon ; celui-ci est alors heureux d’en avoir fini avec des difficultés dont il ne voit pas la solution, et qu’il s’exagère pour se justifier à ses propres yeux de vendre sa terre ; quant à l’indigène enrichi, il convertit un papier monnaie, qui lui inspire peu de confiance, en une solide propriété.

Il faut également tenir compte du désordre général auquel l’Algérie n’a pas échappé, alors que partout se manifestait la ruée vers la dépense et vers le luxe. Des colons aspirant à la grande vie sont venus la chercher à la ville, et Alger, brillante capitale aux plaisirs faciles, regorge de population et souffre d’une crise aiguë de logement. L’Européen est remplacé, dans l’intérieur, en vertu d’un mouvement analogue, par l’indigène « nouveau riche » et ce dernier, installé dans son récent domaine, entend également améliorer son existence. Et comme le colon français a souvent moins d’enfants que l’indigène qui possède, au contraire, une nombreuse progéniture, on peut déduire l’avenir réservé, d’une manière générale, à la propriété française. Ajoutons que le colon sera de moins en moins suivi, en ces temps d’après-guerre, par un autre immigrant français venant de France continuer son œuvre.

Le nombre des propriétés françaises diminuant, la puissance française ne s’augmentera donc pas, quoi que puissent prétendre, pour s’en consoler, quelques idéologues, et l’on partage les inquiétudes de l’Administration. C’est, en somme, un recul de la colonisation française [11]. Pour enrayer le mal, on réclame une politique indigène débarrassée de mesures hâtivement réalisées, parfois mal conçues ou peu étudiées, ainsi qu’en était coutumier le dernier Parlement. On désire une administration faite assurément de justice et de bonté comme le comporte l’idéal français, mais aussi de fermeté, pratiquée suivant la connaissance de l’indigène, afin de rendre confiance aux entreprises européennes. La sécurité doit être améliorée ; il faut en finir avec ce scandale de la bechara, chantage à peine déguisé qui s’exerce dans les campagnes sur le propriétaire volé pour lui faire recouvrer ce qui lui a été dérobé. Enfin, la nécessité s’impose de réglementer les conditions d’emploi de la main-d’œuvre, afin de la retenir dans la colonie, tandis que les ouvriers agricoles s’expatrient pour aller en France ; dans cette voie, on a même envisagé la réquisition des oisifs.

Pour ce qui a trait au régime même de la propriété, il est évident qu’il faut augmenter Je délai au bout duquel le concessionnaire de terres ne pourrait les louer ou les vendre aux indigènes. On voit mal, également, l’utilité de conserver un domaine d’Etat aussi considérable que dans la province de Constantine où il atteint encore 1/8 de la superficie totale.

Sans retard il convient de mettre de l’ordre dans la propriété indigène et de continuer ce qui avait été commencé en 1911, puis abandonné, c’est-à-dire, organiser le cadastre, afin de préparer le « home stead » et soustraire les biens indigènes aux caprices des djemaas prévaricatrices.

En effet, par un curieux contraste, si la propriété française peut être aisément acquise par l’indigène en raison de la limpidité des titres, il n’en est pas de même des terres indigènes, ces dernières étant, en l’absence de documents, difficiles à acquérir et seulement après d’interminables enquêtes. Il est indispensable que l’on instaure de nouvelles méthodes qui réduiront les délais consacrés aux enquêtes partielles, afin que l’Administration soit en état d’entamer des procédures d’ensemble dans les territoires où la colonisation privée peut s’exercer. Le Français doit pouvoir acquérir aussi facilement que l’indigène. C’est ainsi qu’en attendant, on avait envisagé, à Alger, dans un dessein de protection, la création d’un impôt spécial grevant les ventes aux indigènes des terres de colonisation.

Pourquoi ne pas modifier le régime foncier ? Près de 3 000 000 d’hectares d’excellentes terres de culture, n’étant possédées qu’à titre précaire par leurs détenteurs, restent improductives. Ce sont les terres « arch » du département de Constantine et d’Alger, « sabega » du département d’Oran. Depuis de nombreuses années, et à chacune de leurs sessions, les hautes assemblées de la colonie se sont élevées contre cette situation, pressant les pouvoirs publics d’y mettre fin en décidant que l’établissement de la propriété indigène sera effectué par douar et non au fur et à mesure des demandes d’enquêtes partielles.

L’Administration s’est, jusqu’à ce jour, refusée à cette initiative ; elle s’est abritée derrière le texte d’une législation qu’il lui appartient de faire réformer en saisissant les Chambres, et en attendant, ces terrains demeurent livrés au bon plaisir des djemaas, dont nous avons vu la déplorable moralité.

A tout prendre, nous devons nous féliciter de l’enrichissement de l’indigène, certes ; une population prospère est la base de notre puissance, mais encore faut-il que cet enrichissement soit réel, qu’il ne repose pas sur une inflation monétaire exagérée où l’on voit l’indigène, peu confiant dans la valeur du billet, se précipiter vers des opérations d’achat qui tendent à l’éviction de l’élément national.

N’a-t-on pas, en ce sens, subi en Algérie des mesures mal étudiées issues de la Métropole ; c’est ainsi que l’on a justement critiqué le système des allocations appliqué, pendant la guerre, dans les tribus, assimilant la famille indigène vivant de peu, ayant des besoins restreints, à la famille française. Que dire du gaspillage qui attribuait aux femmes d’indigènes jusqu’à 5 et 6 000 francs par an ? Tout le monde, sans contrôle, sous un régime de bon plaisir, était soutien de famille : aussi désirait-on que la Grande Guerre durât éternellement, pour que la paix ne vînt pas tarir cet admirable Pactole. Le prolétariat des campagnes n’existait plus ; les prêts des monts de piété, dans les villes, étaient remboursés ; mais aussi personne ne travaillait. Tout récemment, au moment de la famine, on distribuait des secours en argent, en grains, alors qu’il eût été plus judicieux d’installer des chantiers où les populations rémunérées auraient accompli d’utiles travaux publics, un peu à la manière des ateliers nationaux de 1848.


LE PERSONNEL ADMINISTRATIF EN ALGÉRIE

Au cours de cette étude de notre politique indigène, on ne saurait négliger, même sous forme d’aperçu, la question du personnel que la Métropole emploie pour administrer la colonie.

Un ancien gouverneur rendait hommage à la haute valeur de ce personnel, d’un patriotisme, d’un dévouement et d’une compétence éprouvés ; mais il montrait aussi les qualités professionnelles indispensables que l’on en devait attendre [12]. Il est essentiel de posséder dans l’Afrique du Nord des fonctionnaires qualifiés ; pour cela, il faut renoncer aux errements suivis. Ne venons-nous pas de voir désigner comme conseiller du Gouvernement à Alger, un sous-préfet arrivant de Bretagne ? Il prendra la place d’un conseiller vieilli dans les affaires indigènes et qui, précisément, avait la plus précieuse des expériences. Un autre, sous-préfet en Savoie, était choisi pour l’une des plus importantes sous-préfectures du département de Constantine ; et un autre, venant encore de Bretagne, était investi des délicates fonctions de secrétaire général, chargé des affaires indigènes de l’une de nos trois préfectures algériennes. Enfin, on a été sur le point de changer le préfet d’Alger, fonctionnaire de mérite connaissant de longue date le pays, en le remplaçant par un de ses collègues de France qui, naturellement, n’a jamais entrevu l’Algérie, et cela au moment où de graves questions sont à l’ordre du jour et où venait d’arriver le nouveau gouverneur. Combien il y aurait à dire sur ce même sujet quand on se rappelle que dans le département d’Oran, ce fut la présence, jadis, pendant quinze ans consécutifs, d’un préfet, M. de Malherbe, qui permit les plus utiles réformes !

L’expérience montre les inconvénients de ces fréquentes nominations de fonctionnaires venant en Algérie sans préparation. Aussi le Sénat a-t-il voté, sur l’initiative de M. Cuttoli, une proposition de loi tendant à exiger, pour les postes algériens, dix années de services dans l’administration de la colonie, réduites à cinq années en faveur des fonctionnaires pourvus de certains diplômes. La Commission de l’Algérie et des colonies, à la Chambre, a sanctionné ce principe, mais a cru devoir, afin de ne pas tarir complètement le recrutement métropolitain, en atténuer la rigueur ; les délais précités seraient réduits à cinq et à trois ans, et un poste sur quatre resterait attribué aux fonctionnaires de France, après entente sur le choix du titulaire entre le Ministre de l’Intérieur et le Gouverneur général ; encore faudra-t-il observer la loi et tenir compte de l’avis du Gouverneur général.

On vient très heureusement, dans un ordre plus général, de réaliser la création, au ministère de l’Intérieur, d’une Direction de l’Algérie en place du simple bureau qui centralisait les affaires de notre grande colonie. C’est là une mesure d’autant plus opportune que le service sera aux mains d’un fonctionnaire expérimenté et très distingué qui, dernièrement encore, était à la tête de la préfecture de Constantine.

Pour l’avenir de notre domaine africain, il est temps de modifier quelques-unes de nos méthodes, ainsi que je l’entendais exposer par l’un des agents les plus qualifiés et les plus avertis du protectorat à Tunis. Dans l’Afrique du Nord (Algérie, Tunisie, Maroc), la Métropole devrait prévoir l’organisation d’une carrière administrative sensiblement unique [13] ; à la vérité, on ne saurait trop répéter que dans les affaires musulmanes de notre empire, s’il y a solidarité d’intérêts, il ne saurait y avoir identité entre la politique de chacun de ces trois pays et que chacun des représentants de la France, que ce soit à Alger, à Tunis, ou à Rabat, doit être maître de son action ; et cependant tout le monde sait que le lien de l’Islam n’en est pas moins une forte réalité ; devons-nous rappeler la pérennité du pèlerinage à la Mecque, qui assure un contact étroit des consciences musulmanes ? Le Coran a façonné assez uniformément la mentalité indigène, de Gabès à Mogador ; pour la gestion de nos affaires, il importe donc que nous ayons, un jour, une seule carrière administrative, grâce à la création d’un service civil nord-africain, comparable par son prestige et sa valeur à l’« Indian civil service » britannique. Les agents occuperaient, non seulement les emplois de contrôleurs civils et d’administrateurs de communes mixtes, mais encore ceux de préfets, sous-préfets, de directeurs de l’Intérieur, de secrétaires généraux du Gouvernement. Il faudrait même aller plus loin et leur réserver les postes consulaires de l’Orient musulman, ainsi que les emplois qui pourraient être créés parmi les mandats qui nous sont confiés, dans l’Empire ottoman. Le jeune homme débutant comme contrôleur suppléant à Marrakech devrait avoir le droit d’espérer être préfet à Alger, secrétaire général du Gouvernement tunisien, sa carrière le préparant » s’il en a les moyens, indifféremment à l’un ou à l’autre de ces emplois. Et si nous voulons donner à notre empire africain dans notre politique extérieure la place qu’il mérite, nos ambassades de Madrid, de Rome, de Constantinople, notre agence au Caire, devraient renfermer une place d’attaché pour les affaires coloniales et musulmanes réservée à un fonctionnaire du service nord-africain. Le ministère des Affaires étrangères, le Gouverneur général et les Résidents généraux resteraient, chacun en ce qui les concerne, maîtres des nominations ; un office commun jouerait simplement le rôle de « clearing house » pour l’échange des renseignements et les permutations ; quant à la préparation des candidats, il n’est besoin de rien instaurer, puisque l’Ecole coloniale a ouvert une section de l’Afrique du Nord. On créerait, tout au plus, à Paris, un office central de l’Afrique du Nord française, comprenant trois services : personnel, affaires musulmanes, transports maritimes. Enfin, pour ne point modifier les lois existantes et prévenir les conflits d’attribution, l’office ne serait rattaché ni au ministère des Affaires étrangères ni au ministère de l’Intérieur, mais à la présidence du Conseil qui, en l’espèce, dominerait les différents services de la Métropole dont le particularisme est souvent exagéré.

Une telle organisation répondrait à un besoin évident ; elle permettrait d’attendre le moment où se créera l’organe de la Métropole qui présidera aux destinées de notre Afrique septentrionale. Actuellement, cette dernière question n’est pas mûre, bien que ce ne soient les projets qui aient manqué : ministère de l’Afrique du Nord, sous-secrétariat de l’Algérie et de l’Afrique du Nord, rattachement à nos trois possessions au ministère des Colonies ; mais aucun ne donne pleine satisfaction, chacun prête à des critiques dont la plus forte est que l’on risquerait de bouleverser nos protectorats tunisien et marocain, où l’administration est faite de mesure et de souplesse. Redoutons que la Métropole, avec ses poussées d’implacable logique, tente d’y introduire ses méthodes d’assimilation prématurées dont quelques-unes ont été funestes à l’Algérie. Notre belle colonie s’en est accommodée et, de nos jours, elle est parvenue à une prospérité qui fait l’admiration justifiée des Américains, Anglais, Hollandais, grands connaisseurs en œuvres coloniales ; l’Algérie peut donc revendiquer l’honneur d’avoir été l’embryon de notre empire dans l’Afrique du Nord. Il n’en est pas moins évident qu’il faut beaucoup de prudence, afin de ne pas mêler des politiques de nature dissemblable comme celle qui, à Tunis, eut de si beaux résultats et celle appliquée, en dernier lieu, à Rabat par le maréchal Lyautey.


L’INSTRUCTION PUBLIQUES DES INDIGÈNES

Assurer l’instruction des indigènes constitue l’un des problèmes des plus délicats que nous ayons à résoudre ; au milieu du trouble, issu de la guerre, on peut affirmer que non seulement la prospérité, mais la sécurité immédiate de notre établissement en dépendent étroitement.

Dans les partis socialistes extrémistes, aucune question n’a été plus exploitée. Que n’a-t-on pas avancé sans peser les conséquences de cette surenchère sur notre population indigène ? Au cours d’une récente discussion parlementaire, un orateur prétendait que, sur un budget algérien total d’environ 667 millions, l’instruction des indigènes ne figurait que pour 8 millions, alors que l’on compte une population approchée de 5 millions d’indigènes en face de moins d’un million de Français et d’Européens. Pour les besoins d’une cause qui s’efforce de provoquer des sentiments de désaffection on se gardait de montrer l’effort réalisé, tout au contraire, par les assemblées de la colonie. Évidemment, du fait de la guerre, en Algérie comme en France, les programmes préparés avant 1914 ont subi un inévitable retard, mais les établissements scolaires de la colonie n’en reçoivent pas moins, et sans distinction de race ou de religion, les indigènes et les Européens : cette égalité de traitement est la meilleure réplique aux exploiteurs de la cause indigène, quand ils travaillent à établir les luttes de classes entre deux populations de civilisations déjà différentes. Ajoutons que les assemblées algériennes ont élevé, depuis 1900 où la colonie est maîtresse de son budget, le chapitre de l’instruction publique de 300 000 francs à 8 000 000.

On a souvent dit qu’il convient d’instruire les indigènes bien plus en surface qu’en profondeur, pour ménager leur mentalité et préparer leur évolution. Quoi qu’il en soit, dans les campagnes, on recherche peu l’instruction ; nos administrateurs de communes mixtes sont obligés de sévir pour forcer les parents à envoyer leurs enfants à l’école ; déjà, au lendemain de l’enquête poursuivie en 1893, dans toute l’Algérie, le Président de la Commission, Jules Ferry, devait reconnaître que les indigènes n’étaient guère attirés par nos programmes ; pour séduire les familles, on chargea des « tholba » ou lettrés d’enseigner le Coran aux enfants de nos écoles. La mesure fut critiquée, beaucoup redoutant de provoquer un désordre de conscience dans ces jeunes esprits manœuvres, sans contrôle, à travers le dédale d’un livre saint qui prête à tant de controverses [14] et un spécialiste assurait, à cette époque déjà lointaine, que mieux vaudrait des écoles vides que des écoles fréquentées grâce à l’attrait du Coran. Un autre écrivain [15] précisait, assez rudement, que la plupart de ces indigènes se montreraient incapables dans les fonctions qu’ambitionnait la naïveté de leur orgueil et que, devenus des aigris, ils offriraient le témoignage de notre erreur d’avoir cherché à les élever au delà de leurs moyens. On ne saurait, en effet, prétendre que la seule pratique de notre langue augmente les facultés de discernement chez un indigène, alors qu’elle le rend d’autant plus vulnérable parce qu’accessible à de pernicieuses influences ; cette opinion est partagée par nombre de nos compatriotes de la colonie.

Les garanties dont nous avons à entourer les différentes branches de l’instruction étaient déjà l’objet de l’attention du gouverneur général quand on organisa, en 1894, l’enseignement dans les médersas ou écoles supérieures musulmanes ; il s’agissait, en effet, de ne confier qu’à des professeurs français judicieusement choisis parmi les plus sympathiques aux musulmans, les cours d’histoire musulmane. L’enseignement historique comporte trop de conclusions pour le laisser à des maîtres qui n’auraient pas, en effet, l’empreinte profonde de l’éducation et même plus, les habitudes du cœur françaises.

D’autre part, la Métropole ne doit pas tolérer de nos jours, par un libéralisme exagéré, que des instituteurs indigènes égarés deviennent les artisans d’un communisme révolutionnaire, et que, sous prétexte de groupements professionnels, ils en arrivent à défendre leurs intérêts indigènes contre ce qu’ils appellent des lois et règlements d’exception, répandant des tracts qui placent leurs revendications au-dessus de leurs intérêts corporatifs. Dans une circulaire récente, M. Léon Bérard, ministre de l’Instruction publique, mettait en garde le corps enseignant contre l’insubordination de ceux de ses membres qui, invoquant le principe de la liberté d’opinion, organisent ainsi une véritable propagande révolutionnaire ; en Algérie, la chose mérite, assurément, d’être examinée de très près.

De ce qui précède, ressort la nécessité d’assurer l’instruction professionnelle. Un effort a été réalisé par la direction des Affaires indigènes du Gouvernement général à Alger ; on a fondé des écoles de maçonnerie, de menuiserie, de vannerie, de céramique, de poterie, des ateliers divers d’apprentissage, en somme quatorze écoles professionnelles avec des fermes également écoles. Attendons de cette œuvre d’utiles résultats, sans nous dissimuler, néanmoins, que la meilleure école d’agriculture pour l’indigène sera toujours la ferme européenne où il parviendra à acquérir la pratique des méthodes modernes. On évitera ainsi la formation des déclassés, plaie de la colonie ; enfin puisse-t-on apporter quelque circonspection dans l’attribution des bourses qui donnent accès à nos grands établissements scolaires et d’où sortent, ensuite, ces jeunes gens qui souvent nous paient d’ingratitude !

Surveillons également certaines œuvres d’éducation indigène qui sont venues exercer dans la colonie, notamment en Kabylie où la mission évangélique américaine poursuit, avec de larges moyens financiers, un vaste programme. Assurément le but est moralisateur, nous aurions mauvaise grâce à le désavouer, et cependant l’entreprise aux mains d’une organisation étrangère appelle un sérieux contrôle ; rappelons-nous ce qui se passa à Madagascar où des missions analogues créèrent aux débuts de notre établissement nombre de difficultés.

En résumé, il semble que l’on n’a pas toujours su interprêter la formule de Waldeck-Rousseau en faisant évoluer l’indigène dans sa civilisation suivant la mesure compatible avec son statut religieux et ses diverses possibilités. N’avons-nous pas précipité cette évolution au risque de la compromettre en la faussant. Des réformateurs préconisent hardiment le développement de l’indigène par l’étude des sciences positives, la plus utile réforme devant être, selon eux, la diffusion de l’esprit scientifique, la science des sciences, disent-ils, qui permettra aux musulmans de rattacher leur passé au présent ! La tâche sera délicate et son efficacité parait contestable ; le meilleur procédé ne serait-il pas de mettre la masse en voie progressive d’évolution, en la guidant simplement et prudemment ? Quand nos extrémistes se réjouissent que les indigènes marchent derrière le drapeau rouge comme dans les grèves d’Oran, ils font, évidemment, preuve de logique puisque entrepreneurs de démolition sociale, ils cherchent des collaborateurs pour leur œuvre détestable ; mais combien grande est leur ignorance ! Nous sommes loin du jour ou l’Islam aura perdu son empire ; en tout cas, le sentiment de xénophobie qui est encore au fond de l’âme indigène n’en continuerait pas moins de vivre, au lendemain de la désaffection de l’idée religieuse ; est-il désirable que ce détachement se produise ? On en peut douter, car de deux choses l’une, ou nous aurons des déclassés prêts aux pires besognes, ou nous conserverons des disciples d’une religion que nous devons surveiller, mais qui, à l’exemple de toutes les religions, est une grande école de morale et sur laquelle pourront avoir prise nos traditions françaises d’équité et de tolérance.


Dans la situation que nous venons d’exposer, on a pu voir que l’Algérie offre des conditions qui sont à peu près sans exemple dans l’histoire coloniale : aussi bien notre possession n’est, exclusivement, ni une colonie de peuplement comme le Canada, ni une colonie d’exploitation économique et de simple domination comme l’Inde anglaise. La tâche est donc délicate d’y faire vivre en harmonieuse collaboration les deux grands groupements de populations européenne et musulmane, en tenant compte de leurs mentalités et de leurs intérêts. En remontant dans le passé, on croit apercevoir que la Métropole, lorsqu’elle inaugura la politique d’assimilation, pensait assurer l’avenir et rattacher plus étroitement sa colonie à la France. Ceux qui ont combattu cette politique, en 1891 [16], redoutaient les réactions qu’elle devait engendrer, et ils avaient adopté comme formule : « ni assimilation, ni autonomie, » pour indiquer que c’était par un régime de libertés locales fortement entouré de garanties que la Métropole pourrait, peu à peu, conduire l’Algérie à prendre ses destinées en mains, sous l’égide tutélaire de la France.

Les illusions des uns, les ambitions des autres n’ont pas permis à cette prudente méthode de se développer et aujourd’hui, après le bouleversement de la guerre, on sent que l’importance de l’Algérie pour la France n’a fait que grandir. Aussi nous appartient-il d’éviter dans notre grande colonie les heurts, les imprudences en concédant à nos compatriotes algériens la part d’autonomie conforme à la situation géographique du pays. Accordons-leur les libertés administratives, financières, indispensables, qu’ils réclament : c’est une question de temps, au reste, pour qu’ils les obtiennent ; ils repoussent à cet égard toute centralisation exagérée de la Métropole, c’est ainsi que logiquement ils s’opposent à un ministère de l’Algérie et de l’Afrique du Nord ou bien à un rattachement à celui des Colonies.

On n’a pas toujours en France le sens des réalités ; écoutons nos colons algériens, ils le possèdent au plus haut degré. A cet égard, débarrassons-nous de cette idéologie qui nous fait tant de torts ; elle n’a pas été sans influencer la naissance de la loi de 1919, mauvaise fée que nous avons introduite au chevet de la colonie, plus démagogique que libérale, elle risque de livrer la population indigène à l’avide tyrannie de quelques aventuriers politiques qui nous prépareraient, si nous n’avisions, un très sombre avenir

En politique indigène, il y a une belle formule, celle du général Laperrine, vieil Africain ; pourquoi ne pas nous y tenir : « Ni humilier, ni exploiter l’indigène ; se le concilier, en le faisant entrer comme collaborateur sincère dans une France prolongée à la grandeur de laquelle il participera. »

A nous, par une propagande judicieuse, de mettre en lumière l’œuvre de la France, celle-ci ayant donné, à un titre et sous des modalités dissemblables en Algérie et dans les protectorats voisins, ce que ces pays n’avaient jamais connu, un gouvernement qui tient compte de l’intérêt des populations et qui veut les servir. En effet, on ne saurait assez le répéter, les dominations qui se sont établies au cours des siècles dans l’Afrique du Nord, que ce soit Carthage, Rome ou Byzance, n’avaient en vue qu’une assez âpre exploitation. Quant à l’invasion musulmane, avouons, au risque de contrister des sympathies, qu’après s’être bornée à créer l’unité religieuse entre des empires d’ailleurs éphémères, elle offre dans les chroniques des Etats barbaresques, de Fez à Tunis, une lamentable série de violences monotones dans leurs horreurs mêmes.

C’est ainsi que nous avons trouvé l’Algérie au sortir du régime turc qui la pressurait plus qu’il ne l’administrait.

Assurément, disent nos compatriotes de là-bas, il n’y a que des avantages à ce que nous donnions libre cours à notre libéralisme, mais à la condition, ajoutent-ils, de nous souvenir du « memento regere » indispensable au succès d’une entreprise coloniale [17]. Ceux d’entre nous qui, dans la Métropole, connaissent l’âme indigène, savent, en effet, que les réactions les plus dures succèdent parfois à des apparences doucereuses et trompeuses. Et quand nous voyons l’action communiste révolutionnaire chercher à entamer notre Algérie qui, par certains côtés, doit être comme une France prolongée, il serait vraiment douloureux que, sous prétexte de libéralisme, ou favorisât une campagne procédant des plus dangereux extrémistes métropolitains.

Nos Algériens désirent, à ce point de vue, que nous ne négligions aucune occasion de démontrer que l’Algérie, tout en faisant partie du monde musulman, est une terre française et que, quels que soient les droits que nous reconnaissons à nos indigènes, nous ne devons pas hésiter à traiter comme coupables de complot contre la sûreté de l’Etat ceux qui ébranleraient la fidélité de leurs coreligionnaires envers la France. C’est la sagesse même.

Mais voici que d’heureux symptômes se manifestent ; on a pu lire les déclarations du ministre des Colonies, au retour d’un voyage en Afrique occidentale, où il avait jugé, par lui-même, les choses indigènes et compris les erreurs d’une assimilation prématurée. Bien que l’Algérie ne relève pas de ses services, il faut être reconnaissant à ce ministre, désormais averti, de s’élever contre le danger d’accorder des droits politiques à des gens dont il importe, avant tout, d’améliorer la situation matérielle. Ces déclarations ont déjà eu une large répercussion en Algérie et dans les protectorats voisins, où nous devons éviter la caricature d’une démocratie qui compromettrait le sort de nos établissements.

L’Algérie va recevoir le Président de la République ; nos compatriotes qui, au lendemain de la loi de 1919, avaient conçu quelque découragement, seront animés du plus joyeux courage, car ce voyage est une marque éclatante d’intérêt ; ils y trouveront également la preuve de la fidélité de leurs amis de la Métropole.

Enfin, le Parlement a voté une loi autorisant l’Algérie à contracter un emprunt de seize cents millions qui permettra d’importants travaux et favorisera le magnifique essor de la colonie ; tout est donc en voie de se remettre sous l’égide d’un nouveau Gouverneur qui, en raison des hautes fonctions qu’il a remplies précédemment, pourra défendre, avec autorité, les intérêts algériens. Il en sera de même pour la politique indigène ; les observations que ce Gouverneur sera amené à faire, chaque jour, sur ce terrain très délicat, le mettront en mesure, croyons-nous, de rassurer la population européenne, tout en l’associant aux aspirations musulmanes dans ce que celles-ci ont de conforme avec la prospérité et la sécurité de notre établissement.


H. DE LA MARTINIÈRE.

  1. Voyez la Revue du 15 mars. — Nous avons eu le regret d’apprendre la mort de l’auteur de ces articles, M. H. de la Martinière, ministre plénipotentiaire, qui fut l’un des principaux collaborateurs de M. Jules Cambon, gouverneur de l’Algérie. Sa haute compétence sur toutes les questions qui intéressent notre Empire africain était universellement reconnue.
  2. Les chefs-d’œuvre de la propagande allemande, 1 vol., Paris, Berger-Levrault. Consulter aussi Une campagne de propagande allemande, la Honte noire, par Norbert Sevestre, dans la Revue du 15 septembre 1921.
  3. Un récent décret beylical vient, très opportunément, d’apporter un nouveau règlement, dans la Régence, à la presse indigène ou hébraïque, tandis que des mesures rigoureuses devaient être prises contre quelques agitateurs. On mettra ainsi, espérons-le, un frein à la propagande anti-française qui s’effectuait dans les milieux indigènes.
  4. Mercure de France, 1er janvier 1921 : la Propagande bolchevique mondiale. — Voir également un article de la Revue hebdomadaire par M. Ludovic Naudeau, paru les 20 et 27 novembre 1920 ; consulter aussi, dans la National Review d’octobre 1920, le récit d’un voyageur anonyme revenu récemment de Russie et qui déclare que la nature même du bolchévisme lui interdit de renoncer jamais à sa propagande de destruction. Enfin, on a appris, grâce aux études du colonel Reboul, publiées par le journal le Temps, que le Gouvernement soviétiste de Moscou mettait au service de sa propagande à l’étranger l’instrument policier de sa « Tchéka » organisée sur les mêmes bases que l’ancienne police impériale russe, mais naturellement composée des pires éléments. Pour ce qui est de notre Afrique du Nord, la propagande est menée par cette tourbe que l’on voit, en ce moment, sur tous les rivages de l’Orient.
    A ce même sujet, on me racontait dernièrement que des Russes rentrant d’Extrême-Orient avaient constaté, en Indochine, le prestige considérable de la Russie parmi nos indigènes : ceux-ci les avaient accueillis avec un enthousiasme très vif, les croyant du Gouvernement soviétiste de Moscou. Voilà où l’on en est un peu partout. Ce serait une grave erreur de croire que seules les possessions anglaises sont contaminées par la propagande bolchéviste.
  5. Récemment, à Sfax, on saisissait un lot considérable de brochures de propagande bolchéviste que venait de débarquer un navire allemand.
  6. Dès l’accord entre Mustapha Kemal et la République des Soviets, les journaux tunisiens le commentèrent favorablement. La répercussion parmi nos populations indigènes des événements d’Asie-Mineure et des fautes que nous y avons commises est indéniable ; on lira avec intérêt à ce sujet les articles de Mme Berthe Georges Gaulis, dans l’Opinion.
  7. Consulter sur tout ce qui a trait au nationalisme musulman l’ouvrage de M. André Servier, le Péril de l’avenir, le nationalisme musulman en Egypte, Tunisie et Algérie, p. 91 (2e édition, 1 vol., Constantine, 1913), et aussi Comment la France perdra ses colonies, par Tridon, celui-ci plaidoyer d’allure très vive (Paris, Éditions et librairie, 40, rue de Seine).
  8. Dans le comité formé à cette époque, présidé par M. Jules Cambon, gouverneur de l’Algérie, on relève les noms de M. Guichard, sénateur, du Prince d’Aremberg, de MM. Aynard, Delcassé, Étienne, Kerjégu, députés, Ambroise Baudry, Benjamin Constant, de l’Institut, du Prince Roland Bonaparte, de M. Roustan, Marquis de Nouilles, ambassadeurs, de MM. Houdas, de l’École des langues orientales, La Martinière, du Service des Affaires indigènes de l’Algérie, etc., etc..
  9. L’Administration algérienne signale, il est vrai, une amélioration dans ces derniers temps qui semble due, notamment, au rétablissement des pouvoirs disciplinaires, de nos administrateurs autant qu’à de meilleures conditions économiques. L’application de la mise en surveillance spéciale des indigènes a permis de réduire les bandes de malfaiteurs de l’Aurès, du Maadid, d’Akbou, de Palestro, de Mascara et on constate aussi, paraît-il, une réduction sensible dans le nombre des vols de bestiaux.
  10. Rapports de M. Vallet et de M. Mercier, délégués financiers.
  11. Depuis quelques mois, la situation paraîtrait en voie de légère amélioration, ainsi que le signale M. Augustin Bernard dans un article très documenté sur le recensement en Algérie, paru dans les Annales de Géographie du 15 janvier 1922, bien que l’auteur signale que non seulement les villages de colonisation, mais même les petites villes comme Blida, Médéa, etc., ont perdu une partie de leurs éléments européens non-fonctionnaires.
  12. Jules Cambon, loc. cit.
  13. A l’heure présente, l’administration au Maroc compte plusieurs agents du corps du contrôle tunisien ou du cadre des administrateurs d’Algérie.
  14. Émilien Chatrieux, Études Algériennes. 1 vol., Challamel, Paris, 1893.
  15. Maurice Wahl, L’Algérie, 5e édition mise à jour par Augustin Bernard. Paris, F. Alcan, 1908.
  16. Jules Cambon, loc. cit.
  17. Philosophie d’un désastre colonial, à propos de la politique espagnole au Rif, par un Africain. La Renaissance, Paris 1er octobre 1921.